Maximes et Réflexions morales/Texte entier

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MAXIMES
ET
RÉFLEXIONS MORALES
DU DUC
DE LA ROCHEFOUCAULD.
Séparateur
PARIS,
MÉNARD ET DESENNE, FILS.

1817.



NOTICE

SUR LE CARACTÈRE ET LES ÉCRITS
DU DUC DE LA ROCHEFOUCAULD.


François, duc de la Rochefoucauld, auteur des Réflexions morales, naquit en 1613.

Son éducation fut négligée ; mais la nature suppléa à l’instruction.

Il avait, dit madame de Maintenon, une physionomie heureuse, l’air grand, beaucoup d’esprit, et peu de savoir.

Le moment où il entra dans le monde était un temps de crise pour les mœurs nationales : la puissance des grands, abaissée et contenue par l’administration despotique et vigoureuse du cardinal de Richelieu, cherchait encore à lutter contre l’autorité ; mais à l’esprit de faction on avait substitué l’esprit d’intrigue.

L’intrigue n’était pas alors ce qu’elle est aujourd’hui : elle tenait à des mœurs plus fortes, et s’exerçait sur des objets plus importans. On l’employait à se rendre nécessaire ou redoutable ; aujourd’hui elle se borne à flatter et à plaire. Elle donnait de l’activité à l’esprit, au courage, aux talens, aux vertus même ; elle n’exige aujourd’hui que de la souplesse et de la patience. Son but avait quelque chose de noble et d’imposant, c’était la domination et la puissance ; aujourd’hui, petite dans ses vues comme dans ses moyens, la vanité et la fortune en sont le mobile et le terme. Elle tendait à unir les hommes ; aujourd’hui elle les isole. Plus dangereuse alors, elle embarrassait l’administration et arrêtait les progrès d’un bon gouvernement ; aujourd’hui, favorable à l’autorité, elle ne fait que rapetisser les âmes et avilir les mœurs. Alors, comme aujourd’hui, les femmes en étaient les principaux instrumens ; mais l’amour, ou ce qu’on honorait de ce nom, avait une sorte d’éclat qui en impose encore, et s’ennoblissait un peu en se mêlant aux grands intérêts de l’ambition ; au lieu que la galanterie de nos jours, dégradée elle-même par les petits intérêts auxquels elle s’associe, dégrade et l’ambition et les ambitieux.

L’esprit de faction se ranima à la mort de Richelieu. La minorité de Louis XIV parut aux grands un moment favorable pour reprendre quelque influence sur les affaires publiques. M. de la Rochefoucauld fut entraîné par le mouvement général ; et des intérêts de galanterie concoururent à l’engager dans la guerre de la Fronde : guerre ridicule, parce qu’elle se faisait sans objet, sans plan, et sans chef, et qu’elle n’avait pour mobile que l’inquiétude de quelques hommes plus intrigans qu’ambitieux, fatigués seulement de l’inaction et de l’obéissance.

Il était alors l’amant de la duchesse de Longueville. On sait qu’ayant été blessé au combat de Saint-Antoine d’un coup de mousquet qui lui fit perdre quelque temps la vue, il s’appliqua ces deux vers connus de la tragédie d’Alcyonée de Duryer :


Pour mériter son cœur, pour plaire à ses beaux yeux,
J’ai fait la guerre aux rois ; je l’aurais faite aux dieux.


Lorsqu’il se brouilla ensuite avec madame de Longueville, il parodia ainsi ces vers :


Pour ce cœur inconstant, qu’enfin je connais mieux,
J’ai fait la guerre aux rois ; j’en ai perdu les yeux.


On voit par la vie du duc de la Rochefoucauld qu’il s’engageait aisément dans une intrigue, mais que bientôt il montrait pour en sortir autant d’impatience qu’il en avait mis à y entrer. C’est ce que lui reproche le cardinal de Retz, et ce qu’il attribue à une irrésolution naturelle qu’il ne sait comment expliquer.

Il est aisé, ce me semble, de trouver dans le caractère de M. de la Rochefoucauld une cause plus vraisemblable de cette conduite. Avec sa douceur naturelle, sa facilité de mœurs, son goût pour la galanterie, il lui était difficile de ne pas entrer dans quelque parti au milieu d’une cour où tout était parti, et où l’on ne pouvait rester neutre sans être au moins accusé de faiblesse. Mais, avec cette raison supérieure, cette probité sévère, cet esprit juste, conciliant, et observateur, que ses contemporains ont reconnus en lui, comment eût-il pu s’accommoder long-temps de ces intrigues où le bien public n’était tout au plus qu’un prétexte ; où chaque individu ne portait que ses passions et ses vues particulières, sans aucun but d’utilité générale ; où les affaires les plus graves se traitaient sans décence et sans principes ; où les plus grands intérêts étaient sans cesse sacrifiés aux plus petits motifs ; qui étaient enfin le scandale de la raison comme du gouvernement ?

L’esprit de parti tient à la nature des gouvernemens libres : il peut s’y concilier avec la vertu et le véritable patriotisme. Dans une monarchie, il ne peut être suscité que par un sentiment d’indépendance, ou par des vues d’ambition personnelle, également incompatibles avec un bon gouvernement ; il y corrompt le germe de toutes les vertus, quoiqu’il puisse y mettre en activité des qualités brillantes qui ressemblent à des vertus.

C’est ce que M. de la Rochefoucauld ne pouvait manquer de sentir. Ainsi, quoiqu’il eût été une partie de sa vie engagé dans des intrigues de parti, où sa facilité et ses liaisons semblaient l’entretenir malgré lui, on voit que son caractère le ramenait à la vie privée, où il se fixa enfin, et où il sut jouir des charmes de l’amitié et des plaisirs de l’esprit.

On connaît la tendre amitié qui l’unit jusqu’à la fin de sa vie à madame de la Fayette. Les Lettres de madame de Sévigné nous apprennent que sa maison était le rendez-vous de ce qu’il y avait de plus distingué à la cour et à la ville par le nom, l’esprit, les talens, et la politesse. C’est au milieu de cette société choisie qu’il composa ses Mémoires et ses Réflexions morales.

Ses Mémoires sont écrits avec une élégance noble et un grand air de sincérité ; mais les événemens qui en font le sujet ont beaucoup perdu de l’intérêt qu’ils avaient alors. On ne peut trop s’étonner que Bayle[1] ait donné la préférence à ces Mémoires sur les Commentaires de César ; la postérité en a jugé bien autrement. Nous nous en tiendrons à ce mot de M. de Voltaire, dans la Notice des écrivains du siècle de Louis XIV. « Les Mémoires du duc de la Rochefoucauld sont lus, et l’on sait par cœur ses Pensées ». C’est en effet le livre des Pensées qui a fait la réputation de M. de la Rochefoucauld. Nous ne le louerons qu’en citant encore M. de Voltaire : quels éloges pourraient avoir plus de grâce et d’autorité ? « Un des ouvrages, dit ce grand homme[2], qui contribuèrent le plus à former le goût de la nation, et à lui donner un esprit de justesse et de précision, fut le recueil des Maximes de François duc de la Rochefoucauld. Quoiqu’il n’y ait presque qu’une vérité dans ce livre, qui est que l’amour-propre est le mobile de tout, cependant cette pensée se présente sous tant d’aspects variés, qu’elle est presque toujours piquante : c’est moins un livre que des matériaux pour orner un livre. On lut avidement ce petit recueil : il accoutuma à penser, et à renfermer ses pensées dans un tour vif, précis, et délicat. C’était un mérite que personne n’avait eu avant lui en Europe depuis la renaissance des lettres ». Cet ouvrage parut d’abord anonyme. Il excita une grande curiosité : on le lut avec avidité, et on l’attaqua avec acharnement. On l’a réimprimé souvent, et on l’a traduit dans toutes les langues. Il a fait faire beaucoup d’autres livres ; par-tout enfin, et dans tous les temps, il a trouvé des admirateurs et des censeurs. C’est là, ce me semble, le sceau du plus grand succès pour les productions de l’esprit humain.

On a accusé M. de la Rochefoucauld de calomnier la nature humaine : le cardinal de Retz lui-même lui reproche de ne pas croire assez à la vertu. Cette imputation peut avoir quelque fondement ; mais il nous semble qu’on l’a poussée trop loin.

M. de la Rochefoucauld a peint les hommes comme il les a vus. C’est dans les temps de faction et d’intrigues politiques qu’on a plus d’occasions de connaître les hommes, et plus de motifs pour les observer : c’est dans ce jeu continuel de toutes les passions humaines que les caractères se développent, que les faiblesses échappent, que l’hypocrisie se trahit, que l’intérêt personnel se mêle à tout, gouverne et corrompt tout.

En regardant l’amour-propre comme le mobile de toutes les actions, M. de la Rochefoucauld ne prétendait pas énoncer un axiome rigoureux de métaphysique. Il n’exprimait qu’une vérité d’observation, assez générale pour être présentée sous cette forme absolue et tranchante qui convient à des pensées détachées, et qu’on emploie tous les jours dans la conversation et dans les livres, en généralisant des observations particulières.

Il n’appartenait qu’à un homme d’une réputation bien pure et bien reconnue d’oser flétrir ainsi le principe de toutes les actions humaines. Mais il donnait l’exemple de toutes les vertus dont il paraissait contester même l’existence. Il semblait réduire l’amitié à un échange de bons offices, et jamais il n’y eut d’ami plus tendre, plus fidèle, et plus désintéressé. « La bravoure personnelle, dit madame de Maintenon, lui paraissait une folie, et à peine s’en cachait-il ; il était cependant fort brave ». Il donna des preuves de la plus grande valeur au siége de Bordeaux et au combat de Saint-Antoine.

Sa vieillesse fut éprouvée par les douleurs les plus cruelles de l’âme et du corps. Il montra dans les unes la sensibilité la plus touchante, et dans les autres une fermeté extraordinaire. Son courage ne l’abandonna jamais que dans la perte des personnes qui lui étaient chères. Un de ses fils fut tué au passage du Rhin, et l’autre y fut blessé. « J’ai vu, dit madame de Sévigné, son cœur à découvert dans cette cruelle aventure ; il est au premier rang de tout ce que je connais de courage, de mérite, de tendresse, et de raison : je compte pour rien son esprit et ses agrémens ».

La goutte le tourmenta pendant les dernières années de sa vie, et le fit périr dans des douleurs intolérables. Madame de Sévigné, qu’on ne peut se lasser de relire et de citer, peint d’une manière touchante les derniers momens de cet homme célèbre. « Son état, dit-elle, est une chose digne d’admiration. Il est fort bien disposé pour sa conscience ; voilà qui est fait : mais du reste, c’est la maladie et la mort de son voisin dont il est question ; il n’en est pas effleuré… Ce n’est pas inutilement qu’il a fait des réflexions toute sa vie ; il s’est approché de telle sorte de ces derniers momens, qu’ils n’ont rien de nouveau ni d’étrange pour lui ».

Il mourut en 1680, laissant une famille désolée, et des amis inconsolables.


PORTRAIT

DU DUC
DE LA ROCHEFOUCAULD,
Fait par lui-même, imprimé en 1658.


Je suis d’une taille médiocre, libre et bien proportionnée. J’ai le teint brun, mais assez uni ; le front élevé et d’une raisonnable grandeur ; les yeux noirs, petits et enfoncés ; et les sourcils noirs et épais, mais bien tournés. Je serais fort empêché de dire de quelle sorte j’ai le nez fait ; car il n’est ni camus, ni aquilin, ni gros, ni pointu, au moins à ce que je crois : tout ce que je sais, c’est qu’il est plutôt grand que petit, et qu’il descend un peu trop bas. J’ai la bouche grande, et les lèvres assez rouges d’ordinaire, et ni bien ni mal taillées. J’ai les dents blanches et passablement bien rangées. On m’a dit autrefois que j’avais un peu trop de menton : je viens de me regarder dans le miroir pour savoir ce qui en est ; et je ne sais pas trop bien qu’en juger. Pour le tour du visage, je l’ai ou carré, ou en ovale ; lequel des deux, il me serait fort difficile de le dire. J’ai les cheveux noirs, naturellement frisés, et avec cela assez épais et assez longs pour pouvoir prétendre en belle tête.

J’ai quelque chose de chagrin et de fier dans la mine : cela fait croire à la plupart des gens que je suis méprisant, quoique je ne le sois point du tout. J’ai l’action fort aisée, et même un peu trop, et jusqu’à faire beaucoup de gestes en parlant. Voilà naïvement comme je pense que je suis fait au-dehors, et l’on trouvera, je crois, que ce que je pense de moi là-dessus, n’est pas fort éloigné de ce qui en est. J’en userai avec la même fidélité dans ce qui me reste à faire de mon portrait ; car je me suis assez étudié pour me bien connaître, et je ne manquerai ni d’assurance pour dire librement ce que je puis avoir de bonnes qualités, ni de sincérité pour avouer franchement ce que j’ai de défauts.

Premièrement, pour parler de mon humeur, je suis mélancolique, et je le suis à un point que, depuis trois ou quatre ans, à peine m’a-t-on vu rire trois ou quatre fois. J’aurais pourtant, ce me semble, une mélancolie assez supportable et assez douce, si je n’en avais point d’autre que celle qui me vient de mon tempérament ; mais il m’en vient tant d’ailleurs, et ce qui m’en vient me remplit de telle sorte l’imagination, et m’occupe si fort l’esprit, que la plupart du temps, ou je rêve sans dire mot, ou je n’ai presque point d’attache à ce que je dis. Je suis fort resserré avec ceux que je ne connais pas, et je ne suis pas extrêmement ouvert avec la plupart de ceux que je connais. C’est un défaut, je le sais bien, et je ne négligerai rien pour m’en corriger ; mais comme un certain air sombre que j’ai dans le visage, contribue à me faire paraître encore plus réservé que je ne le suis, et qu’il n’est pas en notre pouvoir de nous défaire d’un méchant air qui nous vient de la disposition naturelle des traits, je pense qu’après m’être corrigé au-dedans, il ne laissera pas de me demeurer toujours de mauvaises marques au-dehors.

J’ai de l’esprit, et je ne fais point difficulté de le dire ; car à quoi bon façonner là-dessus ? Tant biaiser et tant apporter d’adoucissement pour dire les avantages que l’on a, c’est, ce me semble, cacher un peu de vanité sous une modestie apparente, et se servir d’une manière bien adroite pour faire croire de soi beaucoup plus de bien que l’on n’en dit. Pour moi, je suis content qu’on ne me croie ni plus beau que je me fais, ni de meilleure humeur que je me dépeins, ni plus spirituel et plus raisonnable que je le suis. J’ai donc de l’esprit, encore une fois, mais un esprit que la mélancolie gâte ; car, encore que je possède assez bien ma langue, que j’aie la mémoire heureuse, et que je ne pense pas les choses fort confusément, j’ai pourtant une si forte application à mon chagrin, que souvent j’exprime assez mal ce que je veux dire.

La conversation des honnêtes gens est un des plaisirs qui me touchent le plus. J’aime qu’elle soit sérieuse, et que la morale en fasse la plus grande partie. Cependant je sais la goûter aussi lorsqu’elle est enjouée ; et si je ne dis pas beaucoup de petites choses pour rire, ce n’est pas du moins que je ne connaisse pas ce que valent les bagatelles bien dites, et que je ne trouve fort divertissante cette manière de badiner, où il y a certains esprits prompts et aisés qui réussissent si bien. J’écris bien en prose, je fais bien en vers ; et si j’étais sensible à la gloire qui vient de ce côté-là, je pense qu’avec peu de travail je pourrais m’acquérir assez de réputation.

J’aime la lecture, en général ; celle où il se trouve quelque chose qui peut façonner l’esprit et fortifier l’âme, est celle que j’aime le plus. Sur-tout j’ai une extrême satisfaction à lire avec une personne d’esprit ; car, de cette sorte, on réfléchit à tout moment sur ce qu’on lit ; et des réflexions que l’on fait, il se forme une conversation la plus agréable du monde et la plus utile.

Je juge assez bien des ouvrages de vers et de prose que l’on me montre ; mais j’en dis peut-être mon sentiment avec un peu trop de liberté. Ce qu’il y a encore de mal en moi, c’est que j’ai quelquefois une délicatesse trop scrupuleuse, et une critique trop sévère. Je ne hais pas entendre disputer, et souvent aussi je me mêle assez volontiers dans la dispute : mais je soutiens d’ordinaire mon opinion avec trop de chaleur ; et lorsqu’on défend un parti injuste contre moi, quelquefois, à force de me passionner pour la raison, je deviens moi-même fort peu raisonnable.

J’ai les sentimens vertueux, les inclinations belles, et une si forte envie d’être tout-à-fait honnête homme, que mes amis ne me sauraient faire un plus grand plaisir que de m’avertir sincèrement de mes défauts. Ceux qui me connaissent un peu particulièrement, et qui ont eu la bonté de me donner quelquefois des avis là-dessus, savent que je les ai toujours reçus avec toute la joie imaginable et toute la soumission d’esprit que l’on saurait désirer.

J’ai toutes les passions assez douces et assez réglées : on ne m’a presque jamais vu en colère, et je n’ai jamais eu de haine pour personne. Je ne suis pas pourtant incapable de me venger, si l’on m’avait offensé, et qu’il y allât de mon honneur à me ressentir de l’injure qu’on m’aurait faite. Au contraire, je suis assuré que le devoir ferait si bien en moi l’office de la haine, que je poursuivrais ma vengeance avec encore plus de vigueur qu’un autre.

L’ambition ne me travaille point. Je ne crains guère de choses, et ne crains aucunement la mort. Je suis peu sensible à la pitié, et je voudrais ne l’y être point du tout. Cependant il n’est rien que je ne fisse pour le soulagement d’une personne affligée ; et je crois effectivement que l’on doit tout faire jusqu’à lui témoigner même beaucoup de compassion de son mal ; car les misérables sont si sots, que cela leur fait le plus grand bien du monde : mais je tiens aussi qu’il faut se contenter d’en témoigner, et se garder soigneusement d’en avoir. C’est une passion qui n’est bonne à rien au-dedans d’une âme bien faite, qui ne sert qu’à affaiblir le cœur, et qu’on doit laisser au peuple, qui, n’exécutant jamais rien par raison, a besoin de passions pour le porter à faire les choses.

J’aime mes amis ; et je les aime d’une façon que je ne balancerais pas un moment à sacrifier mes intérêts aux leurs. J’ai de la condescendance pour eux ; je souffre patiemment leurs mauvaises humeurs : seulement je ne leur fais beaucoup de caresses, et je n’ai pas non plus de grandes inquiétudes en leur absence.

J’ai naturellement fort peu de curiosité pour la plus grande partie de tout ce qui en donne aux autres gens. Je suis fort secret, et j’ai moins de difficulté que personne à taire ce qu’on m’a dit en confidence. Je suis extrêmement régulier à ma parole ; je n’y manque Jamais, de quelque conséquence que puisse être ce que j’ai promis ; et je m’en suis fait toute ma vie une loi indispensable. J’ai une civilité fort exacte parmi les femmes ; et je ne crois pas avoir jamais rien dit devant elles qui leur ait pu faire de la peine. Quand elles ont l’esprit bien fait, j’aime mieux leur conversation que celle des hommes ; on y trouve une certaine douceur qui ne se rencontre point parmi nous ; et il me semble, outre cela, qu’elles s’expliquent avec plus de netteté, et qu’elles donnent un tour plus agréable aux choses qu’elles disent. Pour galant, je l’ai été un peu autrefois ; présentement je ne le suis plus, quelque jeune que je sois. J’ai renoncé aux fleurettes ; et je m’étonne seulement de ce qu’il y a encore tant d’honnêtes gens qui s’occupent à en débiter.

J’approuve extrêmement les belles passions ; elles marquent la grandeur de l’âme : et quoique dans les inquiétudes qu’elles donnent, il y ait quelque chose de contraire à la sévère sagesse, elles s’accommodent si bien d’ailleurs avec la plus austère vertu, que je crois qu’on ne les saurait condamner avec justice. Moi qui connais tout ce qu’il y a de délicat et de fort dans les grands sentimens de l’amour, si jamais je viens à aimer, ce sera assurément de cette sorte ; mais de la façon dont je suis, je ne crois pas que cette connaissance que j’ai, me passe jamais de l’esprit au cœur.


PORTRAIT

DU DUC
DE LA ROCHEFOUCAULD,
Par le cardinal de Retz.


Il y a toujours eu du je ne sais quoi en M. de la Rochefoucauld. Il a voulu se mêler d’intrigues dès son enfance, et en un temps où il ne sentait pas les petits intérêts, qui n’ont jamais été son faible, et où il ne connaissait pas les grands, qui d’un autre sens n’ont pas été son fort. Il n’a jamais été capable d’aucunes affaires, et je ne sais pourquoi ; car il avait des qualités qui eussent suppléé en tout autre celles qu’il n’avait pas. Sa vue n’était pas assez étendue, et il ne voyait pas même tout ensemble ce qui était à sa portée ; mais son bon sens, très-bon dans la spéculation, joint à sa douceur, à son insinuation, et à sa facilité de mœurs qui est admirable, devait récompenser plus qu’il n’a fait, le défaut de sa pénétration. Il a toujours eu une irrésolution habituelle : mais je ne sais même à quoi attribuer cette irrésolution. Elle n’a pu venir en lui de la fécondité de son imagination, qui n’est rien moins que vive. Je ne la puis donner à la stérilité de son jugement ; car quoiqu’il ne l’ait pas exquis dans l’action, il a un bon fonds de raison. Nous voyons les effets de cette irrésolution, quoique nous n’en connaissions pas la cause. Il n’a jamais été guerrier, quoiqu’il fût très-soldat. Il n’a jamais été par lui-même bon courtisan, quoiqu’il ait eu toujours bonne intention de l’être. Il n’a jamais été bon homme de parti, quoique toute sa vie il y ait été engagé. Cet air de honte et de timidité que vous lui voyez dans la vie civile, s’était tourné dans les affaires en air d’apologie. Il croyait toujours en avoir besoin ; ce qui, joint à ses maximes qui ne marquent pas assez de foi à la vertu, et à sa pratique, qui a toujours été à sortir des affaires avec autant d’impatience qu’il y était entré, me fait conclure qu’il eût beaucoup mieux fait de se connaître et de se réduire à passer, comme il eût pu, pour le courtisan le plus poli et le plus honnête homme, à l’égard de la vie commune, qui eût paru dans son siècle.


RÉFLEXIONS
MORALES.




I.

Ce que nous prenons pour des vertus n’est souvent qu’un assemblage de diverses actions et de divers intérêts que la fortune ou notre industrie savent arranger ; et ce n’est pas toujours par valeur et par chasteté que les hommes sont vaillans et que les femmes sont chastes.

II.

L’amour-propre est le plus grand de tous les flatteurs.

III.

Quelques découvertes que l’on ait faites dans le pays de l’amour-propre, il y reste encore bien des terres inconnues.

IV.

L’amour-propre est plus habile que le plus habile homme du monde.

V.

La durée de nos passions ne dépend pas plus de nous que la durée de notre vie.

VI.

La passion fait souvent un fou du plus habile homme, et rend souvent habiles les plus sots.

VII.

Ces grandes et éclatantes actions qui éblouissent les yeux sont représentées par les politiques comme les effets des grands desseins, au lieu que ce sont d’ordinaire les effets de l’humeur et des passions. Ainsi la guerre d’Auguste et d’Antoine, qu’on rapporte à l’ambition qu’ils avaient de se rendre maîtres du monde, n’était peut-être qu’un effet de jalousie.

VIII.

Les passions sont les seuls orateurs qui persuadent toujours : elles sont comme un art de la nature, dont les règles sont infaillibles ; et l’homme le plus simple qui a de la passion persuade mieux que le plus éloquent qui n’en a point.

IX.

Les passions ont une injustice et un propre intérêt, qui fait qu’il est dangereux de les suivre, et qu’on s’en doit défier lors même qu’elles paraissent les plus raisonnables.

X.

Il y a dans le cœur humain une génération perpétuelle de passions, en sorte que la ruine de l’une est presque toujours l’établissement d’une autre.

XI.

Les passions en engendrent souvent qui leur sont contraires : l’avarice produit quelquefois la prodigalité, et la prodigalité l’avarice ; on est souvent ferme par faiblesse, et audacieux par timidité.

XII.

Quelque soin que l’on prenne de couvrir ses passions par des apparences de piété et d’honneur, elles paraissent toujours au travers de ces voiles.

XIII.

Notre amour-propre souffre plus impatiemment la condamnation de nos goûts que de nos opinions.

XIV.

Les hommes ne sont pas seulement sujets à perdre le souvenir des bienfaits et des injures ; ils haïssent même ceux qui les ont obligés, et cessent de haïr ceux qui leur ont fait des outrages. L’application à récompenser le bien et à se venger du mal leur paraît une servitude à laquelle ils ont peine à se soumettre.

XV.

La clémence des princes n’est souvent qu’une politique pour gagner l’affection des peuples.

XVI.

Cette clémence, dont on fait une vertu, se pratique, tantôt par vanité, quelquefois par paresse, souvent par crainte, et presque toujours par tous les trois ensemble.

XVII.

La modération des personnes heureuses vient du calme que la bonne fortune donne à leur humeur.

XVIII.

La modération est une crainte de tomber dans l’envie et dans le mépris que méritent ceux qui s’enivrent de leur bonheur ; c’est une vaine ostentation de la force de notre esprit ; enfin la modération des hommes dans leur plus haute élévation est un désir de paraître plus grands que leur fortune.

XIX.

Nous avons tous assez de force pour supporter les maux d’autrui.

XX.

La constance des sages n’est que l’art de renfermer leur agitation dans leur cœur.

XXI.

Ceux qu’on condamne au supplice affectent quelquefois une constance et un mépris de la mort, qui n’est en effet que la crainte de l’envisager ; de sorte qu’on peut dire que cette constance et ce mépris sont à leur esprit ce que le bandeau est à leurs yeux.

XXII.

La philosophie triomphe aisément des maux passés et des maux à venir ; mais les maux présens triomphent d’elle.

XXIII.

Peu de gens connaissent la mort ; on ne la souffre pas ordinairement par résolution, mais par stupidité et par coutume ; et la plupart des hommes meurent, parce qu’on ne peut s’empêcher de mourir.

XXIV.

Lorsque les grands hommes se laissent abattre par la longueur de leurs infortunes, ils font voir qu’ils ne les soutenaient que par la force de leur ambition, et non par celle de leur âme ; et qu’à une grande vanité près, les héros sont faits comme les autres hommes.

XXV.

Il faut de plus grandes vertus pour soutenir la bonne fortune que la mauvaise.

XXVI.

Le soleil ni la mort ne se peuvent regarder fixement.

XXVII.

On fait souvent vanité des passions, même les plus criminelles ; mais l’envie est une passion timide et honteuse que l’on n’ose jamais avouer.

XXVIII.

La jalousie est en quelque manière juste et raisonnable, puisqu’elle ne tend qu’à conserver un bien qui nous appartient, ou que nous croyons nous appartenir ; au lieu que l’envie est une fureur qui ne peut souffrir le bien des autres.

XXIX.

Le mal que nous faisons ne nous attire pas tant de persécutions et de haine que nos bonnes qualités.

XXX.

Nous avons plus de force que de volonté ; et c’est souvent pour nous excuser à nous-mêmes, que nous nous imaginons que les choses sont impossibles.

XXXI.

Si nous n’avions point de défauts, nous ne prendrions pas tant de plaisir à en remarquer dans les autres.

XXXII.

La jalousie se nourrit dans les doutes ; elle devient fureur, ou elle finit, sitôt qu’on passe du doute à la certitude.

XXXIII.

L’orgueil se dédommage toujours, et ne perd rien, lors même qu’il renonce à la vanité.

XXXIV.

Si nous n’avions point d’orgueil, nous ne nous plaindrions pas de celui des autres.

XXXV.

L’orgueil est égal dans tous les hommes, et il n’y a de différence qu’aux moyens et à la manière de le mettre au jour.

XXXVI.

Il semble que la nature, qui a si sagement disposé les organes de notre corps pour nous rendre heureux, nous ait aussi donné l’orgueil pour nous épargner la douleur de connaître nos imperfections.

XXXVII.

L’orgueil a plus de part que la bonté aux remontrances que nous faisons à ceux qui commettent des fautes ; et nous ne les reprenons pas tant pour les en corriger, que pour leur persuader que nous en sommes exempts.

XXXVIII.

Nous promettons selon nos espérances, et nous tenons selon nos craintes.

XXXIX.

L’intérêt parle toutes sortes de langues et joue toutes sortes de personnages, même celui de désintéressé.

XL.

L’intérêt, qui aveugle les uns, fait la lumière des autres.

XLI.

Ceux qui s’appliquent trop aux petites choses deviennent ordinairement incapables des grandes.

XLII.

Nous n’avons pas assez de force pour suivre toute notre raison.

XLIII.

L’homme croit souvent se conduire lorsqu’il est conduit ; et pendant que par son esprit il tend à un but, son cœur l’entraîne insensiblement à un autre.

XLIV.

La force et la faiblesse de l’esprit sont mal nommées ; elles ne sont en effet que la bonne ou la mauvaise disposition des organes du corps.

XLV.

Le caprice de notre humeur est encore plus bizarre que celui de la fortune.

XLVI.

L’attachement ou l’indifférence que les philosophes avaient pour la vie n’était qu’un goût de leur amour-propre, dont on ne doit non plus disputer que du goût de la langue ou du choix des couleurs.

XLVII.

Notre humeur met le prix à tout ce qui nous vient de la fortune.

XLVIII.

La félicité est dans le goût et non pas dans les choses ; et c’est par avoir ce qu’on aime qu’on est heureux, non par avoir ce que les autres trouvent aimable.

XLIX.

On n’est jamais si heureux ni si malheureux qu’on se l’imagine.

L.

Ceux qui croient avoir du mérite se font un honneur d’être malheureux, pour persuader aux autres et à eux-mêmes qu’ils sont dignes d’être en butte à la fortune.

LI.

Rien ne doit tant diminuer la satisfaction que nous avons de nous-mêmes, que de voir que nous désapprouvons dans un temps ce que nous approuvions dans un autre.

LII.

Quelque différence qui paraisse entre les fortunes, il y a une certaine compensation de biens et de maux qui les rend égales.

LIII.

Quelques grands avantages que la nature donne, ce n’est pas elle seule, mais la fortune avec elle, qui fait les héros.

LIV.

Le mépris des richesses était dans les philosophes un désir caché de venger leur mérite de l’injustice de la fortune par le mépris des mêmes biens dont elle les privait ; c’était un secret pour se garantir de l’avilissement de la pauvreté ; c’était un chemin détourné pour aller à la considération, qu’ils ne pouvaient avoir par les richesses.

LV.

La haine pour les favoris n’est autre chose que l’amour de la faveur. Le dépit de ne la pas posséder se console et s’adoucit par le mépris que l’on témoigne de ceux qui la possèdent ; et nous leur refusons nos hommages, ne pouvant pas leur ôter ce qui leur attire ceux de tout le monde.

LVI.

Pour s’établir dans le monde, on fait tout ce qu’on peut pour y paraître établi.

LVII.

Quoique les hommes se flattent de leurs grandes actions, elles ne sont pas souvent les effets d’un grand dessein, mais les effets du hasard.

LVIII.

Il semble que nos actions aient des étoiles heureuses ou malheureuses, à qui elles doivent une grande partie de la louange et du blâme qu’on leur donne.

LIX.

Il n’y a point d’accidens si malheureux dont les habiles gens ne tirent quelque avantage, ni de si heureux que les imprudens ne puissent tourner à leur préjudice.

LX.

La fortune tourne tout à l’avantage de ceux qu’elle favorise.

LXI.

Le bonheur et le malheur des hommes ne dépend pas moins de leur humeur que de la fortune.

LXII.

La sincérité est une ouverture de cœur. On la trouve en fort peu de gens ; et celle que l’on voit d’ordinaire n’est qu’une fine dissimulation pour attirer la confiance des autres.

LXIII.

L’aversion du mensonge est souvent une imperceptible ambition de rendre nos témoignages considérables, et d’attirer à nos paroles un respect de religion.

LXIV.

La vérité ne fait pas autant de bien dans le monde que ses apparences y font de mal.

LXV.

Il n’y a point d’éloges qu’on ne donne à la prudence : cependant, quelque grande qu’elle soit, elle ne saurait nous assurer du moindre événement, parce qu’elle s’exerce sur l’homme, qui est le sujet du monde le plus changeant.

LXVI.

Un habile homme doit régler le rang de ses intérêts, et les conduire chacun dans son ordre. Notre avidité le trouble souvent, en nous faisant courir à tant de choses à-la-fois, que, pour désirer trop les moins importantes, on manque les plus considérables.

LXVII.

La bonne grâce est au corps ce que le bon sens est à l’esprit.

LXVIII.

Il est difficile de définir l’amour : ce qu’on en peut dire est que, dans l’âme, c’est une passion de régner ; dans les esprits, c’est une sympathie ; et dans le corps, ce n’est qu’une envie cachée et délicate de posséder ce que l’on aime, après beaucoup de mystères.

LXIX.

S’il y a un amour pur et exempt du mélange de nos autres passions, c’est celui qui est caché au fond du cœur, et que nous ignorons nous-mêmes.

LXX.

Il n’y a point de déguisement qui puisse long-temps cacher l’amour où il est, ni le feindre où il n’est pas.

LXXI.

Comme on n’est jamais en liberté d’aimer, ou de cesser d’aimer, l’amant ne peut pas se plaindre avec justice de l’inconstance de sa maîtresse, ni elle de la légèreté de son amant.

LXXII.

Si on juge de l’amour par la plupart de ses effets, il ressemble plus à la haine qu’à l’amitié.

LXXIII.

On peut trouver des femmes qui n’ont jamais eu de galanterie ; mais il est rare d’en trouver qui n’en aient jamais eu qu’une.

LXXIV.

Il n’y a que d’une sorte d’amour, mais il y en a mille différentes copies.

LXXV.

L’amour, aussi bien que le feu, ne peut subsister sans un mouvement continuel, et il cesse de vivre dès qu’il cesse d’espérer ou de craindre.

LXXVI.

Il en est du véritable amour comme de l’apparition des esprits : tout le monde en parle, mais peu de gens en ont vu.

LXXVII.

L’amour prête son nom à un nombre infini de commerces qu’on lui attribue, et où il n’a non plus de part que le doge à ce qui se fait à Venise.

LXXVIII.

L’amour de la justice n’est, en la plupart des hommes, que la crainte de souffrir l’injustice.

LXXIX.

Le silence est le parti le plus sûr pour celui qui se défie de soi-même.

LXXX.

Ce qui nous rend si changeans dans nos amitiés, c’est qu’il est difficile de connaître les qualités de l’âme, et facile de connaître celles de l’esprit.

LXXXI.

Ce que les hommes ont nommé amitié n’est qu’une société, un ménagement réciproque d’intérêts, un échange de bons offices ; ce n’est enfin qu’un commerce où l’amour-propre se propose toujours quelque chose à gagner.

LXXXII.

La réconciliation avec nos ennemis n’est qu’un désir de rendre notre condition meilleure, une lassitude de la guerre, et une crainte de quelque mauvais événement.

LXXXIII.

Quand nous sommes las d’aimer, nous sommes bien aises qu’on nous devienne infidèle pour nous dégager de notre fidélité.

LXXXIV.

Il est plus honteux de se défier de ses amis que d’en être trompé.

LXXXV.

Nous nous persuadons souvent d’aimer les gens plus puissans que nous, et néanmoins c’est l’intérêt seul qui produit notre amitié ; nous ne nous donnons pas à eux pour le bien que nous leur voulons faire, mais pour celui que nous en voulons recevoir.

LXXXVI.

Notre défiance justifie la tromperie d’autrui.

LXXXVII.

Comment prétendons-nous qu’un autre garde notre secret si nous ne pouvons le garder nous-mêmes ?

LXXXVIII.

L’amour-propre nous augmente ou nous diminue les bonnes qualités de nos amis à proportion de la satisfaction que nous avons d’eux : et nous jugeons de leur mérite par la manière dont ils vivent avec nous.

LXXXIX.

Tout le monde se plaint de sa mémoire, et personne ne se plaint de son jugement.

XC.

Il n’y en a point qui pressent tant les autres que les paresseux ; lorsqu’ils ont satisfait à leur paresse, ils veulent paraître diligens.

XCI.

La plus grande ambition n’en a pas la moindre apparence lorsqu’elle se rencontre dans une impossibilité absolue d’arriver où elle aspire.

XCII.

Détromper un homme préoccupé de son mérite, c’est lui rendre un aussi mauvais office que celui que l’on rendit à ce fou d’Athènes qui croyait que tous les vaisseaux qui arrivaient dans le port étaient à lui.

XCIII.

Les vieillards aiment à donner de bons préceptes, pour se consoler de n’être plus en état de donner de mauvais exemples.

XCIV.

Les grands noms abaissent, au lieu d’élever, ceux qui ne les savent pas soutenir.

XCV.

La marque d’un mérite extraordinaire est de voir que ceux qui l’envient le plus sont contraints de le louer.

XCVI.

C’est une preuve de peu d’amitié, de ne s’apercevoir pas du refroidissement de celle de nos amis.

XCVII.

On s’est trompé lorsqu’on a cru que l’esprit et le jugement étaient deux choses différentes : le jugement n’est que la grandeur de la lumière de l’esprit ; cette lumière pénètre le fond des choses ; elle y remarque tout ce qu’il faut remarquer, et aperçoit celles qui semblent imperceptibles. Ainsi il faut demeurer d’accord que c’est l’étendue de la lumière de l’esprit qui produit tous les effets qu’on attribue au jugement.

XCVIII.

Chacun dit du bien de son cœur, et personne n’en ose dire de son esprit.

XCIX.

La politesse de l’esprit consiste à penser des choses honnêtes et délicates.

C.

La galanterie de l’esprit est de dire des choses flatteuses d’une manière agréable.

CI.

Il arrive souvent que des choses se présentent plus achevées à notre esprit, qu’il ne les pourrait faire avec beaucoup d’art.

CII.

L’esprit est toujours la dupe du cœur.

CIII.

Tous ceux qui connaissent leur esprit ne connaissent pas leur cœur.

CIV.

Les hommes et les affaires ont leur point de perspective. Il y en a qu’il faut voir de près pour en bien juger, et d’autres, dont on ne juge jamais si bien que quand on en est éloigné.

CV.

Celui-là n’est pas raisonnable à qui le hasard fait trouver la raison, mais celui qui la connaît, qui la discerne, et qui la goûte.

CVI.

Pour bien savoir les choses, il en faut savoir le détail ; et comme il est presque infini, nos connaissances sont toujours superficielles et imparfaites.

CVII.

C’est une espèce de coquetterie de faire remarquer qu’on n’en fait jamais.

CVIII.

L’esprit ne saurait jouer long-temps le personnage du cœur.

CIX.

La jeunesse change ses goûts par l’ardeur du sang, et la vieillesse conserve les siens par l’accoutumance.

CX.

On ne donne rien si libéralement que ses conseils.

CXI.

Plus on aime une maîtresse, et plus on est près de la haïr.

CXII.

Les défauts de l’esprit augmentent en vieillissant, comme ceux du visage.

CXIII.

Il y a de bons mariages, mais il n’y en a point de délicieux.

CXIV.

On ne se peut consoler d’être trompé par ses ennemis et trahi par ses amis, et l’on est souvent satisfait de l’être par soi-même.

CXV.

Il est aussi facile de se tromper soi-même sans s’en apercevoir, qu’il est difficile de tromper les autres sans qu’ils s’en aperçoivent.

CXVI.

Rien n’est moins sincère que la manière de demander et de donner des conseils. Celui qui en demande paraît avoir une déférence respectueuse pour les sentimens de son ami, bien qu’il ne pense qu’à lui faire approuver les siens et à le rendre garant de sa conduite ; et celui qui conseille paie la confiance qu’on lui témoigne d’un zèle ardent et désintéressé, quoiqu’il ne cherche le plus souvent, dans les conseils qu’il donne, que son propre intérêt ou sa gloire.

CXVII.

La plus subtile de toutes les finesses est de savoir bien feindre de tomber dans les piéges qu’on nous tend ; et l’on n’est jamais si aisément trompé que quand on songe à tromper les autres.

CXVIII.

L’intention de ne jamais tromper nous expose à être souvent trompés.

CXIX.

Nous sommes si accoutumés à nous déguiser aux autres, qu’à la fin nous nous déguisons à nous-mêmes.

CXX.

On fait plus souvent des trahisons par faiblesse que par un dessein formé de trahir.

CXXI.

On fait souvent du bien pour pouvoir impunément faire du mal.

CXXII.

Si nous résistons à nos passions, c’est plus par leur faiblesse que par notre force.

CXXIII.

On n’aurait guère de plaisir si l’on ne se flattait jamais.

CXXIV.

Les plus habiles affectent toute leur vie de blâmer les finesses, pour s’en servir en quelque grande occasion et pour quelque grand intérêt.

CXXV.

L’usage ordinaire de la finesse est la marque d’un petit esprit ; et il arrive presque toujours que celui qui s’en sert pour se couvrir en un endroit se découvre en un autre.

CXXVI.

Les finesses et les trahisons ne viennent que de manque d’habileté.

CXXVII.

Le vrai moyen d’être trompé, c’est de se croire plus fin que les autres.

CXXVIII.

La trop grande subtilité est une fausse délicatesse ; et la véritable délicatesse est une solide subtilité.

CXXIX.

Il suffit quelquefois d’être grossier pour n’être pas trompé par un habile homme.

CXXX.

La faiblesse est le seul défaut qu’on ne saurait corriger.

CXXXI.

Le moindre défaut des femmes qui se sont abandonnées à faire l’amour, c’est de faire l’amour.

CXXXII.

Il est plus aisé d’être sage pour les autres que de l’être pour soi-même.

CXXXIII.

Les seules bonnes copies sont celles qui nous font voir le ridicule des méchans originaux.

CXXXIV.

On n’est jamais si ridicule par les qualités que l’on a que par celles que l’on affecte d’avoir.

CXXXV.

On est quelquefois aussi différent de soi-même que des autres.

CXXXVI.

Il y a des gens qui n’auraient jamais été amoureux s’ils n’avaient jamais entendu parler de l’amour.

CXXXVII.

On parle peu quand la vanité ne fait pas parler.

CXXXVIII.

On aime mieux dire du mal de soi-même que de n’en point parler.

CXXXIX.

Une des choses qui fait que l’on trouve si peu de gens qui paraissent raisonnables et agréables dans la conversation, c’est qu’il n’y a presque personne qui ne pense plutôt à ce qu’il veut dire, qu’à répondre précisément à ce qu’on lui dit. Les plus habiles et les plus complaisans se contentent de montrer seulement une mine attentive, en même temps que l’on voit dans leurs yeux et dans leur esprit un égarement pour ce qu’on leur dit, et une précipitation pour retourner à ce qu’ils veulent dire ; au lieu de considérer que c’est un mauvais moyen de plaire aux autres, ou de les persuader, que de chercher si fort à se plaire à soi-même, et que bien écouter et bien répondre est une des plus grandes perfections qu’on puisse avoir dans la conversation.

CXL.

Un homme d’esprit serait souvent bien embarrassé sans la compagnie des sots.

CXLI.

Nous nous vantons souvent de ne nous point ennuyer ; nous sommes si glorieux que nous ne voulons pas nous trouver de mauvaise compagnie.

CXLII.

Comme c’est le caractère des grands esprits de faire entendre en peu de paroles beaucoup de choses, les petits esprits, au contraire, ont le don de beaucoup parler et de ne rien dire.

CXLIII.

C’est plutôt par l’estime de nos propres sentimens que nous exagérons les bonnes qualités des autres, que par l’estime de leur mérite ; et nous voulons nous attirer des louanges lorsqu’il semble que nous leur en donnons.

CXLIV.

On n’aime point à louer, et on ne loue jamais personne sans intérêt. La louange est une flatterie habile, cachée, et délicate, qui satisfait différemment celui qui la donne et celui qui la reçoit : l’un la prend comme une récompense de son mérite ; l’autre la donne pour faire remarquer son équité et son discernement.

CXLV.

Nous choisissons souvent des louanges empoisonnées, qui font voir par contre-coup, en ceux que nous louons, des défauts que nous n’osons découvrir d’une autre sorte.

CXLVI.

On ne loue d’ordinaire que pour être loué.

CXLVII.

Peu de gens sont assez sages pour préférer le blâme qui leur est utile à la louange qui les trahit.

CXLVIII.

Il y a des reproches qui louent, et des louanges qui médisent.

CXLIX.

Le refus de la louange est un désir d’être loué deux fois.

CL.

Le désir de mériter les louanges qu’on nous donne fortifie notre vertu ; et celles qu’on donne à l’esprit, à la valeur, et à la beauté, contribuent à les augmenter.

CLI.

Il est plus difficile de s’empêcher d’être gouverné que de gouverner les autres.

CLII.

Si nous ne nous flattions point nous-mêmes, la flatterie des autres ne nous pourrait nuire.

CLIII.

La nature fait le mérite, et la fortune le met en œuvre.

CLIV.

La fortune nous corrige de plusieurs défauts que la raison ne saurait corriger.

CLV.

Il y a des gens dégoûtans avec du mérite, et d’autres qui plaisent avec des défauts.

CLVI.

Il y a des gens dont tout le mérite consiste à dire et à faire des sottises utilement, et qui gâteraient tout s’ils changeaient de conduite.

CLVII.

La gloire des hommes se doit toujours mesurer aux moyens dont ils se sont servis pour l’acquérir.

CLVIII.

Les rois font des hommes comme des pièces de monnaies : ils les font valoir ce qu’ils veulent ; et l’on est forcé de les recevoir selon leur cours, et non pas selon leur véritable prix.

CLIX.

Ce n’est pas assez d’avoir de grandes qualités, il en faut avoir l’économie.

CLX.

Quelque éclatante que soit une action, elle ne doit pas passer pour grande lorsqu’elle n’est pas l’effet d’un grand dessein.

CLXI.

Il doit y avoir une certaine proportion entre les actions et les desseins, si on en veut tirer tous les effets qu’elles peuvent produire.

CLXII.

L’art de savoir bien mettre en œuvre de médiocres qualités dérobe l’estime, et donne souvent plus de réputation que le véritable mérite.

CLXIII.

Il y a une infinité de conduites qui paraissent ridicules, et dont les raisons cachées sont très-sages et très-solides.

CLXIV.

Il est plus facile de paraître digne des emplois qu’on n’a pas que de ceux qu’on exerce.

CLXV.

Notre mérite nous attire l’estime des honnêtes gens, et notre étoile celle du public.

CLXVI.

Le monde récompense plus souvent les apparences du mérite que le mérite même.

CLXVII.

L’avarice est plus opposée à l’économie que la libéralité.

CLXVIII.

L’espérance, toute trompeuse qu’elle est, sert au moins à nous mener à la fin de la vie par un chemin agréable.

CLXIX.

Pendant que la paresse et la timidité nous retiennent dans notre devoir, notre vertu en a souvent tout l’honneur.

CLXX.

Il est difficile de démêler si un procédé net, sincère, et honnête, est un effet de probité ou d’habileté.

CLXXI.

Les vertus se perdent dans l’intérêt, comme les fleuves se perdent dans la mer.

CLXXII.

Si on examine bien les divers effets de l’ennui, on trouvera qu’il fait manquer à plus de devoirs que l’intérêt.

CLXXIII.

Il y a diverses sortes de curiosités : l’une d’intérêt, qui nous porte à désirer d’apprendre ce qui nous peut être utile ; et l’autre d’orgueil, qui vient du désir de savoir ce que les autres ignorent.

CLXXIV.

Il vaut mieux employer notre esprit à supporter les infortunes qui nous arrivent, qu’à prévoir celles qui nous peuvent arriver.

CLXXV.

La constance en amour est une inconstance perpétuelle, qui fait que notre cœur s’attache successivement à toutes les qualités de la personne que nous aimons, donnant tantôt la préférence à l’une, tantôt à l’autre, de sorte que cette constance n’est qu’une inconstance arrêtée et renfermée dans un même sujet.

CLXXVI.

Il y a deux sortes de constance en amour : l’une vient de ce que l’on trouve sans cesse dans la personne que l’on aime de nouveaux sujets d’aimer ; et l’autre vient de ce qu’on se fait un honneur d’être constant.

CLXXVII.

Il n’y a guère de gens qui ne soient honteux de s’être aimés quand ils ne s’aiment plus.

CLXXVIII.

Nous ne pouvons rien aimer que par rapport à nous, et nous ne faisons que suivre notre goût et notre plaisir quand nous préférons nos amis à nous-mêmes ; c’est néanmoins par cette préférence seule que l’amitié peut être vraie et parfaite.

CLXXIX.

Le premier mouvement de joie que nous avons du bonheur de nos amis ne vient pas toujours de la bonté de notre naturel, ni de l’amitié que nous avons pour eux ; c’est le plus souvent un effet de l’amour-propre, qui nous flatte de l’espérance d’être heureux à notre tour, ou de retirer quelque utilité de leur bonne fortune.

CLXXX.

Les hommes ne vivraient pas long-temps en société s’ils n’étaient les dupes les uns des autres.

CLXXXI.

La persévérance n’est digne ni de blâme ni de louange, parce qu’elle n’est que la durée des goûts et des sentimens, qu’on ne s’ôte et qu’on ne se donne point.

CLXXXII.

Ce qui nous fait aimer les nouvelles connaissances n’est pas tant la lassitude que nous avons des vieilles, ou le plaisir de changer, que le dégoût de n’être pas assez admirés de ceux qui nous connaissent trop, et l’espérance de l’être davantage de ceux qui ne nous connaissent pas tant.

CLXXXIII.

Nous nous plaignons quelquefois légèrement de nos amis, pour justifier par avance notre légèreté.

CLXXXIV.

Notre repentir n’est pas tant un regret du mal que nous avons fait, qu’une crainte de celui qui nous en peut arriver.

CLXXXV.

Il y a une inconstance qui vient de la légèreté de l’esprit, ou de sa faiblesse qui lui fait recevoir toutes les opinions d’autrui ; il y en a une autre, qui est plus excusable, qui vient du dégoût des choses.

CLXXXVI.

Les vices entrent dans la composition des vertus, comme les poisons entrent dans la composition des remèdes. La prudence les assemble et les tempère, et elle s’en sert utilement contre les maux de la vie.

CLXXXVII.

Il faut demeurer d’accord, à l’honneur de la vertu, que les plus grands malheurs des hommes sont ceux où ils tombent par leurs crimes.

CLXXXVIII.

Il y a des crimes qui deviennent innocens et même glorieux par leur éclat, leur nombre, et leur excès. De là vient que les voleries publiques sont des habiletés, et que prendre des provinces injustement s’appelle faire des conquêtes.

CLXXXIX.

Nous avouons nos défauts pour réparer par notre sincérité le tort qu’ils nous font dans l’esprit des autres.

CXC.

Il y a des héros en mal comme en bien.

CXCI.

On ne méprise pas tous ceux qui ont des vices, mais on méprise tous ceux qui n’ont aucune vertu.

CXCII.

Le nom de la vertu sert à l’intérêt aussi utilement que les vices.

CXCIII.

La santé de l’âme n’est pas plus assurée que celle du corps ; et quoique l’on paraisse éloigné des passions, on n’est pas moins en danger de s’y laisser emporter que de tomber malade quand on se porte bien.

CXCIV.

Il semble que la nature ait prescrit à chaque homme dès sa naissance des bornes pour les vertus et pour les vices.

CXCV.

Il n’appartient qu’aux grands hommes d’avoir de grands défauts.

CXCVI.

On peut dire que les vices nous attendent dans le cours de la vie comme des hôtes chez qui il faut successivement loger ; et je doute que l’expérience nous les fît éviter s’il nous était permis de faire deux fois le même chemin.

CXCVII.

Quand les vices nous quittent, nous nous flattons de la créance que c’est nous qui les quittons.

CXCVIII.

Il y a des rechutes dans les maladies de l’âme, comme dans celles du corps. Ce que nous prenons pour notre guérison n’est le plus souvent qu’un relâche ou un changement de mal.

CXCIX.

Les défauts de l’âme sont comme les blessures du corps ; quelque soin qu’on prenne de les guérir, la cicatrice paraît toujours ; et elles sont à tout moment en danger de se rouvrir.

CC.

Ce qui nous empêche souvent de nous abandonner à un seul vice, est que nous en avons plusieurs.

CCI.

Nous oublions aisément nos fautes lorsqu’elles ne sont sues que de nous.

CCII.

Il y a des gens de qui l’on peut ne jamais croire du mal sans l’avoir vu ; mais il n’y en a point de qui il nous doive surprendre en le voyant.

CCIII.

Nous élevons la gloire des uns pour abaisser celle des autres ; et quelquefois on louerait moins M. le Prince et M. de Turenne, si on ne les voulait point blâmer tous deux.

CCIV.

Le désir de paraître habile empêche souvent de le devenir.

CCV.

La vertu n’irait pas si loin si la vanité ne lui tenait compagnie.

CCVI.

Celui qui croit pouvoir trouver en soi-même de quoi se passer de tout le monde se trompe fort ; mais celui qui croit qu’on ne peut se passer de lui se trompe encore davantage.

CCVII.

Les faux honnêtes gens sont ceux qui déguisent leurs défauts aux autres et à eux-mêmes. Les vrais honnêtes gens sont ceux qui les connaissent parfaitement et les confessent.

CCVIII.

Le vrai honnête homme est celui qui ne se pique de rien.

CCIX.

La sévérité des femmes est un ajustement et un fard qu’elles ajoutent à leur beauté.

CCX.

L’honnêteté des femmes est souvent l’amour de leur réputation et de leur repos.

CCXI.

C’est être véritablement honnête homme que de vouloir être toujours exposé à la vue des honnêtes gens.

CCXII.

La folie nous suit dans tous les temps de la vie. Si quelqu’un paraît sage, c’est seulement parce que ses folies sont proportionnées à son âge et à sa fortune.

CCXIII.

Il y a des gens niais qui se connaissent et qui emploient habilement leur niaiserie.

CCXIV.

Qui vit sans folie n’est pas si sage qu’il le croit.

CCXV.

En vieillissant on devient plus fou et plus sage.

CCXVI.

Il y a des gens qui ressemblent aux vaudevilles, qu’on ne chante qu’un certain temps.

CCXVII.

La plupart des gens ne jugent des hommes que par la vogue qu’ils ont, ou par leur fortune.

CCXVIII.

L’amour de la gloire, la crainte de la honte, le dessein de faire fortune, le désir de rendre notre vie commode et agréable, et l’envie d’abaisser les autres, sont souvent les causes de cette valeur si célèbre parmi les hommes.

CCXIX.

La valeur est dans les simples soldats un métier périlleux qu’ils ont pris pour gagner leur vie.

CCXX.

La parfaite valeur et la poltronnerie complète sont deux extrémités où l’on arrive rarement. L’espace qui est entre deux est vaste, et contient toutes les autres espèces de courage. Il n’y a pas moins de différence entre elles qu’entre les visages et les humeurs. Il y a des hommes qui s’exposent volontiers au commencement d’une action, et qui se relâchent et se rebutent aisément par sa durée. Il y en a qui sont contens quand ils ont satisfait à l’honneur du monde, et qui font fort peu de chose au-delà. On en voit qui ne sont pas toujours également maîtres de leur peur ; d’autres se laissent quelquefois entraîner à des terreurs générales ; d’autres vont à la charge parce qu’ils n’osent demeurer dans leurs postes. Il s’en trouve en qui l’habitude des moindres périls affermit le courage, et les prépare à s’exposer à de plus grands. Il y en a qui sont braves l’épée à la main, et qui craignent les coups de mousquet ; d’autres sont assurés aux coups de mousquet, et appréhendent de se battre à l’épée. Tous ces courages de différentes espèces conviennent, en ce que la nuit augmentant la crainte et cachant les bonnes et les mauvaises actions, elle donne la liberté de se ménager. Il y a encore un autre ménagement plus général ; car on ne voit point d’homme qui fasse tout ce qu’il serait capable de faire dans une occasion s’il était assuré d’en revenir ; de sorte qu’il est visible que la crainte de la mort diminue quelque chose de la valeur.

CCXXI.

La parfaite valeur est de faire sans témoins ce qu’on serait capable de faire devant tout le monde.

CCXXII.

L’intrépidité est une force extraordinaire de l’âme, qui l’élève au-dessus des troubles, des désordres, et des émotions que la vue des grands périls pourrait exciter en elle : c’est par cette force que les héros se maintiennent en un état paisible, et conservent l’usage libre de leur raison dans les accidens les plus surprenans et les plus terribles.

CCXXIII.

L’hypocrisie est un hommage que le vice rend à la vertu.

CCXXIV.

La plupart des hommes s’exposent assez dans la guerre pour sauver leur honneur ; mais peu se veulent toujours exposer autant qu’il est nécessaire pour faire réussir le dessein pour lequel ils s’exposent.

CCXXV.

La vanité, la honte, et sur-tout le tempérament, font souvent la valeur des hommes et la vertu des femmes.

CCXXVI.

On ne veut point perdre la vie, et on veut acquérir de la gloire ; ce qui fait que les braves ont plus d’adresse et d’esprit pour éviter la mort, que les gens de chicane n’en ont pour conserver leur bien.

CCXXVII.

Il n’y a guère de personnes qui dans le premier penchant de l’âge ne fassent connaître par où leur corps et leur esprit doivent défaillir.

CCXXVIII.

Nous plaisons plus souvent, dans le commerce de la vie, par nos défauts que par nos bonnes qualités.

CCXXIX.

Tel homme est ingrat, qui est moins coupable de son ingratitude que celui qui lui a fait du bien.

CCXXX.

Il en est de la reconnaissance comme de la bonne foi des marchands, elle entretient le commerce ; et souvent nous ne payons pas parce qu’il est juste de nous acquitter, mais pour trouver plus facilement des gens qui nous prêtent.

CCXXXI.

Tous ceux qui s’acquittent des devoirs de la reconnaissance ne peuvent pas pour cela se flatter d’être reconnaissans.

CCXXXII.

Ce qui fait le mécompte dans la reconnaissance qu’on attend des grâces que l’on a faites, c’est que l’orgueil de celui qui donne et l’orgueil de celui qui reçoit ne peuvent convenir du prix du bienfait.

CCXXXIII.

Le trop grand empressement qu’on a de s’acquitter d’une obligation est une espèce d’ingratitude.

CCXXXIV.

On donne plus aisément des bornes à sa reconnaissance qu’à ses espérances et qu’à ses désirs.

CCXXXV.

L’orgueil ne veut pas devoir, et l’amour-propre ne veut pas payer.

CCXXXVI.

Le bien que nous avons reçu de quelqu’un veut que nous respections le mal qu’il nous fait.

CCXXXVII.

Rien n’est si contagieux que l’exemple, et nous ne faisons jamais de grands biens ni de grands maux qui n’en produisent de semblables. Nous imitons les bonnes actions par émulation, et les mauvaises par la malignité de notre nature, que la honte retenait prisonnière, et que l’exemple met en liberté.

CCXXXVIII.

C’est une grande folie de vouloir être sage tout seul.

CCXXXIX.

Quelque prétexte que nous donnions à nos afflictions, ce n’est souvent que l’intérêt et la vanité qui les causent.

CCXL.

Il y a dans les afflictions diverses sortes d’hypocrisie. Dans l’une, sous prétexte de pleurer la perte d’une personne qui nous est chère, nous nous pleurons nous-mêmes ; nous pleurons la diminution de notre bien, de notre plaisir, de notre considération ; nous regrettons la bonne opinion qu’on avait de nous. Ainsi les morts ont l’honneur des larmes qui ne coulent que pour les vivans. Je dis que c’est une espèce d’hypocrisie, parce que dans ces sortes d’afflictions on se trompe soi-même. Il y a une autre hypocrisie qui n’est pas si innocente, parce qu’elle impose à tout le monde : c’est l’affliction de certaines personnes qui aspirent à la gloire d’une belle et immortelle douleur. Après que le temps, qui consume tout, a fait cesser celle qu’elles avaient en effet, elles ne laissent pas d’opiniâtrer leurs pleurs, leurs plaintes, et leurs soupirs ; elles prennent un personnage lugubre, et travaillent à persuader par toutes leurs actions que leur déplaisir ne finira qu’avec leur vie. Cette triste et fatigante vanité se trouve d’ordinaire dans les femmes ambitieuses. Comme leur sexe leur ferme tous les chemins qui mènent à la gloire, elles s’efforcent de se rendre célèbres par la montre d’une inconsolable affliction. Il y a encore une autre espèce de larmes qui n’ont que de petites sources, qui coulent et se tarissent facilement : on pleure pour avoir la réputation d’être tendre ; on pleure pour être plaint ; on pleure pour être pleuré ; enfin on pleure pour éviter la honte de ne pleurer pas.

CCXLI.

Dans l’adversité de nos meilleurs amis, nous trouvons souvent quelque chose qui ne nous déplaît pas.

CCXLII.

Nous nous consolons aisément des disgrâces de nos amis lorsqu’elles servent à signaler notre tendresse pour eux.

CCXLIII.

Il semble que l’amour-propre soit la dupe de la bonté, et qu’il s’oublie lui-même lorsque nous travaillons pour l’avantage des autres. Cependant c’est prendre le chemin le plus assuré pour arriver à ses fins ; c’est prêter à usure sous prétexte de donner ; c’est enfin s’acquérir tout le monde par un moyen subtil et délicat.

CCXLIV.

Nul ne mérite d’être loué de sa bonté s’il n’a pas la force d’être méchant ; toute autre bonté n’est le plus souvent que paresse ou impuissance de la volonté.

CCXLV.

Il n’est pas si dangereux de faire du mal à la plupart des hommes que de leur faire trop de bien.

CCXLVI.

Rien ne flatte plus notre orgueil que la confiance des grands, parce que nous la regardons comme un effet de notre mérite, sans considérer qu’elle ne vient le plus souvent que de vanité ou d’impuissance de garder le secret.

CCXLVII.

On peut dire de l’agrément séparé de la beauté, que c’est une symétrie dont on ne sait point les règles, et un rapport secret des traits ensemble, et des traits avec les couleurs et l’air de la personne.

CCXLVIII.

La coquetterie est le fond et l’humeur des femmes ; mais toutes ne la mettent pas en pratique, parce que la coquetterie de quelques-unes est retenue par la crainte ou par la raison.

CCXLIX.

On incommode souvent les autres, quand on croit ne les pouvoir jamais incommoder.

CCL.

Il s’en faut bien que nous connaissions toutes nos volontés.

CCLI.

Rien n’est impossible : il y a des voies qui conduisent à toutes choses ; et si nous avions assez de volonté, nous aurions toujours assez de moyens.

CCLII.

La souveraine habileté consiste à bien connaître le prix des choses.

CCLIII.

C’est une grande habileté que de savoir cacher son habileté.

CCLIV.

Ce qui paraît générosité n’est souvent qu’une ambition déguisée qui méprise de petits intérêts pour aller à de plus grands.

CCLV.

La fidélité qui paraît en la plupart des hommes n’est qu’une invention de l’amour-propre pour attirer la confiance : c’est un moyen de nous élever au-dessus des autres, et de nous rendre dépositaires des choses les plus importantes.

CCLVI.

La magnanimité méprise tout pour avoir tout.

CCLVII.

Il n’y a pas moins d’éloquence dans le ton de la voix, dans les yeux, et dans l’air de la personne qui parle, que dans le choix des paroles.

CCLVIII.

La véritable éloquence consiste à dire tout ce qu’il faut, et à ne dire que ce qu’il faut.

CCLIX.

Il y a des personnes à qui les défauts siéent bien, et d’autres qui sont disgraciées par leurs bonnes qualités.

CCLX.

Il est aussi ordinaire de voir changer les goûts qu’il est extraordinaire de voir changer les inclinations.

CCLXI.

L’intérêt met en œuvre toutes sortes de vertus et de vices.

CCLXII.

L’humilité n’est souvent qu’une feinte soumission dont on se sert pour soumettre les autres : c’est un artifice de l’orgueil, qui s’abaisse pour s’élever ; et, bien qu’il se transforme en mille manières, il n’est jamais mieux déguisé et plus capable de tromper que lorsqu’il se cache sous la figure de l’humilité.

CCLXIII.

Tous les sentimens ont chacun un ton de voix, des gestes, et des mines qui leur sont propres ; et ce rapport, bon ou mauvais, agréable ou désagréable, est ce qui fait que les personnes plaisent ou déplaisent.

CCLXIV.

Dans toutes les professions chacun affecte une mine et un extérieur pour paraître ce qu’il veut qu’on le croie. Ainsi on peut dire que le monde n’est composé que de mines.

CCLXV.

La gravité est un mystère du corps, inventé pour cacher les défauts de l’esprit.

CCLXVI.

La flatterie est une fausse monnaie qui n’a de cours que par notre vanité.

CCLXVII.

Le plaisir de l’amour est d’aimer ; et l’on est plus heureux par la passion que l’on a que par celle que l’on donne.

CCLXVIII.

La civilité est un désir d’en recevoir, et d’être estimé poli.

CCLXIX.

L’éducation que l’on donne d’ordinaire aux jeunes gens est un second amour-propre qu’on leur inspire.

CCLXX.

Il n’y a point de passion où l’amour de soi-même règne si puissamment que dans l’amour ; et l’on est souvent plus disposé à sacrifier le repos de ce qu’on aime qu’à perdre le sien.

CCLXXI.

Ce qu’on nomme libéralité n’est le plus souvent que la vanité de donner, que nous aimons mieux que ce que nous donnons.

CCLXXII.

La pitié est souvent un sentiment de nos propres maux dans les maux d’autrui : c’est une habile prévoyance des malheurs où nous pouvons tomber. Nous donnons du secours aux autres pour les engager à nous en donner en de semblables occasions ; et ces services que nous leurs rendons sont, à proprement parler, un bien que nous nous faisons à nous-mêmes par avance.

CCLXXIII.

La petitesse de l’esprit fait l’opiniâtreté : nous ne croyons pas aisément ce qui est au-delà de ce que nous voyons.

CCLXXIV.

C’est se tromper que de croire qu’il n’y ait que les violentes passions, comme l’ambition et l’amour, qui puissent triompher des autres. La paresse, toute languissante qu’elle est, ne laisse pas d’en être souvent la maîtresse ; elle usurpe sur tous les desseins et sur toutes les actions de la vie ; elle y détruit et y consume insensiblement les passions et les vertus.

CCLXXV.

La promptitude à croire le mal sans l’avoir assez examiné est un effet de l’orgueil et de la paresse. On veut trouver des coupables, et l’on ne veut pas se donner la peine d’examiner les crimes.

CCLXXVI.

Nous récusons des juges pour les plus petits intérêts ; et nous voulons bien que notre réputation et notre gloire dépendent du jugement des hommes, qui nous sont tous contraires, ou par leur jalousie, ou par leur préoccupation, ou par leur peu de lumières ; ce n’est que pour les faire prononcer en notre faveur que nous exposons en tant de manières notre repos et notre vie.

CCLXXVII.

Il n’y a guère d’homme assez habile pour connaître tout le mal qu’il fait.

CCLXXVIII.

L’honneur acquis est caution de celui qu’on doit acquérir.

CCLXXIX.

La jeunesse est une ivresse continuelle ; c’est la fièvre de la raison.

CCLXXX.

On aime à deviner les autres, mais on n’aime pas à être deviné.

CCLXXXI.

Il y a des gens qu’on approuve dans le monde, qui n’ont pour tout mérite que les vices qui servent au commerce de la vie.

CCLXXXII.

C’est une ennuyeuse maladie que de conserver sa santé par un trop grand régime.

CCLXXXIII.

Le bon naturel, qui se vante d’être si sensible, est souvent étouffé par le moindre intérêt.

CCLXXXIV.

L’absence diminue les médiocres passions et augmente les grandes, comme le vent éteint les bougies et allume le feu.

CCLXXXV.

Les femmes croient souvent aimer, encore qu’elles n’aiment pas : l’occupation d’une intrigue, l’émotion d’esprit que donne la galanterie, la pente naturelle au plaisir d’être aimées, et la peine de refuser, leur persuadent qu’elles ont de la passion, lorsqu’elles n’ont que de la coquetterie.

CCLXXXVI.

Ce qui fait qu’on est souvent mécontent de ceux qui négocient, c’est qu’ils abandonnent presque toujours l’intérêt de leurs amis pour l’intérêt du succès de la négociation, qui devient le leur par l’honneur d’avoir réussi à ce qu’ils avaient entrepris.

CCLXXXVII.

Quand nous exagérons la tendresse que nos amis ont pour nous, c’est souvent moins par reconnaissance que par le désir de faire juger de notre mérite.

CCLXXXVIII.

L’approbation que l’on donne à ceux qui entrent dans le monde vient souvent de l’envie secrète que l’on porte à ceux qui y sont établis.

CCLXXXIX.

L’orgueil qui nous inspire tant d’envie nous sert souvent aussi à la modérer.

CCXC.

Il y a des faussetés déguisées qui représentent si bien la vérité, que ce serait mal juger que de ne s’y pas laisser tromper.

CCXCI.

Il n’y a pas quelquefois moins d’habileté à savoir profiter d’un bon conseil qu’à se bien conseiller soi-même.

CCXCII.

Il y a des méchans qui seraient moins dangereux s’ils n’avaient aucune bonté.

CCXCIII.

La magnanimité est assez bien définie par son nom même : néanmoins on pourrait dire que c’est le bon sens de l’orgueil, et la voie la plus noble pour recevoir des louanges.

CCXCIV.

Il est impossible d’aimer une seconde fois ce qu’on a véritablement cessé d’aimer.

CCXCV.

C’est moins la fertilité de l’esprit qui nous fait trouver plusieurs expédiens sur une même affaire, que ce n’est le défaut de lumière qui nous fait arrêter à tout ce qui se présente à notre imagination, et qui nous empêche de discerner d’abord ce qui est le meilleur.

CCXCVI.

Il y a des affaires et des maladies que les remèdes aigrissent en certains temps ; et la grande habileté consiste à connaître quand il est dangereux d’en user.

CCXCVII.

La simplicité affectée est une imposture délicate.

CCXCVIII.

Il y a plus de défauts dans l’humeur que dans l’esprit.

CCXCIX.

Le mérite des hommes a sa saison aussi bien que les fruits.

CCC.

On peut dire de l’humeur des hommes comme de la plupart des bâtimens, qu’elle a diverses faces, les unes agréables et les autres désagréables.

CCCI.

La modération ne peut avoir le mérite de combattre l’ambition et de la soumettre ; elles ne se trouvent jamais ensemble. La modération est la langueur et la paresse de l’âme, comme l’ambition en est l’activité et l’ardeur.

CCCII.

Nous aimons toujours ceux qui nous admirent, et nous n’aimons pas toujours ceux que nous admirons.

CCCIII.

Il est difficile d’aimer ceux que nous n’estimons point ; mais il ne l’est pas moins d’aimer ceux que nous estimons beaucoup plus que nous.

CCCIV.

Les humeurs du corps ont un cours ordinaire et réglé qui meut et tourne imperceptiblement notre volonté : elles roulent ensemble, et exercent successivement un empire secret en nous ; de sorte qu’elles ont une part considérable à toutes nos actions, sans que nous le puissions connaître.

CCCV.

La reconnaissance dans la plupart des hommes n’est qu’une forte et secrète envie de recevoir de plus grands bienfaits.

CCCVI.

Presque tout le monde prend plaisir à s’acquitter des petites obligations ; beaucoup de gens ont de la reconnaissance pour les médiocres ; mais il n’y a presque personne qui n’ait de l’ingratitude pour les grandes.

CCCVII.

Il y a des folies qui se prennent comme les maladies contagieuses.

CCCVIII.

Assez de gens méprisent le bien, mais peu savent le donner.

CCCIX.

Ce n’est d’ordinaire que dans de petits intérêts que nous prenons le hasard de ne pas croire aux apparences.

CCCX.

Quelque bien qu’on nous dise de nous, on ne nous apprend rien de nouveau.

CCCXI.

Nous pardonnons souvent à ceux qui nous ennuient ; mais nous ne pouvons pardonner à ceux que nous ennuyons.

CCCXII.

L’intérêt, que l’on accuse de tous nos crimes, mérite souvent d’être loué de nos bonnes actions.

CCCXIII.

On ne trouve guère d’ingrats tant qu’on est en état de faire du bien.

CCCXIV.

Il est aussi honnête d’être glorieux avec soi-même qu’il est ridicule de l’être avec les autres.

CCCXV.

On a fait une vertu de la modération, pour borner l’ambition des grands hommes, et pour consoler les gens médiocres de leur peu de fortune et de leur peu de mérite.

CCCXVI.

Il y a des gens destinés à être sots, qui ne font pas seulement des sottises par leur choix, mais que la fortune même contraint d’en faire.

CCCXVII.

Il arrive quelquefois des accidens dans la vie, d’où il faut être un peu fou pour se bien tirer.

CCCXVIII.

S’il y a des hommes dont le ridicule n’ait jamais paru, c’est qu’on ne l’a pas bien cherché.

CCCXIX.

Ce qui fait que les amans et les maîtresses ne s’ennuient point d’être ensemble, c’est qu’ils parlent toujours d’eux-mêmes.

CCCXX.

Pourquoi faut-il que nous ayons assez de mémoire pour retenir jusqu’aux moindres particularités de ce qui nous est arrivé, et que nous n’en ayons pas assez pour nous souvenir combien de fois nous les avons contées à la même personne ?

CCCXXI.

L’extrême plaisir que nous prenons à parler de nous-mêmes nous doit faire craindre de n’en donner guère à ceux qui nous écoutent.

CCCXXII.

Ce qui nous empêche d’ordinaire de faire voir le fond de notre cœur à nos amis n’est pas tant la défiance que nous avons d’eux que celle que avons de nous-mêmes.

CCCXXIII.

Les personnes faibles ne peuvent être sincères.

CCCXXIV.

Ce n’est pas un grand malheur d’obliger des ingrats ; mais c’en est un insupportable d’être obligé à un malhonnête homme.

CCCXXV.

On trouve des moyens pour guérir de la folie, mais on n’en trouve point pour redresser un esprit de travers.

CCCXXVI.

On ne saurait conserver long-temps les sentimens qu’on doit avoir pour ses amis et pour ses bienfaiteurs si on se laisse la liberté de parler souvent de leurs défauts.

CCCXXVII.

Louer les princes des vertus qu’ils n’ont pas, c’est leur dire impunément des injures.

CCCXXVIII.

Nous sommes plus près d’aimer ceux qui nous haïssent que ceux qui nous aiment plus que nous ne voulons.

CCCXXIX.

Il n’y a que ceux qui sont méprisables qui craignent d’être méprisés.

CCCXXX.

Notre sagesse n’est pas moins à la merci de la fortune que nos biens.

CCCXXXI.

Il y a dans la jalousie plus d’amour-propre que d’amour.

CCCXXXII.

Nous nous consolons souvent par faiblesse des maux dont la raison n’a pas la force de nous consoler.

CCCXXXIII.

Le ridicule déshonore plus que le déshonneur.

CCCXXXIV.

Nous n’avouons de petits défauts que pour persuader que nous n’en avons pas de grands.

CCCXXXV.

L’envie est plus irréconciliable que la haine.

CCCXXXVI.

On croit quelquefois haïr la flatterie, mais on ne hait que la manière de flatter.

CCCXXXVII.

On pardonne tant que l’on aime.

CCCXXXVIII.

Il est plus difficile d’être fidèle à sa maîtresse quand on est heureux que quand on en est maltraité.

CCCXXXIX.

Les femmes ne connaissent pas toute leur coquetterie.

CCCXL.

Les femmes n’ont point de sévérité complète sans aversion.

CCCXLI.

Les femmes peuvent moins surmonter leur coquetterie que leurs passions.

CCCXLII.

Dans l’amour, la tromperie va presque toujours plus loin que la méfiance.

CCCXLIII.

Il y a une certaine sorte d’amour dont l’excès empêche la jalousie.

CCCXLIV.

Il en est de certaines bonnes qualités comme des sens ; ceux qui en sont entièrement privés ne peuvent ni les apercevoir ni les comprendre.

CCCXLV.

Lorsque notre haine est trop vive, elle nous met au-dessous de ceux que nous haïssons.

CCCXLVI.

Nous ne ressentons nos biens et nos maux qu’à proportion de notre amour-propre.

CCCXLVII.

L’esprit de la plupart des femmes sert plus à fortifier leur folie que leur raison.

CCCXLVIII.

Les passions de la jeunesse ne sont guère plus opposées au salut que la tiédeur des vieilles gens.

CCCXLIX.

L’accent du pays où l’on est né demeure dans l’esprit et dans le cœur comme dans le langage.

CCCL.

Pour être un grand homme il faut savoir profiter de toute sa fortune.

CCCLI.

La plupart des hommes ont, comme les plantes, des propriétés cachées que le hasard fait découvrir.

CCCLII.

Les occasions nous font connaître aux autres, et encore plus à nous-mêmes.

CCCLIII.

Il ne peut y avoir de règle dans l’esprit ni dans le cœur des femmes si le tempérament n’en est d’accord.

CCCLIV.

Nous ne trouvons guère de gens de bon sens que ceux qui sont de notre avis.

CCCLV.

Quand on aime, on doute souvent de ce qu’on croit le plus.

CCCLVI.

Le plus grand miracle de l’amour, c’est de guérir de la coquetterie.

CCCLVII.

Ce qui nous donne tant d’aigreur contre ceux qui nous font des finesses, c’est qu’ils croient être plus habiles que nous.

CCCLVIII.

On a bien de la peine à rompre, quand on ne s’aime plus.

CCCLIX.

On s’ennuie presque toujours avec les gens avec qui il n’est pas permis de s’ennuyer.

CCCLX.

Un honnête homme peut être amoureux comme un fou, mais non pas comme un sot.

CCCLXI.

Il y a de certains défauts qui bien mis en œuvre brillent plus que la vertu même.

CCCLXII.

On perd quelquefois des personnes qu’on regrette plus qu’on n’en est affligé, et d’autres dont on est affligé et qu’on ne regrette guère.

CCCLXIII.

Nous ne louons d’ordinaire de bon cœur que ceux qui nous admirent.

CCCLXIV.

Les petits esprits sont trop blessés des petites choses ; les grands esprits les voient toutes et n’en sont point blessés.

CCCLXV.

L’humilité est la véritable preuve des vertus chrétiennes : sans elle nous conservons tous nos défauts, et ils sont seulement couverts par l’orgueil, qui les cache aux autres, et souvent à nous-mêmes.

CCCLXVI.

La justice n’est le plus souvent qu’une vive appréhension qu’on ne nous ôte ce qui nous appartient : de là vient cette considération et ce respect pour tous les intérêts du prochain, et cette scrupuleuse application à ne lui faire aucun préjudice. Cette crainte retient l’homme dans les bornes des biens que la naissance ou la fortune lui ont donnés ; et, sans cette crainte, il ferait des courses continuelles sur les autres.

CCCLXVII.

La justice dans les juges qui sont modérés n’est que l’amour de leur élévation.

CCCLXVIII.

On blâme l’injustice, non par l’aversion que l’on a pour elle, mais pour le préjudice que l’on en reçoit.

CCCLXIX.

La modération dans la bonne fortune n’est d’ordinaire que l’appréhension de la honte qui suit l’emportement, ou la peur de perdre ce qu’on a.

CCCLXX.

La modération est comme la sobriété : on voudrait bien manger davantage, mais on craint de se faire mal.

CCCLXXI.

Chacun trouve à redire en autrui ce qu’on trouve à redire en lui.

CCCLXXII.

C’est une espèce de bonheur que de connaître à quel point on doit être malheureux.

CCCLXXIII.

Les gens heureux ne se corrigent guère ; ils croient toujours avoir raison quand la fortune soutient leur mauvaise conduite.

CCCLXXIV.

La grâce de la nouveauté est à l’amour ce que la fleur est sur les fruits : elle y donne un lustre qui s’efface aisément et qui ne revient jamais.

CCCLXXV.

La plupart des jeunes gens croient être naturels lorsqu’ils ne sont que mal polis et grossiers.

CCCLXXVI.

Les esprits médiocres condamnent d’ordinaire tout ce qui passe leur portée.

CCCLXXVII.

C’est plus souvent par orgueil que par défaut de lumières qu’on s’oppose avec tant d’opiniâtreté aux opinions les plus suivies : on trouve les premières places prises dans le bon parti, et l’on ne veut point des dernières.

CCCLXXVIII.

Le bon goût vient plus du jugement que de l’esprit.

CCCLXXIX.

Rien ne devrait plus humilier les hommes qui ont mérité de grandes louanges, que les soins qu’ils prennent encore de se faire valoir par de petites choses.

CCCLXXX.

Il faudrait pouvoir répondre de sa fortune pour pouvoir répondre de ce qu’on fera à l’avenir.

CCCLXXXI.

Les infidélités devraient éteindre l’amour ; et il ne faudrait point être jaloux quand on a sujet de l’être : il n’y a que les personnes qui évitent de donner de la jalousie qui soient dignes qu’on en ait pour elles.

CCCLXXXII.

On se décrie beaucoup plus auprès de nous par les moindres infidélités qu’on nous fait, que par les plus grandes qu’on fait aux autres.

CCCLXXXIII.

La jalousie naît toujours avec l’amour ; mais elle ne meurt pas toujours avec lui.

CCCLXXXIV.

La plupart des femmes ne pleurent pas tant la mort de leurs amans pour les avoir aimés que pour paraître plus dignes d’être aimées.

CCCLXXXV.

Les violences qu’on nous fait nous font souvent moins de peine que celles que nous nous faisons à nous-mêmes.

CCCLXXXVI.

On sait assez qu’il ne faut guère parler de sa femme ; mais on ne sait pas assez qu’on devrait encore moins parler de soi.

CCCLXXXVII.

Il y a de bonnes qualités qui dégénèrent en défauts quand elles sont naturelles, et d’autres qui ne sont jamais parfaites quand elles sont acquises : il faut, par exemple, que la raison nous rende ménagers de notre bien et de notre confiance, et il faut au contraire que la nature nous donne la bonté et la valeur.

CCCLXXXVIII.

Quelque défiance que nous ayons de la sincérité de ceux qui nous parlent, nous croyons toujours qu’ils nous disent plus vrai qu’aux autres.

CCCLXXXIX.

Il y a peu d’honnêtes femmes qui ne soient lasses de leur métier.

CCCXC.

La plupart des honnêtes femmes sont des trésors cachés, qui ne sont en sûreté que parce qu’on ne les cherche pas.

CCCXCI.

Les violences qu’on se fait pour s’empêcher d’aimer sont souvent plus cruelles que les rigueurs de ce qu’on aime.

CCCXCII.

Il n’y a guère de poltrons qui connaissent toujours toute leur peur.

CCCXCIII.

C’est presque toujours la faute de celui qui aime, de ne pas connaître quand on cesse de l’aimer.

CCCXCIV.

On craint toujours de voir ce qu’on aime quand on vient de faire des coquetteries ailleurs.

CCCXCV.

Il y a de certaines larmes qui nous trompent souvent nous-mêmes, après avoir trompé les autres.

CCCXCVI.

Si l’on croit aimer sa maîtresse pour l’amour d’elle, on est bien trompé.

CCCXCVII.

On doit se consoler de ses fautes quand on a la force de les avouer.

CCCXCVIII.

L’envie est détruite par la véritable amitié, et la coquetterie par le véritable amour.

CCCXCIX.

Le plus grand défaut de la pénétration n’est pas de n’aller point jusqu’au but, c’est de le passer.

CCCC.

On donne des conseils, mais on n’inspire point de conduite.

CCCCI.

Quand notre mérite baisse, notre goût baisse aussi.

CCCCII.

La fortune fait paraître nos vertus et nos vices, comme la lumière fait paraître les objets.

CCCCIII.

La violence qu’on se fait pour demeurer fidèle à ce qu’on aime ne vaut guère mieux qu’une infidélité.

CCCCIV.

Nos actions sont comme les bouts-rimés, que chacun fait rapporter à ce qui lui plaît.

CCCCV.

L’envie de parler de nous, et de faire voir nos défauts du côté que nous voulons bien les montrer, fait une grande partie de notre sincérité.

CCCCVI.

On ne devrait s’étonner que de pouvoir encore s’étonner.

CCCCVII.

On est presque également difficile à contenter quand on a beaucoup d’amour et quand on n’en a plus guère.

CCCCVIII.

Il n’y a point de gens qui aient plus souvent tort que ceux qui ne peuvent souffrir d’en avoir.

CCCCIX.

Un sot n’a pas assez d’étoffe pour être bon.

CCCCX.

Si la vanité ne renverse pas entièrement les vertus, du moins elle les ébranle toutes.

CCCCXI.

Ce qui nous rend la vanité des autres insupportable, c’est qu’elle blesse la nôtre.

CCCCXII.

On renonce plus aisément à son intérêt qu’à son goût.

CCCCXIII.

La fortune ne paraît jamais si aveugle qu’à ceux à qui elle ne fait pas de bien.

CCCCXIV.

Il faut gouverner la fortune comme la santé ; en jouir quand elle est bonne, prendre patience quand elle est mauvaise, et ne faire jamais de grands remèdes sans un extrême besoin.

CCCCXV.

L’air bourgeois se perd quelquefois à l’armée ; mais il ne se perd jamais à la cour.

CCCCXVI.

On peut être plus fin qu’un autre, mais non pas plus fin que tous les autres.

CCCCXVII.

On est quelquefois moins malheureux d’être trompé par ce qu’on aime, que d’en être détrompé.

CCCCXVIII.

On garde long-temps son premier amant quand on n’en prend pas un second.

CCCCXIX.

Nous n’avons pas le courage de dire en général que nous n’avons point de défauts, et que nos ennemis n’ont point de bonnes qualités ; mais en détail nous ne sommes pas trop éloignés de le croire.

CCCCXX.

De tous nos défauts celui dont nous demeurons le plus aisément d’accord c’est la paresse : nous nous persuadons qu’elle tient à toutes les vertus paisibles, et que, sans détruire entièrement les autres, elle en suspend seulement les fonctions.

CCCCXXI.

Il y a une élévation qui ne dépend point de la fortune ; c’est un certain air qui nous distingue et qui semble nous destiner aux grandes choses ; c’est un prix que nous nous donnons imperceptiblement à nous-mêmes ; c’est par cette qualité que nous usurpons les déférences des autres hommes ; et c’est elle d’ordinaire qui nous met plus au-dessus d’eux que la naissance, les dignités, et le mérite même.

CCCCXXII.

Il y a du mérite sans élévation, mais il n’y a point d’élévation sans quelque mérite.

CCCCXXIII.

L’élévation est au mérite ce que la parure est aux belles personnes.

CCCCXXIV.

Ce qui se trouve le moins dans la galanterie, c’est de l’amour.

CCCCXXV.

La fortune se sert quelquefois de nos défauts pour nous élever ; et il y a des personnes incommodes, dont le mérite serait mal récompensé si l’on n’était bien aise d’acheter leur absence.

CCCCXXVI.

Il semble que la nature ait caché dans le fond de notre esprit des talens et une habileté que nous ne connaissons pas : les passions seules ont le droit de les mettre au jour, et de nous donner quelquefois des vues plus certaines et plus achevées que l’art ne pourrait le faire.

CCCCXXVII.

Nous arrivons tout nouveaux aux divers âges de la vie, et nous y manquons souvent d’expérience malgré le nombre des années.

CCCCXXVIII.

Les coquettes se font honneur d’être jalouses de leurs amans, pour cacher qu’elles sont envieuses des autres femmes.

CCCCXXIX.

Il s’en faut bien que ceux qui s’attrapent à nos finesses nous paraissent aussi ridicules que nous nous le paraissons à nous-mêmes quand les finesses des autres nous ont attrapés.

CCCCXXX.

Le plus dangereux ridicule des vieilles personnes qui ont été aimables, c’est d’oublier qu’elles ne le sont plus.

CCCCXXXI.

Nous aurions souvent honte de nos plus belles actions si le monde voyait tous les motifs qui les produisent.

CCCCXXXII.

Le plus grand effort de l’amitié n’est pas de montrer nos défauts à un ami, c’est de lui faire voir les siens.

CCCCXXXIII.

On n’a guère de défauts qui ne soient plus pardonnables que les moyens dont on se sert pour les cacher.

CCCCXXXIV.

Quelque honte que nous ayons méritée, il est presque toujours en notre pouvoir de rétablir notre réputation.

CCCCXXXV.

On ne plaît pas long-temps quand on n’a qu’une sorte d’esprit.

CCCCXXXVI.

Les fous et les sots ne voient que par leur humeur.

CCCCXXXVII.

L’esprit nous sert quelquefois à faire hardiment des sottises.

CCCCXXXVIII.

La vivacité qui augmente en vieillissant ne va pas loin de la folie.

CCCCXXXIX.

En amour celui qui est guéri le premier est toujours le mieux guéri.

CCCCXL.

Les jeunes femmes qui ne veulent point paraître coquettes, et les hommes d’un âge avancé qui ne veulent pas être ridicules, ne doivent jamais parler de l’amour comme d’une chose où ils puissent avoir part.

CCCCXLI.

Nous pouvons paraître grands dans un emploi au-dessous de notre mérite ; mais nous paraissons souvent petits dans un emploi plus grand que nous.

CCCCXLII.

Nous croyons souvent avoir de la constance dans les malheurs, lorsque nous n’avons que de l’abattement ; et nous les souffrons sans oser les regarder, comme les poltrons se laissent tuer de peur de se défendre.

CCCCXLIII.

La confiance fournit plus à la conversation que l’esprit.

CCCCXLIV.

Toutes les passions nous font faire des fautes ; mais l’amour nous en fait faire de plus ridicules.

CCCCXLV.

Peu de gens savent être vieux.

CCCCXLVI.

Nous nous faisons honneur des défauts opposés à ceux que nous avons : quand nous sommes faibles, nous nous vantons d’être opiniâtres.

CCCCXLVII.

La pénétration a un air de deviner qui flatte plus notre vanité que toutes les autres qualités de l’esprit.

CCCCXLVIII.

La grâce de la nouveauté et la longue habitude, quelque opposées qu’elles soient, nous empêchent également de sentir les défauts de nos amis.

CCCCXLIX.

La plupart des amis dégoûtent de l’amitié, et la plupart des dévots dégoûtent de la dévotion.

CCCCL.

Nous pardonnons aisément à nos amis les défauts qui ne nous regardent pas.

CCCCLI.

Les femmes qui aiment pardonnent plus aisément les grandes indiscrétions que les petites infidélités.

CCCCLII.

Dans la vieillesse de l’amour, comme dans celle de l’âge, on vit encore pour les maux, mais on ne vit plus pour les plaisirs.

CCCCLIII.

Rien n’empêche tant d’être naturel que l’envie de le paraître.

CCCCLIV.

C’est en quelque sorte se donner part aux belles actions que de les louer de bon cœur.

CCCCLV.

La plus véritable marque d’être né avec de grandes qualités, c’est d’être né sans envie.

CCCCLVI.

Quand nos amis nous ont trompés, on ne doit que de l’indifférence aux marques de leur amitié ; mais on doit toujours de la sensibilité à leurs malheurs.

CCCCLVII.

La fortune et l’humeur gouvernent le monde.

CCCCLVIII.

Il est plus aisé de connaître l’homme en général que de connaître un homme en particulier.

CCCCLIX.

On ne doit pas juger du mérite d’un homme par ses grandes qualités, mais par l’usage qu’il en sait faire.

CCCCLX.

Il y a une certaine reconnaissance vive qui ne nous acquitte pas seulement des bienfaits que nous avons reçus, mais qui fait même que nos amis nous doivent en leur payant ce que nous leur devons.

CCCCLXI.

Nous désirerions peu de choses avec ardeur si nous connaissions parfaitement ce que nous désirons.

CCCCLXII.

Ce qui fait que la plupart des femmes sont peu touchées de l’amitié, c’est qu’elle est fade quand on a senti l’amour.

CCCCLXIII.

Dans l’amitié, comme dans l’amour, on est souvent plus heureux par les choses qu’on ignore que par celles que l’on sait.

CCCCLXIV.

Nous essayons de nous faire honneur des défauts que nous ne voulons pas corriger.

CCCCLXV.

Les passions les plus violentes nous laissent quelquefois du relâche, mais la vanité nous agite toujours.

CCCCLXVI.

Les vieux fous sont plus fous que les jeunes.

CCCCLXVII.

La faiblesse est plus opposée à la vertu que le vice.

CCCCLXVIII.

Ce qui rend les douleurs de la honte et de la jalousie si aiguës, c’est que la vanité ne peut servir à les supporter.

CCCCLXIX.

La bienséance est la moindre de toutes les lois, et la plus suivie.

CCCCLXX.

La pompe des enterremens intéresse plus la vanité des vivans que la mémoire des morts.

CCCCLXXI.

Un esprit droit a moins de peine de se soumettre aux esprits de travers que de les conduire.

CCCCLXXII.

Lorsque la fortune nous surprend en nous donnant une grande place sans nous y avoir conduits par degrés, ou sans que nous nous y soyons élevés par nos espérances, il est presque impossible de s’y bien soutenir et de paraître digne de l’occuper.

CCCCLXXIII.

Notre orgueil s’augmente souvent de ce que nous retranchons de nos autres défauts.

CCCCLXXIV.

Il n’y a point de sots si incommodes que ceux qui ont de l’esprit.

CCCCLXXV.

Il n’y a point d’homme qui se croie en chacune de ses qualités au-dessous de l’homme du monde qu’il estime le plus.

CCCCLXXVI.

Dans les grandes affaires on doit moins s’appliquer à faire naître des occasions qu’à profiter de celles qui se présentent.

CCCCLXXVII.

Il n’y a guère d’occasions l’on fît un méchant marché de renoncer au bien qu’on dit de nous, à condition de n’en dire point de mal.

CCCCLXXVIII.

Quelque disposition qu’ait le monde à mal juger, il fait encore plus souvent grâce au faux mérite qu’il ne fait injustice au véritable.

CCCCLXXIX.

On est quelquefois un sot avec de l’esprit, mais on ne l’est jamais avec du jugement.

CCCCLXXX.

Nous gagnerions plus de nous laisser voir tels que nous sommes, que d’essayer de paraître ce que nous ne sommes pas.

CCCCLXXXI.

Nos ennemis approchent plus de la vérité dans les jugemens qu’ils font de nous que nous n’en approchons nous-mêmes.

CCCCLXXXII.

Il y a plusieurs remèdes qui guérissent de l’amour, mais il n’y en a point d’infaillibles.

CCCCLXXXIII.

Il s’en faut bien que nous connaissions tout ce que nos passions nous font faire.

CCCCLXXXIV.

La vieillesse est un tyran qui défend sur peine de la vie tous les plaisirs de la jeunesse.

CCCCLXXXV.

Le même orgueil qui nous fait blâmer les défauts dont nous nous croyons exempts nous porte à mépriser les bonnes qualités que nous n’avons pas.

CCCCLXXXVI.

Il y a souvent plus d’orgueil que de bonté à plaindre les malheurs de nos ennemis : c’est pour leur faire sentir que nous sommes au-dessus d’eux que nous leur donnons des marques de compassion.

CCCCLXXXVII.

Il y a un excès de biens et de maux qui passe notre sensibilité.

CCCCLXXXVIII.

Il s’en faut bien que l’innocence trouve autant de protection que le crime.

CCCCLXXXIX.

De toutes les passions violentes, celle qui sied le moins mal aux femmes, c’est l’amour.

CCCCXC.

La vanité nous fait faire plus de choses contre notre goût que la raison.

CCCCXCI.

Il y a de méchantes qualités qui font de grands talens.

CCCCXCII.

On ne souhaite jamais ardemment ce qu’on ne souhaite que par raison.

CCCCXCIII.

Toutes nos qualités sont incertaines et douteuses en bien comme en mal, et elles sont presque toutes à la merci des occasions.

CCCCXCIV.

Dans les premières passions les femmes aiment l’amant ; dans les autres elles aiment l’amour.

CCCCXCV.

L’orgueil a ses bizarreries comme les autres passions : on a honte d’avouer qu’on ait de la jalousie, et l’on se fait honneur d’en avoir eu et d’être capable d’en avoir.

CCCCXCVI.

Quelque rare que soit le véritable amour, il l’est encore moins que la véritable amitié.

CCCCXCVII.

Il y a peu de femmes dont le mérite dure plus que la beauté.

CCCCXCVIII.

L’envie d’être plaint ou d’être admiré fait souvent la plus grande partie de notre confiance.

CCCCXCIX.

Notre envie dure toujours plus long-temps que le bonheur de ceux que nous envions.

D.

La même fermeté qui sert à résister à l’amour sert aussi à le rendre violent et durable ; et les personnes faibles qui sont toujours agitées des passions n’en sont presque jamais véritablement remplies.

DI.

L’imagination ne saurait inventer tant de diverses contrariétés qu’il y en a naturellement dans le cœur de chaque personne.

DII.

Il n’y a que les personnes qui ont de la fermeté qui puissent avoir une véritable douceur ; celles qui paraissent douces n’ont d’ordinaire que de la faiblesse, qui se convertit aisément en aigreur.

DIII.

La timidité est un défaut dont il est dangereux de reprendre les personnes qu’on en veut corriger.

DIV.

Rien n’est plus rare que la véritable bonté : ceux même qui croient en avoir n’ont d’ordinaire que de la complaisance ou de la faiblesse.

DV.

L’esprit s’attache par paresse et par constance à ce qui lui est facile ou agréable : cette habitude met toujours des bornes à nos connaissances ; et jamais personne ne s’est donné la peine d’étendre et de conduire son esprit aussi loin qu’il pouvait aller.

DVI.

On est d’ordinaire plus médisant par vanité que par malice.

DVII.

Quand on a le cœur encore agité par les restes d’une passion, on est plus près d’en prendre une nouvelle que quand on est entièrement guéri.

DVIII.

Ceux qui ont eu de grandes passions se trouvent toute leur vie heureux et malheureux d’en être guéris.

DIX.

Il y a encore plus de gens sans intérêt que sans envie.

DX.

Nous avons plus de paresse dans l’esprit que dans le corps.

DXI.

La paresse est de toutes nos passions celle qui nous est le plus inconnue à nous-mêmes. Nulle autre n’est plus ardente et plus maligne, quoique les dommages qu’elle cause soient très-cachés. Si nous considérons attentivement son influence, nous verrons qu’en toute occasion elle se rend maîtresse de nos sentimens, de nos intérêts, et de nos plaisirs : c’est le rémora qui arrête les plus grands vaisseaux, c’est une bonace plus dangereuse aux plus importantes affaires que les écueils et les tempêtes. Le repos de la paresse est un charme secret de l’âme, qui suspend nos plus ardentes poursuites et nos plus fermes résolutions.

DXII.

Le calme ou l’agitation de notre humeur ne dépend pas tant de ce qui nous arrive de plus considérable dans la vie, que d’un arrangement commode ou désagréable de petites choses qui arrivent tous les jours.

DXIII.

Quelque méchans que soient les hommes, ils n’oseraient paraître ennemis de la vertu ; et lorsqu’ils la veulent persécuter, ils feignent de croire qu’elle est fausse, ou ils lui supposent des crimes.

DXIV.

On passe souvent de l’amour à l’ambition ; mais on ne revient guère de l’ambition à l’amour.

DXV.

L’extrême avarice se méprend presque toujours : il n’y a point de passion qui s’éloigne plus souvent de son but, ni sur qui le présent ait tant de pouvoir au préjudice de l’avenir.

DXVI.

L’avarice produit souvent des effets contraires : il y a un nombre infini de gens qui sacrifient tout leur bien à des espérances douteuses et éloignées ; d’autres méprisent de grands avantages à venir pour de petits intérêts présens.

DXVII.

Il semble que les hommes ne se trouvent pas assez de défauts : ils en augmentent encore le nombre par de certaines qualités singulières dont ils affectent de se parer ; et ils les cultivent avec tant de soin, qu’elles deviennent à la fin des défauts naturels qu’il ne dépend plus d’eux de corriger.

DXVIII.

Ce qui fait voir que les hommes connaissent mieux leurs fautes qu’on ne pense, c’est qu’ils n’ont jamais tort quand on les entend parler de leur conduite : le même amour-propre qui les aveugle d’ordinaire les éclaire alors, et leur donne des vues si justes, qu’il leur fait supprimer ou déguiser les moindres choses qui peuvent être condamnées.

DXIX.

Il faut que les jeunes gens qui entrent dans le monde soient honteux ou étourdis : un air capable et composé se tourne d’ordinaire en impertinence.

DXX.

Les querelles ne dureraient pas long-temps, si le tort n’était que d’un côté.

DXXI.

Il ne sert de rien d’être jeune sans être belle, ni d’être belle sans être jeune.

DXXII.

Il y a des personnes si légères et si frivoles qu’elles sont aussi éloignées d’avoir de véritables défauts que des qualités solides.

DXXIII.

On ne compte d’ordinaire la première galanterie des femmes que lorsqu’elles en ont une seconde.

DXXIV.

Il y a des gens si remplis d’eux-mêmes, que, lorsqu’ils sont amoureux, ils trouvent moyen d’être occupés de leur passion, sans l’être de la personne qu’ils aiment.

DXXV.

L’amour, tout agréable qu’il est, plaît encore plus par les manières dont il se montre que par lui-même.

DXXVI.

Peu d’esprit avec de la droiture ennuie moins à la longue que beaucoup d’esprit avec du travers.

DXXVII.

La jalousie est le plus grand de tous les maux, et celui qui fait le moins de pitié aux personnes qui le causent.

DXXVIII.

Après avoir parlé de la fausseté de tant de vertus apparentes, il est raisonnable de dire quelque chose de la fausseté du mépris de la mort : j’entends parler de ce mépris de la mort que les païens se vantent de tirer de leurs propres forces sans l’espérance d’une meilleure vie. Il y a de la différence entre souffrir la mort constamment et la mépriser. Le premier est assez ordinaire ; mais je crois que l’autre n’est jamais sincère. On a écrit néanmoins tout ce qui peut le plus persuader que la mort n’est point un mal ; et les hommes les plus faibles, aussi bien que les héros, ont donné mille exemples célèbres pour établir cette opinion. Cependant je doute que personne de bon sens l’ait jamais cru ; et la peine que l’on prend pour le persuader aux autres et à soi-même fait assez voir que cette entreprise n’est pas aisée. On peut avoir divers sujets de dégoûts dans la vie ; mais on n’a jamais raison de mépriser la mort. Ceux même qui se la donnent volontairement ne la comptent pas pour si peu de chose, et ils s’en étonnent et la rejettent comme les autres lorsqu’elle vient à eux par une autre voie que celle qu’ils ont choisie. L’inégalité que l’on remarque dans le courage d’un nombre infini de vaillans hommes vient de ce que la mort se découvre différemment à leur imagination, et y paraît plus présente en un temps qu’en un autre. Ainsi il arrive qu’après avoir méprisé ce qu’ils ne connaissaient, ils craignent enfin ce qu’ils connaissent. Il faut éviter de l’envisager avec toutes ses circonstances, si on ne veut pas croire qu’elle soit le plus grand de tous les maux. Les plus habiles et les plus braves sont ceux qui prennent de plus honnêtes prétextes pour s’empêcher de la considérer ; mais tout homme qui la sait voir telle qu’elle est trouve que c’est une chose épouvantable. La nécessité de mourir faisait toute la constance des philosophes. Ils croyaient qu’il fallait aller de bonne grâce où l’on ne saurait s’empêcher d’aller ; et ne pouvant éterniser leur vie, il n’y avait rien qu’ils ne fissent pour éterniser leur réputation, et sauver du naufrage ce qui en peut être garanti. Contentons-nous, pour faire bonne mine, de ne nous pas dire à nous-mêmes tout ce que nous en pensons, et espérons plus de notre tempérament que de ces faibles raisonnemens qui nous font croire que nous pouvons approcher de la mort avec indifférence. La gloire de mourir avec fermeté, l’espérance d’être regretté, le désir de laisser une belle réputation, l’assurance d’être affranchi des misères de la vie, et de ne dépendre plus des caprices de la fortune, sont des remèdes qu’on ne doit pas rejeter ; mais on ne doit pas croire aussi qu’ils soient infaillibles. Ils font pour nous assurer ce qu’une simple haie fait souvent à la guerre pour assurer ceux qui doivent approcher d’un lieu d’où l’on tire. Quand on en est éloigné, on s’imagine qu’elle peut mettre à couvert ; mais quand on en est proche on trouve que c’est un faible secours. C’est nous flatter, de croire que la mort nous paraisse de près ce que nous en avons jugé de loin, et que nos sentimens, qui ne sont que faiblesse, soient d’une trempe assez forte pour ne point souffrir d’atteinte par la plus rude de toutes les épreuves. C’est aussi mal connaître les effets de l’amour-propre, que de penser qu’il puisse nous aider à compter pour rien ce qui le doit nécessairement détruire ; et la raison, dans laquelle on croit trouver tant de ressources, est trop faible en cette rencontre pour nous persuader ce que nous voulons. C’est elle au contraire qui nous trahit le plus souvent, et qui, au lieu de nous inspirer le mépris de la mort, sert à nous découvrir ce qu’elle a d’affreux et de terrible. Tout ce qu’elle peut faire pour nous est de nous conseiller d’en détourner les yeux pour les arrêter sur d’autres objets. Caton et Brutus en choisirent d’illustres. Un laquais se contenta il y a quelque temps de danser sur l’échafaud où il allait être roué. Ainsi, bien que les motifs soient différens, ils produisent les mêmes effets ; de sorte qu’il est vrai que, quelque disproportion qu’il y ait entre les grands hommes et les gens du commun, on a vu mille fois les uns et les autres recevoir la mort d’un même visage ; mais ç’a toujours été avec cette différence, que, dans le mépris que les grands hommes font paraître pour la mort, c’est l’amour de la gloire qui leur en ôte la vue ; et dans les gens du commun, ce n’est qu’un effet de leur peu de lumières qui les empêche de connaître la grandeur de leur mal, et leur laisse la liberté de penser à autre chose.


FIN.

TABLE



Les chiffres marquent les numéros des Pensées.

A.

Accent, numéro 349.
Accident, 59, 317.
Action, 7, 57, 58, 160, 161, 404, 431.
Affaire, 104, 295, 296, 476.
Affectation, 134, 480.
Afflictions, 239, 240, 362.
Âges de la vie, 227, 427.
Agrément, 247.
Air bourgeois, 415 ; composé, 519 ; distingué, 421.
Amans, 384, 418, 494.
Ambition, 91, 254, 301, 514.
Âme, 80, 193, 198, 199.
Amitié, 80, 81, 84, 85, 88, 96, 178, 179, 183, 241, 242, 287, 302, 303,
   328, 398, 432, 449, 456, 462, 463, 496.

Amour, 68, 69, 70, 71, 72, 73, 74, 75, 76, 77, 83, 111, 131, 136,
   175, 176, 177, 178, 267, 270, 285, 294, 337, 342, 343, 355, 356,
   358, 360, 374, 381, 391, 393, 394, 396, 398, 407, 417, 418, 424,
   439, 440,444, 452, 463, 482, 489, 494, 496, 500, 514, 524, 525.
Amour-propre, 2, 3, 4, 13, 46, 51, 88, 143, 178, 179, 235, 243, 270,
   310, 346, 518, 524, 528.
Application, 41.
Approbation, 51, 288.
Avarice, 167, 515, 516.
Avidité, 66.


B.

Beauté, 521.
Belles actions, 454.
Bien, 121, 308, 346, 387, 477, 487.
Bienfaits, 14, 121.
Bienséance, 469.
Bon goût, 378.
Bonheur, 49, 61, 372, 373.
Bonne grâce, 67.
Bon sens, 67, 354.
Bonté, 243, 244, 387, 504.

Bouts-rimés, 404.
Bravoure, voyez Courage.


C.

Caractère, 134, 227.
Chasteté, 1.
Civilité, 268.
Clémence, 15, 16.
Cœur, 98, 102, 103, 108, 353, 501.
Compassion, 486.
Conduite, 43, 163, 380, 400.
Confiance, 387, 443, 498.
Connaissances, 106, 182.
Conseils, 110, 116, 291, 400.
Consolation, 332.
Constance, 19, 20, 21, 175, 176, 442.
Conter, 320.
Contrariétés, 501.
Conversation, 139.
Copie, 133.
Coquetterie, 107, 248, 285, 339, 341, 356, 394, 398.
Coquettes, 428, 440.
Courage, 1, 218, 219, 220, 221, 222, 224, 225, 387, 528.
Crédulité, 202, 275.

Crimes, 187, 188, 488.
Curiosité, 173.


D.

Défauts, 31, 154, 155, 189, 195, 199, 228, 259, 298, 326, 334,
   361, 371, 387, 405, 419, 425, 432, 433, 446, 448, 450, 464,
   485, 517, 522.
Défiance, 86, 322, 388.
Déguisement, 119, 254, 280, 290.
Délicatesse, 128.
Désirs, 234, 461.
Dévotion, 449.
Douceur, 502.
Douter, 355.
Droiture, 526.
Dupes, 180.


E.

Éducation, 269.
Élévation, 421, 422, 423.
Éloquence, 8, 257, 258.
Emplois, 164, 441, 472.
Ennemis, 486.
Ennui, 141, 172, 311, 319, 359.
Enterremens, 470.

Envie, 27, 28, 288, 335, 398, 455, 499, 509.
Espérance, 123, 168, 234, 516.
Esprit, 44, 80, 97, 98, 99, 100, 101, 102, 103, 108, 112, 140, 142, 174,
   295, 298, 347, 353, 364, 426, 435, 437, 443, 471, 479, 505, 510, 526.
Esprits (grands), 364 ; (médiocres), 142, 273, 364, 376.
Estime, 475.
Établir, 56.
Étonnement, 406.
Exemple, 237.
Expédiens, 295.


F.

Favoris, 55.
Faussetés, 290.
Fautes, 37, 201, 397, 518.
Félicité, 48.
Femmes, 131, 209, 210, 225, 285, 339, 340, 341, 347, 353, 384, 389,
   390, 440, 451, 462, 489, 494, 497.
Fermeté, 500, 502.
Fidélité, 255, 338, 403.
Finesse, 117, 124, 125, 126, 127, 357, 416, 429.
Flatterie, 123, 152, 266, 327, 336.

Faiblesse, 130, 467.
Folie, 212, 214, 238, 307, 317.
Force, 30.
Fortune, 52, 53, 60, 61, 154, 350, 380, 402, 413, 414, 425, 457.


G.

Galanterie, 73, 100, 424, 523.
Générosité, 254.
Gloire, 157, 203, 226, 276.
Glorieux, 314.
Goûts, 13, 109, 260, 401, 412, 490.
Gouverner, 151.
Grands, 246.
Grands hommes, 350, 528,
Gravité, 265.
Grossier, 129, 375.


H.

Habile, 129, 357.
Habileté, 204, 252, 253, 277, 291, 296.
Habitude, 448, 505.
Haine, 345.
Hasard, 57.
Héros, 24, 53, 190.

Hommes, 43, 104, 158, 458.
Honnête femme, 210, 389, 390.
Honnête homme, 207, 208, 211, 360.
Honnêteté, 210.
Honneur, 278.
Honte, 225, 434, 468.
Humeur, 7, 45, 47, 298, 300, 436, 457, 512.
Humilité, 262, 365.
Hypocrisie, 223, 240.


I.

Imitation, 237.
Incommode, 249, 425.
Inconstance, 71, 185.
Indiscrétion, 451.
Infidélité, 83, 381, 382, 403, 451.
Infortune, 174.
Ingratitude, 14, 229, 233, 313, 324.
Injures, 14.
Injustice, 368.
Illusion, 123.
Innocence, 488.
Intérêt, 39, 40, 66, 85, 171, 172, 261, 309, 312, 412, 509.
Intrépidité, 222.


J.

Jalousie, 28, 32, 331, 343, 381, 383, 428, 468, 495, 527.
Jeunesse, 109, 279, 348, 521.
Jeunes gens, 375, 519.
Jugement, 89, 97, 276, 479, 481.
Justice, 78, 366, 367.


L.

Larmes, 240, 384, 395.
Légèreté, 183, 522.
Libéralité, 167, 271.
Louanges, 143, 144, 145, 146, 147, 148, 149, 150, 203, 327, 363, 379.


M.

Magnanimité, 256, 293.
Mal, 121, 202, 477, 487.
Malheur, 49, 50, 61, 187.
Mariage, 113.
Maux, 19, 22, 245, 277, 296, 332, 346.
Méchans, 292.
Médisance, 506.
Méfiance, 342.

Mémoire, 89, 320.
Mensonge, 63.
Mépris, 191, 329.
Mépris de la mort, 528.
Mérite, 50, 92, 95, 153, 155, 156, 162, 165, 166, 281, 299, 401, 422,
   459, 478, 497.
Mines, 264.
Modération, 17, 18, 301, 315, 369, 370.
Mort, 21, 23, 26, 528.


N.

Nature, 387.
Naturel, 283, 375, 453.
Négociations, 286.
Niais, 213.
Noms illustres, 94.
Nouveauté, 374, 448.


O.

Obligations, 324.
Occasions, 352, 476, 477, 493.
Opiniâtreté, 273, 377.
Opinions, 13, 377, 477.
Orgueil, 33, 34, 35, 36, 37, 235, 289, 377, 473, 485, 495.


P.

Paresse, 90, 169, 274, 420, 510, 511.
Parler, 137, 138, 142, 321, 386, 405.
Passions, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 122, 193, 274, 284, 341, 348,
   426, 465, 483, 489, 494, 500, 507, 508.
Pénétration, 399, 447.
Perspective, 104.
Persévérance, 181.
Persuasion, 8.
Peur, 392.
Philosophe et philosophie, 22, 46, 54, 528.
Pitié, 272.
Plaire, 435.
Plaisir, 123.
Politesse, 99.
Poltronnerie, 220, 392.
Préoccupation, 92,
Princes, 15, 327.
Procédé, 170.
Professions, 264.
Promesse, 38.
Propriétés des hommes, 351.
Prudence, 65.


Q.

Qualités, 29, 88, 159, 228, 259, 344, 387, 419, 455, 459, 475,
   485, 491, 493, 517, 522.
Querelles, 520.


R.

Raison, 42, 105, 387, 490, 492.
Réconciliation, 82.
Reconnaissance, 229, 230, 231, 232, 233, 234, 236, 305, 306, 460.
Regrets, 362.
Remontrances, 37.
Repentir, 184.
Reproches, 148.
Réputation, 276, 434.
Richesses, 54.
Ridicule, 133, 134, 318, 333, 430, 440.
Rois, 158.


S.

Sagesse, 132, 238, 330.
Santé, 282.
Secrets, 87.
Sensibilité, 283, 456, 487.

Sentimens, 263, 326.
Sévérité, 209, 340.
Silence, 79.
Simplicité, 297.
Sincérité, 62, 323, 388, 405.
Sobriété, 370.
Société, 180, 206.
Sots, 140, 316, 409, 475, 479.
Souhaits, 492.
Subtilité, 128.


T.

Talens, 491.
Tempérament, 225, 227, 353.
Tiédeur, 348.
Timidité, 169, 503.
Tort, 408.
Trahison, 120, 126.
Travers, 325.
Tromperie, 86, 114, 115, 117, 118, 129, 206, 342, 417.


V.

Valeur, voyez Courage.
Vanité, 205, 225, 410, 411, 465, 468, 490.
Vaudevilles, 216.

Vérité, 64, 481.
Vertus, 1, 25, 169, 171, 186, 191, 192, 194, 205, 225, 402, 513.
Vices, 186, 191, 192, 194, 196, 197, 200, 402, 467.
Vie (la), 46.
Vieillesse, 93, 109, 215, 227, 348, 430, 445, 452, 484.
Vieux fous, 466.
Violence, 385, 391.
Vivacité, 438.
Vogue, 217.
Volonté, 30, 250, 251, 304.

  1. Dictionnaire critique, article César.
  2. Siècle de Louis XIV, chapitre xxxii, des beaux-arts.