Maximes et Pensées (Chamfort)/Édition Auguis/8

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Maximes et Pensées
Texte établi par P. R. Auguis, Chaumerot jeune (Œuvres complètes, tome Ip. 434-449).


CHAPITRE VIII.

De l’Esclavage et de la Liberté de la France, avant et depuis la Révolution


On s’est beaucoup moqué de ceux qui parlaient, avec enthousiasme, de l’état sauvage en opposition à l’état social. Cependant, je voudrais savoir ce qu’on peut répondre à ces trois objections : Il est sans exemple que, chez les sauvages, on ait vu 1° un fou, 2° un suicide, 3° un sauvage qui ait voulu embrasser la vie sociale ; tandis qu’un grand nombre d’Européens, tant au Cap que dans les deux Amériques, après avoir vécu chez les sauvages, se trouvant ramenés chez leurs compatriotes, sont retournés dans les bois. Qu’on réplique à cela sans verbiage, sans sophisme.

— Le malheur de l’humanité, considérée dans l’état social, c’est que, quoiqu’en morale et en politique, on puisse donner comme définition que le mal est ce qui nuit, on ne peut pas dire que le bien est ce qui sert ; car ce qui sert un moment, peut nuire long-temps ou toujours.

— Lorsque l’on considère que le produit du travail et des lumières de trente ou quarante siècles a été de livrer trois cents millions d’hommes répandus sur le globe à une trentaine de despotes, la plupart ignorans et imbéciles, dont chacun est gouverné par trois ou quatre scélérats, quelquefois stupides, que penser de l’humanité, et qu’attendre d’elle à l’avenir ?

— Presque toute l’histoire n’est qu’une suite d’horreurs. Si les tyrans la détestent tandis qu’ils vivent, il semble que leurs successeurs souffrent qu’on transmette à la postérité les crimes de leurs devanciers, pour faire diversion à l’horreur qu’ils inspirent eux-mêmes. En effet, il ne reste guère, pour consoler les peuples, que de leur apprendre que leurs ancêtres ont été aussi malheureux, ou plus malheureux.

— Le caractère naturel du Français est composé des qualités du singe et du chien couchant. Drôle et gambadant comme le singe, et dans le fond, très-malfaisant comme lui, il est, comme le chien de chasse, né bas, caressant, léchant son maître qui le frappe, se laissant mettre à la chaîne, puis bondissant de joie quand on le délivre pour aller à la chasse.

— Autrefois, le trésor royal s’appelait l’Épargne. On a rougi de ce nom, qui semblait une contre-vérité, depuis qu’on a prodigué les trésors de l’état : et on l’a tout simplement appelé le trésor royal.

— Le titre le plus respectable de la noblesse française, c’est de descendre immédiatement de quelques-uns de ces trente mille hommes casqués, cuirassés, brassardés, cuissardés, qui, sur de grands chevaux bardés de fer, foulaient aux pieds huit ou neuf millions d’hommes nus, qui sont les ancêtres de la nation actuelle. Voilà un droit bien avéré à l’amour et au respect de leurs descendans ! Et, pour achever de rendre cette noblesse respectable, elle se recrute et se régénère par l’adoption de ces hommes, qui ont accru leur fortune en dépouillant la cabane du pauvre, hors d’état de payer les impositions. Misérables institutions humaines qui, faites pour inspirer le mépris et l’horreur, exigent qu’on les respecte et qu’on les révère !

— La nécessité d’être gentilhomme pour être capitaine de vaisseau, est tout aussi raisonnable que celle d’être secrétaire du roi pour être matelot ou mousse.

— Cette impossibilité d’arriver aux grandes places, à moins que d’être gentilhomme, est une des absurdités les plus funestes dans presque tous les pays. Il me semble voir des ânes défendre les carrousels et les tournois aux chevaux.

— La nature, pour faire un homme vertueux ou un homme de génie, ne va pas consulter Cherin.

— Qu’importe qu’il y ait sur le trône un Tibère ou un Titus, s’il a des Séjan pour ministres ?

— Si un historien, tel que Tacite, eût écrit l’histoire de nos meilleurs rois, en faisant un relevé exact de tous les actes tyranniques, de tous les abus d’autorité, dont la plupart sont ensevelis dans l’obscurité la plus profonde, il y a peu de règnes qui ne nous inspirassent la même horreur que celui de Tibère.

— On peut dire qu’il n’y eut plus de gouvernement civil à Rome après la mort de Tiberius Gracchus ; et Scipion Nasica, en partant du sénat pour employer la violence contre le tribun, apprit aux Romains que la force seule donnerait des lois dans le forum. Ce fut lui qui avait révélé, avant Sylla, ce mystère funeste.

— Ce qui fait l’intérêt secret qui attache si fort à la lecture de Tacite, c’est le contraste continuel et toujours nouveau de l’ancienne liberté républicaine avec les vils esclaves que peint l’auteur ; c’est la comparaison des anciens Scaurus, Scipion, etc., avec les lâchetés de leurs descendans ; en un mot, ce qui contribue à l’effet de Tacite, c’est Tite-Live.

— Les rois et les prêtres, en proscrivant la doctrine du suicide, ont voulu assurer la durée de notre esclavage. Ils veulent nous tenir enfermés dans un cachot sans issue : semblables à ce scélérat, dans le Dante, qui fait murer la porte de la prison où était renfermé le malheureux Ugolin.

— On a fait des livres sur les intérêts des princes ; on parle d’étudier les intérêts des princes : quelqu’un a-t-il jamais parlé d’étudier les intérêts des peuples ?

— Il n’y a d’histoire digne d’attention, que celle des peuples libres : l’histoire des peuples soumis au despotisme n’est qu’un recueil d’anecdotes.

— La vraie Turquie d’Europe, c’était la France. On trouve dans vingt écrivains anglais : Les pays despotiques, tels que la France et la Turquie.

— Les ministres ne sont que des gens d’affaires, et ne sont si importans que parce que la terre du gentilhomme, leur maître, est très-considérable.

— Un ministre, en faisant faire à ses maîtres des fautes et des sottises nuisibles au public, ne fait souvent que s’affermir dans sa place : on dirait qu’il se lie davantage avec eux par les liens de cette espèce de complicité.

— Pourquoi arrive-t-il qu’en France un ministre reste placé, après cent mauvaises opérations ? et pourquoi est-il chassé pour la seule bonne qu’il ait faite ?

— Croirait-on que le despotisme a des partisans, sous le rapport de la nécessité d’encouragement pour les beaux-arts ? On ne saurait croire combien l’éclat du siècle de Louis xiv a multiplié le nombre de ceux qui pensent ainsi. Selon eux, le dernier terme de toute société humaine est d’avoir de belles tragédies, de belles comédies, etc. Ce sont des gens qui pardonnent à tout le mal qu’ont fait les prêtres, en considérant que, sans les prêtres, nous n’aurions pas la comédie du Tartuffe.

— En France, le mérite et la réputation ne donnent pas plus de droit aux places, que le chapeau de rosière ne donne à une villageoise le droit d’être présentée à la cour.

— La France, pays où il est souvent utile de montrer ses vices, et toujours dangereux de montrer ses vertus.

— Paris, singulier pays, où il faut trente sous pour dîner, quatre francs pour prendre l’air, cent louis pour le superflu dans le nécessaire, et quatre cents louis pour n’avoir que le nécessaire dans le superflu.

— Paris, ville d’amusemens, de plaisirs, etc., où les quatre-cinquièmes des habitans meurent de chagrin.

— On pourrait appliquer à la ville de Paris les propres termes de Sainte-Thérèse, pour définir l’enfer : « L’endroit où il pue et où l’on n’aime point. »

— C’est une chose remarquable que la multitude des étiquettes dans une nation aussi vive et aussi gaie que la nôtre. On peut s’étonner aussi de l’esprit pédantesque et de la gravité des corps et des compagnies ; il semble que le législateur ait cherché à mettre un contre-poids qui arrêtât la légèreté du Français.

— C’est une chose avérée qu’au moment où M. de Guibert fut nommé gouverneur des Invalides, il se trouva aux Invalides six cents prétendus soldats qui n’étaient point blessés, et qui, presque tous, n’avaient jamais assisté à aucun siège, à aucune bataille ; mais qui, en récompense, avaient été cochers ou laquais de grands seigneurs ou de gens en place. Quel texte et quelle matière à réflexions !

— En France, on laisse en repos ceux qui mettent le feu, et on persécute ceux qui sonnent le tocsin.

— Presque toutes les femmes, soit de Versailles, soit de Paris, quand ces dernières sont d’un état un peu considérable, ne sont autre chose que des bourgeoises de qualité, des madame Naquart, présentées ou non présentées.

— En France, il n’y a plus de public ni de nation, par la raison que de la charpie n’est pas du linge.

— Le public est gouverné comme il raisonne. Son droit est de dire des sottises, comme celui des ministres est d’en faire.

— Quand il se fait quelque sottise publique, je songe à un petit nombre d’étrangers qui peuvent se trouver à Paris ; et je suis prêt à m’affliger, car j’aime toujours ma patrie.

— Les Anglais sont le seul peuple qui ait trouvé le moyen de limiter la puissance d’un homme dont la figure est sur un petit écu.

— Comment se fait-il que, sous le despotisme le plus affreux on puisse se résoudre à se reproduire ? C’est que la nature a ses lois plus douces mais plus impérieuses que celles des tyrans ; c’est que l’enfant sourit à sa mère sous Domitien comme sous Titus.

— Un philosophe disait : « Je ne sais pas comment un Français qui a été une fois dans l’antichambre du roi, ou dans l’œil-de-bœuf, peut dire de qui que ce puisse être : « C’est un grand seigneur. »

— Les flatteurs des princes ont dit que la chasse était une image de la guerre ; et en effet, les paysans dont elle vient de ravager les champs, doivent trouver qu’elle la représente assez bien.

— Il est malheureux pour les hommes, heureux peut-être pour les tyrans, que les pauvres, les malheureux, n’aient pas l’instinct ou la fierté de l’éléphant, qui ne se reproduit point dans la servitude.

— Dans la lutte éternelle que la société amène entre le pauvre et le riche, le noble et le plébéien, l’homme accrédité et l’homme inconnu, il y a deux observations à faire. La première est que leurs actions, leurs discours sont évalués à des mesures différentes, à des poids différens, l’une d’une livre, l’autre de dix ou de cent, disproportion convenue, et dont on part comme d’une chose arrêtée : et cela même est horrible. Cette acception de personnes, autorisée par la loi et par l’usage, est un des vices énormes de la société, qui suffirait seul pour expliquer tous ses vices. L’autre observation est qu’en partant même de cette inégalité, il se fait ensuite une autre malversation ; c’est qu’on diminue la livre du pauvre, du plébéien, qu’on la réduit à un quart ; tandis qu’on porte à cent livres les dix livres du riche ou du noble, à mille ses cent livres, etc. C’est l’effet naturel et nécessaire de leur position respective : le pauvre et le plébéien ayant pour envieux tous leurs égaux ; et le riche, le noble, ayant pour appuis et pour complices le petit nombre des siens qui le secondent pour partager ses avantages et en obtenir de pareils.

— Qu’est-ce que c’est qu’un cardinal ? C’est un prêtre habillé de rouge, qui a cent mille écus du roi, pour se moquer de lui au nom du pape.

— C’est une vérité incontestable qu’il y a en France sept millions d’hommes qui demandent l’aumône, et douze millions hors d’état de la leur faire.

— La noblesse, disent les nobles, est un intermédiaire entre le roi et le peuple… Oui, comme le chien de chasse est un intermédiaire entre le chasseur et les lièvres.

— La plupart des institutions sociales paraissent avoir pour objet de maintenir l’homme dans une médiocrité d’idées et de sentimens, qui le rendent plus propre à gouverner ou à être gouverné.

— Un citoyen de Virginie, possesseur de cinquante acres de terres fertiles, paie quarante-deux sous de notre monnaie pour jouir en paix, sous des lois justes et douces, de la protection du gouvernement, de la sûreté de sa personne et de sa propriété, de la liberté civile et religieuse, du droit de voter aux élections, d’être membre du congrès, et par conséquent législateur, etc. Tel paysan français, de l’Auvergne ou du Limousin, est écrasé de tailles, de vingtièmes, de corvées de toute espèce, pour être insulté par le caprice d’un subdélégué, emprisonné arbitrairement, etc., et transmettre à une famille dépouillée cet héritage d’infortune et d’avilissement.

— L’Amérique septentrionale est l’endroit de l’univers où les droits de l’homme sont le mieux connus. Les Américains sont les dignes descendans de ces fameux républicains qui se sont expatriés pour fuir la tyrannie. C’est là que se sont formés des hommes dignes de combattre et de vaincre les Anglais mêmes, à l’époque où ceux-ci avaient recouvré leur liberté, et étaient parvenus à se former le plus beau gouvernement qui fut jamais. La révolution de l’Amérique sera utile à l’Angleterre même, en la forçant à faire un examen nouveau de sa constitution, et à en bannir les abus. Qu’arrivera-t-il ? Les Anglais, chassés du continent de l’Amérique septentrionale, se jetteront sur les îles et sur les possessions françaises et espagnoles, leur donneront leur gouvernement, qui est fondé sur l’amour naturel que les hommes ont pour la liberté, et qui augmente cet amour même. Il se formera, dans ces îles espagnoles et françaises, et surtout dans le continent de l’Amérique espagnole, alors devenue anglaise, il se formera de nouvelles constitutions dont la liberté sera le principe et la base. Ainsi les Anglais auront la gloire unique d’avoir formé presque les seuls des peuples libres de l’univers, les seuls, à proprement parler, dignes du nom d’hommes, puisqu’ils seront les seuls qui aient su connaître et conserver les droits des hommes. Mais combien d’années ne faut-il pas pour opérer cette révolution ? Il faut avoir purgé de Français et d’Espagnols ces terres immenses où il ne pourrait se former que des esclaves, y avoir transplanté des Anglais pour y porter les premiers germes de la liberté. Ces germes se développeront, et, produisant des fruits nouveaux, opéreront la révolution qui chassera les Anglais eux-mêmes des deux Amériques et de toutes les îles.

— L’Anglais respecte la loi, et repousse ou méprise l’autorité. Le Français, au contraire, respecte l’autorité et méprise la loi. Il faut lui enseigner à faire le contraire ; et peut-être la chose est-elle impossible, vu l’ignorance dans laquelle on tient la nation, ignorance qu’il ne faut pas contester, en jugeant d’après les lumières répandues dans les capitales.

— Moi, tout ; le reste, rien : voilà, le despotisme, l’aristocratie et leurs partisans. Moi, c’est un autre ; un autre, c’est moi ; voilà le régime populaire et ses partisans. Après cela, décidez.

— Tout ce qui sort de la classe du peuple, s’arme contre lui pour l’opprimer, depuis le milicien, le négociant devenu secrétaire du roi, le prédicateur sorti d’un village pour prêcher la soumission au pouvoir arbitraire, l’historiographe fils d’un bourgeois, etc. Ce sont les soldats de Cadmus : les premiers armés se tournent contre leurs frères, et se précipitent sur eux.

— On gouverne les hommes avec la tête : on ne joue pas aux échecs avec un bon cœur.

— Semblable aux animaux qui ne peuvent respirer l’air à une certaine hauteur sans périr, l’esclave meurt dans l’atmosphère de la liberté.

— Il faut recommencer la société humaine, comme Bacon disait qu’il faut recommencer l’entendement humain.

— Diminuez les maux du peuple, vous diminuez sa férocité ; comme vous guérissez ses maladies avec du bouillon.

— J’observe que les hommes les plus extraordinaires et qui ont fait des révolutions, lesquelles semblent être le produit de leur seul génie, ont été secondés par les circonstances les plus favorables, et par l’esprit de leur temps. On sait toutes les tentatives faites avant le grand voyage de Vasco de Gama aux Indes occidentales. On n’ignore pas que plusieurs navigateurs étaient persuadés qu’il y avait de grandes îles, et sans doute un continent à l’ouest, avant que Colomb l’eût découvert ; et il avait lui-même entre les mains les papiers d’un célèbre pilote avec qui il avait été en liaison. Philippe avait tout préparé pour la guerre de Perse, avant sa mort. Plusieurs sectes d’hérétiques, déchaînées contre les abus de la communion romaine, précédèrent Luther et Calvin, et même Vicleff.

— On croit communément que Pierre-le-Grand se réveilla un jour avec l’idée de tout créer en Russie ; M. de Voltaire avoue lui-même que son père Alexis forma le dessein d’y transporter les arts. Il y a, dans tout, une maturité qu’il faut attendre. Heureux l’homme qui arrive dans le moment de cette maturité !

— Les pauvres sont les nègres de l’Europe.

— L’Assemblée nationale de 1789 a donné au peuple français une constitution plus forte que lui. Il faut qu’elle se hâte d’élever la nation à cette hauteur, par une bonne éducation publique. Les législateurs doivent faire comme ces médecins habiles qui, traitant un malade épuisé, font passer les restaurans à l’aide des stomachiques.

— En voyant le grand nombre des députés à l’Assemblée nationale de 1789, et tous les préjugés dont la plupart étaient remplis, on eût dit qu’ils ne les avaient détruits que pour les prendre, comme ces gens qui abattent un édifice pour s’approprier les décombres.

— Une des raisons pour lesquelles les corps et les assemblées ne peuvent guère faire autre chose que des sottises, c’est que, dans une délibération publique, la meilleure chose qu’il y ait à dire pour ou contre l’affaire ou la personne dont il s’agit, ne peut presque jamais se dire tout haut, sans de grands dangers ou d’extrêmes inconvéniens.

— Dans l’instant où Dieu créa le monde, le mouvement du chaos dut faire trouver le chaos plus désordonné que lorsqu’il reposait dans un désordre paisible. C’est ainsi que, chez nous, l’embarras d’une société qui se réorganise, doit paraître l’excès du désordre.

— Les courtisans et ceux qui vivaient des abus monstrueux qui écrasaient la France, sont sans cesse à dire qu’on pouvait réformer les abus, sans détruire comme on a détruit. Ils auraient bien voulu qu’on nettoyât l’étable d’Augias avec un plumeau.

— Dans l’ancien régime, un philosophe écrivait des vérités hardies. Un de ces hommes que la naissance ou des circonstances favorables appelaient aux places, lisait ces vérités, les affaiblissait, les modifiait, en prenait un vingtième, passait pour un homme inquiétant, mais pour homme d’esprit. Il tempérait son zèle et parvenait à tout ; le philosophe était mis à la Bastille. Dans le régime nouveau, c’est le philosophe qui parvient à tout : ses idées lui servent, non plus à se faire enfermer, non plus à déboucher l’esprit d’un sot, à le placer, mais à parvenir lui-même aux places. Jugez comme la foule de ceux qu’il écarte peuvent s’accoutumer à ce nouvel ordre de choses !

— N’est-il pas trop plaisant de voir le marquis de Bièvre (petit-fils du chirurgien Maréchal), se croire obligé de fuir en Angleterre, ainsi que M. de Luxembourg et les grands aristocrates, fugitifs après la catastrophe du 14 juillet 1789 ?

— Les théologiens, toujours fidèles au projet d’aveugler les hommes ; les suppôts des gouvernemens, toujours fidèles à celui de les opprimer, supposent gratuitement que la grande majorité des hommes est condamnée à la stupidité qu’entraînent les travaux purement mécaniques ou manuels ; ils supposent que les artisans ne peuvent s’élever aux connaissances nécessaires pour faire valoir les droits d’hommes et de citoyens. Ne dirait-on pas que ces connaissances sont bien compliquées ? Supposons qu’on eût employé, pour éclairer les dernières classes, le quart du temps et des soins qu’on a mis à les abrutir ; supposons qu’au lieu de mettre dans leurs mains un catéchisme de métaphysique absurde et inintelligible, on en eût fait un qui eût contenu les premiers principes des droits des hommes et de leurs devoirs fondés sur leurs droits, on serait étonné du terme où ils seraient parvenus en suivant cette route, tracée dans un bon ouvrage élémentaire. Supposez qu’au lieu de leur prêcher cette doctrine de patience, de souffrance, d’abnégation de soi-même et d’avilissement, si commode aux usurpateurs, on leur eût prêché celle de connaître leurs droits et le devoir de les défendre, on eût vu que la nature, qui a formé les hommes pour la société, leur a donné tout le bon sens nécessaire pour former une société raisonnable.