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Matins d’automne

La bibliothèque libre.
Les Ailes d’or : poésies nouvelles, 1878-1880Bibliothèque-Charpentier (p. 233-241).

MATINS D’AUTOMNE
À HENRI D’AUBEL.

I

Dans le frisson d’argent des aubes attardées,
Octobre a mis l’adieu des chants et des parfums,
Des soleils endormis et des étés défunts
Couchés sous le linceul d’or des feuilles ridées.

De leur rêve déchu d’azur et de clarté
Les jours sont descendus, pleins de mélancolie,
Et je les vois s’asseoir sur la pourpre pâlie
Et les lis languissants de leur seuil attristé !

Le silence a tendu sur l’heure monotone
De son vol bas et lourd les assourdissements.
Je dirai donc tout bas, et pour les seuls amants,
Vos navrantes douceurs, sombres matins d’automne.

II

Par des matins pareils, j’ai traîné sous les bois
L’amour désespéré de mes jeunes pensées,
Comme fait le troupeau des bêtes aux abois
Que la distraite main du chasseur a blessées.

Sous des cieux où le vent de l’aurore, en passant,
Secouait des lambeaux d’azur pâle et de cuivre,
J’ai promené jadis l’amertume de vivre
Ne portant plus au cœur qu’un amour languissant ;

Et pleurant les matins vermeils où deux mains blanches
Effeuillaient sur mon front un printemps radieux,
J’ai mêlé les adieux de mon âme aux adieux
Dont l’an qui part emplit la tristesse des branches.

III

Avec l’or des feuilles séchées
Le vent d’octobre enlève-t-il
L’or fin de vos têtes penchées.
Blondes qu’on aimait en avril ?

Avec la fleur claire des nues
Novembre a-t-il aussi fermé
Les roses de vos gorges nues,
Brunes qu’on adorait en mai ?

À voir courir la feuille morte
Et les brouillards au ciel flottants,
On dirait que l’automne emporte
Toutes les amours du printemps !

IV

Le givre, aux vitres des maisons,
A dessiné des fleurs de neige,
Un paysage de Norwège,
Avec des pins pour horizons.

Mais, comme ces coins de nature
Dont le mirage enchante l’eau,
Un souffle fondra le tableau
De ces frimas en miniature,

Effaçant jusqu’aux moindres plis
Ces monts voisins des mers du pôle
Et qui portent à leur épaule
Un manteau d’hermine et de lis.

V

Comme du vol d’une colombe
Le duvet tremblant de son nid,
En flocons blancs la neige tombe
Des ailes de l’An qui finit.

Flottante encore dans la brume
Elle n’a pas déjà jonché
La terre de sa froide plume
Où couvre le printemps caché.

Mais déjà le vent de son aile
Fouette, dans les airs moins pesants,
D’une rougeur vive et charnelle
Le teint des filles de seize ans.

VI

Cependant le jour a rompu la prison
Où l’enfermait le poids des ombres, une brume,
Comme aux marches d’un temple où l’encens se consume,
Flotte sur les degrés obscurs de l’horizon.

Cachant dans l’air plus lourd leurs têtes désolées,
Les arbres aux troncs nus coupent le ciel pâli,
Comme les piliers noirs qui d’un temple aboli
Rappellent au chemin les gloires envolées.

Et plus rouge en ces feux que les pourpres de Tyr,
Le soleil sans rayons, dont le disque s’élève,
Semble pendre à la pointe invisible d’un glaive,
Comme le cœur saignant de quelque dieu martyr !