Martin l’enfant trouvé ou les mémoires d’un valet de chambre/VIII/16

La bibliothèque libre.
XVI


CHAPITRE XVI.


suite de l’épilogue.


Just et Régina s’étaient plusieurs fois regardés avec une surprise croissante en écoutant le langage naïf et sensé de la Robin. En devisant ainsi, ils étaient arrivés à l’extrémité de la vacherie,… limite du domaine de la bonne fille, qui ajouta :

— Si vous n’attendiez pas maître Claude, je vous conduirais dans l’étable des vaches en gésine, et de celles qui allaitent, et puis dans la laiterie… C’est ça qui est superbe à voir… il y a une machine qui va toute seule, et qui bat quatre et cinq cents livres de beurre par jour,… même que nous en mangeons, de ce bon beurre… C’est pas comme autrefois, où nous ne le voyions que pour le faire et pour le porter au marché ; à nous autres le caillé aigri… au bourg la bonne crème… Et les perchoirs !!… — s’écria la Robin avec enthousiasme, — et les basses-cours ! La vacherie n’est rien auprès. Vous verrez les perchoirs… qui sont sous la direction de Bruyère, une petite fille aussi belle que le jour,… aussi bonne que le bon Dieu est grand,… et si connaisseuse et savante aux choses des champs, qu’elle en remontrerait aux plus vieux laboureurs et bergers !

— Et cette jolie petite merveille habite ici ? — demanda Régina avec intérêt.

— Oui, Madame… elle a eu bien du chagrin… dans le temps ! mais je crois que ça se passe… D’ailleurs, comme elle n’avait jamais été bien gaie, la peine, ça s’aperçoit moins chez elle que chez une autre… mais vous verrez ses perchoirs, ses basses-cours. Il y a toujours là trois ou quatre mille volailles… dindes, oies ou pintades, divisées par troupeaux de deux cents… un enfant de dix ans et un chien suffisent à conduire chaque troupeau, et un homme à cheval les surveille tous. Il en va des volailles comme du beurre et du lait… Autrefois, nous ne connaissions du goût des oies et des dindes que nous élevions, que pour avoir entendu dire que c’était un très-bon manger. Aujourd’hui nous en mangeons souvent, et en proportion, notre association en vend pour plus d’argent qu’autrefois n’en vendaient toutes les métairies réunies ensemble. Dam ! c’est tout simple, à cette heure, ces bêtes, bien nourries, pondent davantage… les petits, bien soignés, ne meurent plus par dizaine… sans compter que les renards et les fouines… qui venaient encore dévorer au moins la moitié des couvées dans les métairies isolées, sans clôtures, ne se frottent pas à venir se régaler ici… Et si vous voyez là les bergeries… c’est encore ça qui est beau ! et les écuries donc !… il y a là soixante superbes paires de chevaux de labour… dans une seule écurie. C’est un fier coup-d’œil, allez… pour le soin et pour la propreté. Dam ! vous comprenez l’amour-propre, je ne voudrais pas, moi, qu’on pût dire que la bergerie, ou l’écurie, ou les basses-cours font la nique à nos vacheries… Et comme l’écurie est autant à moi, que la vacherie est à ceux qui soignent la bergerie, les perchoirs ou l’écurie, nous avons tous intérêt à bien faire et à être contents du bien-faire des autres… À quoi bon se jalouser, puisque tout profite à tous ?

— Mais, — dit Just, de plus en plus surpris, — je vous entends parler d’un triste passé, dire autrefois, tout allait de mal en pire pour les bêtes et pour les gens ; par quel miracle… ce passé si malheureux s’est-il ainsi transformé ?

— Tenez, Monsieur, — dit la Robin, — voilà maître Claude… il vous expliquera ça mieux que moi.

En effet, Just et Régina qui, pendant cette dernière partie de l’entretien, étaient sortis de la vacherie pour revenir dans la cour, virent Claude Gérard, conduit par Petit-Pierre, s’avancer vers eux.

Claude Gérard portait toujours sa longue barbe grisonnante, mais il avait quitté ses habits de peaux de bête pour des vêtements moins sauvages. Ses traits avaient perdu leur caractère farouche : ils étaient alors empreints d’une gravité douce et mélancolique.

En recevant la carte de Just, Claude s’était félicité de ce que le comte Duriveau et Martin se trouvassent absents et occupés à surveiller, à deux lieues de là, quelques travaux, M. Duriveau et son fils ne pouvant ou ne voulant, pour des motifs bien différents, paraître devant Régina et son mari. Claude s’était donc chargé de recevoir ceux-ci.

Just, on se le rappelle peut-être, avait noué quelques relations avec Claude Gérard, alors que celui-ci remplissait les fonctions d’instituteur près d’Évreux. Aussi, à sa vue, rassemblant ses souvenirs, après l’avoir attentivement regardé, à mesure qu’il s’approchait, Just lui dit, charmé de cette rencontre inespérée :

— C’est à Monsieur Gérard, ancien instituteur près d’Évreux, que j’ai l’honneur de parler ?

— Oui, Monsieur, — répondit Claude, en s’inclinant devant Just, — oui, Monsieur, et en lisant votre nom sur la carte que vous avez bien voulu m’envoyer, j’ai été très-heureux du hasard qui vous amenait ici…

— Je n’ai pas non plus besoin de vous dire, Monsieur, — reprit Just, en tendant cordialement sa main à Claude, — combien je suis heureux aussi de vous retrouver dans une pareille circonstance.

Puis s’adressant à sa femme, Just ajouta :

— Je vous présente M. Claude Gérard, ma chère Régina… je n’ajouterai qu’un mot : mon père disait, en parlant de M. Gérard : — C’est un des nôtres… car, dans mes lettres… j’avais souvent entretenu mon père de la vive sympathie, de la vénération profonde que m’inspiraient le caractère et l’esprit de M. Gérard.

— Just a raison… Monsieur, — dit gracieusement Régina, en s’adressant à Claude, — celui dont le docteur Clément a dit : — C’est un des nôtres, doit être, pour tous les gens de cœur, un homme considérable, pour Just et moi… un ami…

Et Régina tendit à son tour sa belle main à Claude, qui la serra légèrement en s’inclinant, pensant néanmoins, avec une secrète amertume, que Martin… n’avait de sa triste vie reçu une pareille faveur de Régina… lui… lui… à qui elle devait tout, à son insu.

— Mon Dieu, Monsieur, — reprit Just, — nous sommes dans un pays de merveilles… Mais bien que ces miracles me semblent un peu plus faciles à expliquer maintenant que je sais votre présence dans ces lieux enchantés… dites-moi donc le secret de l’incroyable transformation que ce pays a subie… et dont les signes se sont révélés, se révèlent à chacun de nos pas ?

— Nous venons de visiter la vacherie avec une brave et intelligente personne, qui nous a on ne peut plus charmés par son naïf bon sens — ajouta Régina ; — en un mot, Monsieur, permettez-nous de vous faire les questions que nous nous adressions tout-à-l’heure à nous-mêmes à la vue de ces bâtiments : est-ce un palais ? est-ce une immense exploitation rurale ? est-ce une non moins immense fabrique ?

— C’est un peu… tout cela, Madame, — reprit Claude en souriant doucement, — et si vous vouliez avoir la bonté de m’accompagner… en très-peu de mots je vous donnerai le secret de cet apparent mystère.

Claude Gérard offrant son bras à Régina, lui fit traverser un passage qui conduisait de la cour des vacheries à l’une des vastes galeries qui entouraient le jardin renfermé dans l’intérieur du parallélogramme ; puis, sortant de cette galerie, Claude se dirigea, toujours accompagné des deux visiteurs, vers la fontaine monumentale dont nous avons parlé ; indiquant alors à Just l’inscription qu’elle portait, il lui dit :

— Depuis long-temps vous connaissez cette maxime, Monsieur Just : Nul n’a droit au superflu tant que chacun n’a pas le nécessaire

À cette citation d’une généreuse pensée qu’il avait si souvent entendue formuler par son père dans ces mêmes termes, Just, stupéfait, ne put d’abord répondre, puis une larme mouilla sa paupière, et il regarda Régina avec un attendrissement ineffable.

— Je vous comprends, mon ami, — lui dit-elle, non moins impressionnée que son mari, — je suis fière de partager votre glorieuse émotion… en retrouvant pratiquée sans doute ici cette maxime que votre père pratiquait avec une si admirable générosité.

— Vous ne vous trompez pas, Madame, — reprit Claude Gérard, — et telle est l’irrésistible puissance des grandes vérités… que l’application de cette généreuse pensée du docteur Clément a suffi pour opérer les prodiges dont vous vous étonnez…

— Oh ! de grâce, expliquez-vous, Monsieur, — dit Just, — vous sentez que pour moi ces détails sont maintenant d’un double intérêt.

Après un moment de silence Claude Gérard reprit :

— Un homme puissamment riche avait long-temps vécu dans l’oisiveté, dans l’insouciance du sort misérable du plus grand nombre de ses frères en humanité… ainsi que disait votre père, Monsieur Just. Soudain frappé au cœur par un malheur affreux… cet homme, transformé, régénéré par cette terrible épreuve… n’a désormais demandé de consolations qu’à la pratique des grands principes de la fraternité humaine. Au lieu d’être stérile… sa douleur a été féconde…

— Cette transformation, quoique tardive, annonce du moins un généreux naturel, — dit Régina.

— Chercher l’oubli d’horribles chagrins dans l’accomplissement du bien… cela fait tout pardonner — dit Just.

S’ils savaient que celui dont ils parlent avec tant de sympathie… et qui aujourd’hui en est digne, est le comte Duriveau ! pensa Claude.

Puis il reprit :

— Pour cet homme, Monsieur Just, cette maxime de votre père : — Nul n’a droit au superflu, tant que chacun n’a pas le nécessaire, cette maxime a été, je vous l’ai dit, une révélation… Possesseur de ce magnifique château et des immenses domaines qui en dépendent, il a regardé autour de lui… et partout il n’a vu que misère, maladies, ignorance et désolation… Cet homme s’est dit alors : ce pays est d’une insalubrité mortelle, d’une stérilité désolante, je veux, en sacrifiant mon superflu, que ce pays devienne salubre et fertile ; ses habitants, épuisés, maladifs, sont décimés par des fièvres terribles ; je veux qu’ils deviennent sains, robustes, et que leur vie ne soit plus fatalement abrégée… Ils habitent de misérables tanières où ils endurent les plus cruelles privations ; je veux qu’ils aient des demeures salubres, riantes, où ils ne manqueront de rien de ce qui est nécessaire à la vie… Ils sont voués à un labeur écrasant, presque toujours accompli avec dégoût, parce qu’il est insuffisant à leurs besoins ; je veux que leurs travaux soient attrayants, variés, intelligents, productifs, afin que l’amour du bien-être et que le sentiment de dignité morale leur fassent aimer, honorer leurs travaux. Ils vivent enfin misérables, faibles, ignorants, trop souvent ennemis, par le fait de l’isolement ; je veux qu’ils deviennent heureux, puissants, éclairés, affectueux ; qu’ils deviennent frères enfin par le fait de l’association, dont je leur donnerai l’exemple. — Cet homme a voulu cela, — ajouta Claude Gérard, — et ces volontés se sont réalisées…

— Rien de plus généreux que ce raisonnement, s’écria Just. — Je ne m’étonne pas de la fécondité de pareils principes, mais de leur application si prompte et sur une si large échelle.

— C’est qu’alors qu’il s’est agi de l’application, reprit Claude Gérard, — cet homme a senti que l’heure du sacrifice et de l’abnégation était venue.

— Comment cela ? Monsieur, — dit Régina.

— Cet homme a compris que dans l’état de misère et de routinière ignorance où étaient plongés ceux qu’il voulait régénérer, il fallait, pour les amener à cette régénération morale et matérielle, offrir à leur intérêt des avantages réels, frapper leur esprit par un généreux exemple… il a donc assemblé ses métayers ainsi que les habitants de ce pauvre village, et leur a dit : « Depuis que je vis au milieu de vous, j’aurais dû accomplir les devoirs rigoureux auxquels ceux qui possèdent tout, sont obligés envers ceux qui ne possèdent rien…… J’ai à expier… le passé… l’avenir m’absoudra, je l’espère ; voici ce que je vous propose : — le territoire de cette commune est de six mille arpents à-peu-près, qui m’appartiennent, sauf trois cents arpents morcelés entre vous ; associons-nous. Que vos terres et les miennes ne fassent plus qu’une propriété qui soit nôtre ; qu’il en soit ainsi de nos troupeaux, de nos chevaux. Dans cette association vous donnerez vos bras, votre industrie ; moi, le sol, les constructions et l’argent nécessaire aux premières cultures ; en fournissant ainsi à l’association les moyens, les instruments de travail, j’apporte à moi seul autant que vous tous ensemble ; loyalement j’aurais donc le droit de prélever pour moi seul la moitié de nos bénéfices… mais, à ce droit, à cette inégalité, je renonce au nom du sentiment de fraternité, qui me rapproche de vous, je ne demande dans les produits de notre association qu’une seule part… égale à celle de chacun de vous… et, cette part, je veux la gagner comme vous par mon travail, en appliquant toutes les forces de mon intelligence à la bonne administration de nos affaires. J’ai vécu pendant quarante ans dans une oisiveté funeste et stérile ; j’ai beaucoup à me faire pardonner ; aussi du jour de notre association, nul plus que moi, je vous l’assure, n’aura plus de zèle, plus de respect pour l’intérêt commun. »

— C’est admirable ! — s’écria Just.

— Un tel renoncement, — dit Régina avec émotion, — un tel hommage à la dignité, à la fraternité du travail… est d’un magnifique enseignement.

— Et la promesse que cet homme a faite, — dit Claude, — il devait la tenir religieusement.

— Et l’association… a dû se constituer aussitôt, — dit Just.

— Non, — dit Claude ; — quoiqu’elle offrît à ces pauvres gens des avantages inouïs, il a fallu vaincre des défiances, des préjugés, malheureusement inséparables de l’ignorance et de l’espèce d’asservissement dans lesquels vivaient ces malheureux. « Que risquez-vous ? — leur disait cet homme de bien que vous admirez, Monsieur Just, — essayez… Je me charge du premier établissement, de plus, j’assurerai votre existence pendant deux années ; vous quitterez vos tristes et homicides demeures pour des logements sains, riants, commodes ; vos travaux écrasants, infructueux, seront rendus productifs et attrayants par leur variété. Essayez, vous dis-je, de cette association. Que risquez-vous ? Les parcelles de terre que vous joindrez à celles que je mets, en commun vous reviendront dans deux années. Si votre condition ne vous paraît pas améliorée, vous pourrez alors retourner habiter vos masures qui restent debout… »

— Et ils n’ont pas résisté long-temps à l’évidence de ces avantages ? — dit Just.

— Près de deux mois, — répondit Claude Gérard.

— C’est incroyable ! en présence d’avantages si évidents, — dit Régina.

— Hélas ! Madame, — reprit tristement Claude Gérard, — ces malheureux étaient depuis si long-temps habitués à être traités avec insouciance ou dureté ; on les avait accoutumés à avoir si peu de confiance dans la bonté humaine, qu’ils se demandaient, avec une sorte de défiance craintive, pourquoi l’on montrait à leur égard tant de désintéressement et de générosité.

— Vous avez raison, Monsieur, — dit Régina, — cette défiance est une sanglante satire du passé !

— Mais enfin, — reprit Claude, — l’association s’est formée. Six mois après les constructions nécessaires étaient terminées, et bientôt l’ancien village a été démoli avec une sorte de joyeuse solennité. Quant au bonheur, à l’aisance dont jouit maintenant cette population naguère encore si horriblement misérable, veuillez m’accompagner, et… ce que vous verrez vous montrera les merveilleux résultats de cette association.

Ce disant, Claude Gérard conduisit Just et Régina dans le bâtiment principal, formant autrefois le château ; ses pièces immenses avaient été transformées en école pour les jeunes garçons, et, pour les jeunes filles, en crèches, en salle d’asile pour les enfants de l’association. Une vaste pièce donnant dans le jardin d’hiver (qui avait été conservé), servait de lieu de réunion et de réfectoire pour ceux des membres de l’association qui préféraient manger ensemble au lieu de porter chez eux les mets provenant de la cuisine commune. Les étages supérieurs étaient consacrés à la lingerie, à l’infirmerie, aux magasins de matières premières de toutes sortes qui s’ouvrageaient dans de vastes ateliers, car cette association était à la fois agricole et industrielle ; de la sorte, les longues soirées et les nombreuses journées d’hiver pendant lesquelles le travail des champs est impossible, étaient fructueusement utilisées ; les associés y trouvaient des occupations variées, et le revenu général s’accroissait d’autant.

Quant au logement des associés, il se composait, selon l’exigence de leur famille, d’une ou deux chambres, donnant toutes sur le jardin intérieur, bien aérées en été, bien chauffées en hiver par la vapeur. On utilisait ainsi le feu incessant de l’immense cuisine ; des conduits amenaient partout en abondance l’eau et le gaz lumineux ; les enfants et les adultes couchaient la nuit dans des dortoirs, sous la surveillance des pères et des mères de famille, alternativement chargés de ce soin ; la cuisine, le blanchissage, en un mot, tous les travaux de métier ou de ménage se faisant dans des endroits spéciaux, les logements des associés n’étaient absolument destinés qu’à l’intimité, au repos et au sommeil, ils étaient tenus avec une extrême propreté ; plusieurs associés avaient même déjà employé une partie de leurs bénéfices à orner leur demeure particulière avec une certaine élégance.

Just et Régina, de plus en plus émerveillés, entrèrent bientôt, sous la conduite de Claude Gérard, dans une vaste salle où une cinquantaine de jeunes filles et de jeunes femmes, brillantes de santé, proprement vêtues, étaient occupées à travailler, soit à la dentelle, soit à différentes pièces de lingerie. Parmi les travailleuses, Just et Régina reconnurent la brave Robin et ses compagnes de la vacherie, qui, pendant le temps qu’elles n’employaient pas à l’étable, venaient travailler, selon leur aptitude et leur goût, soit à la dentelle, soit à la lingerie, tandis que d’autres préféraient s’occuper au jardin, à la buanderie ou aux cuisines.

Rien n’était plus gai, plus animé que cette réunion de jeunes travailleuses ; le léger babil de celles-ci, les rires frais et doux de celles-là, les petits chantonnements des autres, formaient le plus joyeux murmure.

Soudain Just et Régina restèrent émus, frappés, d’un tableau touchant qui s’offrit à leur vue.

Dans la vaste salle de travail, venait d’entrer dame Perrine… marchant doucement, sa main appuyée sur l’épaule de Bruyère.

La mère de Martin, encore très-belle malgré sa pâleur, avait l’air un peu souffrant, mais sa physionomie exprimait la plus ineffable bonté ; vêtue de noir selon sa coutume, un simple bonnet blanc laissait voir ses larges bandeaux de cheveux noirs.

Bruyère, réglant soigneusement son pas sur celui de sa mère, qui s’appuyait doucement sur son épaule, avait conservé son costume d’une originalité charmante et sauvage : quelques brindilles de bruyère rose ornaient sa jolie chevelure ondée ; ses bras ronds, légèrement hâlés, étaient demi-nus : seulement des bas blancs et de petits brodequins de cuir avaient remplacé ses bottines tressées de jonc et ses sabots ; on lisait sur sa ravissante figure, pâle et affectueuse comme celle de sa mère, les traces d’une mélancolie remplie de résignation… La pauvre petite Bruyère regrettait toujours son enfant… qui lui avait cependant coûté tant de larmes… tant de honte.

— Mon Dieu ! Monsieur Gérard, — dit tout bas Régina, — quelle est donc cette charmante personne qui vient d’entrer, et sur laquelle s’appuie cette dame d’une figure si noble et si douce ?

— Je n’ai, de ma vie, rien vu de plus joli que cette jeune fille, avec ces bruyères roses dans ses cheveux, — ajouta Just, — quelle douceur dans les traits ! quelle intelligence dans le regard !…

— Et quel charme, quelle grâce dans ses moindres mouvements ! — ajouta Régina.