Manuel de la parole/15/29

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J.-P. Garneau (p. 205-206).

LES CIMETIÈRES DE CAMPAGNE


Les Anciens n’ont point eu de lieux de sépulture plus agréables que nos cimetières de campagne : des prairies, des champs, des eaux, des bois, une riante perspective, marient leurs simples images avec les tombeaux des laboureurs. On aime à voir le gros if qui ne végète plus que par son écorce, les pommiers du presbytère, le haut gazon, les peupliers, l’ornement des morts, et les buis, et les petites croix de consolation et de grâce. Au milieu des paisibles monuments, le temple villageois élève sa tour surmontée de l’emblème rustique de la vigilance. On n’entend dans ces lieux que le chant du rouge-gorge, et le bruit des brebis qui broutent l’herbe de la tombe de leur ancien pasteur.

Les sentiers qui traversent l’enclos bénit aboutissent à l’église ou à la maison du curé : ils sont tracés par le pauvre et le pèlerin, qui vont prier le Dieu des miracles ou demander le pain de l’aumône à l’homme de l’Évangile : l’indifférent ou le riche ne passe point sur ces tombeaux.

On y lit pour toute épitaphe : Guillaume ou Paul, né en telle année, mort en telle autre. Sur quelques-uns il n’y a pas même de nom. Le laboureur chrétien repose oublié dans la mort, comme ces végétaux utiles au milieu desquels il a vécu ; la nature ne grave pas le nom des chênes sur leurs troncs abattus dans les forêts.

Cependant, en errant un jour dans un cimetière de campagne, nous aperçûmes une épitaphe latine sur une pierre qui annonçait le tombeau d’un enfant. Surpris de cette magnificence, nous nous en approchâmes ; nous lûmes ces mots de l’Évangile : « Sinite parvulos venire ad me : Laissez les petits enfants venir à moi. »

Chateaubriand.