Marcel Schwob (Lazare)

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Figures contemporaines : ceux d’aujourd’hui et ceux de demain
Perrin et Cie, libraires-éditeurs (p. 185-189).


MARCEL SCHWOB


Dire que M. Marcel Schwob est un esprit encyclopédique ne serait pas suffisant, car il est des encyclopédistes qui meublent au hasard leur cervelle. Il faut ajouter que M. Schwob est un philosophe, c’est-à-dire qu’il sait ordonner ses connaissances et en tirer profit. C’est un littérateur bénédictin, un homme fureteur et passionné, qui se plaît dans la poussière des archives, non pour cataloguer des manuscrits, ni pour les analyser même, mais pour en tirer des êtres vivants.

Il s’est épris autrefois des étranges malfaiteurs du moyen âge, des coquillards mystérieux, des redoutables mauvais garçons, de tout ce peuple souterrain qui composait « les classes dangereuses », aux mœurs singulières, aux coutumes peu connues, à la langue attachante. Il s’est enquis de leurs descendants contemporains, et, dans des contes curieux, fantastiques ou symboliques, il les a fait renaître.

Aujourd’hui, la littérature anglaise le captive, et il montre autant d’ardeur à être critique et traducteur qu’à être l’évocateur du passé. Il a le goût du rare, de l’inédit, celui aussi de l’inconnu et du mystère. Il s’est appliqué souvent à nous présenter des monstres, monstres physiques ou moraux, et non pour le vain désir d’en faire une exhibition qui surprenne. M. Marcel Schwob aime ces exceptionnels, qu’il sait représenter si bien, il a pour eux non seulement de l’affection, mais encore une profonde, intense et lénitive pitié. Ce n’est pas uniquement de l’intérêt qu’éveillent en lui les cervelles ténébreuses, il a pour elles une sympathie tendre et parfois ingénieuse, car c’est dans les manifestations de ces êtres tombés ou mal nés, de ces atrophiés ou de ces régressifs, qu’il cherche le secret des belles et nobles existences, le sens et le mot de la vie.

M. Schwob chérit cependant le mal et même la perversité, non qu’il y mette de la complaisance, ni qu’il se réjouisse au spectacle qu’ils offrent ; il cherche à en pénétrer les causes, et à montrer combien sont naïves et inconscientes les pauvres âmes malignes et perverses. Il en a dit souvent le poème attendri et pitoyable, dans une langue solide, un peu lourde quelquefois et trop chargée, mais nette cependant et séduisante, capable d’indiquer de délicats symboles et d’exprimer sans sécheresse d’abstraites conceptions.

Mais M. Marcel Schwob est surtout un esprit inquiet ; son cœur n’est pas double, mais multiple, et il ne sait pas toujours lequel de ses cœurs est son vrai cœur. Il va du scepticisme au mysticisme vague et fumeux de Monelle ; il s’éprend de la science et puis la frappe comme une maîtresse trop aimée ; il prétend un jour trouver la paix dans les sentiments durables et violents, d’autres fois il ne reconnaît comme aimable et bon que le moment qui passe et la sensation qui fuit, et ces contradictions indiquent moins la versatilité que le trouble de l’âme du métaphysicien poète qu’est M. Marcel Schwob.