Mes Inscripcions/Memento

La bibliothèque libre.
Texte établi par Paul CottinLibrairie Plon (p. 323-327).

MEMENTO


Nous avons, dans ce qui précède, fait allusion à un manuscrit trouvé par M. Frantz Funck-Brentano, dans les Archives de la Bastille ; nous l’avons appelé le Memento de Restif. C’est un petit volume in-24 de 142 feuillets inégaux, grossièrement rattachés, par une corde, à une couverture de veau marbré. L’écriture est encore plus mauvaise, s’il est possible, que celle de Mes Inscripcions.

Uniquement relatif à ses ouvrages, ce Memento renferme des pensées, des réflexions, des vers galants, des extraits de l’Année littéraire, de Zaïre, des idées pour Le pied de Fanchette, Les Nuits de Paris, Monsieur Nicolas, la Physique, Le Glossographe, etc. En dehors de ces notes souvent biffées, voici ce qui peut être signalé :


Folio 35. — Une lettre à Mlle  Londo. (Voir cette lettre à la note 2 de la page 193.)

Folio 36. — Un passage destiné au Compère Nicolas : « La nature m’avait tout donné : sensibilité extrême, amour du travail, mépris pour les choses futiles, tempérament de fer et de feu, philosophie qui me mettait au-dessus de tout, étant malade comme les animaux, c’est-à-dire n’ayant que mon mal et non les inquiétudes. Sensible au plaisir, insensible à la crainte de la mort. L’exemple de la vertu fortifia ces heureuses disposicions physiques. Mais, hélas ! que mon histoire sera différente de celle de mon père ! »

Folio 46. — « Bernardin est un enfant superstitieux qui se mutine contre la vérité, Robbé étant un enthousiaste : ignorans, gens du monde. Quel siècle où un pareil livre[1] a trois éditions ! La morale est profanée avec les erreurs barbares de physique, qui la feraient révoquer en doute, s’il était possible. »

Une note de ce § montre que Restif avait pensé à tirer un drame des Nuits de Paris.

Folio 48. — En haut de la page : « Mes principales dates à citer. » Ces dates ont été très probablement prises dans Mes Inscripcions. Elles commencent par le « 5 novb. Anniversarium mali » et vont jusqu’au 2 mars 1788, ce qui donne à penser que Mes Inscripcions allaient au moins jusque-là. Voici les dates postérieures au mois d’août 1787 :

« 13 déc. Mercier et Rosières à dîner. Mal à la poitrine le 16.

25. Billet. 3 Quærelæ ob missionem Agnetis.

1o Anni 1788. Dîner chés Bralle, avec Agnès et Marianne.

3 Mal à la poitrine.

22 janv. Date de la Reynière du 22 déc.

2 feb. Quando matris lactantis nuntia fixa.

2 mart. Prandium apud Turpin. Lettres Ba. Mes filles disposent de l’encre invisible… Aux Parlements, aux Rois, etc. »

Folios 77 à 92. — Série de lettres aux ouvrières de la rue de Grenelle Saint-Honoré et des Bons-Enfants. Voici une de ces lettres qui sont dignes de leur destination ; elle fera juger des autres (folio 88) :

« Mademoiselle, la chanson qui est ci-derrière est la traduction d’une chanson cochinchinoise que je vous ai chantée un soir : gage que vous serez curieuse de voir du cochinchinois (suivent des mots prétendus cochinchinois). J’ai apris le cochinchinois dans un voyage que je fis, il y a dix ans, sur un vaisseau hollandais. J’ai bien vu des pays ; j’ai bien vu des belles, mais la plus belle de toutes les belles, c’est celle d’entre vous que j’adore.

Jeune poulette
Sage et discrette
De ce séjour,
Le plus beau jour
De ma conquête
C’est ma défaite.
Le plus beau tour
D’une coquette
Serait l’emplette
D’un abat-jour.
Ah ! quel contour !

Cette follette,
Sous sa jaquette,
Est faite au tour !
Dans un détour
L’amant se jette
Sur la poulette,
Comme un vautour,
Et, tout autour
De sa fossette,
Il fait cueillette
Des fruits d’amour. »

Folio 102. — « De tous nos gens de lettres, je suis le seul qui connaisse le peuple. Prenez garde, magistrats, une révolution se prépare ! » (Ces deux phrases se retrouvent presque textuellement dans les Nuits de Paris.)

Folio 117. — « Tout est tellement arrangé dans la nature, que la vie d’un individu n’est ordinairement souverainement importante que pour lui. » (Pensée reproduite dans les Nuits de Paris.)

Folio 118. — « Ce qui me distingue de Marmontel, de La Harpe, c’est qu’un écolier de troisième corrigera mes fautes. Qu’il les corrige ! Et que souvent ni Voltaire, ni Rousseau, ni Buffon n’auraient eu mes conceptions. Voyez ma vanité ! Elle étonne, et elle ne me coûte rien. Je travaille chaque chose sans me souvenir de la précédente, comme si elle était unique. »

Folio 121. — « Avis à mes lecteurs : On dit que je ne connais pas le monde ; mais je connais la nature. Je défie personne de mettre plus de naturel qu’il y en a dans la plupart de mes tableaux et de mes compositions. Si le monde n’est plus naturel, est-ce ma faute ? Ô goût dépravé ! Les gens du monde ne disent que des riens et des dégigandades (sic). Ils parlent un inintelligible jargon et, parce que je ne puis pas cela, on dit…

J’ai l’honneur d’avertir mes lecteurs raisonnables que j’ai une manière tout-à-fait différente des autres romanciers qui arrangent et disposent leur fable : c’est que je ne rapporte que des faits vrais et que je me laisse maîtriser par eux. Je ne ferai jamais un trompeur. Tant pis pour moi si la vérité est devenue un monstre et si l’on préfère le vraisemblable au vrai… »

Folio 123. — « Ma femme travaille ; mes deux filles travaillent. Le travail honore l’homme. Je travaille moi-même, du moins autant que je le puis et c’est ce qui m’empêche de voir le monde. Mais il n’est pas essentiel que je sois un écrivain poli — il en faut ! — et il l’est que je sois citoyen utile. »

Folio 124. — « Prendre l’article rayé au bas des Fautes pour en faire, avec l’aventure de dimanche 16 septembre 1787, chés Nicolet, la Suite du Mamonet[2], ainsi que le viol de la petite fille et le reste : chés Victoire. Il se présente, puis j’engage le public qui demandait un paillasse. Tu le traites de poliçon, on te connaît ! »

Folio 135. —

« Ce n’est qu’à ses dépens qu’on corrompt ce qu’on aime.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

« Les enfants sont-ils donc de malheureux esclaves ?

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

« Tel est des jeunes gens le malheureux besoin,
« Qu’il faut, pour les polir, risquer de les corrompre.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

« Ce sont les mœurs qui font la bonne compagnie.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

« Qu’une femme aisément passe pour un prodige !
« Mais c’est nous qui faisons nous-même le prestige !

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

« L’honneur est donc toujours ennemi de l’amour ?
« Non, vraiment ; au contraire, il l’épouse à son tour. »

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Folio 135 bis. — « Il y en a de singulières (mœurs) dans la bourgeoisie aisée. Tout l’orgueil de nos anciens nobles si est réfugié. Ils se croient d’une toute autre excellence que le reste des hommes. J’avais cru qu’il suffisait d’être homme pour donner à un autre une grande considération qui serait bien reçue, surtout lors qu’elle est désintéressée et qu’on le doit. Je me suis trompé : il aurait fallu pour cela autant de démarches que pour m’assurer la protection d’un grand. »

Folio 136 bis. — Comparaison de l’homme et des animaux.

Folio 137. — « Je n’ai pas jugé ma comédie digne d’être représentée. — Vous la faites imprimer ? me dira-t-on. — C’est que je regarde le public comme un chapitre : chacun est bon en particulier ; réunis c’est le diable. Il faudrait que j’eusse du génie et que je réussisse… »

Folio 140. — « Fuir le mariage quand on ne peut se passer de femme, c’est libertinage. »

Folio 141. — « Mon histoire, ou les avantures très-communes d’un homme de qualité, d’un mérite assés mince et dont les talens sont très bornés, ouvrage utile aux personnes des deux sexes auxquelles la nature a donné beaucoup de désirs et peu de fortune.

Par moi-même, en vérité.

Je suis né à Saci, parmi des hommes plus brutes que leurs chiens et leurs chevaux. J’ai apris à lire à la même école. J’ai été élevé comme eux. On m’aprit, durant 18 mois, quatre mots de latin à trois lieues de ma patrie, dans un village ; cependant, si l’on voulait considérer quelle différence entre ce que je suis devenu, par les soins de la nature seule, à ce qu’ils sont, on ne songerait plus à celle qui est entre Voltaire, les Rousseau et moi. »

Folio 142. — Ouvrages qu’il veut se procurer pour la Philosophie de Monsieur Nicolas :

« Il me faut Locke, Spinosa, Telliamède, Cyrano, la physique du ciel et des comètes. »

Folio 142. — Titre d’un livre ou d’une nouvelle : « La théologie naturelle ou lettres d’un jeune homme à sa jeune épouse. » (L’aperçu que Restif en donne est trop naturel pour être reproduit.)

Quelques feuilles n’ont pu être attachées avec les autres. L’une d’elles porte l’adresse du dessinateur Sergent, laissée, sans doute, le jour où il vint faire à Restif ses offres de service pour les estampes des Contemporaines.

Une autre est l’autorisation du censeur Marchand pour la publication des Idées singulières ; la voici :

« No 876. — J’ay lu, par ordre de Monseigneur le Chancellier, un manuscrit ayant pour titre Idées singulières, et j’ay cru, en considérant moins le bien que l’auteur croit faire que les maux qu’il veut éviter[3], qu’on en peut permettre l’impression. À Paris, ce 2 May 1769.Marchand. »


  1. Les Études de la Nature, par Bernardin de Saint-Pierre. Elles eurent trois éditions, de 1784 à 1790.
  2. Nougaret. V. la note 1 de la page 251.
  3. Les mots en italique ont été biffés.