Mathilde, Mémoires d’une jeune femme/Partie II/02

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Gosselin (Tome IIp. 115-133).
Deuxième partie


CHAPITRE II.

LE DÉPART.


Je passai une nuit remplie d’angoisses en songeant à l’inquiétude, à l’agitation que M. de Lancry n’avait pu dissimuler.

Au point du jour, je me levai ; j’étais douloureusement oppressée. Je voulais jeter un dernier regard sur cette mystérieuse et charmante retraite où j’avais passé des moments si heureux.

Hélas ! était-ce un présage ? Tant de bonheur devait-il à jamais s’évanouir ?…

Le ciel, si pur pendant tant de jours, se voilait de nuages noirs ; un vent froid gémissait tristement à travers les grands arbres de la forêt.

La prédisposition de l’âme est un prisme qui colore les objets extérieurs de ses reflets sombres ou riants. Je fis une remarque puérile, mais elle me navra…

Toutes les fleurs qui ornaient cette demeure avaient été apportées et transplantées comme une décoration champêtre. Peu à peu elles avaient langui et s’étaient flétries. Absorbée par mon bonheur, voyant tout à travers les rayonnements que l’amour jetait sur ma vie, je ne m’étais pas aperçue de l’insensible étiolement de ces plantes ; mais à ce moment, sous ce ciel gris, pensant à ce départ qui m’affligeait, je fus douloureusement frappée de ce spectacle.

Malgré moi, je fis un vague rapprochement entre les jours heureux que je venais de passer et l’existence de ces fleurs, pauvres fleurs éphémères, dépaysées, sans racines, qui, au lieu de s’épanouir chaque matin toujours fraîches et vivaces, mouraient d’une mort précoce, après avoir jeté un parfum, un éclat passagers.

Je frémis… en me demandant s’il en devait être ainsi de la félicité que j’avais goûtée.

Pourtant je voulus échapper à ces réflexions pénibles : je les regardai comme un blasphème.

Je cueillis pieusement quelques branches d’héliotrope et de jasmin que je me promis de garder toujours ; je pensai qu’après tout, j’étais folle de chercher de douloureux pronostics dans un état de choses qu’il dépendait de moi de faire cesser.

Je résolus d’établir un jardinier dans notre maisonnette pour y cultiver des fleurs qui, cette fois, ne mourraient pas au bout de quelques jours.

Par une réflexion bizarre, je me demandai pourquoi l’on entretenait si religieusement les tristes jardins des tombeaux, et pourquoi l’on n’entourerait pas des mêmes soins pieux et touchants les lieux consacrés par quelques souvenirs chéris.

Je rentrai.

Gontran semblait encore plus soucieux que la veille.

La voiture arriva ; nous partîmes.

M. de Lancry ne me dit pas un mot de regret sur l’abandon où nous laissions notre retraite à la garde d’un de ses gens ; cela me fit mal.

Après quelques moments de silence, Gontran me dit :

— Mathilde, je vous présenterai demain un de mes meilleurs et de mes plus intimes amis, M. Lugarto, qui arrive de Londres. C’est pour lui rendre un service assez important qu’il me demande que je quitte Chantilly. Nous verrons souvent Lugarto ; je l’aime beaucoup ; je désire que vous l’accueilliez avec bienveillance.

— Quoique M. Lugarto soit cause de notre brusque retour à Paris, — dis-je en souriant à M. de Lancry, — je vous promets d’oublier ce grand grief, et de recevoir votre ami comme vous le désirez. Mais vous ne m’avez jamais parlé de lui ?

— J’étais à la fois si distrait et si absorbé par mon amour, — reprit Gontran avec grâce, — qu’il y a bien des choses que je ne vous ai pas dites… J’avais laissé Lugarto à Londres ; il est très paresseux ; il écrit rarement, et j’avais de trop charmantes compensations pour m’apercevoir du silence de cet ingrat.

— Mais savez-vous, Gontran, qu’il faut que vous aimiez en effet beaucoup M. Lugarto pour lui faire le sacrifice que vous lui faites… Nous étions si heureux dans notre retraite !

— Oui, oui, sans doute, mais, de son côté, Lugarto m’a autrefois rendu de très grands services ; je vous conterai cela.

— Oh ! alors, mon ami, si vous acquittez une dette de reconnaissance, je ne me plains plus ; d’ailleurs j’ai mon projet, et, à mon tour, je vous demanderai une grâce à laquelle je tiens beaucoup.

— Parlez… parlez… Mathilde.

— Eh bien ! il faut me promettre de venir chaque mois passer quelques jours dans notre maisonnette de Chantilly.

Gontran me regarda avec étonnement.

— Mais cette maison ne m’appartient pas, me dit-il.

Mon cœur se serra douloureusement.

— Comment cela ? lui demandai-je.

— Mon Dieu ! rien de plus simple ; j’avais chargé mon homme d’affaires de me chercher une petite maison à Chantilly ou dans quelque endroit bien retiré, et de me la louer pour la saison ; il m’a trouvé cette maison de paysan presque enclavée dans la forêt ; je vins la voir, cela me parut charmant comme position, j’y envoyai mon architecte qui est très bon décorateur ; car, vous le voyez, il a transformé une affreuse chaumière en un vrai chalet d’opéra. Cela se trouvait d’autant mieux que le propriétaire de cette masure et de quelques arpents de terre qui en dépendent est sur le point de les vendre à M. le duc de Bourbon ; dès qu’on aura enlevé ce que nous avons laissé dans cette maisonnette, on l’abattra ; je ne l’avais louée que pour quatre mois, et il nous reste, je crois, encore environ trois semaines de jouissance.

Hélas ! les paroles de Gontran me rappelèrent cruellement ma remarque du matin, sur l’éclat factice des fleurs éphémères de notre jardin.

Sans le vouloir, M. de Lancry me causait un sensible chagrin. Cet homme d’affaires, ce décorateur, ce loyer… tous ces mots vinrent gâter un à un tous mes souvenirs chéris.

Sans doute je n’étais pas assez insensée pour vouloir échapper aux réalités de la vie ; mais il me semblait qu’un si petit réduit devait rester environné de tout son prestige, de toute sa poésie, et que, sans prodigalité folle, on aurait pu le respecter à tout jamais.

Je n’accusai pas Gontran ; absorbé par le bonheur présent, il avait pu négliger l’avenir ; je songeai qu’à nous autres femmes était surtout réservé le culte du passé.

— Gontran, — lui dis-je, — je suis toute fière d’une pensée que vous n’avez pas eue malgré votre cœur si ingénieusement inventif…

— Parlez, ma chère Mathilde.

— Il nous faut acquérir tout de suite cette maison et le petit champ qui l’environne, puisqu’heureusement cela n’est pas encore vendu à M. le duc de Bourbon.

— Vous n’y songez pas, Mathilde, le prince doit payer la convenance de cette acquisition. Le propriétaire nous ferait les mêmes conditions qu’au prince, et dans de pareilles circonstances ces gens-là ont toujours des prétentions exorbitantes.

— Mais encore, combien cela vaut-il ?

— Que sais-je ? peut-être trente, quarante mille francs, plus même, car on ne peut assigner de prix raisonnable à une chose toute de convenance…

— Comment ! ce ne serait pas plus cher que cela ? — m’écriai-je avec joie.

— Enfant ! — me dit Gontran en me serrant tendrement la main.

— Mais qu’est-ce que c’est que trente mille francs auprès… ?

— Écoutez, Mathilde, — me dit M. de Lancry, en m’interrompant avec bonté, — puisque nous sommes sur ce chapitre, il faut que nous parlions un peu raison… et ménage, comme l’on dit ; c’est très ennuyeux, mais très nécessaire, et puis je désire savoir si les dispositions que j’ai prises vous conviendront.

— Parlez, mon ami ; mais je ne vous tiens pas quitte de notre maisonnette, j’y reviendrai tout-à-l’heure.

Gontran haussa les épaules en souriant, me regarda et continua :

— Vous comprenez, Mathilde, que notre position nous oblige à tenir un état de maison convenable, digne de notre fortune, et qui vous mette enfin à même de jouir des plaisirs de votre âge.

— Notre chalet… voilà tout l’état de maison que mon cœur désire.

— Mathilde, parlons sérieusement. Voici comment j’ai arrangé nos dispositions intérieures : nous aurons un maître d’hôtel, homme de confiance qui nous servira d’intendant, un valet de chambre pour vous, un pour moi, quatre valets de pied pour l’antichambre et…

— Mais, mon ami, je vous assure que pour moi je préfère réduire cette livrée, et conserver notre petit paradis.

— Soyez donc raisonnable. Il faut, ma chère enfant, d’abord parler des dépenses nécessaires… Notre écurie se composera de quatre chevaux de voiture et d’un cocher pour vous ; pour moi, de deux chevaux de harnais et de deux ou trois chevaux de selle, avec mes gens d’écurie anglais, deux femmes pour vous sans madame Blondeau ; un cuisinier et une fille de cuisine compléteront notre domestique. Pardonnez-moi ces détails, ma chère Mathilde ; mais une fois tout ceci convenu, nous n’en parlerons plus.

— Je vous écoute, mon ami ; tout à l’heure je vous ferai mes observations.

— Nous habiterons l’hôtel Rochegune pendant l’hiver ; ensuite nous ferons un voyage aux eaux ou en Italie, afin de revenir dans votre terre de Maran vers le mois de septembre pour la chasse ; nous y resterons jusqu’au mois de décembre, époque de notre retour à Paris. Vous aurez, si vous le voulez, un soir par semaine pour recevoir ; nous donnerons à dîner le même jour. Vous choisirez vos jours de loge, l’un à l’Opéra, l’autre aux Bouffes. Enfin, si vous trouvez que mille francs par mois vous suffisent pour votre toilette, nous fixerons cette somme.

— Mon ami…

— Encore un mot, ma chère Mathilde, et je me tais, — dit Gontran en souriant, — Vous voyez que notre état de maison est fort simple ; dans notre position, nous ne pouvons avoir moins ; ne m’en voulez pas si maintenant j’arrive à de grands vilains chiffres. Votre fortune s’élève à cent trente mille francs de rente environ ; avec ce qui me reste de la mienne, nous pouvons donc compter à peu près sur un revenu de cent soixante mille francs ; mais en défalquant l’acquisition de l’hôtel Rochegune, les non-valeurs et les économies que nous devons rigoureusement tenir en réserve pour les cas imprévus, nous ne devons calculer à peu près que sur cent mille francs par an. Eh bien ! ma chère Mathilde, il ne nous faut ni plus ni moins que cela pour tenir notre maison sur le pied que je vous ai dit. Vous le voyez, nous n’avons que ce que l’on pourrait appeler le nécessaire du luxe, sans aucun superflu, car toutes les dépenses que je vous ai énumérés sont absolument indispensables.

— Ce que vous ferez sera toujours parfaitement fait, mon ami, quoiqu’il me semble qu’on puisse vivre très heureux sans un si grand entourage de nécessaire, comme vous dites ; mais ce qui vous plaît est bien : je ne veux voir que par vos yeux, ne penser que par votre pensée. Seulement, dussé-je pour cela retrancher sur ce que vous m’accordez, je veux… vous entendez, je veux absolument mon chalet de Chantilly ; c’est pour moi le plus indispensable, le plus nécessaire, la moins superficielle de toutes les dépenses ; ce sera mon luxe de cœur. Nous irons de temps en temps y faire un joli pèlerinage avec ma pauvre Blondeau pour toute suite.

— Allons, allons, soyez tranquille, nous reparlerons de cela, jolie petite opiniâtre, — me dit Gontran avec gaîté. — Ah ! j’oubliais ; il faudra envoyer notre architecte à votre château de Maran. Depuis vingt ans il n’a été habité que par votre régisseur ; il doit être en ruines.

— Sans doute… et puis un château, c’est si grand !… Tenez, mon ami… Grondez-moi ; mais votre chalet m’a gâtée… Ah ! que le printemps de Paris va me sembler pesant et ennuyeux auprès de notre beau printemps de la forêt !… Voyez comme je suis rancunière, je ne puis vraiment pardonner à votre ami le sacrifice que vous lui faites.

— À propos de Lugarto, me dit Gontran, il faudra excuser chez lui certaines façons un peu cavalières, qui ne sont peut-être pas de la plus exquise compagnie… Il a toujours été si gâté !

— Que voulez-vous dire ?

— Mais tenez, Mathilde, je ne puis mieux faire que de vous tracer à peu près le portrait de Lugarto ; au moins vous le connaîtrez lorsque je vous présenterai. Lugarto a vingt-deux ou vingt-trois ans à peine : il est d’origine brésilienne. Son père, fils d’un esclave sang mêlé, avait été affranchi dès son enfance. Ce père, d’abord intendant d’un grand seigneur portugais, géra si bien ou si mal la fortune de son maître, qu’il le ruina complètement, et qu’il acquit une grande partie de ses biens. Telle fut l’origine d’une fortune d’abord considérable, puis enfin colossale ; car des entreprises et des concessions de mines dans l’Amérique du Sud augmentèrent tellement ses biens, qu’à sa mort M. Lugarto laissa à son fils plus de soixante millions.

M. Lugarto père avait vécu aux colonies avec le faste et la dépravation d’un satrape. Profondément corrompu, affichant un cynisme révoltant, aussi lâche que méchant, il avait, dit-on, dans un accès de colère féroce, tellement maltraité sa femme, qu’elle était morte des suites de ces violences.

— Mais c’était un monstre qu’un pareil homme ! — m’écriai-je. Quel triste et cruel héritage qu’une telle mémoire !… Son fils doit être bien à plaindre, malgré ses millions !

— D’autant plus à plaindre, — dit Gontran — en souriant avec amertume, — que son père lui a donné les plus hideux exemples. Laissé à quinze ans maître d’une fortune de roi, Lugarto a grandi au milieu des excès et des adulations de toutes sortes. À vingt ans, il éprouvait déjà les dégoûts et la satiété de la vieillesse, grâce à l’abus de tout ce qui se procure avec l’or. D’une nature frêle, délicate, étiolée avant son développement, il n’a de jeune que son âge ; sa figure même, malgré des traits agréables, a quelque chose de morbide, de flétri, de convulsif, qui révèle de précoces infirmités.

J’écoutais Gontran avec étonnement ; en me traçant le portrait de M. Lugarto, sa voix avait un accent d’ironie mordante ; il semblait se complaire dans la triste peinture du caractère de cet homme.

Un moment je fus sur le point de faire cette observation à Gontran, puis je ne sais quel scrupule me retint ; il continua :

— Au moral, Lugarto est un homme profondément dépravé, sans foi, sans courage, sans bonté, habitué à mépriser souverainement les hommes, car presque tous ont bassement flatté sa fortune. Tour à tour d’une prodigalité folle et d’une avarice sordide, ses dépenses n’ont qu’un mobile, l’orgueil ; qu’un but, l’ostentation. Le procureur le plus retors ne sait pas mieux les affaires que lui ; seul, il gère son immense fortune avec une sagacité, avec une habileté incroyables, et il s’enrichit encore chaque jour par les spéculations les moins honorables. Portrait fidèle de son père, l’ignoble rapacité de l’esclave lutte encore chez lui contre la ridicule vanité de l’affranchi ; tout prouve cette double nature : son luxe sévèrement réglé, son faste retentissant, mais parcimonieux ; tout, jusqu’à ses bruyantes aumônes faites insoucieusement et sans l’intelligence du malheur qu’il secourt, mais qu’il ne plaint pas… Deux plaies incurables empoisonnent pourtant l’opulence impériale de Lugarto, la bassesse de son extraction et la conscience du peu qu’il vaut personnellement. Aussi, par un compromis qui ne trompe que lui, il est affublé du titre de comte, et s’est fait fabriquer je ne sais quelles ridicules armoiries. Exalté par l’adulation et par l’orgueil, l’adulation et l’orgueil le torturent ; il le sait : c’est à sa fortune qu’on accorde les prévenances dont on l’entoure ; pauvre demain, il serait complètement méprisé ; alors parfois sa rage contre le sort n’a pas de bornes ; mais, comme son père, Lugarto est aussi lâche que méchant, et il se venge de tant de prospérités injustement accumulées sur lui, en maltraitant avec la plus cruelle dureté ceux que leur dépendance oblige à supporter ses violences ; des femmes… des femmes même n’ont pas été à l’abri de ses brutalités… Eh bien ! malgré cela, malgré tant de vices odieux, le monde n’a toujours eu pour lui que des sourires ; les plus hardis lui ont témoigné de l’indifférence.

Ne pouvant me contenir plus longtemps, je m’écriai :

— Eh ! comment osez-vous appeler un tel homme votre ami ? comment avez-vous pu lui sacrifier nos plus chers désirs ?… En vérité, Gontran, je ne vous comprends pas.

M. de Lancry, sans doute rappelé à lui par ces mots, me regarda d’un air interdit.

— Que dites-vous, Mathilde ?

— Je vous demande comment vous pouvez appeler M. Lugarto votre ami ?… Mais jamais je ne consentirai à voir un homme aussi pervers, aussi odieux… Et encore une fois, c’est pour lui que vous quittez si tôt cette retraite où nous vivions si heureux ?… Gontran, il y a là quelque chose d’inexplicable !

M. de Lancry se remit de son émotion, et me dit en souriant :

— Écoutez une comparaison bien ambitieuse, Mathilde… L’homme qui parvient à dompter et à rendre sociables et soumis le tigre et la panthère, ne prend-il pas en amitié la bête féroce qu’il a pu rendre douce et obéissante ? Eh bien ! quoique ce pauvre Lugarto ne soit pas un tigre, il y a, je crois, un peu de ce sentiment-là dans mon amitié pour lui. Oui, autant je l’ai vu dédaigneux, méchant, altier pour les autres, autant pour moi il a toujours été bon, prévenant, dévoué. Je vous l’avoue, Mathilde, je n’ai pu m’empêcher d’être profondément touché des preuves nombreuses d’affection qu’il m’a données… et vous le concevez, avec bien du désintéressement. Puis, jugez donc combien il doit être malheureux : personne ne l’aime ; il n’a pas même un ami… Toujours dominé par cette crainte de n’être recherché que pour sa fortune, par hasard il ressent pour moi une bienfaisante confiance qu’il n’éprouve pour personne. Eh bien ! dites, Mathilde, mon cœur… ma vanité, je dirais presque mon honneur, ne m’ordonnent-ils pas de l’accueillir avec bienveillance ?

Déjà je connaissais assez la physionomie de Gontran pour avoir remarqué une sorte de contrainte pendant qu’il m’expliquait la cause de son amitié pour M. Lugarto, tandis qu’au contraire il s’était laissé aller à une franche amertume en dépeignant l’odieux caractère de cet homme.

Sans pouvoir justifier mes soupçons, je sentais qu’il y avait là quelque mystère ; les explications de Gontran ne me rassurèrent qu’à demi.

Pourtant, telle est la puissance du prestige de l’amour, que peu à peu en réfléchissant à ce que venait de me dire Gontran, je vis une nouvelle preuve du charme qu’il inspirait dans l’influence extraordinaire qu’il exerçait sur M. Lugarto.

Si j’avais eu besoin de m’excuser à mes propres yeux de n’avoir pu résister aux rares séductions de Gontran, ne me serais-je pas dit que je devais céder à cette inévitable fatalité, puisque les caractères les plus intraitables, les plus altiers, n’avaient pu y échapper.

Que dirai-je ? ma passion était si aveugle que M. Lugarto me devint presque moins odieux par la pensée qu’il avait subi l’irrésistible empire de Gontran.