Menuet (Lucien Solvay)

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Parnasse de la Jeune BelgiqueLéon Vanier, éditeur (p. 257-260).



Marquise, l’air est plein d’ivresses ;
Les petits Cupidons moqueurs
Tendent leurs embûches traîtresses,
Où se laissent prendre les cœurs.

Le printemps à toutes les branches
Fait pousser, caprice jaloux,
Comme des myriades blanches
De rubans et de billets doux.


Le feuillage bruit plus tendre
Et la mousse a des chatoiements
Qui semblent, inquiets, attendre
Les baisers roses des amants.

Si vous n’étiez d’antique souche,
Marquise, je me pencherais
Langoureusement sur ta bouche,
Et nous irions dans les forêts ;

Nous irions dans le taillis sombre
Écouter les merles siffler,
Et nous conter l’histoire, à l’ombre,
Que l’on se dit sans se parler !

Mais vous êtes, jeune douairière,
De trop excellente maison
Pour que ma flamme roturière
Ose brûler votre blason.

Pourtant, quelque rang que réclame
Votre orgueil qui fait tout plier,
À certains moments, noble dame,
Il est permis de s’oublier…


C’est l’heure où de partout s’élève
L’hymne des espoirs triomphants,
Où tu fais bouillonner la sève,
Nature, au cœur de tes enfants !

C’est l’heure aimée où vos ancêtres,
Peu soucieux de déroger,
Dans leurs joyeuses nuits champêtres
Faisaient des rêves de berger !

Vous souvient-il, nymphes de marbre,
Des idylles de Trianon ?
L’amour babillait sous chaque arbre,
Et Pompadour était Toinon.

Ô fille d’aïeux qu’on admire,
Dites-moi, pourquoi mépriser
Le bois, confident du sourire,
Et l’oiseau, frère du baiser ?

Toute la gloire et les faits d’armes
De ceux dont vous êtes le sang
Ne valent pas une des larmes
Que sème Vesper en passant.


Que m’importent ce faste immense
Et tous ces titres sans valeur,
Lorsque j’écoute la romance
Que l’abeille dit à la fleur ?

Laissons la science inféconde
Aux Turenne, aux Napoléon ;
Le plus grand tacticien du monde,
C’est le général Cupidon !

Allons, par de plus doux carnages,
À l’abri des chênes touffus,
Réveillant les Faunes sauvages
Du bruit de nos soupirs confus,

Ivres de boucherie exquise,
Sans fanfares et sans soldats,
Recommencer, belle marquise,
La bataille des Quatre-Bras !