Maximes de Mme de Sablé/Texte entier

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Texte établi par Damase JouaustLibrairie des Bibliophiles (Cabinet du Bibliophile, n° 10) (p. --tdm).





MAXIMES
de
MADAME DE SABLÉ

CABINET DU BIBLIOPHILE
No X


MAXIMES
de
Mme DE SABLÉ
(1678)
publiées par
D. JOUAUST, IMPRIMEUR



PARIS
LIBRAIRIE DES BIBLIOPHILES
rue saint-honoré, 338

M DCCC LXX
MADAME DE SABLÉ
________




MADAME de Sablé appartient à la brillante pléiade des grandes dames du dix-septième siècle dont les maris ne nous sont restés connus que par le nom qu’ils avaient donné à leur femme. De tous ces maris de femmes illustres, le plus obscur est sans contredit Philippe-Emmanuel de Laval, marquis de Sablé, de la grande famille des Montmorency, fils et gendre de maréchaux de France. Ses seuls mérites étaient sa naissance et sa fortune ; mais il ne sut sauvegarder ni l’une ni l’autre : il dissipa la plus grande partie de ses biens dans des liaisons indignes du nom qu’il portait, indignes surtout de la femme de bien dont il avait lié la destinée à la sienne.

Quant à Madeleine de Souvré, marquise de Sablé par un mariage dans lequel son goût n’avait pas été consulté, elle n’en conserva pas moins à son mari la fidélité qu’elle lui avait jurée. À une époque où la galanterie était tout à fait de mise, elle fut le plus parfait modèle de toutes les vertus domestiques. Jolie, et partout réputée pour l’être, comblée d’hommages d’autant plus dangereux qu’ils s’adressaient en même temps à son esprit et à sa beauté, elle sut résister aux séductions qui l’environnaient, et auxquelles il lui eût été d’autant plus facile de s’abandonner que la société de son temps, si indulgente aux erreurs de ce genre, n’eût pas manqué d’en rejeter entièrement la faute sur les déportements de son mari. Tous ses contemporains sont d’accord pour témoigner de sa vertu, si pourtant l’on en excepte Tallemant des Réaux, dont la langue de vipère aime à se promener sur toutes les réputations. Seulement Madame de Sablé avait cinquante ans à l’époque où il l’accuse d’une intrigue amoureuse avec René de Longueil, président au Parlement de Paris, et l’absurdité d’une telle supposition montre quel degré de confiance on doit accorder aux allégations de l’auteur des Historiettes.

Il faut le dire aussi, Madame de Sablé, malgré toute l’affabilité de son caractère, était une nature froide, plutôt faite pour l’amitié que pour l’amour. L’amitié était pour elle la suprême expression de la tendresse. Pratiquer l’amitié fut la grande occupation de sa vie, la définir fut le but principal des quelques lignes dans lesquelles elle a fixé ses pensées. Elle en parlait souvent dans le cercle littéraire que son esprit distingué avait réuni autour d’elle ; elle en discuta beaucoup avec le célèbre auteur des Maximes, et sur ce point, comme sur tant d’autres, elle fut en désaccord avec lui. Pour le duc de La Rochefoucauld, qui ne connaît pas de tempérament à la perversité humaine, il n’existe pas de véritable amitié. Aussi écoutons-le :

« Ce que les hommes ont nommé amitié n’est qu’une société, qu’un mesnagement reciproque d’interests, et qu’un eschange de bons offices ; ce n’est enfin qu’un commerce où l’amour propre se propose toûjours quelque chose à gagner[1]. »

Madame de Sablé ne se fait pas non plus illusion sur l’amitié ; elle convient que la plupart du temps il y a lieu d’en suspecter la sincérité.

« La société, dit-elle, et mesme l’amitié de la plupart des hommes, n’est qu’un commerce qui ne dure qu’autant que le besoin. — Quoique la plupart des amitiez qui se trouvent dans le monde ne méritent point le nom d’amitié, on peut pourtant en user selon les besoins, comme d’un commerce qui n’a pas de fonds certain, et sur lequel on est ordinairement trompé[2]. »

Mais pour cela Madame de Sablé n’abandonne pas la cause de l’amitié. Elle sait bien que la véritable amitié existe, puisqu’elle la sent et qu’elle la pratique ; aussi quelle définition lui en dictent et son cœur et son bon sens :

« L’amitié est une espece de vertu qui ne peut estre fondée que sur l’estime des personnes que l’on ayme, c’est à dire sur les qualitez de l’âme, comme sur la fidelité, la generosité et la discretion, et sur les bonnes qualitez de l’esprit. — Les amitiez qui ne sont point establies sur la vertu, et qui ne regardent que l’interest ou le plaisir, ne meritent point le nom d’amitié[3]. »

Ainsi parlait une femme qui ne possédait certes pas la pénétration de La Rochefoucauld, mais qui avait des délicatesses de sentiment inconnues à l’auteur des Maximes. Et cependant bien des pensées de la marquise ont une grande affinité avec celles du duc ; mais cette ressemblance vient bien moins d’une communauté d’idées que des rapports d’amitié très-suivis qui s’étaient établis entre eux : car Madame de Sablé eut le rare privilége de vivre dans une très-grande intimité avec La Rochefoucauld, sans tomber dans les piéges que la funeste amitié du duc tendit avec succès à plusieurs de ses contemporaines. Dans ces mêmes pensées, exprimées souvent en termes analogues, perce toujours la différence qui existe entre le langage d’une femme indulgente, qui parle avec son cœur, et les jugements systématiquement sévères d’un homme égoïste, uniquement guidé par son orgueil. Madame de Sablé n’a pas, comme son illustre contemporain, le défaut de tout généraliser et de faire la règle de ce qui n’est que l’exception. Elle est d’ailleurs plus disposée à voir dans l’humanité des défauts que des vices ; pour elle nos travers sont toujours un sujet d’étude, mais jamais une satisfaction maligne.

« Les sotises d’autruy, dit-elle, nous doivent estre plûtost une instruction qu’un sujet de nous moquer de ceux qui les font. — On s’instruit aussi bien par le défaut des autres que par leur instruction. L’exemple de l’imperfection sert quasi autant à se rendre parfait que celuy de l’habileté et de la perfection. »

Mais, une fois la part faite aux qualités du cœur, nous ne pousserons pas notre admiration pour Madame de Sablé jusqu’à la comparer à La Rochefoucauld pour la noblesse du style ou la grandeur de la pensée. Plus ingénieuse que profonde, elle descend volontiers dans de petits détails qui accusent sans doute une exquise sensibilité ; mais elle ne conçoit pas les vues d’ensemble.

Sa dix-huitième maxime nous offre un exemple remarquable de ce manque de largeur dans les idées. Parlant du plaisir secret que nous éprouvons parfois à la vue des plus tristes et des plus terribles événements, elle attribue ce sentiment à la « malignité naturelle qui est en nous ». Ici Madame de Sablé n’a vu le cœur humain qu’à la surface, et son regard, faute de pouvoir y pénétrer plus avant, s’est égaré. Lucrèce, qu’on ne s’attendait peut-être pas à voir figurer ici, et que Madame de Sablé serait bien excusable de n’avoir pas lu, avait été, lui aussi, frappé de cette particularité de notre nature ; mais, avec le coup d’œil infaillible du génie, il en aperçut la véritable cause, et l’expliqua ainsi dans les quatre vers par lesquels débute si majestueusement son deuxième livre De la Nature des choses :


Suave, mari magno, turbantibus æquora ventis,
E terra magnum alterius spectare laborem :
Non quia vexari quemquam est jucunda voluptas,
Sed quibus ipse malis careas quia cernere suave est.


Voilà certes une belle maxime, largement conçue et grandement exprimée, et que le duc de La Rochefoucauld lui-même n’eût pas été fâché de rencontrer sous sa plume.

Madame de Sablé n’est pas d’ailleurs un écrivain ; ses maximes ne furent jamais par elle destinées à l’impression. Elle en écrivit parce que tout le monde dans sa société en écrivait ; c’était la mode du temps, et l’on se plaisait volontiers à cet exercice, qui n’était alors, à vrai dire, qu’un jeu de société : on faisait des maximes à peu près comme on a fait plus tard des charades. Aussi, tout en sachant gré à l’abbé d’Ailly de nous avoir fait connaître les Maximes de Madame de Sablé (moins peut-être pour rendre hommage à une ancienne amie que pour glisser les siennes à la suite de celles de la marquise)[4], gardons-nous bien d’y chercher autre chose que ce que nous devons raisonnablement y trouver. Voyons-y seulement les pensées d’une femme vertueuse, d’un grand cœur et d’un grand esprit, qui se plaisait à fixer sur le papier le résultat de ses réflexions de chaque jour, et qui, dans ces confidences destinées à elle seule ou à ses amis intimes, ne dut jamais viser à cette perfection de style qu’elle aurait cherchée, et sans doute rencontrée, si elle avait pensé affronter un jour le jugement du public.

Les maximes de Madame de Sablé furent d’ailleurs très-goûtées dans le cercle qui s’était formé autour d’elle ; il en est souvent question dans les correspondances de ses amis[5] ; et si l’on doit attribuer une partie de leur succès au charme que la marquise répandait autour d’elle, et qui s’attachait à tout ce qui venait d’elle, il faut bien aussi leur reconnaître un véritable mérite, indépendant de qualités personnelles de l’auteur. Enfin, si Madame de Sablé ne fut pas un écrivain comme l’était son amie Madame de Lafayette, elle contribua puissamment, par la direction qu’elle sut donner à sa société, au mouvement littéraire de son époque. « Toute la littérature des maximes et des pensées, dit M. Cousin, est sortie du salon d’une femme aimable retirée dans le coin d’un couvent[6], qui, n’ayant plus d’autre plaisir que celui de revenir sur elle-même, sur ce qu’elle avait vu et senti, sut donner ses goûts à sa société, dans laquelle se rencontra par hasard un homme de beaucoup d’esprit, qui avait en lui l’étoffe d’un grand écrivain. »

D. Jouaust.




Le titre des Maximes de Madame la Marquise de Sablé (Paris, Mabre-Cramoisy, 1678) annonce aussi des Pensées diverses de M. L. D. Il s’agit ici des pensées de l’abbé d’Ailly, publiées à la suite de celles de la Marquise. Ne les ayant pas reproduites, nous avons dû retrancher du titre la mention qui les concerne.

Les Maximes de Mme  de Sablé ont été réimprimées à la suite d’une édition des Maximes de La Rochefoucauld, publiée à Amsterdam en 1712.

Nous avons donné en appendice des pensées sur l’Amitié, qui ne sont imprimées ni dans l’édition que nous reproduisons ni dans celle de 1712. Elles se trouvent dans les manuscrits de Conrart, t. XI, p. 175.

Ces mêmes manuscrits contiennent aussi une autre version de la maxime LXXXI et dernière, sur les Divertissements, l’une de celles qui eurent le plus de succès dans la société de Mme  de Sablé. Nous l’avons placée après l’Appendice, en indiquant par des caractères italiques les différences qui existent entre le manuscrit et l’imprimé.

D. J.

MAXIMES
de
MADAME DE SABLÉ
(1678)


MAXIMES

DE MADAME

LA MARQUISE

DE SABLÉ.



A PARIS,
Chez Sebastien Mabre-Cramoisy,
Imprimeur du Roy, ruë S. Jacques,
aux Cicognes.


M. DC. LXXVIII
AVEC PRIVLEGE DV ROY.






Lillustre Personne qui a composé les maximes qu’on donne au public avoit des qualitez si grandes et si extraordinaires qu’il est bien difficile de les exprimer par des paroles, quoyqu’on les sente bien, et qu’on en soit vivement touché pour peu qu’on ait eû l’honneur de la connoistre. Elle a convaincu les honnestes gens de son siecle qu’un merite essentiel et achevé n’est pas de la nature de ces choses qui flatent en vain les esperances des hommes. Elle a esté également honorée des grands et des particuliers, et elle avoit établi une espèce d’empire sur les uns et sur les autres par une superiorité naturelle à laquelle tout le monde se soumettoit aisément.

Sans biens, presque sans credit, mesme aux dernieres années de sa vie, elle avoit une cour nombreuse de personnes choisies de tout âge et de tout sexe, qui ne sortoient jamais d’auprès d’elle que plus heureux et comme charmez de l’avoir veûë. Plusieurs mesme, par des établissemens considérables selon leurs différentes conditions, ont éprouvé ce que pouvoit son extresme bonté toûjours agissante, toûjours ingénieuse, et si feconde en mille moyens de faire du bien que les bons succés ont presque toujours suivi l’application constante qu’elle avoit à rendre de bons offices à ses amis. Sa vie a esté presque toute occupée à leur faire plaisir, et son sommeil mesme, quelque précieux qu’il luy fust, n’estoit jamais interrompu qu’elle n’en remplist les intervalles par de nouveaux soins de leur procurer quelques avantages. Cette bonté estoit si pure et si délicate qu’elle ne pouvoit souffrir les moindres médisances et les moindres railleries : elle les regardoit comme de grandes marques de petitesse d’esprit ou de malignité.

Sa charité égaloit sa bonté ; ou, pour mieux dire, il y avoit un si juste mélange de l’une avec l’autre qu’elle estoit toûjours également préparée à soulager le prochain, et mesme à prévenir ses desirs et ses besoins, autant qu’elle estoit en estat d’y satisfaire. Elle avoit si bien trouvé cette parfaite union de toutes les vertus de la société civile avec les vertus chrétiennes qu’elle étoit également respectée des solitaires et des gens du monde.

Jamais un grand cœur ne fut conduit par un esprit plus vaste et plus éclairé. Elle l’avoit rempli de toutes les belles connoissances qui peuvent instruire et polir tout ensemble la raison. Elle sçavoit très-bien les langues espagnole et italienne, et sur tout la veritable morale : les maximes qu’elle en a faites sont des leçons admirables pour se conduire dans le commerce du monde. Elle écrivoit parfaitement bien : la bonté de son esprit et celle de son cœur luy donnoient une éloquence naturelle et inimitable. Ses sentimens estoient si justes et si raisonnables, que, pour toutes les choses de bon sens et de bon goust, ils estoient autant d’arrests souverains qui decidoient du prix et du merite de tout ce qu’on soûmettoit à son jugement.

Elle avoit une raison si droite, et tellement dégagée de tout ce qui trouble ordinairement les autres, que, bien loin d’estre prévenuë par des opinions particulieres, elle estimoit la vertu et les bonnes choses par tout où elle les trouvoit dans les personnes et dans les livres, également ennemie de l’opiniâtreté et de l’indignation qui vient de l’opposition des sentimens, toûjours preste à recevoir la vérité, de quelque costé qu’elle luy fust présentée. Sa conversation avoit tant de charmes, et estoit pleine de choses si utiles, si agréables et si insinuantes, que tout le monde y trouvoit son compte ; et on ne la quittoit jamais qu’on ne se trouvast beaucoup plus honneste, avec plus d’esprit et des sentimens plus élevez.

Jamais personne n’a porté la politesse à un plus haut point de perfection : elle estoit répanduë en tout son procédé, dans les petites comme dans les grandes choses. Elle avoit une fermeté et une fidélité extresme à garder le secret de ses amis, et une discretion si fine, si circonspecte et si juste pour tout ce qui regardoit leurs interests, qu’on ne peut rien imaginer au delà. Tant de rares qualitez luy avoient acquis l’estime et la bienveillance d’un grand Prince, qui luy en a donné des marques essentielles jusques à la mort.

Ces grands soins de conserver sa santé, que tant de personnes qui ne la voyoient point accusoient de foiblesse, étoient justifiez lors qu’on la voyoit de prés. La grandeur de son esprit, qui luy donnoit tant de veûës inconnuës aux autres, jointe à une longue expérience, l’avoit si bien instruite de mille voyes secretes qui pouvoient alterer ou conserver sa santé, que ses amis ont sujet de croire qu’elle leur auroit encore épargné la douleur de l’avoir perduë, si Dieu n’avoit limité nos jours en leur prescrivant des bornes certaines que toute la science et toute l’industrie des hommes ne peuvent passer.

Une si belle et si glorieuse vie a esté enfin terminée par une mort très-chrétienne. Cette crainte de la mort qu’elle avoit fait tant de fois paroistre, mais qui estoit beaucoup plus dans ses discours que dans ses sentimens, aprés quelques derniers efforts, cessa enfin, lors qu’elle vit ce terme fatal de plus prés. Elle s’abandonna aux decrets de la providence de Dieu avec des sentimens si religieux et si dévots, que, pensant uniquement à son salut, elle compta le reste pour rien. De là vint cette humilité profonde qui luy fit ordonner qu’on l’enterrast dans un cimetiere, comme une personne du peuple, sans pompe et sans ceremonie.

Pour finir enfin son eloge, on peut dire d’elle qu’elle a esté l’ornement de son siecle, les délices de ses amis, un bien général, et qu’elle laisse par sa mort un si grand vuide dans le monde, pour les personnes qui avoient le bonheur de la voir et de la connoistre, qu’il n’y a pas lieu d’esperer qu’on le puisse jamais remplir dignement.


MAXIMES.




I


Comme rien n’est plus foible et moins raisonnable que de soûmettre son jugement à celuy d’autruy, sans nulle application du sien, rien n’est plus grand et plus sensé que de le soûmettre aveuglément à Dieu, en croyant sur sa parole tout ce qu’il dit.


II

Le vray merite ne dépend point du temps ni de la mode. Ceux qui n’ont point d’autre avantage que l’air de la Cour le perdent quand ils s’en éloignent. Mais le bon sens, le sçavoir et la sagesse rendent habile et aimable en tout temps et en tous lieux.


III

Au lieu d’estre attentifs à connoistre les autres, nous ne pensons qu’à nous faire connoistre nous-mesmes. Il vaudroit mieux écouter, pour aquerir de nouvelles lumieres, que de parler trop, pour montrer celles que l’on a aquises.


IV

Il est quelquefois bien utile de feindre que l’on est trompé : car, lorsque l’on fait voir à un homme artificieux qu’on reconnoist ses artifices, on luy donne sujet de les augmenter.


V

On juge si superficiellement des choses que l’agrément des actions et des paroles communes, dites et faites d’un bon air, avec quelque connoissance des choses qui se passent dans le monde, réüssissent souvent mieux que la plus grande habileté.


VI

Estre trop mécontent de soy est une foiblesse. Estre trop content de soy est une sotise.


VII

Les esprits mediocres, mais malfaits, sur tout les demi-sçavans, sont les plus sujets à l’opiniâtreté. Il n’y a que les ames fortes qui sçachent se dédire et abandonner un mauvais parti.


VIII

La plus grande sagesse de l’homme consiste à connoistre ses folies.


IX

L’honnesteté et la sincerité dans les actions égarent les méchans et leur font perdre la voye par laquelle ils pensent arriver à leurs fins, parce que les méchans croyent d’ordinaire qu’on ne fait rien sans artifice.


X

C’est une occupation bien penible aux fourbes d’avoir toûjours à couvrir le défaut de leur sincérité et à réparer le manquement de leur parole.


XI

Ceux qui usent toûjours d’artifice devroient au moins se servir de leur jugement pour connoistre qu’on ne peut gueres cacher long-temps une conduite artificieuse parmi des hommes habiles et toûjours appliquez à la découvrir, quoyqu’ils feignent d’estre trompez pour dissimuler la connoissance qu’ils en ont.


XII

Souvent les bienfaits nous font des ennemis, et l’ingrat ne l’est presque jamais à demi : car il ne se contente pas de n’avoir point la reconnoissance qu’il doit, il voudroit mesme n’avoir pas son bienfacteur pour témoin de son ingratitude.


XIII

Rien ne nous peut tant instruire du déreglement général de l’homme que la parfaite connoissance de nos déreglemens particuliers. Si nous voulons faire réflexion sur nos sentimens, nous reconnoîtrons dans nôtre ame le principe de tous les vices que nous reprochons aux autres : si ce n’est par nos actions, ce sera au moins par nos mouvemens. Car il n’y a point de malice que l’amour propre ne présente à l’esprit pour s’en servir aux occasions, et il y a peu de gens assez vertueux pour n’estre pas tentez.


XIV

Les richesses n’apprennent pas à ne se point passionner pour les richesses. La possession de beaucoup de biens ne donne pas le repos qu’il y a de n’en point desirer.


XV

Il n’y a que les petits esprits qui ne peuvent souffrir qu’on leur reproche leur ignorance, parce que, comme ils sont ordinairement fort aveugles en toutes choses, fort sots et fort ignorans, ils ne doutent jamais de rien, et sont persuadez qu’ils voyent clairement ce qu’ils ne voyent qu’au travers de l’obscurité de leur esprit.


XVI

Il n’y a pas plus de raison de trop s’accuser de ses défauts que de s’en trop excuser. Ceux qui s’accusent par excés le font souvent pour ne pouvoir souffrir qu’on les accuse, ou par vanité de faire croire qu’ils sçavent confesser leurs défauts.


XVII

C’est une force d’esprit d’avoûër sincerement nos défauts et nos perfections ; et c’est une foiblesse de ne pas demeurer d’accord du bien ou du mal qui est en nous.


XVIII

On aime tellement toutes les choses nouvelles et les choses extraordinaires qu’on a même quelque plaisir secret par la veûë des plus tristes et des plus terribles évenemens, à cause de leur nouveauté et de la malignité naturelle qui est en nous.


XIX

On peut bien se connoître soy-mesme, mais on ne s’examine point assez pour cela, et l’on se soucie davantage de paroistre tel qu’on doit estre que d’estre en effet ce qu’on doit.


XX

Si l’on avoit autant de soin d’estre ce qu’on doit estre que de tromper les autres en déguisant ce que l’on est, on pourroit se montrer tel qu’on est, sans avoir la peine de se déguiser.


XXI

Il n’y a personne qui ne puisse recevoir de grands secours et de grands avantages des sciences ; mais il y a aussi peu de personnes qui ne reçoivent un grand préjudice des lumieres et des connoissances qu’ils ont acquises par les sciences, s’ils ne s’en servent comme si elles leur étoient propres et naturelles.


XXII

Il y a une certaine mediocrité difficile à trouver avec ceux qui sont au dessus de nous, pour prendre la liberté qui sert à leurs plaisirs et à leurs divertissemens sans blesser l’honneur et le respect qu’on leur doit.


XXIII

On a souvent plus d’envie de passer pour officieux que de réüssir dans les offices, et souvent on aime mieux pouvoir dire à ses amis qu’on a bien fait pour eux que de bien faire en effet.


XXIV

Les bons succés dépendent quelquefois du défaut de jugement, parce que le jugement empesche souvent d’entreprendre plusieurs choses que l’inconsideration fait réüssir.


XXV

On loûë quelquefois les choses passées pour blâmer les presentes, et, pour mépriser ce qui est, on estime ce qui n’est plus.


XXVI

Il y a un certain empire dans la maniere de parler et dans les actions qui se fait place par tout, et qui gagne par avance la consideration et le respect. Il sert en toutes choses, et mesme pour obtenir ce qu’on demande.


XXVII

Cét empire qui sert en toutes choses n’est qu’une autorité bienseante qui vient de la superiorité de l’esprit.


XXVIII

L’amour propre se trompe mesme par l’amour propre, en faisant voir dans ses interests une si grande indifference pour ceux d’autruy qu’il perd l’avantage qui se trouve dans le commerce de la rétribution.


XXIX

Tout le monde est si occupé de ses passions et de ses interests que l’on en veut toûjours parler, sans jamais entrer dans la passion et dans l’interest de ceux à qui on en parle, encore qu’ils ayent le mesme besoin qu’on les écoute et qu’on les assiste.


XXX

Les liens de la vertu doivent estre plus étroits que ceux du sang, l’homme de bien estant plus proche de l’homme de bien par la ressemblance des mœurs que le fils ne l’est de son pere par la ressemblance du visage.


XXXI

Une des choses qui fait que l’on trouve si peu de gens agréables et qui paroissent raisonnables dans la conversation, c’est qu’il n’y en a quasi point qui ne pensent plûtost à ce qu’ils veulent dire qu’à répondre précisément à ce qu’on leur dit. Les plus complaisans se contentent de montrer une mine attentive, au mesme temps qu’on voit dans leurs yeux et dans leur esprit un égarement et une précipitation de retourner à ce qu’ils veulent dire ; au lieu qu’on devroit juger que c’est un mauvais moyen de plaire que de chercher à se satisfaire si fort, et que bien écouter et bien répondre est une plus grande perfection que de parler bien et beaucoup, sans écouter et sans répondre aux choses qu’on nous dit.


XXXII

La bonne fortune fait quasi toûjours quelque changement dans le procédé, dans l’air, et dans la maniere de converser et d’agir. C’est une grande foiblesse de vouloir se parer de ce qui n’est point à soy. Si l’on estimoit la vertu plus que toute autre chose, aucune faveur ni aucun employ ne changeroit jamais le cœur ni le visage des hommes.


XXXIII

Il faut s’accoûtumer aux sotises d’autruy, et ne se point choquer des niaiseries qui se disent en nostre presence.


XXXIV

La grandeur de l’entendement embrasse tout. Il y a autant d’esprit à souffrir les défauts des autres qu’à connoître leurs bonnes qualitez.


XXXV

Sçavoir bien découvrir l’interieur d’autruy, et cacher le sien, est une grande marque de superiorité d’esprit.


XXXVI

Le trop parler est un si grand défaut, qu’en matiere d’affaires et de conversation, si ce qui est bon est court, il est doublement bon ; et l’on gagne par la briéveté ce que l’on perd souvent par l’excés des paroles.


XXXVII

On se rend quasi toûjours maître de ceux que l’on connoist bien, parce que celuy qui est parfaitement connu est en quelque façon soûmis à celuy qui le connoist.


XXXVIII

L’estude et la recherche de la verité ne sert souvent qu’à nous faire voir par experience l’ignorance qui nous est naturelle.


XXXIX

On fait plus de cas des hommes quand on ne connoist point jusqu’où peut aller leur suffisance, car l’on présume toûjours davantage des choses que l’on ne voit qu’à demi.


XL

Souvent le desir de paroître capable empesche de le devenir, parce que l’on a plus d’envie de faire voir ce que l’on sçait que l’on n’a de désir d’apprendre ce que l’on ne sçait pas.


XLI

La petitesse de l’esprit, l’ignorance et la présomption, font l’opiniastreté, parce que les opiniastres ne veulent croire que ce qu’ils conçoivent, et qu’ils ne conçoivent que fort peu de choses.


XLII

C’est augmenter ses défauts que de les désavoûër quand on nous les reproche.


XLIII

Il ne faut pas regarder quel bien nous fait un ami, mais seulement le desir qu’il a de nous en faire.


XLIV

Encore que nous ne devions pas aimer nos amis pour le bien qu’ils nous font, c’est une marque qu’ils ne nous aiment gueres s’ils ne nous en font point quand ils en ont le pouvoir.


XLV

Ce n’est ni une grande loûange, ni un grand blâme, quand on dit qu’un esprit est ou n’est plus à la mode. S’il est une fois tel qu’il doit estre, il est toûjours comme il doit estre.


XLVI

L’amour qu’on a pour soy-mesme est quasi toûjours la regle de toutes nos amitiez. Il nous fait passer par dessus tous les devoirs dans les rencontres où il y va de quelque interest, et mesme oublier les plus grands sujets de ressentiment contre nos ennemis, quand ils deviennent assez puissans pour servir à nostre fortune ou à nôtre gloire.


XLVII

C’est une chose bien vaine et bien inutile de faire l’examen de tout ce qui se passe dans le monde, si cela ne sert à se redresser soy-mesme.


XLVIII

Les dehors et les circonstances donnent souvent plus d’estime que le fonds et la realité. Une méchante maniere gâte tout, mesme la justice et la raison. Le comment fait la meilleure partie des choses, et l’air qu’on leur donne dore, accommode et adoucit les plus fâcheuses. Cela vient de la foiblesse et de la prévention de l’esprit humain.


XLIX

Les sotises d’autruy nous doivent estre plûtost une instruction qu’un sujet de nous moquer de ceux qui les font.


L

La conversation des gens qui aiment à regenter est bien fâcheuse. Il faut toûjours estre prest de se rendre à la verité, et à la recevoir de quelque part qu’elle nous vienne.


LI

On s’instruit aussi bien par le défaut des autres que par leur instruction, L’exemple de l’imperfection sert quasi autant à se rendre parfait que celuy de l’habileté et de la perfection.


LII

On aime beaucoup mieux ceux qui tendent à nous imiter que ceux qui tâchent à nous égaler. Car l’imitation est une marque d’estime, et le desir d’estre égal aux autres est une marque d’envie.


LIII

C’est une loûable adresse de faire recevoir doucement un refus par des paroles civiles, qui réparent le défaut du bien qu’on ne peut accorder.


LIV

Il y a beaucoup de gens qui sont tellement nez à dire non, que le non va toûjours au-devant de tout ce qu’on leur dit. Il les rend si desagréables, encore bien qu’ils accordent enfin ce qu’on leur demande, ou qu’ils consentent à ce qu’on leur dit, qu’ils perdent toûjours l’agrément qu’ils pourroient recevoir s’ils n’avoient point si mal commencé.


LV

On ne doit pas toûjours accorder toutes choses, ni à tous. Il est aussi loûable de refuser avec raison que de donner à propos. C’est en cecy que le non de quelques-uns plaît davantage que le ouï des autres. Le refus accompagné de douceur et de civilité satisfait davantage un bon cœur qu’une grace qu’on accorde sechement.


LVI

Il y a de l’esprit à sçavoir choisir un bon conseil, aussi-bien qu’à agir de soy-mesme. Les plus judicieux ont moins de peine à consulter les sentimens des autres, et c’est une sorte d’habileté de sçavoir se mettre sous la bonne conduite d’autruy.


LVII

Les maximes de la vie chrétienne, qui se doivent seulement puiser dans les véritez de l’Evangile, nous sont toûjours quasi enseignées selon l’esprit et l’humeur naturelle de ceux qui nous les enseignent. Les uns, par la douceur de leur naturel, les autres, par l’aspreté de leur temperament, tournent et employent selon leur sens la justice et la misericorde de Dieu.


LVIII

Dans la connoissance des choses humaines, notre esprit ne doit jamais se rendre esclave, en s’assujetissant aux fantaisies d’autruy. Il faut étendre la liberté de son jugement, et ne rien mettre dans sa teste par aucune autorité purement humaine. Quand on nous propose la diversité des opinions, il faut choisir, s’il y a lieu ; sinon, il faut demeurer dans le doute.


LIX

La contradiction doit éveiller l’attention, et non pas la colere. Il faut écouter et non fuir celuy qui contredit. Nostre cause doit toûjours estre celle de la verité, de quelque façon qu’elle nous soit montrée.


LX

On est bien plus choqué de l’ostentation que l’on fait de la dignité que de celle de la personne. C’est une marque qu’on ne merite pas les emplois quand on se fait de feste ; si l’on se fait valoir, ce ne doit estre que par l’éminence de la vertu. Les Grands sont plus en veneration par les qualitez de leur âme que par celles de leur fortune.


LXI

Il n’y a rien qui n’ait quelque perfection. C’est le bonheur du bon goust de la trouver en chaque chose ; mais la malignité naturelle fait souvent découvrir un vice entre plusieurs vertus, pour le réveler et le publier, ce qui est plûtost une marque du mauvais naturel qu’un avantage du discernement ; et c’est bien mal passer sa vie que de se nourrir toûjours des imperfections d’autruy.


LXII

Il y a une certaine maniere de s’écouter en parlant qui rend toûjours désagréable : car c’est une aussi grande folie de s’écouter soy-mesme quand on s’entretient avec les autres que de parler tout seul.


LXIII

Il y a peu d’avantage de se plaire à soy-mesme quand on ne plaist à personne : car souvent le trop grand amour que l’on a pour soy est châtié par le mépris d’autruy.


LXIV

Il se cache toûjours assez d’amour propre sous la plus grande dévotion pour mettre des bornes à la charité.


LXV

Il y a des gens tellement aveuglez, et qui se flattent tellement en toutes choses, qu’ils croyent toûjours comme ils désirent, et pensent aussi faire croire aux autres tout ce qu’ils veulent : quelque méchante raison qu’ils employent pour persuader, ils en sont si préoccupez qu’il leur semble qu’ils n’ont qu’à le dire d’un ton fort haut et affirmatif pour en convaincre tout le monde.


LXVI

L’ignorance donne de la foiblesse et de la crainte ; les connoissances donnent de la hardiesse et de la confiance. Rien n’étonne une ame qui connoist toutes choses avec distinction.


LXVII

C’est un défaut bien commun de n’estre jamais content de sa fortune, ni mécontent de son esprit.


LXVIII

Il y a de la bassesse à tirer avantage de sa qualité et de sa grandeur pour se moquer de ceux qui nous sont soûmis.


LXIX

Quand un opiniâtre a commencé à contester quelque chose, son esprit se ferme à tout ce qui le peut éclaircir : la contestation l’irrite, quelque juste qu’elle soit, et il semble qu’il ait peur de trouver la verité.


LXX

La honte qu’on a de se voir loûër sans fondement donne souvent sujet de faire des choses qu’on n’auroit jamais faites sans cela.


LXXI

Il vaut presque mieux que les Grands recherchent la gloire, et mesme la vanité, dans les bonnes actions, que s’ils n’en étoient point du tout touchez : car, encore que ce ne soit pas les faire par les principes de la vertu, l’on en tire au moins cet avantage, que la vanité leur fait faire ce qu’ils ne feroient point sans elle.


LXXII

Ceux qui sont assez sots pour s’estimer seulement par leur noblesse méprisent en quelque façon ce qui les a rendus nobles, puisque ce n’est que la vertu de leurs ancestres qui a fait la noblesse de leur sang.


LXXIII

L’amour propre fait que nous nous trompons presque en toutes choses, que nous entendons blasmer et que nous blasmons les mesmes défauts dont nous ne nous corrigeons point, ou parce que nous ne connoissons pas le mal qui est en nous, ou parce que nous l’envisageons toûjours sous l’apparence de quelque bien.


LXXIV

La vertu n’est pas toûjours où l’on voit des actions qui paroissent vertueuses : on ne reconnoist quelquefois un bienfait que pour établir sa réputation, et pour estre plus hardiment ingrat aux bienfaits qu’on ne veut pas reconnoître.


LXXV

Quand les Grands esperent de faire croire qu’ils ont quelque bonne qualité qu’ils n’ont pas, il est dangereux de montrer qu’on en doute : car en leur ostant l’esperance de pouvoir tromper les yeux du monde, on leur oste aussi le desir de faire de bonnes actions qui sont conformes à ce qu’ils affectent.


LXXVI

La meilleure nature, étant sans instruction, est toujoûrs incertaine et aveugle. Il faut chercher soigneusement à s’instruire pour n’estre ni trop timide, ni trop hardi, par ignorance.


LXXVII

La société, et mesme l’amitié de la plupart des hommes, n’est qu’un commerce qui ne dure qu’autant que le besoin.


LXXVIII

Quoique la pluspart des amitiez qui se trouvent dans le monde ne meritent point le nom d’amitié, on peut pourtant en user selon les besoins, comme d’un commerce qui n’a pas de fonds certain et sur lequel on est ordinairement trompé.


LXXIX

L’Amour, par tout où il est, est toûjours le maistre. Il forme l’ame, le cœur et l’esprit, selon ce qu’il est. Il n’est ni petit ni grand selon le cœur et l’esprit qu’il occupe, mais selon ce qu’il est en luy-mesme ; et il semble veritablement que l’Amour est à l’ame de celuy qui aime ce que l’ame est au corps de celuy qu’elle anime.


LXXX

L’amour a un caractere si particulier, qu’on ne peut le cacher où il est, ni le feindre où il n’est pas.


LXXXI

Tous les grands divertissemens sont dangereux pour la vie chrétienne ; mais entre tous ceux que le monde a inventez il n’y en a point qui soit plus à craindre que la Comedie. C’est une peinture si naturelle et si délicate des passions qu’elle les anime et les fait naître dans nôtre cœur, et surtout celle de l’Amour, principalement lors qu’on se représente qu’il est chaste et fort honneste : car, plus il paroît innocent aux ames innocentes, et plus elles sont capables d’en estre touchées. On se fait en mesme temps une conscience fondée sur l’honnesteté de ces sentimens, et on s’imagine que ce n’est pas blesser la pureté que d’aimer d’un amour si sage. Ainsi on sort de la Comedie le cœur si rempli de toutes les douceurs de l’amour, et l’esprit si persuadé de son innocence, qu’on est tout préparé à recevoir ses premières impressions, ou plûtot à chercher l’occasion de les faire naître dans le cœur de quelqu’un, pour recevoir les mesmes plaisirs et les mesmes sacrifices que l’on a veûs si bien representez sur le theatre.



TABLE DES MAXIMES



Le chiffre marque le nombre de chaque Maxime.


A
Agrément. 
 5, 65
Amitié. 
 43, 44, 77, 78
Amour. 
 79, 80
Amour propre. 
 13, 28, 29, 46, 63, 64, 73
B
Bienfait. 
 12, 74
Bon goust. 
 61
Bon sens. 
 2
C
Comedie. 
 81
Connoissance de soy-mesme. 
 19
Conseil. 
 56
Contradiction. 
 59, 69
Conversation. 
 31, 50, 62
Cour. 
 2
Crainte. 
 66
D
Défauts. 
 16, 17, 34, 42, 47, 51
Deguisement. 
 20
Dévotion. 
 64
E
Empire. 
 26, 27
Emplois. 
 60
Envie. 
 52
Esprit. 
 67
Petits esprits. 
 7, 15
Estime. 
 52
Evangile. 
 57
F
Foiblesse. 
 6
Fortune. 
 30, 60, 67
G
Grands. 
 22, 60, 68, 71, 75
H
Habileté. 
 56
Hardiesse. 
 66
I
Ignorance. 
 38, 66
Imitation. 
 52
Ingratitude. 
 12, 74
Interieur. 
 35, 37
J
Jugement. 
 1, 58
L
Loûange. 
 70
M
Maniere. 
 48
Mépris. 
 25
Merite. 
 2
Mode. 
 2, 45
N
Nature. 
 76
Noblesse. 
 72
Nouveauté. 
 18
O
Offices. 
 23
Opiniâtreté. 
 7, 41, 69
P
Parler peu. 
 3, 31, 36
Parler seul. 
 62
Perfection. 
 61
Préocupation. 
 65
Q
Qualité. 
 68
R
Refus. 
 53, 54, 55
Religion. 
 1, 57
Richesses. 
 14
S
Sagesse. 
 8
Science. 
 21, 66
Sincerité. 
 9
Société. 
 77
Sotise. 
 6, 33, 49
Succés. 
 24
Suffisance. 
 39, 40
T
Temperament. 
 57
Tromperie. 
 4, 10, 11
V
Vanité. 
 71
Verité. 
 50, 59, 69
Vertu. 
 30, 32, 74



APPENDICE



DE L’AMITIÉ


(MANUSCRITS DE CONRART, TOME XI, PAGE 175)





L’amitié est une espece de vertu qui ne peut estre fondée que sur l’estime des personnes que l’on ayme, c’est à dire sur les qualitez de l’ame, comme sur la fidelité, la generosité et la discretion, et sur les bonnes qualitez de l’esprit.


*


Il faut aussi que l’amitié soit reciproque, parce que dans l’amitié l’on ne peut aymer, comme dans l’amour, sans estre aymé.


*


Les amitiez qui ne sont point establies sur la vertu, et qui ne regardent que l’interest ou le plaisir, ne meritent point le nom d’amitié : ce n’est pas que les bienfaits et les plaisirs que l’on reçoit reciproquement des amis ne soient des suittes et des effets de l’amitié, mais ils n’en doivent jamais estre la cause.


*


L’on ne doit pas aussi donner le nom d’amitié aux inclinations naturelles, parce qu’elles ne dépendent point de notre volonté ni de notre choix, et, quoy qu’elles rendent nos amitiez plus agreables, elles n’en doivent pas estre le fondement.


*


L’union qui n’est fondée que sur les mesmes plaisirs et les mesmes ocupations ne merite pas le nom d’amitié, parce qu’elle ne vient ordinairement que d’un certain amour propre, qui fait que nous aymons tout ce qui nous est semblable, encore que nous soyons tres imparfaits : ce qui ne peut arriver dans la vraye amitié, qui ne cherche que la raison et la vertu dans ses amis. C’est dans cette sorte d’amitié où l’on trouve les bien faits reciproques, les offices receus et rendus, et une continuelle communication et participation du bien et du mal qui arrivent entre les personnes qui s’ayment, et qui dure jusqu’à la mort, sans pouvoir estre changée par aucun des accidens qui arrivent dans la vie, si ce n’est que l’on découvre, dans la personne que l’on ayme, moins de vertu ou moins d’amitié, parce que, l’amitié estant fondée sur ces choses là, le fondement manquant, l’on peut manquer d’amitié.


*


Ceux qui sont assés sots pour se priser seulement par la noblesse de leur sang mesprisent ce qui les a rendus nobles, puisque ce n’est que la vertu de leurs ancestres qui a fait la noblesse de leur sang.


*


Celuy qui ayme plus son amy que la raison et la justice aymera plus en quelque autre occasion son profit ou son plaisir que son amy.


*

L’homme de bien ne desire jamais qu’on le deffende injustement, car il ne veut point qu’on fasse pour luy ce qu’il ne voudroit pas faire luy-mesme.



VARIANTES

DE LA MAXIME LXXXI




VARIANTES

DE LA MAXIME LXXXI

(MANUSCRITS DE CONRART) [7]



Tous les grands divertissemens sont dangereux pour la vie chrestiene ; mais, entre tous ceux que le monde a inventés, il n’y en a point qui soit plus à craindre que la Comedie. C’est une representation si naturelle et si delicate des passions qu’elle les emeut et les fait naître dans notre cœur, et sur tout celle de l’amour, principalement lorsqu’on le représente fort chaste et fort honnete : car, plus il paroist innocent aux ames innocentes, et plus elles sont capables d’en estre touchées ; sa violence plaist à notre amour-propre, qui forme aussi tost un desir de causer les mêmes effects que l’on void si bien représentés[8], et l’on se fait au mesme temps une conscience fondée sur l’honnesteté des sentimens qu’on y void, qui oste la crainte des ames pures, qui s’imaginent que ce n’est pas blesser la pureté d’aymer d’un amour qui leur semble si sage.

Ainsi l’on s’en va de la Comedie le cœur sy remply de toutes les beautés et de toutes les douceurs de l’amour, et l’ame et l’esprit si persuadés de son innocence, qu’on est tout préparé à recevoir les premieres impressions, ou plutost à chercher l’occasion de les faire naître dans le cœur de quelqu’un, pour recevoir les mesmes plaisirs et les mesmes sacrifices que l’on a veus

si bien depeins dans la Comedie.

TABLE DES MATIÈRES


Pages
  1. Voir notre édition in-8o  des Maximes de La Rochefoucauld (1868), maxime 83, page 31.
  2. Maximes 77 et 78, pages 44-45 de cette édition.
  3. Voir l’Appendice, pages 57 et 58.
  4. C’était alors le beau temps des Maximes et Pensées. L’abbé d’Ailly en avait fait, comme tant d’autres, et il fut bien aise de les montrer aux gens à la faveur de celles de Mme  de Sablé. Il s’excuse modestement de se produire ainsi au grand jour, disant que ses pensées « sont d’un des amis particuliers de la Marquise », et que « c’est elle en quelque façon qui les a fait naître ».
    Nous pourrons publier ces maximes de d’Ailly, ainsi que celles d’Esprit, de Domat et d’autres petits-moralistes peu connus de la même époque, qui sont comme les satellites de Pascal et de La Rochefoucauld.
  5. Voir, entre autres, dans notre publication spécimen : Huit Lettres de Madame de Lafayette à Madame de Sablé, la lettre III.
  6. Port-Royal de Paris, où Mme  de Sablé, éprouvée par des chagrins de famille et des revers de fortune, alla fixer son séjour, et où se forma autour d’elle la société de beaux esprits dont elle devint le guide et l’arbitre.
  7. Plutôt que de nous borner à relever les variantes, nous avons mieux aimé reproduire en entier cette autre version de la maxime LXXXI, en indiquant les différences de texte par des caractères italiques.
    Cette maxime, très-goûtée dans la société de Madame de Sablé, passa de bouche en bouche, et fut souvent répétée et commentée. L’impression n’en ayant pas arrêté la forme définitive, on comprend qu’il en ait existé des rédactions différentes. Il a pu en être ainsi de plusieurs autres maximes de la Marquise.
    Nous avons conservé l’orthographe du manuscrit, ce qui explique les différences orthographiques que l’on pourra remarquer dans les passages conformes à la version de l’imprimé.
  8. Ces quatre lignes ne sont pas une variante de rédaction, mais se trouvent en plus dans la version du manuscrit.