Marie-Louise d’Orléans/1

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Calmann-Lévy, éditeur (p. 1-4).


I


La naissance d’une princesse est rarement célébrée à la cour de France. L’ambition s’en afflige, et la maternité même ne s’en réjouit point, car c’est une exilée de plus qui paraît au monde. La gloire de son pays, l’amour de sa famille, ces biens si chers à la vie d’une femme, doivent ajouter un jour à toutes les douleurs de la séparation ; et plus encore, l’amour de la patrie, la confiance filiale, la tendresse fraternelle lui sont imputés à crime et punis comme tels. C’est donc un sentiment moins vain qu’on ne pense qui fait accueillir tristement la naissance d’une grande princesse.

Lorsque Madame Henriette d’Angleterre, belle-sœur de Louis XIV, accoucha le 27 mars 1662 de Marie-Louise d’Orléans, on s’inquiéta vivement pour la mère : voilà tout. L’enfant fut remise entre les mains de madame de Saint-Chaumont et d’une bonne nourrice nommée madame Gantin Viremont[1]. On s’occupa d’autant moins de la petite princesse qu’elle était confiée aux soins les plus tendres et les plus éclairés. Honorée chaque matin d’une visite de Monsieur et de Madame, elle s’élevait dans l’orgueil de leur appartenir et la crainte de leur déplaire. La moindre de leurs caresses la comblait de joie, sans l’encourager pourtant à aucune familiarité ; ses petits bras n’osaient entourer le col si gracieux de sa mère, et, lorsqu’emportée par la chaleur de son cœur aimant, elle sentait le besoin de la caresser, c’est la belle main de Madame qui seule recevait les baisers de Marie-Louise.

Cependant elle avait tout ce qui charme dans un enfant, et particulièrement ce regard doux, pénétrant, mélancolique, qui semble être la prévision d’une noble et triste destinée ; si l’usage, l’étiquette avaient permis à sa mère de l’élever elle-même, elle aurait sans doute combattu le penchant de Marie-Louise à garder le secret de ses peines, à les exalter par la rêverie. Il n’est pas de chagrin durable après l’avoir conté à sa mère ; et de cette première confiance dépendent souvent toutes les autres. Mais l’enfant qu’une voix étrangère intimide, apprend malgré lui à cacher ses impressions, et plus son âme en est riche, plus elle succombe sous le poids de ses sentiments. La confiance est une évaporation nécessaire aux émotions brûlantes d’un cœur passionné. L’enfant qui hésite à questionner sur ce qu’il ne comprend pas, qui craint d’avouer ce qu’il souffre, est pour jamais condamné à des ennuis, à des chagrins incontestables.

Marie-Louise d’Orléans, ou plutôt Mademoiselle, ainsi qu’on l’appelait à la cour, annonçait devoir être belle ; ses grands yeux aux longs et doux regards, ses traits nobles, ses mouvements gracieux promettaient en faveur de son esprit et de son caractère. La distinction innée se révèle de bonne heure chez les femmes, et celle que Mademoiselle tenait de sa mère, avertissait de son rang et de ses qualités supérieures avant même qu’on pût en juger.

Cependant elle s’élevait presque inaperçue dans cette cour brillante, où l’ambition, la gloire et la galantrie occupaient seules tous les esprits. L’existence d’une jeune princesse destinée à quitter pour jamais la France et sa royale famille à l’âge où sa beauté et ses qualités devaient se développer, semblait à cette époque d’un si faible intérêt, qu’on n’en trouve pas la moindre trace dans les mémoires de ce temps.

Chaque matin, Mademoiselle, conduite par madame de Saint-Chaumont, venait rendre ses devoirs au prince son père et à la princesse sa mère, puis elle rentrait dans son appartement pour y passer le reste de la journée, seule avec les dames attachées à sa maison. À Versailles, elle avait de plus le plaisir de se promener dans le bosquet de la Reine, où monseigneur le Dauphin prenait aussi ses récréations. Le bonheur de se rencontrer sous ces jeunes ombrages, de cueillir ensemble quelques fleurs pour faire des couronnes et s’en parer le front mutuellement ; étaient les seules joies qui leur fussent permises : jouer franchement comme tous les enfants jouent entre eux, c’eût été manquer à leur rang et s’attirer les vives réprimandes des grands personnages chargés de leur éducation. Ainsi, leur gaieté comprimée, leur tendresse enfantine réduite aux expressions d’une politesse respectueuse, donnaient à leur réunion une teinte mélancolique et presque romanesque fort étrangère à leur âge. Le seul plaisir intime dont on laissait jouir parfois la petite princesse, était celui de causer avec sa nourrice et d’apprendre d’elle les événements qui pouvaient intéresser un enfant de son âge ; innocent bavardage qui pourtant éclaira souvent Marie-Louise sur plusieurs intrigues de la cour, qu’une surveillance active lui aurait laissé ignorer.

Un soir, Mademoiselle fut réveillée par les cris d’un enfant nouveau-né : c’était une petite sœur que venait de lui donner sa mère. Le don d’une jolie poupée ne lui aurait pas fait plus de plaisir. Avoir sept ans de plus que sa sœur ! que de droits pour la soigner, la gronder, la gâter même ? Celle-là, du moins, serait d’un rang à pouvoir jouer avec elle ; on ne lui défendrait pas de l’aimer ; et bien que cette enfant ne pût encore que lui sourire, Marie-Louise plaçait déjà sur elle tous les trésors de son âme aimante et dévouée.

Dès que Madame fut rétablie de ses couches, elle partit pour l’Angleterre, et Marie-Louise pleura en recevant ses adieux. Monsieur donna l’ordre de conduire les princesses ses filles à Saint-Cloud, pour qu’elles pussent jouir de l’air de la campagne pendant l’absence de leur mère.

À son retour, Madame ramena à sa suite un peintre anglais qui fut chargé de faire le portrait de Mademoiselle. L’ennui de poser, contrainte insupportable d’ordinaire pour tous les enfants, était un plaisir vivement attendu par Marie-Louise, car sa mère assistait très-souvent aux séances, et, pour prix de sa patience à rester immobile, Madame lui faisait quelques caresses, lui abandonnait sa main que sa fille pressait dans les siennes, la vantait de sa soumission, et lui laissait toujours le souvenir de quelques paroles tendres, que l’enfant se redisait tout le reste du jour.

Madame, si belle, si gracieuse, si noblement aimable, était adorée de tous ceux qui l’entouraient, et Marie-Louise partageait ce culte par imitation autant que par sentiment, car sa mère était de toutes les femmes qui l’approchaient celle qu’elle connaissait le moins. Mais les enfants ont un tact merveilleux pour juger les gens d’après ce qu’ils inspirent. Ils devinent qu’on peut chérir en toute assurance la personne qui plaît à tout le monde. Et puis, à de certaines âmes, il faut une idole sur terre. Madame était celle de Marie-Louise.

  1. Cette madame Cantin avait épousé un nommé Viremont, qui fut obligé de sortir du royaume pour s’être battu en duel durant le siége de Limbourg, en 1675. Ce Viremont était capitaine de grenadiers dans nos troupes. (Mémoires de Dangeau, t. IV.)