Marguerites de la Marguerite des princesses/Comedie des innocents

La bibliothèque libre.

Comedie des Innocents.

DIEV commence.


MOn œil diuin, qui voit l’interieur,
Deuant lequel nul corps exterieur
Ne peult donner aucun empeſchement,
Regarde en bas iuſqu’a l’inferieur,
Bien qu’il ſoit hault comme ſuperieur,
Mais ma bonté l’abbaiſſe doucement :
Or a il veu ce que ſecretement
Herodes veult faire de mon Enfant ;
Mais ma puiſſance en diſpoſe autrement,
Qui le Petit contre le Grand defend.
En moy n’y a nulle mutation,
Rien de charnel, ne point de paẞion ;
De tous les faitz de lá bas ie me iouë,
Celuy qui eſt mon Filz d’adoption,
Se confiant en mon Election,
Remply d’amour, inceſſamment me louë :
Mais l’infidele adorant terre & bouë,

Ne fait ſinon penſer à me destruire.
En me moquant d’eux, fais tourner ma rouë,
Et mon ſoleil ſur bons & mauuais luire.
Ie voy le cœur d’Herodes fort trembler,
Et ſon conſeil contre moy aſſembler ;
Car le retour des Roys il a bien ſceu.
Il fait du Dieu, & me veult reſſembler,
Cuydant pouoir oster ou r’aſſembler
La vie au corps ; mais il en eſt deceu.
Les ſages Roys ont bien mon Filz receu,
Mais ce tyrant par grande cruauté
Le mettre à mort dens ſon cœur a conceu,
Pour conſeruer ſa vaine royauté.
Roys de lá bas, eſcoutez promptement ;
Et vous außi, qui ſoubs moy puiſſamment
Iugez la terre en vostre obeïſſance :
Or apprenez mon ſaint enſeignement,
Et me ſeruez craingnant reueremment :
Reſiouyſſez voz cœurs par congnoiſſance,
Et en tremblant voyans ma grand puiſſance,
Baiſez mon Filz, & luy faites hommage,
Et vous aurez de m’embraſſer licence ;
On autrement ce vous ſera dommage :
En le baiſant pour Seigneur & pour Roy,
En l’adorant homme & Dieu par la Foy,
Soubsmettant cœur & corps à ſon empire,

Par luy pourrez du dur faix de la Loy
Eſtre tirez, & iointz auecques moy ;
Tant que chacun aura ce qu’il deſire.
Mais ce cruel qui tous les iours empire,
De cruauté aura ſa recompense.
Bien loing ſera ſon effect de ſon dire,
Car moult remaint de ce que le fol penſe.
Anges, allez à Ioſeph mon amy,
Qui en repos d’esprit eſt endormy ;
En luy diſant comment, par quel moyen
Ie veux ſauuer de mortel ennemy
Mere & Enfant ; qui paſſeront parmy
Leurs malvueillans ſy ſagement & bien,
Qu’ilz n’oſeront onc leur demander rien.
Le temps preſcrit il leur fault reueler,
Qu’ilz demeurr^ont en Egypte, & combien :
Et que de lá dois mon Filz appeller.

LE PREMIER ANGE.

La cruauté & grande tyrannie
Merite bien, Seigneur, que tu luy nye
De ta faueur le rayon gracieux.
Sa mauuaistié doit eſtre bien punie,
Qui veult tuer l’Enfant, que tu benie ;
Sy treſparfait que la terre & les cieux,
Pour l’admirer tournent vers luy les yeux.
Roys & Pasteurs en ont fait ſy grande compte,

Et le fier Roy, de tous le vicieux,
Cerche ſa mort, ſon dommage, ou ſa honte.

LE II. ANGE.

Ores ſera le deſert, periſſant ;
Et ſans nul fruit, plaiſant & fleuriſſant ;
Quand ton cher Filz y fera ſon entree :
Du dur rocher ſera ruiſſeau yſſant,
Pour eſtre à luy du tout obeïſſant :
Et les haultz monts de loingtaine contree
S’abbaiſſeront ; & la vallee oultree
Se haulſera de plaiſir pour le voir.
La terre ſeiche y ſera acouſtree
De mille fleurs, pour mieux le receuoir.

LE III. ANGE.

Dieu Toutpuiſſant, qui de tout peux iouyr,
Helàs, fais tu le tien enfant fouyr
Deuant vn fol, cruel, plein d’ignorance ?
Tu peux le ciel & la terre eſiouyr,
Et tout ſoudain en l’abyſme enfouyr
Cil qui ne rend à ton Filz reuerence.
Mais il te plaiſt qu’ainſi ſon innocence
Souffre pour tous les pecheurs & nocents
Pour conforter ceux qui par la ſouffrance
De l’ignorant ſouffriront innocents.

LE IIII. ANGE.

Dedens ce deſert tout deſtruit

I’abbaiſſeray la haulte branche,
Pour donner à l’Enfant du fruit
D’vne volonté pure & franche.

MARIE.

Pere du Filz dont ſuis l’humble ſeruante,
Fille de toy qui me rendz treſſçauante,
Qu’en toy y a Nom de paternité :
Tu m’as fait Mere, & telle ie me vante,
Que touſiours ſuis ta volonté ſuyuante.
Par pure grace, en moy humanité
Ton Filz a prins, par ta benignité ;
Vn corps ſemblable à la chair de peché,
Pour en ce corps tuer la vanité
D’Adam par qui le monde estoit taché.
L’homme, qu’est ce, que tu as eu memoire
Ainſi de luy, qui d’obſcurité noire
L’as en lumiere & clarté retiré ?
Viſité l’as, le faiſant en toy croire,
Puis couronné & d’honneur & de gloire,
En luy donnant ce qu’il a deſiré.
C’eſt toy ſon Tout ; qui à toy l’as tiré,
Le faiſant Dieu, & enfant du treshault,
Apres l’auoir iuſqu’au bout martyré ;
En confeſſant que de ſoy rien ne vault,
Rememorant tes graces & tes dons,
Ta charité baillant à tous pardons,

Ta patience, & longanimité ;
Ie crie en cœur, à tes œuures rendons
Graces à DIEV, & cœurs & mains tendons
Vers le ſeul Bien, qui n’eſt point limité.
Recongnoiſſons ceste ſublimité,
Qu’amour a peu enuers nous appaiſer,
Voire & vnir à nostre infirmité
Diuinité, par amoureux baiſer ;
En te louant ie paſſe iours & nuictz,
En te voyant homme & Dieu, tous ennuys
Sont conuertiz en ſouueraine ioye,
Quand chacun dort, plus eſueillee ſuis,
Pour contempler le bien que ie pourſuys,
Que ie poſſede, & perdre ne pourroye.
Mais en paſſant ceste mortelle voye,
Ie pourſuyuray d’esprit par grand deſir,
Qu’ainsi que moy par Foy chacun te voye,
Et qu’en tous ſoit parfait ton bon plaiſir.

LE PREMIER ANGE.

O Ioſeph, pere putatif,
Leue toy, ſans estre craintif,
Et prens l’Enfant,
Sa Mere außi, comme ententif :
Car Dieu, d’Herodes le chetif,
Bien le defend.
Or parts donques ſecretement,

Et t’en fuys bien hastiuement
Droit en Egypte.
Sois y iuſqu’au temps nommément,
Que le te diray iustement.
Or parts donc viste :
Car il aduiendra que le Roy
L’Enfant querra de plein effroy
De tous costez,
Pour le mettre à mort ; mais croy moy,
Il n’aura pouoir ſur ta Foy :
Point n’en doutez.

IOSEPH.

O bonté, qui accourts
Au ſecours
Des tiens, ie te loue & mercie ;
Des dangers nous reſcoux :
Dont le cours
Prendrons ; car la nuict eſt noircie.
M’amye, il fault partir,
Sans mentir :
Car l’Ange ainſi que ie dormoye,
M’eſt venu aduertir ;
Dont ſentir
M’a fait peur, & apres grand’ioye.
Herodes veult auoir
Par pouoir

Vostre enfant, pour le mettre à mort.
Il ne le pourra pas voir ;
Car pouruoir
Y veult Dieu, qui eſt le plus fort.

MARIE.

Amy ſans attendre à demain,
Tous deux nous fault mettre la main
Pour emporter nostre bagage ;
Et l’Enfant tant doux & humain,
Le ſauuant du Roy inhumain
Porteray ; c’eſt mon heritage.
Dieu eſt ma force & mon courage,
Parquoy en luy me ſents ſy forte,
Que ſans trauail en ce voyage
Porteray celuy qui me porte.

IOSEPH.

Allons ſans ſaire nul ſeiour ;
A fin qu’auant le poinct du iour
Soyons hors de ce territoire.

MARIE.

Dieu, viuant en nous par amour,
Fait à ſon Enfant vn tel tour,
Qu’à iamais en ſera memoire :
A luy tout ſeul en ſoit la gloire,
Qui l’Enfant deliure des mains
Du danger, qui ſera notoire,

Du plus cruel des inhumains.

IOSEPH.

Sailliz ſommes dehors des termes
D’Herode, en ſanté, non enfermes,
Dont louer deuons Dieu de tout.
Si aux yeux auons eu les larmes,
Noz cœurs n’en ont eſté moins fermes :
Car quand d’vn bout à l’autre bout
Tourment nous greue & preſſe moult,
Lá ſe monstre de Dieu la grace,
Ou nostre ame prend ſy bon gouſt,
Qu’elle ne ſe plaint d’estre laſſe.

MARIE.

Ce lieu eſt deſert & ſauuage,
Sans bleds, ſans vignes, ſans fruitage,
Mais nous poſſedons le vray pain,
Qui nous donne force & courage ;
La vigne außi, dont le beuurage
Eſt à tous Fideles bien ſain :
Le fruit de vie, qui la faim
Oſte du corps en ſaoulant l’ame,
Dormans ſans crainte ſoubz la main
De cil que Pere ie reclame.

HERODES.

Voyez ces trois meſchants menteurs,
Inuenteurs

D’vn Chriſt forgé dedens leurs teſtes !
O vous mes loyaux ſeruiteurs,
Amateurs
Des vertus grandes & honnestes,
Maintenant me fault ſecourir,
Ou mourir
De courroux, de deſpit, & d’ire.
Si l’Enfant ie ne fais perir,
Làs guarir
Nul ne ſçauroit mon grand martyre.
Ces Roys me ſont bien eſchappez,
Qu’attrappez
Ie ne les ay à leur retour.
De male mort ſoyent ilz happez
Et frappez,
Pour les punir du meſchant tour.
Mais de ce Chriſt, qu’en ferons nous ?
Dites tous
Franchement ce qui vous en ſemble ;
Prendre vueil le conſeil de vous,
Amys doux,
Tandis que nous ſommes enſemble.

LE PREMIER DOCTEVR.

Sire, il fault ſa mort machiner,
Et deliberer finement ;
Apres ſans ceſſe ne finer,

De la pourſuyure promptement,
Parquoy, quant à mon iugement,
Mandez vostre grand Capitaine,
Et luy commandez viuement ;
Ce luy ſera plaiſir, non peine.

LE II. DOCTEVR.

Veu le temps qu’apparut l’estoille,
A fin que vous ne faillez point,
Tous les enfans de la mamelle,
Qui ont le deuxieme an ioint,
Et au deſſoubz, voila le poinct,
Il les fault trestous mettre à mort :
Le hault Dieu pouoir vous en doint,
Pour estre vengé d’vn tel tort.

LE PREMIER. DOCTEVR.

En Bethleem ny à l’entour
Ne fault laiſſer enfant viuant,
N’eſpargnez ne ville ne tour,
Mettez à tous la vie au vent.
Mais que lon cerche bien auant,
Masle n’en eſchappera vif :
Vostre Capitaine eſt ſçauant,
Et y ſera bien ententif.

LE II. DOCTEVR.

C’est un homme qui n’ha regard
A nul, fors à vous obeïr ;

Il ne craint danger ne haſard
Pour vous, dont il ſe fait haïr.
Parquoy n’ayez peur que fouyr
Puiſſe nul enfant de ſes yeux ;
Pour vostre cœur bien reſiouyr,
Poßible n’eſt de choiſir mieux.

HERODES.

I’ay vn faix ſur ma conscience,
Lequel ie ne peux plus celer,
Et en vous ſy grand’confiance,
Que ie le vous veux reueler.
Làs, à peine en peux ie parler ;
Car le deſpit qui mon cœur creue
Ne peult hors de mes dents aller,
Qui me rend la parole breue.
En Bethleem, il eſt predit,
Qu’vn Filz eſt né de tel credit,
Que ſur les Iuifz regnera ;
Dont pour faire un treſiuste edict,
I’ordonne que l’Enfant maudit
Soit tué, qui le trouuera.
Et celuy bien eſprouuera
Ma grande liberalité,
Qui vn ſeul n’en eſpargnera
Par extreme crudelité
Sans regarder à poure ou riche,

Ny à maiſon petite ou grande ;
Trenchez tout ainsi qu’vne miche
A grans morceaux, ie le commande.
Il ne fault point que lon demande
Dont me vient ceste cruauté ;
Car vn Roy doit payer l’amende,
Qui pour rien perd ſa Royauté.

LE CAPITAINE.

De t’obeïr i’ay telle enuie,
Conſeruant ton autorité,
Que de tout masle auray la vie,
Pour te donner proſperité.
Mon cœur eſt ſy tres irrité,
Contre celuy qui eſt venu,
Qu’il mourra, c’est la verité,
Quand de mes mains ſera tenu.
Nous ferons tant de pas & tours
Moy & mes gents, en diligence,
Que Bethleem & ſes entours
Auront des masles indigence.
Bailleur ne ſeray d’indulgence ;
Car de deux ans tirans en bas,
A nul n’auray intelligence,
Mais tueray tout, pour mes esbats.

HERODES.

Or allez donc ; & force gents

Aſſemblez, pour le cas parfaire.
Et qu’ilz ſoyent tous diligents
Sans pitié, ſans craindre à mal faire.
A vous ſeul ie remets l’affaire,
Qui plus au fonds du cœur me touche ;
Dont la douleur qui me fait taire,
Par grand deſpit ferme ma bouche.

LE CAPITAINE.

Sire, i’entens bien ton vouloir,
Auquel le mien du tout s’accorde ;
Puis que i’ay de toy le pouoir,
Nully n’aura miſericorde.
Car quand en mon cœur ie recorde,
Qu’vn autre que toy veult regner,
De mort cruelle, & ſale & orde
I’ay grand deſir de l’estrener.

HERODES.

Gardez vous bien d’estre gaignez
D’argent, de crainte, ou de pitié.

LE CAPITAINE.

De leur ſang nous ſerons baignez
En les couppant par la moitié ;
Crainte n’aurons, ne amitié
A nul, & rien n’eſpargnerons.
Si le Chriſt eſt bien chastié
Par nous, aſſez nous gaingnerons.

LA PREMIERE FEMME.

Eſt il plaiſir à l’arbre que de voir
La cauſe & fin de ſa creation ?
Et à la femme eſt il en ſon pouoir
De n’aymer bien ſa generation ?
C’eſt ſon beau fruit, ſa conſolation,
Pour qui tous fruitz & animaux ſont faitz.
O mon enfant, ceste dilection
Ioyeuſement me fait porter tous faix.

LA II. FEMME.

Il n’eſt ennuy que la femme n’oublie,
Quand elle voit que le hault Createur
De tel honneur l’a ainſi anoblie,
Que l’ouurouer elle eſt du grand facteur ;
Dedens lequel luy de tout bien aucteur
Forme l’enfant à ſa ſimilitude.
Seigneur, ſoyez de luy conſeruateur,
Car de bon cœur i’en prens ſolicitude.

LA III. FEMME.

Ie dois aymer, & ne m’en puis garder,
L’os de mes os, & la chair de ma chair ;
En le voyant, ie me peux regarder ;
Son pere außi, c’eſt vn threſor bien cher.
Qui te voudroit, enfant, par mal toucher,
I’aymerois mieux la douleur endurer ;
De te ſeruir ie ne me peux faſcher,

Mais mon trauail ie veux faire durer.

LA NOVRRICE du filz d’Herodes.

Ce m’eſt honneur remply de grand plaiſir,
De te nourrir, Royale geniture ;
Dont en mon cœur ne ſents autre deſir,
Que d’en pouoir faire la nourriture
Au gré du Roy. O belle creature,
Tu me plais tant, que s’il failloit ma vie
Mettre en haſard, pour te donner pasture,
Ie le ferois ; car amour m’y conuie.

LE CAPITAINE.

Voicy le lieu, le territoire,
Ou fault faire execution.
Enfans, ayez bien en memoire
De ietter hors compaßion ;
Sans auoir nulle affection
A pere, à mere, ny enfant ;
En telle perſecution
Le Roy la pitié vous defend.
Tout ce que demandons, eſt lá,
Voyez tous ces enfans enſemble ;
Frappez & tuez tout cela,
Que le cœur icy ne vous tremble ;
Gardez que nulle ſon filz ne emble,
Tuez tous ceux qui ont deux ans,
Et au deſſoubz.

LE PREMIER TYRANT.

Puis qu’il vous ſemble,
Qu’il eſt bon, nous donnerons dedens.
Ca ceſt enfant, qu’il eſt gentil ;
Il prend l’enfant.
Baillez le moy bien toſt, m’amye.

LA PREMIERE FEMME.

Làs, monſeigneur, que vous plaiſt il ?
De grand’peur la chair me fremie,
Vous le tuez ! O infamie !
O cruauté qui n’ha ſemblable,
Rendre ainſi la vie endormie
De l’Innocent, qui n’eſt coulpable !
O le fruit de l’arbre,
Tu es comme marbre
Dur, froid, & tranſy ;
Auant qu’estre meur
Le glaiue trop dur
L’homme ſans mercy
Cueilly t’a icy !

LE II. TYRANT.

Baillez ceſt enfant viſtement,
M’amye, car i’en ay affaire.

LA II. FEMME.

Plus toſt ie me lairray vrayment,
Que mon enfant, par vous deffaire.

LE III. TYRANT.

Oſez vous bien au Roy defplaire ?
C’eſt trop grandé desloyauté.

LA II. FEMME.

Tuez moy donques pour parfaire
Sa trop cruelle cruauté.
Helàs, par force il le m’arrache
Pour le tuer deuant mes yeux !
Meſchant, cruel, infame & laſche
Seruiteur du Roy vicieux ;
I’esleue cœur & voix aux cieux ;
Et en demande la vengeance
Au grand Dieu ſur tous autres Dieux,
Pour m’en venger en diligence.
Helàs mon enfant,
Tout le cœur me fend
De te tenir mort.
L’image de vie
Eſt de toy rauie,
Par cruel effort ;
Làs, Herode ha tort.

LE III. TYRANT.

Baillez ceſt enfant ; que de peine !
La fuyte ne vous ſert de rien.

LA III. FEMME.

Ta volonté trop inhumaine

Si ie peux n’aura pas le mien.
Làs, il le prend ! O cruel chien,
Il le prend.
Qui de ſang humain as enuie !
Las, il met à mort tout mon bien :
A peu pres que ie ne deſuie.
Helàs, il me iette
Celuy que regrette
Mort, entre mes mains.
Làs, le cœur me fault !
O Dieu de lá hault,
A ces inhumains
N’en faites pas mains.

LE IIII. TYRANT.

Ceſt enfant eſt fort bien en ordre,
Mais ſy le me fault il auoir.

LA NOVRRICE du Filz d’Herodes.

Allez, vous n’y auez que mordre,
Pas n’estes digne de le voir ;
Car ie vous fais bien à ſçauoir,
Qu’il eſt filz du roy treſpuiſſant.

LE IIII. TYRANT.

Außi pour faire mon deuoir,
Au roy veux estre obeïſſant.

LA NOVRRICE.

Làs, ſus luy vous tirez l’eſpee,
Sans craindre le roy ! quelle audace !

LE IIII. TYRANT.

Il aura la gorge coupee,
Le roy le veult, en ceste place.

LA NOVRRICE.

Venez, toſt à l’aide à moy laſſe ;
Venez ceſt enfant ſecourir :
Làs, ſon corps l’eſpee oultrepaſſe.

LE IIII. TYRANT.

C’eſt le roy qui le fait mourir.

LA NOVRRICE.

Le roy fait ſon enfant tuer !
O cruel Pere, ô cas nouueau !
Qui en lieu de s’eſuertuer
De ſauuer ſon filz ſain & beau,
Du tetin le met au tombeau.
Son porc, non ſon filz, vault mieux estre.
Le Iuif ne tue nul pourceau,
Mais ſon filz ; qui ne fait que naistre,
O roy plein de vice,
Moy poure nourrice
Fais icy le dueil,
Que tu deurois faire ;
Non ainſi defaire,
Et mettre au cercueil
Le bien de ton œil.
Mais ſi ne puís ie encore croire,

Que le Roy vn tel cas entende ;
Il n’y a ne proufit ny gloire :
Plus auant fault que i’en demande.
Tel en pourra payer l’amende,
Qui eſt cauſe de ma douleur.

LE CAPITAINE, arriuant deuant Herodes.

Le Dieu plein de puiſſance grande
Augmente au roy vie & honneur.
Nous venons de perſecuter
Le païs, du Chriſt la naiſſance,
Et ton vouloir executer ;
Sans auoir de nul congnoiſſance.
Chacun craint ta grande puiſſance ;
Car il n’eſt demeuré vn ſeul
Enfant ſoubs ton obeïſſance,
Qui ne ſoit mort dens ſon linceul.

HERODES.

N’en auez vous vn ſeul ſauué,
Qui me puiſſe mener la guerre ?

LE CAPITAINE.

Si vn ſeul enfant eſt trouué,
Qui ne ſoit par mort mis en terre,
Faites nous en priſon grand’erre
Mener, & mourir pour l’amende ;
Ou Dieu nous tue d’vn tonnerre.

HERODES.

Voila le bien que ie demande.

LE CAPITAINE.

Depuis deux ans & au deſſoubz,
En Bethleem ny à l’entour
Masle n’y a ; nous ſommes ſaoulz
De frapper. Qui euſt veu les tours
De nous, & des femmes autour,
Il euſt veu cruelle bataille :
Chacune faiſoit ſon destour,
Mais n’y ont fait choſe qui vaille.

HERODES.

Vous me rendez le cœur content,
Et le corps tout remply de ioye.

LE PREMIER TYRANT.

Iamais nul Roy n’en feit autant,
Sire, que vous.

HERODES.

Vien ça, que ie oye
Comment.

LE II. TYRANT.

Vous verriez par la voye
Le ſang courir de tous costez.

HERODES.

Ho, voila plaiſante montioye,
Monstrant les ennemys domtez !

Mais quoy ? qu’ont dit ces meres foles ? S’en allant, puis reuiẽt

LE III. TYRANT.

Les vnes ont voulu fouyr,
Les autres à force paroles
Nous ont fait iniures ouyr ;
A peine en auons peu iouyr
Fors à grans coups, ſur bras, ſur testes.

HERODES.

Voila qui me fait reſiouyr,
Vray^ment bons ſeruiteurs vous estes.

LE IIII. TYRANT.

Iamais n’ouystes de telz crys,
Telz plaingtz & lamentations.

HERODES.

En vous eſcoutant, ie m’en rys,
Ce me ſont conſolations.

LE IIII. TYRANT.

Iniures, maledictions,
Coups de poing, morſure de dents
Auons eu de leurs paßions,
Dont portons ſignes euidens.

HERODES.

Vous auez ſy bien beſongné,
Que d’auoir mieux ie ne ſouhaite.

LE CAPITAINE.

Ha, il y a bien eu hongné

Auant venir à la retraite.

LE IIII. TYRANT.

Sire, vne femme fort aigrette,
Dit qu’à vous elle ſen plaindra ;
Mais vostre volonté i’ay faite.

HERODES.

Iamais nul mal ne t’en prendra.
Ilz ont fait ce qui eſt poßible
Pour mettre mon cœur en repous :
Si le Chrift n’eft bien inuiſible,
Il ſera mort deſſoubs leurs coups ;
Dont en paix regneray ſur tous,
Sans craindre qu’on me face tort.
Hò, que ce ſçauoir là m’eſt doux,
Que Chriſt ſoit mis du tout à mort !
Car ſon regne eſt au mien contraire,
Et de mon throne me depoſe.
Car par ce que i’ay peu retraire
Des prophetes & texte & gloſe,
Ce euſt esté de luy bien grand choſe,
Et de moy riens : mais i’ay pourueu,
Que ſon corps en la mort repoſe ;
Le mien viuant de tous eſt veu.
Ie regneray puis qu’il ne regne,
Et feray ce qu’il me plaira.
O qu’il ſera heureux mon regne !

Car vn chacun me complaira,
Et biens & forces deſploira,
Pour acquerir mon amitié.
Hà, chacun pour moy s’emploira,
Puis que i’ay le Chriſt chastié.
Ie laiſſe à Dieu, de tous ſes cieux
La police & gouuernement ;
I’en quitte ma part ; aymant mieux
Regner en terre puiſſamment.
Viure veux plus ioyeuſement,
Que ie n’ay fait au temps iadis ;
En terre eſt mon contentement,
Garde bien Dieu ſon paradis.

LA NOVRRICE.

Helàs, Sire, Sire, voyez
Ce qu’à fait vostre Capitaine
Auec ſes gens deſuoyez
Contre vous ; Maiesté hautaine,
Vostre puiſſance ſouueraine
Puniſſe ce crime execrable
Par vne intolerable peine :
Vengez vostre filz tant aymable.

HERODES.

O vilain deſir de vengeance,
Et de regner l’ambition !
O trop hastiue diligence,

O impiteuſe occaſion !
O mon filz, ma dilection,
Pour conſeruer ton heritage,
Ie t’ay mis à perdition ;
Et pour proufit, t’ay fait dommage !
Ie perdz l’heritier,
Dont iauois mestier,
Plus que de la terre.
Pour deffaire Chriſt,
I’ay mon filz preſcript
Parmy ceste guerre.
Acquerant pour luy
Repoz & appuy,
Le Chriſt ie cerchois :
Mais le puiſſant Dieu
Mon filz prend en lieu ;
Pas n’ay eu le choix.
O malheureux Pere !
Ie ſuis qui opere
Contre mon vouloir.
Car pour tuer vn,
I’ay fait tout commun ;
Dont me fault douloir.
Mais, au fort, i’ay fait
Vn ſy tres beau faict,
Qu’il fault en gré prendre.

Ceste propre perte
C’eſt pour ma deſſerte,
Lon le peult entendre.
I’ay un filz perdu,
Außi i’ay rendu
Mort mon ennemy.
Ie l’ayme mieux mort,
Que voir vif & fort
Mon filz & amy.
De mon Capitaine,
C’eſt choſe certaine
Qu’il m’a obey ;
Dont eſt aduoué
Aymé & loué
De moy non hay.
Metz en ſepulture
Ceste creature,
Et l’oste d’icy.

LA NOVRRICE.

O dure nature !
O nature dure !
Helàs, qu’eſt cecy ?
Enfant, ie t’emporte
De dueil demy morte,
Hors des yeux du Roy ;
Qui du tout s’accorde

A ceste mort orde !
O quel deſarroy !
En la terre mettre
Te vois, lá fault estre
Et tous demeurer.
Et feray l’office
De vraye nourrice,
C’eſt de bien pleurer.

HERODES.

Ie ſçay tresbien que i’ay mon Filz perdu ;
Mais en voyant außi que i’ay rendu
Mon regne ſeur ſans ſouſpeçon ne crainte,
Mon eunemy mort à terre eſtendu,
Confeſſer doy, le tout bien entendu,
Que reſiouyr tresfort me doy ſans feinte :
Il fault mourir par amour ou par crainte ;
Mais viure poure, & chaßé de ſon bien,
C’eſt pis que mort d’endurer telle estreinte ;
I’aymerois mieux mourir, que n’auoir rien.
Or ſuis ie ſain, mon Royaume eſt paiſible ;
Ce qui me plaiſt ie le tiens pour loiſible :
Nully mon bien ne demande ou querelle ;
I’ay Chriſt rendu à ce monde inuiſible :
Il ne m’estoit en rien bon ne duyſible,
Sa mort m’eſt bien plus proufitable & belle.
Les Prophetes n’ont eu puiſſance telle

Que leur Chriſt ſoit peu venir en auant,
Dont content ſuis en la vie mortelle,
Puis qu’en viuant i’ay mys ſa vie au vent.

RACHEL.

Helàs, helàs, helàs, helàs,
Qui confortera ce cœur las,
Ce corps affoibly de douleur,
C’eſt eſprit priué de ſoulas,
Tous ſes cinq ſens liez au laz
Ineuitable de malheur ?
Vous qui me voyez ſans couleur,
Et demandez l’occaſion,
Làs, mes enfans pleins de valeur
Sont periz par occiſion.
Qui donra à mon chef des larmes
Pour pleurer ces cruelz alarmes,
Dont mes yeux ſeront les ruiſſeaux ?
Qui m’apprendra ſuffiſans termes
Pour regretter non les enfermes,
Mais les morts tant plaiſans & beaux ?
Vous qui cas piteux & nouveaux
Pleurez, venez moy ſecourir,
Et voyez que ces desloyaux
Tous mes enfans ont fait mourir.
Ma voix bien hault ie fais ouyr
En Rama ; non pour reſiouyr

Les auditeurs par mes doux chants,
Mais par crys, voyant enfouyr
Ceux qui n’ont peu ne ſceu fouyr
La mort par les glaives trenchans.
Ie pleure par villes & champs,
Ie hulle, ie plaings & ſoupire,
Dont le meſchant Roy des meſchans
A mys mes enfans au martyre.
Ie ſuis Rachel triste & marrye,
Qui pleure en la triste patrie,
Qui de mes enfans feut partage.
Pleurez, Ioſeph, ie vous en prie ;
Et que Beniamin couſin crie
Ses enfans mortz par grand outrage.
O Bethleem, doux heritage,
Tu leur estois maiſon de pain,
Et nourriſſois ce beau lignage :
Làs, ilz n’y ſont pas mortz de faim.
Point conſoler ie ne me veux,
Quand tous mes enfans & neveux
Ie ne voy plus, car plus ne ſont.
Si par ſacrifice ou par vœuz
Pouois l’esprit en leurs corps nœufz
R’appeller du lieu treſprofond,
I’en ferois prou : car mon cœur fond
De douleur, voyant que remede

Ny a ; mes iours à eux s’en vont,
Parquoy ie ne veux nulle aïde.
Mortz ſont mes enfans innocents,
Dont pis que mort au cœur ie ſents :
Mais, helàs, ce n’eſt pas pour eux
Qu’ilz ſont ainſi de vie abſens ;
Toutesfois pour eux m’y conſens :
Car ie ſçay bien qu’ilz ſont heureux
D’estre plustoſt mortz, que paoureux
De mourir, pour ſauuer l’Enfant
Pour lequel vn cœur amoureux
Mourant, va viure triomphant.
Leur robbe ont laiſſee,
Rompue & bleſſee
Par ſanglante mort.
Leurs meres pleurantes
Ceà & lá courantes
Ont crié bien fort.
Le mourant crioit,
Sa mere pleuroit,
L’arroſant de pleurs ;
L’arbre regrettoit
Du fruit qui portoit
Les plaiſantes fleurs.
Herodes cuydoit
Comme il pretendoit

Mettre Chriſt à rien.
C’eſt bien au contraire,
De ſes mains retraire
Dieu la ſceu fort bien.
Cruels, qui penſez
Faiſant maux aſſez
Effacer ſon Nom ;
Plus vous l’abbaiſſez,
Et plus le haulſez
D’eternel renom ;
Le perſecutant,
Et executant
L’edict de ſa mort,
Vous le faites viure.
Aux cœurs qu’il deliure
De tout deſconfort
Chriſt touſiours demeure.
Mais quand la bonne heure
Viendra de mourir,
La mort il prendra,
Que morte rendra,
Pour nous ſecourir.
Par Chriſt mort, viuront
Tous ceux qui croiront
En luy fermement.
C’eſt, qu’il eſt leur vie,

Deſir & enuie,
Estre, & mouuement.
Et par ceste Foy
L’ame ſort de ſoy,
Pour à luy courir.
En luy la transforme,
Et ſa vieille forme
Fait du tout perir.
La mort luy eſt gloire
Quand elle peult croire
Qu’elle vit mourant.
Elle ſe conforte
D’estre en Adam morte,
A Dieu va courant :
Car elle court viste
Quand hors du vieux giste
D’Adam eſt tiree.
Parquoy veult choisir
Pour ſon vray plaiſir
D’estre martyree :
Et de ſon martyre
Tel plaiſir attire,
Que mieux ne demande :
Elle fait de Dieu
Par tout, en tout lieu,
Tout ce qu’il commande.

L’Ame en Adam morte,
En Dieu viue & forte,
Acomplit la Loy.
A quoy la viuante
Se treuue impuiſſante ;
Car rien n’ha en ſoy
Qu’vn Cuyder menteur ;
Qui eſt inuenteur
De toute folie.
Et quoy qu’elle voye
Conuertit ſa ioye
En melancholie.
Ames biens heureuſes,
Toutes amoureuſes
Du parfait Eſpoux,
Toutes l’eſpoufez
En luy repouſez
D’vn dormir bien doux ;
Ce qui eſt de terre,
A terre eſt par guerre.
Ce qui de Dieu eſt
A ſon Dieu retourne,
Ou ſans fin ſeiourne ;
Son propre lieu c’eſt.
L’esprit qui attend
Tel lieu, n’eſt content

Qu’il ne ſoit venu.
Les biens & le monde
Comme choſe immunde
Eſt de luy tenu.
Mes enfans y ſont,
Qui recouuert ont
Par la charité
De Dieu leur defence,
Ce que leur enfance
N’auoit merité.
Mais ilz ſont Esluz
Pour estre au ciel veuz
Martyrs du Petit,
Teſmoing du vray Oingt :
Bien qu’ilz n’euſſent point
Crainte ou appetit.
C’eſt par pure grace,
Qu’ilz tiennent la place
Au pres de l’Agneau.
Par tout ilz le ſuyuent,
En ſa mort ilz viuent :
Par cas bien nouueau
Ilz ſont reuestus
De toutes vertus,
Et blanches estolles.
Dieu par mort confeſſent,

Et iamais ne ceſſent,
Non point par paroles.
Dieu en eux ſe louë,
Et par eux ſe iouë
Dieu cruel tyrant ;
Qui les met en hault
Ou rien ne default
En les martyrant.
Du tetin les tire,
Du laict les retire
Par vaine plaisance ;
Dont ilz ont le ciel
Fluant laict & miel,
Terre d’abondance.
O cruel Herodes,
Tes façons & modes
Seront en memoire ;
La honte & dommage
Auras pour partage,
Et Dieu ſeul la gloire :
Qui de ta malice
Se ſert à iustice,
Pour hors des lyens
De vie mortelle,
Par ta main cruelle
Retirer les ſiens.

Tu es l’instrument
Duquel proprement
Dieu les ſiens chastie ;
Mais le cuydant faire
Verras le contraire,
L’œuure qu’as bastie.
Cruel animal,
Leur mort & leur mal
Pourchaßé tu as ;
Mais le tourment tien
Leur eſt vie & bien,
Et parfait ſoulas.
Par les maux ſouffertz
A Dieu ſont offertz
Hosties plaiſantes.
Par la mort viuront,
Et au ciel ſeront
Estoilles luiſantes ;
Ou ſera preſché
Ton vilain peché
Par tout l’vniuers.
Dieu par iuste office
Punira ce vice
Par mort & par vers.
Reprobation
En damnation

Te mettra ſans fin.
Royaume & honneur,
Te feront horreur,
Congnoiſſant leur fin ;
Mais Election,
En ſaluation
Les Petis mettra.
Car en eux la gloire
Du Dieu de victoire
Touſiours paroistra ;
De ſon nom croistra
Sans fin la memoire.

DIEV.

Vous, mes eſpritz, qui par mon mouuement
Estes eſmuz, & n’auez ſentiment
Que de moy ſeul, tous vnis en amour,
En moy, par moy, & pour moy ſeulement ;
Voyez lá bas les Innocents, comment
A mort ſont mis par Herode en vn iour :
C’eſt pour mon Filz qu’il leur a fait ce tour ;
Pour luy außi les veux tant auancer,
Qu’auecques moy leur donray ſeur ſeiour,
Et plus de bien qu’il n’euſſent ſceu penſer.
De mon enfant, Agneau treſpur & munde
Occis deuant que i’euſſe fait le monde,
Seront teſmoings, & premiers precurſeurs.

Voila comment ce roy vilain, immunde,
Qui à regner ſa felicité fonde,
Les fait du ciel eternelz poſſeſſeurs,
En doute il vit, & en la mort ſont ſeurs
D’estre à iamais Roys d’vn regne immuable :
Il regne ainsi que ſes predeceſſeurs,
Pour apres mort estre fait ſerf du diable.
Regnant en terre, il reçoit tous mes biens ;
Et mes Esluz, mort, tourment, & liens.
Ce ieu ne peult durer qu’vn peu de temps ;
Car quand les corps ſeront tournez en fiens,
Qui a cuydé auoir, n’aura plus riens ;
Et ſon Cuyder, d’honneur & paſſetemps
Sera perdu ; dont des plus mal contens
Tiendra le lieu en ſa perdition :
De quoy louenge & gloire i’en attens
De vous, voyant ceste punition.
Außi de voir mes Esluz & amys,
Dont les corps ſont pour mon Filz endormys
Et mis à riens, tant que nul n’en fait compte,
Aupres de moy en gloire & repos mis,
Comme ie l’ay à tous croyans promis,
Qui de la Croix de mon Filz n’auront honte,
En eux par moy engrauee & emprainte :
Car charité qui ſoymeſme ſurmonte,
Ie recongnois, qui ma iustice domte ;

Voyant de grace en eux l’image painte.

LE PREMIER ANGE.

Que dira lors Herode plein d’outrage,
Apres auoir ioué ſon perſonnage,
Et acomply lá bas tout ſon deſir ?
Ie croy, Seigneur, que plein d’ire & de rage,
Deſeſperé, d’vn angoiſſeux courage
Dira, voyant au lieu de tout plaiſir
Les Innocents, O malheureux deſir !
Voila ceux lá auſquelz i’ay fait la guerre,
Qui ont le ciel ; car i’ay voulu choiſir
Enfer cruel, pour deſirer la terre.

LE II. ANGE.

Puis il dira, Leur vie i’estimois
Sans nul honneur, de l’honneur que i’aymois :
Voire & leur mort honteuſe & tres vilaine
Dens leurs langeons, & drappeaux & ſimois,
Deſſoubs deux ans, d’vn an, d’vn iour d’vn mois,
Blancs, noirs & blonds ont paßé par la peine
Du glaiue. Helàs ! voicy qu’en la hautaine
Cité de Dieu en gloire ſouueraine
Les voy logez, & nombrez entre tous
Les filz de Dieu ; & ma vie inhumaine
Me met au reng des plus malheureux fouls.

LE III. ANGE.

Ainſi ſoit fait, Seigneur, de ſes ſemblables,

Qui ont commis cas ſy abominables,
Que de vouloir ton nom aneantir,
Perſecutant tes ſeruiteurs amables,
Leur empeſchant tes promeſſes louables
Faire à chacun & ouyr & ſentir ;
Les contraingnant de parler & mentir
Pour leur proufit, honneur, & auantage.
O Toutpuiſſant, vueille toy conſentir
De mettre à riens ce ſerpentin lignage.

LE IIII. ANGE.

Graces ie rens à ta douceur
Et ſans fin louë ta iustice,
Qui punit d’Herodes le vice,
Et met tes Esluz en lieu ſeur.

LE PREMIER ANGE.

Gloire à iamais te ſoit donnee,
Qui le Petit en hault eslieue,
Et le Grand metzen peine griefue
Par Charité bien ordonnee.

LE II. ANGE.

Honneur ſoit à toy qui eslis
Ceux que le monde à bas repreuue ;
Et ceux que tant à ſon gré treuue
Sont hors de ton liure abolis.

LE III. ANGE.

Louenge ſoit continuelle

De toy, qui par dilection
Fais valoir ton Election,
Sauuant ceux qui ont Foy en elle.

LE IIII. ANGE.

Iamais en nul cœur ne s’appaiſe
L’amour, qui le fait contenter ;
Et de ta louenge chanter
Nulle bouche außsi ne ſe taiſe.

DIEV.

Mes bienheureux, cy deſſoubs ceſt autel,
Voz iustes crys me demande vengeance
De voſtre ſang ; pource qu’en corps mortel
Feut reſpandu en grande diligence.
Ames des corps morts, en grande indigence
Pour le ſeul nom de mon bien amé Chriſt,
De ma reſponce ayez intelligence,
Par qui ſçaurez ce que i’ay en l’Eſprit.
Encor vn peu il vous conuient attendre
De voz freres le nombre tout entier ;
Le Corps du Chrift veux tirer membre à membre,
L’vn apres l’autre, ainsi qu’il eſt mestier :
Et vous verrez à l’heure chastier
Tous voz tyrans, voire cruellement.
Lors vn chacun congnoistra que fier
Se fault en moy, ou auoir damnement.

LES AMES DES INNOCENTS

O Dien pere de tous

Miſericors & doux,
Nous te rendons louenges ;
Qui nous as retirez
Du monde, & attirez
Au reng des benoistz Anges.
Le feu cruel & fort,
Et l’eau pire que mort,
Comme bon Pere & Maistre.
Tu nous as fait paſſer ;
Puis nous viens embraſſer
De ta benigne dextre.
Tirez par tes forts bras
Du martyre nous as
Au lieu de refrigere,
Ou tout plaiſir auons ;
Dont louer te deuons :
L’eſprit le nous ſuggere.
Le bien qu’auons receu
Par toy, ſans nostre ſceu,
N’eſt de nostre merite.
Par ta bonté, ſans plus,
De toy ſommes Esluz ;
C’eſt grace non petite.
Pas ne ſçauions parler,
Ne fuyr ne aller :
Et n’auions en courage

Scauoir ne bien ne mal
Non plus qu’vn animal,
Sans raiſon ne langage.
Et toutesfois damnez
Pour estre d’Adam nez,
Estions comme enfans d’ire :
Mais tu nous as ſauuez,
Et en ſang tous lauez
Par vn ſoudain martyre.
Sy n’eſt ce nostre ſang
Qui nous rend chacun blanc
Nettoyant noz estolles :
C’eſt le ſang de l’Agneau
Qui rend l’homme nouueau,
S’il croit en ſes paroles.
Mais nous ne croyans rien
Auons receu ce bien
Par liberale grace :
Dont ton Election
Fait distribution ;
Parquoy voyons ta face.
Cuyder menteur & faux,
La cauſe de tous maux,
En nous n’auoit entree :
Et ou Cuyder n’ha lieu,
Verité, qui eſt Dieu,

Par la grace eſt monstree.
Quand Dieu fera vuyder
Des ſiens tout le Cuyder,
Dieu congnoistront ſeul Estre :
Plus ilz ne ſe verront,
Mais Dieu ſeul, qu’ilz croiront
Leur Pere, amy, & maistre.
Tout fera acomply,
Chacun de Dieu remply
Quand viendra la bonne heure
Qu’il ſera tout en tous ;
Et l’Eſpouſe & l’Eſpoux
En vn feront demeure.
Ce treſgrand bien ſentons
Dont ſans ceſſer chantons
Saint, Saint, Dieu de victoire ;
A toy ſoit tout honneur,
O liberal donneur,
Toute louenge & gloire.
Chantons Noël, Noël,
Pour le ſalut nouuel,
Qu’vn chacun le recorde
Qu’a nous Innocents fait
Le Seigneur tout parfait
Par ſa miſericorde.

fin.