Max Havelaar/Dédicace

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Traduction par A. J. Nieuwenhuis et Henri Crisafulli.
Dentu (p. ).

À LA

MÉMOIRE TRÈS VÉNÉRÉE

DE

EVERDINE, HUBERTE, BARONNE VAN WYNBERGEN,

ÉPOUSE FIDÈLE,

MÈRE TENDRE ET HÉROÏQUE,

NOBLE FEMME ;

J’ai souvent entendu plaindre les femmes de poëte ; et sans doute, pour tenir dignement dans la vie ce difficile emploi, aucune qualité n’est de trop. Le plus rare ensemble de mérites n’est que le strict nécessaire, et ne suffit même pas toujours au commun bonheur. Voir sans cesse la muse, en tiers dans vos plus familiers entretiens, recueillir dans ses bras et soigner ce poëte qui est votre mari, quand il vous revient meurtri par les déceptions de sa tâche, ou bien le voir s’envoler à la poursuite de sa chimère… voilà l’ordinaire de l’existence pour une femme de poëte. Oui, mais aussi, il y a le chapitre des compensations, l’heure des lauriers qu’il a gagnés à la sueur de son génie, et qu’il dépose pieusement aux pieds de la femme légitimement aimée, aux genoux de l’Antigone qui sert de guide en ce monde à cet aveugle errant.

Car, ne vous y trompez pas : presque tous les petit-fils d’Homère sont plus ou moins aveugles à leur façon ; ils voient ce que nous ne voyons pas ; leurs regards pénètrent plus haut et plus au fond que les nôtres ; mais ils ne savent pas voir droit devant eux leur petit bonhomme de chemin, et ils seraient capables de trébucher et de se casser le nez sur le moindre caillou, s’il leur fallait cheminer sans soutien, dans ces vallées de prose où demeure la vie.”

Henry de Pène.