Mathilde, Mémoires d’une jeune femme/Partie I/04

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Gosselin (Tome Ip. 169-188).
Première partie


CHAPITRE IV.

UNE AMIE D’ENFANCE.




Une ère nouvelle allait commencer pour moi.

Jusqu’alors je n’avais eu que des sentiments incomplets ; je craignais ma tante, mais son esprit m’amusait. Malgré quelques preuves de froideur et d’oubli, j’aimais tendrement ma gouvernante, mais il n’existait entre nous aucun rapport d’âge ou de caractère.

Lorsque Ursule d’Orbeval arriva, j’étais si seule, j’avais fait de si beaux rêves sur cette affection promise, que je me sentais déjà reconnaissante envers ma cousine qui allait me mettre à même de réaliser ces douces espérances. J’oubliai complètement les perfides conseils de ma tante ; au lieu de songer à humilier Ursule, je ne songeai qu’à l’aimer.

Elle avait une année de plus que moi. Par une bizarre singularité, ses cheveux étaient noirs, et ses yeux bleus, tandis que j’avais les yeux noirs et les cheveux blonds. Nous étions à peu près de la même taille ; les traits d’Ursule étaient loin d’être réguliers, mais on ne pouvait imaginer une physionomie plus intéressante, un sourire plus doux et plus aimable.

La première fois que je la vis, elle portait le deuil de sa grand’mère. Ses vêtements noirs faisaient encore plus ressortir la blancheur rosée de sa peau ; je lui trouvai une expression si charmante que je me jetai à son cou, en l’appelant ma sœur.

Malgré moi je pleurai ; ces larmes furent les plus douces larmes que j’eusse encore répandues. Ma cousine accueillit mes caresses avec une grâce touchante, je l’emmenai dans ma chambre, et je mis à sa disposition tous mes trésors de toilette.

Ursule ne montra ni embarras gauche, ni assurance indiscrète. Elle me dit, toute émue, qu’elle me demandait mon amitié ; car elle était presque orpheline, son père étant pour elle d’une extrême dureté.

Je sentis s’éveiller en moi un monde de sensations nouvelles ; je compris le bonheur de se dévouer à une personne qu’on aime, de la protéger, de la défendre ; je sus presque gré à Ursule d’être pauvre, puisque j’étais riche ; d’être presque abandonnée, puisque mon cœur était tout prêt à aller au devant du sien, et à lui offrir les affections qui lui manquaient.

Dès que j’eus une amie à aimer, je crus n’être plus un enfant, je me sentis grande, comme disent les petites filles, je devins très sérieuse, très réfléchie ; j’eus honte de ma coquetterie passée ; je dis à Ursule en lui montrant toutes mes belles robes avec un superbe dédain : C’était bon quand j’étais seule.

Ma cousine portait le deuil ; je voulus être vêtue de noir.

Toute la nuit je roulai mon projet dans ma tête. Le matin venu, j’entrai résolument chez mademoiselle de Maran.

— Ma tante, je voudrais être habillée de noir comme Ursule, et autant de temps qu’elle le sera.

— Mais vous êtes folle, ma chère petite ; Ursule est en deuil, et vous n’avez aucune raison pour porter le deuil, — me dit ma tante avec étonnement.

— Mais le deuil de ma mère ? — répondis-je en baissant tristement les yeux.

Ma tante éclata de rire, et s’écria :

— Est-elle donc divertissante avec ses imaginations funèbres ! Mais vous l’avez porté il y a sept ans, le deuil de votre mère ; c’est bien assez comme ça.

— Je l’ai porté sans savoir que je le portais, ma tante, — dis-je en sentant les larmes me venir aux yeux. L’éclat de rire de ma tante m’avait douloureusement blessée.

— Ah ! mon Dieu ! que cette petite a donc de drôles d’idées, — reprit mademoiselle de Maran en riant de nouveau et en me prenant le menton. — Allons… allons… follette, on vous passera ce beau caprice-là ; c’est-à-dire que vous serez vêtue en noir, mais non pas en noir de deuil, s’il vous plaît ; ce serait par trop ridicule… Mais vous aurez de belles robes de moire et de soie, pendant que cette pauvre Ursule n’aura que des robes de laine… ce qui la fera bien enrager.

— Je voudrais n’être jamais mise autrement que ma cousine, ma tante.

— Comment ! c’en est déjà à ce point-là ? — s’écria mademoiselle de Maran en attachant sur moi ses yeux perçants. — Mais c’est encore bien mieux que je ne le pensais. Allons… allons… rassurez-vous, une fois le deuil fini, vous serez toujours mises comme les deux sœurs ; vous êtes assez riche pour faire de temps en temps cadeau d’une belle robe à votre cousine, qui n’a pas le sou.

— Ma tante, vous ne me comprenez pas, — m’écriai-je avec impatience, — puisque Ursule est pauvre, je voudrais être mise comme elle et non pas qu’elle fût mise comme moi.

Mademoiselle de Maran me regarda encore attentivement, et dit de son air sardonique :

— Ah çà ! mais à qui en a donc aujourd’hui cette petite avec ses superlatives délicatesses ? Comme c’est touchant… ça tient de famille… Puis elle ajouta en se parlant à elle-même : — Au fait tant mieux. — Et s’adressant à moi : — Bien… très bien… petite, vous ne sauriez trop traiter Ursule en sœur. Je vois avec joie se manifester en vous les symptômes d’une grande délicatesse… d’une grande sensibilité. Tant mieux, je n’y comptais pas, vous dépassez mes plus chères espérances.

Je sortis de chez mademoiselle de Maran toute fière, tout heureuse.

J’allai vite trouver ma gouvernante pour lui apprendre le résultat de mon entretien avec ma tante.

Blondeau m’embrassa cette fois en pleurant de joie, et me dit : — Voilà votre bon cœur revenu. Il me semble entendre parler votre pauvre mère.

On pourrait croire qu’il y eut alors un temps d’arrêt dans les méchantes menées de mademoiselle de Maran contre moi, il n’en est rien.

Jamais, au contraire, elle ne se crut plus certaine de me nuire et dans le présent et dans l’avenir. Mais alors j’ignorais ce que j’ai su depuis, et je me livrais avec bonheur à mes sentiments d’amitié exaltée pour ma cousine. Elle y répondit avec l’expansion la plus affectueuse, la plus reconnaissante.

Quelques jours après l’arrivée d’Ursule à l’hôtel de Maran, je n’avais plus de secret pour elle. Je lui avais raconté toute mon enfance, excepté le sinistre dessein de ma gouvernante ; et encore ce secret m’avait-il bien coûté et me coûtait encore beaucoup à garder.

Quoique Ursule fût d’un an plus âgée que moi, j’étais à peu près aussi avancée qu’elle dans mes études ; nos professeurs ne manquaient jamais de préférer mes devoirs aux siens, soit qu’ils le méritassent réellement, soit qu’en agissant ainsi, nos maîtres crussent flatter ma tante. Sans le savoir, ils se rendaient ainsi complices de ses secrets desseins.

Craignant de blesser l’amour-propre d’Ursule par mes succès, je faisais tout au monde pour m’excuser de ma supériorité. Je trouvais mille raisons d’expliquer mes petits triomphes à mon désavantage : tantôt en me donnant la première place, nos professeurs voulaient plaire à mademoiselle de Maran ; tantôt Ursule elle-même m’aimait assez pour faire exprès des fautes et me laisser ainsi l’avantage.

Je ne sais si notre affection naissante contraria les projets de mademoiselle de Maran ; mais elle trouva le moyen de me tourmenter de nouveau, et plus cruellement que jamais.

Sous le prétexte de nous habituer peu à peu à voir le monde, elle nous fit venir quelquefois, le matin, dans son salon. Elle recevait tous les soirs, mais plusieurs personnes intimes venaient la voir entre quatre et six heures.

Qu’on juge de mon chagrin la première fois que j’entendis ma tante dire à des étrangers en nous montrant, moi et Ursule :

« Croiriez-vous que ma nièce, qui a une année de moins que mademoiselle d’Orbeval, et qui a commencé son éducation beaucoup plus tard, s’est tellement appliquée, a fait des progrès si étonnants qu’en toute chose elle prime sa compagne ? C’est étonnant, n’est-ce pas ? Ordinairement, ce sont les pauvres filles sans fortune qui travaillent le plus assidûment. Ici, c’est tout le contraire. Mathilde ne se contente pas d’être au-dessus de sa cousine par la richesse et par la beauté, elle veut encore lui être supérieure par l’éducation. Pauvre chère petite, c’est un vrai trésor que cette enfant : c’est tout le portrait de sa mère. »

Et mademoiselle de Maran me comblait de caresses hypocrites.

Mon cœur se brisait. Je regardais Ursule d’un air suppliant ; à peine étions-nous seules que je me jetais en pleurant dans ses bras, lui demandant pardon des louanges exagérées, ridicules, dont ma tante m’accablait.

Ma cousine, émue comme moi, calmait mes craintes, en plaisantait même, et me prouvait par sa tendresse toujours croissante qu’elle n’était nullement jalouse de mes avantages, ou blessée des reproches de mademoiselle de Maran.

Je fis alors tout mon possible pour laisser à Ursule la première place ; mais en vain j’accumulais fautes sur fautes, je ne parvenais pas à voir les travaux d’Ursule préférés aux miens. Un jour j’imaginai de ne plus rien faire, de ne pas apprendre mes leçons ; il fallut bien alors donner la première place à ma compagne.

Mademoiselle de Maran nous fit descendre toutes deux dans le salon, où se trouvaient encore plusieurs personnes.

Après quelques mots d’une conversation insignifiante, ma tante me fit venir près d’elle.

Puis s’adressant à une de ses amies :

— Vous allez me dire que je répète toujours la même chose ; mais il faut pardonner aux vieilles femmes d’être radoteuses quand elles ont à parler de ce qu’elles chérissent ! Je vous vois rire ; vous devinez qu’il s’agit encore de ma petite Mathilde ? C’est vrai, j’en suis affolée, assolée, si vous voulez. Eh bien ! oui, c’est comme ça ; je ne puis pas m’en empêcher, — dit ma tante en prenant son ton de bonne femme, ce qui arrivait toujours lorsqu’elle disait quelques méchancetés. Elle reprit : — Enfin, tenez, comparez Mathilde et Ursule… par exemple… et il faut à propos que je lui donne une leçon, à mamzelle d’Orbeval. — Puis, se retournant vers ma cousine, ma tante continua d’un air sévère : — Mademoiselle, vous êtes pauvre ; vous profitez de tous les maîtres de votre cousine, et vous êtes assez paresseuse pour souffrir que Mathilde, cet ange de bonté, manque, comme aujourd’hui, exprès à ses devoirs pour vous laisser la première place que vous n’avez pas le courage de gagner par votre application.

— Mais, ma tante, — m’écriai-je, — Ursule n’en savait rien.

— Voyez-vous le bon cœur de cette chère petite ? Quelle générosité ! Elle la défend encore ! — Et ma tante m’embrassa.

Puis continuant de s’adresser d’un ton sévère à ma cousine, qui, rouge de honte, fondait en larmes, elle lui dit durement :

— Comment n’avez-vous pas honte de supporter, d’exiger peut-être de pareils sacrifices de la part de cette enfant ?

— Mais, Madame, — s’écria la pauvre Ursule, — je vous assure que j’ignorais…

— C’est bon !… c’est bon ! — dit mademoiselle de Maran, — je sais que penser. Et elle nous renvoya, après m’avoir encore tendrement embrassée.

Ses caresses me révoltaient. Je recommençais à la haïr plus que jamais. Je pressentais que son infernale méchanceté voulait m’aliéner mon amie.

Après cette scène je me jetai aux genoux d’Ursule en sanglotant. La pauvre enfant me rendit mes caresses, me remercia de mes assurances de tendresse ; mais, je le vis, elle resta longtemps sous le coup de ses blessures, d’autant plus douloureuses qu’elle était fière et naturellement peu expansive dans le chagrin.

Toute ma terreur était que ma cousine me crût capable de faire quelques rapports à ma tante, ou du moins d’être complice ou flattée des louanges qu’elle me donnait.

Je résolus de me mettre en état d’hostilité envers mademoiselle de Maran, de l’irriter à tout prix contre moi, afin de bien prouver à Ursule que je n’étais pas traître, et que je voulais partager avec elle les gronderies de ma tante.

Il s’agissait de frapper un grand coup ; mon inapplication, mon refus de travail, loin d’indisposer ma tante contre moi, avaient attiré de cruels reproches à Ursule ; il fallait donc me rendre autrement coupable.

Je méditai longtemps ce beau projet ; j’avais, me dit plus tard Blondeau, l’air grave, pensif et préoccupé. Je redoublai de tendresse à l’égard d’Ursule ; mais je prenais toutes les précautions possibles pour qu’elle ne pût pas être accusée d’avoir connu mes desseins.

Entre plusieurs fâcheux projets, j’avais songé d’abord à briser une magnifique coupe de porcelaine de Sèvres que le roi Louis XVIII avait donnée à ma tante et à laquelle elle tenait beaucoup.

Cela ne me satisfit pas : on pouvait attribuer cet acte à une maladresse, à une imprudence. Il me fallait quelque chose de prémédité, quelque bonne méchanceté, bien franche, bien inexcusable.

Alors je pensai bravement à mettre le feu aux rideaux du salon ; mais les suites de cet incendie devenaient dangereuses pour Ursule et pour Blondeau, et d’ailleurs on pouvait encore attribuer tout au hasard.

En machinant ces mauvais desseins, je n’avais pas le moindre scrupule, je croyais faire quelque chose de très généreux, de très héroïque, je sentais mon sang bouillonner dans mes veines, je croyais atteindre la sublimité du dévoûment.

Je roulais ces grandes pensées dans ma tête, lorsque la fatalité voulut que je jetasse les yeux sur Félix, le chien-loup de ma tante.

J’avais à me venger de ce méchant animal, il m’avait souvent mordue. La veille encore il avait donné un coup de dent à Ursule ; mais, je l’avoue, eût-il été le plus débonnaire des chiens, son plus grand crime à mes yeux, ou plutôt la raison qui me le fit choisir pour victime, était l’attachement extrême que lui portait mademoiselle de Maran.

Je savais sa colère, lorsque seulement par hasard un de ses gens faisait pousser le moindre cri à Félix. Un moment j’eus la lâcheté de trembler en pensant au courroux de mademoiselle de Maran. Je la crus capable de me tuer si j’entreprenais quelque chose contre son chien. Mais mon amitié pour Ursule l’emporta. Je bravai toutes les conséquences de ma résolution.

Je me trouvais seule dans le parloir de ma tante, Félix était couché dans sa niche de velours ; je ne voyais que sa tête : je voulais lui faire du mal, mais je ne savais comment m’y prendre : il était très méchant, très défiant, et d’ailleurs un coup de pied n’eût suffi ni à ma vengeance ni à mes projets.

Maintenant je ne puis m’empêcher de sourire en retraçant ces détails puérils ; pourtant je ne me souviens pas d’avoir jamais ressenti une émotion aussi profonde, aussi saisissante que celle que je ressentais alors, lorsque je fus sur le point d’agir.

Chose étrange ! depuis, j’ai pris dans ma vie des résolutions bien graves, bien coupables même ; mais encore une fois jamais je n’ai éprouvé la crainte, l’hésitation, le remords anticipé, si cela se peut dire, que j’éprouvai au moment de commettre une méchante espièglerie d’enfant.

J’avoue que ma vengeance contre Félix fut bien barbare ; je n’étais pas cruelle par caractère ; il fallait tout mon désir de réhabilitation auprès d’Ursule pour me décider à cette atrocité.

J’eus l’abominable idée de mettre une pincette au feu ; quand je la vis bien rouge, je la pris et je m’avançai intrépidement contre mon ennemi.

Selon son habitude, il sortit de sa niche en aboyant pour se jeter sur moi ; mais je le saisis si adroitement avec la pincette par une de ses oreilles pointues, qu’il poussa des hurlements affreux, et tomba sans avoir le courage ou la force de regagner sa niche. J’eus un moment de remords en voyant fumer l’oreille de ce malheureux animal et en entendant ses cris douloureux ; mais, pensant au bonheur d’être maltraitée par ma tante aux yeux d’Ursule, j’étouffai ce mouvement de pitié.

J’étais héroïquement restée debout, ma pincette à la main : ma victime se roulait à mes pieds.

Mademoiselle de Maran accourut et entra tout effrayée.

Son maître d’hôtel la suivait non moins inquiet.

— Bon Dieu du ciel ! qu’y a-t-il ? — s’écria-t-elle en se précipitant sur Félix. — Qu’y a-t-il, mon pauvre loup ?… Puis apercevant son oreille complètement brûlée, elle releva sa tête et me dit en furie :

— Petite stupide ! vous ne pouviez pas veiller sur lui… et l’empêcher d’approcher du feu… Servien… Servien… vite, de l’eau fraîche… de la glace…

Puis, les yeux égarés par la colère, les lèvres écumantes, ma tante, oubliant ses procédés jusqu’au sang et s’écria : — Tu ne pouvais pas veiller sur lui, vilaine sotte… indigne créature !…

Mademoiselle de Maran avait une si terrible figure, elle avait l’air si méchant, que j’eus un moment d’indécision : je pouvais lui laisser croire que la brûlure de Félix était la suite d’une imprudence, mais je surmontai bien vite cette lâche faiblesse ; m’échappant de ses mains, je lui montrai la pincette que je tenais encore, en lui disant avec un calme superbe et triomphant :

— J’ai fait rougir cette pincette au feu, et je m’en suis servie pour brûler l’oreille de Félix.

Je n’avais pas terminé ces mots, que je sentis sur ma joue les doigts osseux et secs de ma tante.

Le soufflet fut si violent que je faillis tomber à la renverse.

Quoique ma douleur eût été violente, quoique la frayeur de ma tante fût grande, je ne songeai pour ainsi dire qu’à l’insulte ; je devins pourpre de colère : sans trop savoir ce que je faisais, je lançai les pincettes de toutes mes forces contre mademoiselle de Maran.

La fatalité me servit à souhait ; les pincettes atteignirent la magnifique coupe de porcelaine de Sèvres : le royal présent fut brisé en morceaux.

Ensuite de cette belle victoire de chien brûlé et de coupe cassée, insensible aux reproches, aux menaces de ma tante, je courus dans le parloir, enivrée d’orgueil, en criant de toutes mes forces : — Ursule !… Ursule… viens donc voir !…

Puis ne pouvant, sans doute, résister à la violence des sentiments qui m’agitaient depuis quelques minutes, je perdis complètement connaissance…

Que l’on juge de ma joie ! En revenant à moi je me vis couchée dans mon lit, ma gouvernante était à mon chevet ; ma cousine, à genoux, tenait mes mains dans les siennes.

Je ne puis exprimer avec quel ravissement, avec quel orgueil, je me souvins de ma courageuse action. Toute ma peur était d’apprendre l’apaisement de la colère de ma tante.

— Mon Dieu, ma pauvre enfant, — dit Blondeau, — vous qui êtes si bonne, comment avez-vous donc eu le cœur de faire tant de mal à ce chien ? Il est méchant comme un démon… je le sais, mais enfin, c’est toujours bien cruel à vous…

— Et, ma tante !… ma tante !… Est-elle bien fâchée ? — dis-je avec impatience.

— Si elle est fâchée ? Jésus mon Dieu ! — dit Blondeau ; — elle est si fâchée qu’elle en a eu une attaque de nerfs… En revenant à elle, ses premiers mots ont été d’ordonner qu’on vous mît au pain et à l’eau pendant huit jours.

— Ah !… Ursule ! — m’écriai-je en me jetant au cou de ma cousine.

— Ce n’est pas tout, mademoiselle, — ajouta tristement Blondeau ; — madame votre tante vous fait faire un sarrau de grosse toile grise avec un écriteau avec lequel vous serez forcée de descendre demain au salon, quand il y aura du monde.

— Ursule !… Ursule… tu le vois ! elle me punit aussi !… elle m’humilie aussi… elle me déteste aussi !… — m’écriai-je, rayonnante de bonheur, en embrassant ma cousine.

— Ah ! maintenant je devine tout, — dit ma gouvernante ; et l’excellente femme joignit les mains en me regardant avec attendrissement.