Mes Inscripcions/Préface

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Texte établi par Paul CottinLibrairie Plon (p. i-cxxv).

PRÉFACE


I

NOTRE MANUSCRIT ; UTILITÉ ET OPPORTUNITÉ
DE SA PUBLICATION.



Le manuscrit autographe de Restif a été découvert dans le dépôt des Archives de la Bastille, à la Bibliothèque de l’Arsenal.

On sait que les papiers saisis par la police étaient versés, plus tard, à la Bastille. Comment l’œuvre de Restif a-t-elle pu s’y trouver ? Sans doute à la suite d’une descente faite, pour tout autre motif, chez un imprimeur ou un éditeur, ou même chez un simple particulier : agité par des craintes perpétuelles, il avait la manie de cacher ses manuscrits hors de son logis[1]. Cependant, il ne fut point inquiété, et n’eut point à souffrir de perquisition chez lui, avant le 14 juillet 1789.

L’aspect de ces notes écrites au jour le jour, souvent heure par heure[2], serrées sur un papier rugueux, presque illisibles par endroits, confirme ce que Restif dit lui-même : à l’exemple de Beaumarchais, il ménageait incroyablement le papier[3].

Leur déchiffrement n’a point été la moindre difficulté de notre tâche, encore compliquée par un grand nombre d’abréviations spéciales dont la clef ne s’obtient qu’à la longue[4]. Nous avons rétabli le texte le plus souvent possible[5].

Il comprend une période qui s’étend du 1er janvier 1780 au 19 août 1787, et ne forme pas plus de cinquante-six feuillets in-quarto, cotés 972 à 1028 et divisés en 1164 paragraphes. Suivent deux feuillets, chiffrés 1202-1203.
Dans ses promenades quotidiennes sur les quais de l’île Saint-Louis, Restif avait pris la bizarre habitude de tracer des inscriptions commémoratives sur la pierre des parapets. Les paragraphes 1 à 551 donnent le relevé en bloc de ces inscriptions, commencé le jour où il s’aperçut qu’une main malveillante les effaçait. Le reste constitue le journal proprement dit[6].

Sur la première page, on lit : VII, mes inscripcions.

Que contenaient les six chapitres précédents ?… Probablement ce dont il est question au début de Monsieur Nicolas :

« Quelques faits, qui ne sont pas dans les Époques, se trouveront dans sept morceaux intitulés : Mes affaires, Mes maladies, Ma physique, Ma morale et ma doctrine, Ma politique, Mon calendrier, Mes Contemporains, Mes Dates, enfin dans le Drame de la vie, articles qui formeront le complément de l’Histoire[7]. »

Plus loin, après avoir parlé succinctement de ses maladies, Restif ajoute :

« Après cet article de Mes Maladies, il serait naturel de donner ici celui de Mes Affaires, mais elles me semblent suffisamment exposées dans le cours de mon histoire. Quant à mes Inscripcions ou Dates, que je comptais placer ensuite, elles auraient peut-être intéressé quelques personnes ; mais mon ouvrage est déjà trop volumineux. D’ailleurs, ces Inscripcions ou Dates ont servi de base à tous les détails où je suis entré[8]… »

Ceci n’est pas tout à fait exact, car les répétitions dans le récit n’ont jamais fait reculer Restif. La vraie raison fut le manque de fonds : les huit tomes de Monsieur Nicolas avaient paru de 1794 à 1797, époque où les souscripteurs qui n’avaient point encore payé se trouvaient incapables de le faire, les uns parce qu’ils étaient absents, d’autres parce qu’ils étaient ruinés, d’autres enfin parce qu’ils avaient péri sur l’échafaud. Aussi les derniers volumes ne furent-ils tirés qu’à cent cinquante ou deux cents exemplaires, tandis que les premiers l’avaient été à quatre cents.

Le défaut d’argent contraignit donc Restif à résumer, à ne donner qu’un aperçu de ses Maladies[9], à se contenter de ce qu’il dit de ses Affaires dans la partie intitulée : Mes ouvrages[10], à n’imprimer que deux pages de Mes Contemporains, qui n’eussent point formé le chapitre le moins curieux de ses mémoires[11], et à mettre absolument de côté Mes Inscriptions.

De ces sacrifices, le plus dur fut sans doute le dernier, car il considérait Mes Inscripcions comme le complément indispensable du plus important de ses ouvrages, de Monsieur Nicolas : « Elles peindront mieux, dit-il, l’état de mon cœur que les plus éloquents discours. »

« Désormais, dit-il encore au § 459 de notre manuscrit, je ne ferai mon histoire que par le journal de ma vie, écrit en abrégé sur la pierre de l’île Saint-Louis. »

Ce passage montre ce qu’il faut penser du prétexte que nous avons réduit à sa juste valeur, quand il voulait expliquer la non-publication des Inscripcions.

Enfin ces dernières font, dans sa pensée, si bien partie intégrante de Monsieur Nicolas qu’il y renvoie dans le passage suivant[12] : « Voyez les deux extraits (du Journal de Paris et des Affiches de Province) page 000. » Le numéro de la page est resté en blanc parce que Monsieur Nicolas n’était point encore imprimé, mais on les trouve à la page 103 du tome XIV.


Le § 1164, qui termine Mes Inscripcions, en marque-t-il la fin ? Avons-nous un manuscrit complet, ou plusieurs feuillets ont-ils été perdus ?

La perte d’un certain nombre de feuillets semble probable, car nous verrons qu’en 1788, peut-être même au début de la Révolution, Restif continuait à écrire sur l’île Saint-Louis. De plus, un carnet ou Mémento, sur lequel il jetait des notes relatives à ses ouvrages, et dont nous aurons à reparler[13], renferme une page d’inscriptions conduisant jusqu’au 2 mars 1788. Il suit de là que notre feuillet 1027, qui s’arrête au 19 août 1787, ne peut être le dernier du manuscrit.

Quant à ceux qui sont chiffrés 1202-1203, ils font, croyons-nous, partie du « Grand état de mes affaires » dont il est question au § 548.

Complet ou non, l’ouvrage offre un intérêt incontestable. Vainement objecterait-on qu’il rapporte certains faits déjà connus par Monsieur Nicolas : cette répétition n’en prouve, au contraire, que mieux la sincérité de l’autobiographie de Restif ; elle démontre que Monsieur Nicolas, si incroyable que paraissent ses aveux, n’est point une histoire fabriquée à plaisir, ni même « romanisée », selon l’expression de l’auteur. Il faut l’accepter comme un récit authentique peignant « un homme tout entier ». À ce point de vue, Restif fut bien fondateur de l’école naturaliste.

Quelle différence, d’ailleurs, entre cet ensemble de notes écrites pour saisir au vol une idée, garder mémoire d’un dîner, d’un malaise ou d’un rendez-vous, soulager sa colère ou adoucir son chagrin, quelle différence entre cette reproduction instantanée du fait et la narration écrite à tête reposée, avec les développements et les digressions dont l’auteur était coutumier ?

Et non seulement on y trouve la preuve de la sincérité de Monsieur Nicolas, mais on y voit bien mieux ce que Restif, au milieu de préoccupations de toutes sortes, conservait de tendresse pour ses enfants, d’énergie pour son travail, luttant contre la censure, contre la critique hostile, contre l’homme indigne que sa fille aînée avait épousé malgré lui. On ne peut voir également que là comment il trouvait, de plus, le temps de fréquenter le monde, les théâtres, de secourir quelques infortunes, et — car il faut tout dire — de satisfaire son irrésistible penchant pour les galantes aventures.

« Maudit, s’écrie-t-il, soit celui qui n’ose parler de lui-même parce qu’il n’a que des vices et des platitudes recouvertes d’orgueil ! Maudit soit celui qui redoute le sourire niais des sots !… Maudit soit celui qui n’ose avouer ses défauts et qui veut pédantesquement passer pour un être parfait ! J’en ai avoué plus d’un et j’en confesserai de bien plus graves, dans un autre ouvrage (Monsieur Nicolas). D’où vient ne parlerais-je pas de moi ? Connais-je quelqu’un aussi bien que je me connais ? Si je veux anatomiser le cœur humain, n’est-ce pas le mien que je dois prendre[14] ?… »

Nous ne croyons pas que les psychologues de notre temps aient fait une profession de foi plus carrée, et nous ne sommes pas les premiers à le constater : M. R. Vallery-Radot le reconnaît aussi, et il prédit le développement progressif du « moi philosophique » dans un article du Temps[15]. Il y voit une conséquence logique du mouvement qui porte la seconde partie de notre siècle vers les journaux intimes, autobiographies et confessions. Il remarque qu’avec les progrès de la science, « sur les champs de bataille comme dans les luttes politiques, où tout se décide maintenant à coup de chiffres formidables, la personnalité humaine est de plus en plus écrasée ». Que se passe-t-il dans l’âme de l’individu, annihilé par la force brutale de la matière ? « Par un singulier contraste, par une sorte de revanche psychologique, ce moi entraîné comme un fétu de paille dans un courant de fatalité, est un moi plus pensant et plus souffrant que jamais. Assistant soit à la soustraction, soit à la ruine de ses efforts, il se réfugie dans un état permanent et aigu de sensibilité. Il s’étudie, il se regarde, il s’écoute vivre. Et ce qu’il cherche en dehors de lui, ce qui l’attire encore chez les autres, c’est cette même préoccupation d’individualisme….. » Ce besoin « d’enquête d’âme » est tellement impérieux que, si le récit émane d’un témoin obscur ou même d’un simple comparse, il n’en éveille que plus la curiosité, parce qu’il donne, « au lieu de la rhétorique sonore, à grand orchestre, des bulletins de victoire, la notation même d’un sentiment vraiment humain… »

En recherchant les précurseurs de l’école, M. Vallery-Radot salue, au passage, le « moi révolutionnaire » de Rousseau, le « moi bourgeois » de Marmontel, et il arrive au « moi paysan de Restif de la Bretonne, dans les premiers livres de Monsieur Nicolas ». Il ne s’occupe pas des derniers, où se trouve le moi humain. Mais M. Jules Assézat leur avait déjà rendu justice, en principe. Voici ses conclusions[16] :

« Les seuls livres durables, ceux que la postérité recherchera toujours, ce sont les documents historiques, biographiques ou autres. Tout livre qui n’a pas des qualités littéraires extraordinairement supérieures ou qui n’apprend rien sur une époque, une famille, un homme, disparaîtra à juste titre. L’histoire se refait tous les cinquante ans, et une histoire, si bonne qu’elle soit, ne tient pas lieu des mémoires particuliers. La science a besoin de nouveaux interprètes tous les quinze ans, au moins : leurs prédécesseurs sont déjà démodés ; le roman, le théâtre, à part quelques exceptions, suivent la mode. Il ne reste, au bout d’un siècle, et il ne restera éternellement de livres que ceux dans lesquels la préoccupation de bien dire aura cédé devant celle de dire quelque chose de neuf et d’original.

« Or, Restif a dit quelques-unes de ces choses. Quand il n’aurait fait que se montrer lui-même, il serait toujours recherché par les curieux, les seuls lecteurs sur lesquels il faille compter, dans l’avenir, et par les philosophes, qui n’auront jamais trop de pièces authentiques pour créer cette science si difficile, si compliquée, à peine ébauchée : la science de l’homme.»


Si Monsieur Nicolas a cette valeur, on peut l’attribuer plus encore à Mes Inscripcions, qui méritent, à coup sûr, encore mieux le sous-titre du Cœur humain dévoilé. Elles ont un autre mérite : leur concision nous épargne les peintures libres, multipliées dans le grand ouvrage. Quelques mots seulement, la plupart en latin, donnent de ce « demi-vieillard » une assez triste idée. C’est surtout ici que Restif a raison, quand il dit que, loin de vouloir « amabiliser » le vice, son but a été d’en montrer les conséquences funestes. Grimm, plein de dédain pour l’auteur du Pornographe, dont il avait oublié jusqu’au nom, a fini par lui faire amende honorable, quand « cet original » devint un homme célèbre. Il lui appliqua, alors, non sans justesse, le vers d’Horace :

Cum flueret lutulentus, erat quod tollere velles
.

Un certain nombre de critiques contemporains qui n’ont point de paroles assez amères pour en accabler Restif et les malavisés qui s’occupent de lui penseraient comme Grimm, s’ils se donnaient la peine de le lire, et de le lire sans parti pris. Ils cesseraient de le traiter, à priori, d’« écrivain cynique, dénué de toute espèce de talent », et de le renvoyer « à ses lecteurs ordinaires ».

La critique littéraire du milieu de ce siècle fut moins sévère, parce qu’elle apprécia sans subir l’influence de certains milieux. Le Rousseau du ruisseau, comme on l’appelait encore, fut relu à tête reposée. Des écrivains estimés firent revivre son nom dans des études spéciales. Le premier fut Gérard de Nerval[17]. Vinrent ensuite Charles Monselet[18], Paul Lacroix[19], Jules Assézat[20], Jules Soury[21]. Le prix des œuvres de Restif semble avoir monté proportionnellement. Vers 1850, à un étalage de la rue Touraine Saint-Germain (aujourd’hui rue Larrey), on achetait à quatre sous les volumes du Cœur humain et des Posthumes qui le complètent, dans une certaine mesure. Dix ans après, le libraire Alvarès, qui avait publié le volume de Monselet, revendait huit francs ce qui avait coûté vingt centimes. Éditée par Fontaine, la publication de Paul Lacroix détermina un second mouvement de hausse, en 1875. Dès lors, on peut dire que les productions originales de Restif firent prime à la Bourse de la librairie. Il y eut, un moment, de fortes exagérations ; on parla d’un exemplaire complet de Restif à vingt mille francs[22]. Aujourd’hui, on est beaucoup plus calme, mais le mouvement qui porte des délicats et des curieux à étudier ses œuvres et à les réimprimer, s’accentue. Le pied de Fanchette[23], Monsieur Nicolas ou le Cœur humain dévoilé[24], La vie de mon père[25], Le paysan et la paysanne pervertis[26], ont été, tout récemment, les objets d’éditions nouvelles. L’an dernier encore, un journal quotidien donnait en feuilletons une adaptation du Paysan-Paysanne[27].

Toutefois, ces réimpressions ne semblent pas devoir rendre à Restif la grande popularité qui fit, jadis, contrefaire les Contemporaines en Allemagne. Le goût du gros public est ailleurs, visiblement. Mais notre auteur n’en intéresse que davantage et il intéressera toujours les lecteurs d’ordre plus relevé, qui recherchent les documents humains, comme on les appelle avec justesse, et qui demandent exclusivement aux livres le tableau fidèle de leurs temps. Pour ceux-là, le roman devient, en quelque sorte, un complément vécu de la science ethnographique. La tendance a des côtés sérieux qui ne lui font pas redouter les caprices de la mode, et l’étude de mœurs sincère tend de plus en plus à prendre place dans les varia de l’histoire.

C’est, à nos yeux, ce qui a tiré et ce qui tirera toujours Restif de l’oubli.


II
RESTIF DE 1734 A 1788.


La vie de Restif est très connue. Nous nous bornerons à la résumer jusqu’à l’époque où finissent Mes Inscripcions. Nicolas-Edme Restif, né à Sacy, village situé à une demi-lieue de Vermenton, le 23 octobre[28] 1734, était l’aîné des enfants d’un premier mariage. Il ne prit le nom de La Bretonne qu’après ses premiers succès.

Tout en gardant les troupeaux, il avait, à onze ans, trouvé le moyen d’apprendre à lire, et feuilletait déjà la Bible.

C’était un enfant doux et timide que les filles du pays aimaient à taquiner et qui s’enfuyait à leur approche. Une ou deux aventures eurent bientôt fait de le rendre plus hardi.

Un jour, arrive au village le cousin Jean Restif, avocat : il interroge le jeune pâtre et reconnaît en lui des dispositions pour l’étude.

Son père l’envoie auprès de l’abbé Thomas, fils de sa première femme, sous-maître des enfants de chœur, à Bicêtre. Le séjour n’y fut point long : l’expulsion des Jansénistes arriva et obligea l’abbé Thomas à reprendre le chemin d’Auxerre. Nicolas fut placé chez un autre frère, curé de Courgis, qui lui fit commencer le latin.

C’est à Courgis qu’il vit Jeannette Rousseau, à laquelle il n’adressa qu’une seule fois la parole, ou pour mieux dire quelques mots balbutiés. Son souvenir ne le quitta jamais.

Une querelle avec ses frères le ramène au logis paternel : on le met en apprentissage chez un imprimeur d’Auxerre, M. Parangon.

Voir sa femme, la « céleste Collette », et en devenir éperdument amoureux, est bientôt fait. Encouragé par un Cordelier sceptique nommé Gaudet d’Arras, vaincu d’ailleurs par des sens déjà prompts à s’enflammer, l’apprenti fait violence à sa maîtresse. Malgré le relâchement de ses mœurs, il pense plusieurs fois à se marier. La vertueuse Parangon, qui lui a pardonné, va jusqu’à lui promettre la main de sa sœur Fanchette.

L’apprentissage fini, il quitte Auxerre et entre à l’Imprimerie royale de Paris. Peu satisfait du directeur Anisson Duperron, qui, paraît-il, exploitait ses ouvriers, il passe à l’atelier de Knapen, puis de Quillau.

L’ouvrage vient à manquer. Le voilà réduit à l’existence la plus misérable, quand arrive une lettre de M. Parangon qui lui offre une place de prote chez lui. C’était le salut ! Il accepte et court à d’autres infortunes. Mme Parangon était morte. Son mari, instruit de l’outrage fait à son honneur, avait juré de se venger à sa manière, en attirant son ancien ouvrier à Auxerre et en lui faisant épouser une fille perdue, Agnès Lebègue.

Il faut lire La femme infidèle pour se rendre compte de ce qu’était cette Agnès, avant comme après le mariage. Toutefois la haine, qu’elle partage avec son gendre, « l’infâme Augé », contre lequel Restif semble avoir eu de sérieux griefs, pourrait être moins méritée en ce qui la concerne. Les accusations dont il l’accable ont rencontré des sceptiques. Grimod de la Reynière affirme l’avoir entendue parler de son mari en termes convenables et même élogieux. Il est, cependant, assez invraisemblable que tout soit de l’invention de Restif ; il faut remarquer aussi qu’après la séparation des deux époux, leurs filles vinrent se réfugier chez lui au lieu de suivre leur mère.

Si on lui reproche d’avoir manqué de fermeté, il répond que son état précaire l’obligeait à fermer les yeux : « J’étais trop pauvre et trop occupé, dit-il, pour la mettre à la raison[29]. » On pourrait ajouter qu’il donna lui-même l’exemple d’une infidélité presque continuelle.

La publication de La femme infidèle, qui reproduit les lettres d’Agnès à ses amants et dont la honte retombe sur lui aussi bien que sur elle[30], ne peut s’expliquer que par son acharnement à dire la vérité. Ah ! s’il avait eu entre les mains la lettre suivante que madame Lebègue mère[31] écrivait après le mariage à l’une des sœurs de son gendre : « Ma fille a toujours été fausse ; elle a toujours été orgueilleuse et vaine. Elle a toujours été coquette, tant pour la mise que pour agacer les hommes… Elle a un défaut plus essentiel encore, c’est la fureur d’écrire à tort et à travers tout ce qui lui vient à l’esprit.» Et elle ajoute, cette mère prudente : « Je puis le dire, à présent qu’elle est mariée, aux parents de son mari ! »

Il devait apprendre, en effet, qu’à ses autres défauts, elle joignait celui de se croire du génie littéraire. La Femme infidèle reproduit des pièces de théâtre et des vers de sa façon, ce qui peut expliquer pourquoi elle parut, à Grimod de la Reynière, aimer son mari, dont la réputation flattait sa vanité. Le monde est plein de ces oppositions de sentiments. Sa manie d’écrire donne lieu à une plaisante sortie de Restif, dans Monsieur Nicolas : quelqu’un avait découvert, dans une de ses lettres, une pensée de Mme Deshoulières ; la trouvaille fut un prétexte à compliments qui agacèrent Restif : « Et moi aussi, s’écrie-t-il, j’ai les mêmes pensées, les mêmes expressions que nos plus grands hommes ! J’écris tolérance et philosophie, comme Voltaire ; mère et nourrice, comme Rousseau ; Rome et Chimène, comme Corneille ; Hippolyte et Britannicus, comme Racine ; Lovelace et Clarisse, comme Richardson ; Manon Lescaut, tout comme Prévost. Je dîne et je vais à la garde-robe, comme Turenne, et cependant je n’en suis pas plus fier ! »

Pour en revenir à ses infortunes conjugales, Restif ne pouvait accuser que lui-même. Avant son mariage, les preuves de facilité qu’Agnès lui avait personnellement données lui eussent ouvert les yeux s’il ne s’était point laissé aveugler volontairement par les sens[32]. Il en convient : « Jamais Poinsinet ne fut mystifié comme je me mystifiai moi-même. »

La rupture avec son patron était inévitable : elle suivit de près la cérémonie. Restif revint à Paris en qualité de prote.

Son premier séjour dans la capitale avait été marqué par des aventures de toute sorte avec des femmes de tout genre : ouvrières, courtisanes, grandes dames même. Le second ne différa guère du premier auquel il ressembla aussi sous le rapport de la misère. Les désordres d’Agnès augmentèrent les charges du ménage, qui ne tarda pas à se désunir. Chacun vécut de son côté : elle, avec ses adorateurs, Joubert, Fontanes et autres ; lui, avec toutes les femmes, surtout ses amies les modistes des rues de Grenelle ou Saint-Denis. Son bonheur était d’intriguer par des billets doux « pliés en éventail », et de donner des sérénades anonymes.

En même temps il se liait avec des hommes de lettres rencontrés chez ses libraires : Sébastien Mercier, Beaumarchais, la Reynière, Rivarol, Sylvain Maréchal. Mes Inscripcions montrent en quels termes il était avec eux.

Elles commencent avec la liaison de Restif et de Sara Debée, fille de son hôtesse de la rue de Bièvre, qui peut passer pour une ancêtre de Madame Cardinal. Cette liaison lui a fourni un épisode de Monsieur Nicolas et le sujet de la Dernière aventure d’un homme de quarante-cinq ans. Rien de plus simple que l’histoire de Sara, jeune personne coquette et dressée à cette fin par sa mère. L’étude est curieuse par la vérité avec laquelle sont mis en scène les divers personnages : Restif, Sara, Butel-Dumont, trésorier de France, censeur royal et économiste ; Lavalette, avocat et censeur royal. Les acteurs sont d’une vie telle, qu’on est de l’avis de l’auteur quand il appelle ce chapitre « le plus dévoilant du Cœur humain ».

Les Sara ne sont point rares en ce monde. La publication de son aventure lui valut des confidences. Il en concluait que les hommes et les femmes avaient à peu près les mêmes aventures, ayant les mêmes passions[33], et qu’en faisant sa propre histoire, il avait fait celle du genre humain.

Au point de vue du mérite littéraire de l’ouvrage, nous ne saurions mieux faire que de donner l’appréciation de l’abbé de Fontenay :

« En lisant la Dernière aventure d’un homme de quarante-cinq ans, le ton de vérité qu’on y trouve étonne, saisit et donne de la confiance. Il est impossible de mentir ainsi. On y voit des inégalités, des répétitions, mais on sent que ces défauts sont naturels à l’homme fortement affecté, qui trace journée à journée les effets de la passion funeste qui le tourmente. Si l’on trouve des lettres dans le récit, on sent qu’un romancier les eût faites autrement et l’on se dit : Ces lettres sont vraies. Si l’éditeur cite des histoires épisodiques, elles ne sont ni de son style ni de son faire. S’il peint l’amour, ce n’est pas une jolie chimère, c’est la réalité. S’il peint la jalousie, le désespoir, le lecteur, entraîné, sent le désespoir et la jalousie. On est convaincu que l’écrivain trace ce qu’il a éprouvé. C’est le principal mérite de cette production, écrite, du reste, par bonds et par sauts : le style en est tantôt vif, tantôt prolixe, diffus, languissant : même alors, il est pittoresque et montre l’âme affaissée de l’écrivain, qui se peint lui-même[34]. »

Pour se consoler de ses déceptions amoureuses, notre homme de quarante-cinq ans se promet de chercher le bonheur « dans d’autres soins que ceux d’un ridicule amour ». Le premier de ses soins est une visite à Mlle de Saint-Léger, femme auteur, jeune et jolie, qui possède une autre qualité essentielle pour lui : elle l’admire ! Comme elle n’a pas lu la Dernière aventure, Restif s’empresse d’offrir un exemplaire. La lettre de remerciement ne répond pas à son attente : c’est une critique amère. Il n’aime pas qu’on discute le fond ni la forme de ses œuvres ! Une rupture est la conséquence de la franchise de Mlle de Saint-Léger.


La vie laborieuse de l’écrivain est, ici, détaillée par le menu ; et ce menu ne peut qu’intéresser tous ceux qui ont passé par là. Ils verront Restif conduire à bonne fin plusieurs ouvrages à la fois et, se souvenant de son ancien métier, les composer parfois lui-même à la casse[35]. Ils le suivront dans ses démêlés avec la censure, dans ses rapports avec les éditeurs, avec ses confrères, dont plusieurs, nous l’avons dit, portent des noms illustres. Grimod de la Reynière l’invite à ses soupers. Nous aurons à reparler du célèbre gastronome, à propos des promenades de l’île Saint-Louis[36].

Non moins curieuses sont les polémiques avec les « sous-feuillistes », c’est-à-dire les journalistes ou les auteurs assez criminels pour lui marchander l’enthousiasme. Il traite, dans sa colère, l’abbé Geoffroy d’« appareilleur de l’Année littéraire », Fréron et les Fréronistes de « vils automates » ; Nougaret, d’« insecte littéraire ». Il ne cesse de poursuivre l'insecte de ses sarcasmes et de ses imprécations[37]. Restif ne pardonnait pas à Nougaret une « note infâme » parue dans sa « rapsodie », intitulée : Le tableau mouvant de Paris.

Parmi les ouvrages à la préparation desquels on assiste, citons :

Les Contemporaines, seconde édition. Elle est beaucoup plus curieuse que la première, à cause des lettres originales, notes, additions qu’elle renferme. Nous l’avons eue sous les yeux pour notre travail et pouvons affirmer qu’elle abonde en renseignements, non seulement sur Restif, mais sur les mœurs de son temps.

Monsieur Nicolas, « le plus intéressant, le plus utile de ses ouvrages », vient ensuite. Les sept premières pages en furent écrites le 14 novembre 1783. C’est un anniversaire qu’il n’a garde d’oublier. Il l’interrompt bientôt pour commencer Oribeau, « mal à propos intitulé par l’éditeur Les veillées du Marais ».

Les Françaises, quatre volumes terminés en vingt-six jours[38] !

Les fautes sont personnelles, comédie bâclée en trois jours. Mais que de remaniements à cette pièce ! Que de difficultés avec le théâtre, que d’entraves de toute espèce, pour aboutir à un échec ! À cette époque, Restif était piqué de la tarentule dramatique. Il n’eut que des soucis avec La Fille naturelle, La Cigale et la Fourmi, Le Jugement de Pâris, Sa mère l’allaita !!

Aucune de ces pièces ne fut représentée, du moins sur la scène, malgré la protection de Beaumarchais et de Mercier. Alors comme aujourd’hui, on n’arrivait au théâtre qu’à force de persévérance et de souplesse.

Mais Restif avait plus d’une corde à son arc : il s’attaquait à la linguistique comme aux questions sociales. Notre manuscrit, et c’est un de ses mérites, donne des fragments du Glossographe, qui devait compléter la série des Idées singulières, et qui ne parut point : ils s’ajouteront aux passages assez nombreux imprimés dans différents ouvrages.

Un autre projet qui ne fut jamais mis à exécution et dont il a dit à peine un mot dans les Françaises[39], est celui d’un Journal contradicteur, dirigé contre les journalistes et destiné à venger de leurs « bévues » les gens de lettres. Il fallait des fonds pour faire vivre ce périodique : Restif ne parvint pas à s’entendre ni avec le censeur De Montlinot, ni avec le comte de Béhague qui goûtaient fort son plan, mais qui, selon lui, voulaient une part un peu trop léonine dans les intérêts à venir.

C’est vers la même époque qu’il entreprend les Parisiennes et achève la Femme infidèle « commencée depuis longtemps ! » Puis il conçoit l’idée du Hibou spectateur nocturne, dont il modifie plusieurs fois le titre, avant de trouver celui des Nuits de Paris ; il assemble les matériaux des Provinciales, transformées ensuite en Année des dames nationales. Enfin il reprend, de temps à autre, le Monsieur Nicolas qu’il conduit jusqu’à la page 923, atteinte le 20 août 1785[40].

On n’aurait pas une idée complète du personnage, si on le croyait absorbé par ces nombreux travaux. Restif touche, en même temps, à mille choses, sans perdre une minute, allant et venant dans Paris, pour ses affaires comme pour ses amours, malgré la promesse qu’il s’était faite, après le mécompte de Sara. Renoncer à l’amour ! C’eût été, pour lui, renoncer à la vie !

En 1786, il est dans les filets de Félicité Mesnager, qui lui fournit « la dernière de ses grandes aventures ». Cette fois, l’erreur est de courte durée : d’un âge et d’une condition différente de celle de Sara, Mlle Mesnager joue un rôle identique auprès de lui, mais il n’en est pas la dupe : « Chose étonnante, écrit-il, même enthousiasme, même discours que Sara sur Lavalette !.. Je me suis senti très-refroidi. » (V. le § 735, P. 210.) Du reste, il n’a même plus l’illusion d’une réciprocité de sentiments qui est l’apanage ordinaire de la jeunesse.

Ses passions sont réduites à la satisfaction la plus vulgaire. Et pourtant ! Ne le voit-on pas s’occuper encore de sa belle Londo, de Mlle Poinot, des ouvrières de la rue de Grenelle ! Par exemple, il lui faut, désormais, se contenter de voir et de se montrer[41], en renonçant à de plus amples faveurs.

Les indications de travaux amoureux et littéraires sont entremêlées, dans son journal, du récit de ses infortunes conjugales, et surtout de ses querelles avec Augé. Ici, le doute n’est pas possible comme à l’égard de sa femme. Ce gendre est un misérable de la pire espèce[42]. La Reynière, qui ne ménageait point la vérité à son ami, et que nous avons vu défendre Agnès Lebègue, est sans pitié pour lui : « Je ne puis concevoir qu’un misérable, tel que celui qui vous tourmente, puisse avoir autant d’influence sur le bonheur d’un homme de génie… Il rendait votre fille malheureuse, vous l’avez soustraite à ses mauvais traitements : qu’avez-vous dorénavant à démêler avec lui ? Laissez-le clabauder tout à son aise… c’est un reptile qui s’agite dans sa fange. Ne lui laissez pas la satisfaction de croire qu’il vous rend infortuné : abandonnez-le à sa propre infamie. Vous l’avez fait connaître aux magistrats, à vos amis : vous n’avez rien à redouter de ses insultes, ni de ses propos. Il sera bien plus humilié par votre mépris que par votre vengeance. L’aigle qui plane dans les champs du soleil doit-il être troublé du coassement des grenouilles qui vivent dans le limon des marais ? Mettez plus de confiance dans les lois. Je vous répons qu’il ne se portera à aucun attentat contre votre personne. Je sais qu’il est veillé de près, et que, sans que vous vous en mêliez, il ne tardera pas à recevoir le châtiment qui vous est dû. »

Mais il désapprouve fortement Restif d’avoir dévoilé les noirceurs de son gendre dans La Femme infidèle et Ingénue Saxancour : « Vous n’avez pas vu qu’en couvrant de boue un homme qui, depuis longtemps, ne peut plus même être déshonoré, il en rejaillissait une grande partie sur votre fille même… Si jamais elle devient veuve, qui voudra d’une femme ainsi souillée et dont vous avez rendu la honte publique[43] ? »

Restif trouvait des compensations à ses malheurs domestiques chez ses filles Agnès et Marion.

Toutes deux étaient jolies. La seconde avait été surnommée « figure de vierge » par un ami de son père, le chevalier de Saint-Mars. Elle possédait « la qualité la plus essentielle des femmes, celle de donner aux malades les soins les plus doux ». Fort instruite, elle servait de secrétaire à son père et philosophait, à l’occasion, pour son propre compte. C’est encore la Reynière qui nous l’apprend : « Mlle Marion m’a fait l’honneur de m’écrire, le 11 mai, une lettre de dix pages in-folio très-serrées, que j’ai mis près de trois heures à lire. Il me faudrait trois jours pour y répondre… Je vous prie de faire agréer mes excuses à cette aimable et philosophe demoiselle[44]… »

Elle épousa son cousin Edmond, fils de Pierre Restif, resté laboureur à Sacy[45] et Agnès, après son divorce avec Augé, se remaria avec M. Vignon, dont les descendants existent encore aujourd’hui[46].

Toutes deux se conduisirent admirablement à l’égard de leur père, elles lui firent sentir « les douceurs de la paternité[47]  », qu’il savait apprécier et qu’il méritait par la tendresse dont il les entourait, par le mal qu’il s’était donné pour elles : « Hô comme il est des infortunés qui se privent du bonheur ! Je le sens mieux que personne (8 janvier 1788), en recevant les tendres soins de mes deux filles ! Puissent-elles être heureuses, et veuille le Ciel leur rendre un jour la double récompense de leur piété filiale[48] ! »


Aux deux grands chagrins de son existence, causés par sa femme et par son gendre, il faut en ajouter un troisième qui prenait une énorme importance à ses yeux : nous voulons parler des poursuites et des insultes des « poliçons » de l’île Saint-Louis qui, poussés peut-être par Augé, et certainement par le malin plaisir de tourmenter un vieillard d’étrange aspect, effaçaient ses inscriptions de dates sur les quais ! Le pauvre homme n’en dormait plus. Ses plaintes au commissaire de l’île ne produisaient aucun effet. Sa seule consolation était de les consigner sur ses cahiers, à côté de ses diatribes contre les ouvriers.

Ouvrier lui-même, il les connaissait mieux que personne et il avait le droit de les juger. Aussi quelle tristesse en voyant des anciens camarades abandonner leurs ateliers ! « Désolé contre les imprimeurs, s’écrie-t-il en 1788. Il n’est plus possible de faire travailler[49] … Aucun ouvrier ne travaille pour moi, aujourd’hui mercredi soir : le délire, la débauche, l’insubordination sont montés au comble[50] !… »

Puis il constate le mal qu’ont fait aux artisans certaines théories[51] ; on croirait ces lignes écrites d’hier : « 7 novembre 1785. — Il faut avouer qu’en tout pays, ce qu’on nomme le peuple, est un animal bien féroce ! Je suis paysan, on connaît ma façon de penser sur le peuple et sur les grands ; mais s’il faut dire ici, et sans humeur, ce que je pense, c’est que tous nos humanistes pourraient bien ne savoir ce qu’ils disent. Depuis quelque temps, les ouvriers de la capitale sont devenus intraitables parce qu’ils ont lu, dans nos livres, une vérité trop forte pour eux : que l’ouvrier est un homme précieux. Depuis qu’ils l’ont lue, cette vérité, ils paraissent prendre à tâche de la rendre un mensonge, en négligeant leur travail, et en diminuant de valeur au moins de la moitié : c’est ce qu’on entend dire aux maîtres de toutes les professions : « Nous ne faisons pas autant d’ouvrage, cette année, avec le double de bras, qu’il y a deux ans[52]. »

Cette autre mention prouve que les atteintes à la liberté du travail ne sont point d’invention récente : « 18 septembre 1786. — … Vu les maçons battre un des leurs qui voulait travailler, rue Couture[53]… »

Nous verrons plus loin comment il partait de là pour prédire la Révolution. Et il ne se trompait pas.


III
LA RAISON DES INSCRIPTIONS.


Il est temps de parler des inscriptions singulières qui occupent, dans ce livre, la première place. Nous remonterons à leur origine, nous montrerons l’importance qu’avait, pour Restif, son innocente manie. L’exposé documentaire de son caractère viendra ensuite : il achèvera de faire comprendre son enfantillage. Nous entrerons, à ce propos, dans des détails bien minutieux, parce que ces minuties peuvent, seules, donner une idée exacte du personnage.

Restif, étant ouvrier imprimeur à Auxerre, avait coutume, pour s’attirer les bonnes grâces des filles de la ville, de composer, en leur honneur, des poésies qu’il leur remettait, après les avoir soigneusement transcrites sur des cahiers.

Voici le titre du premier :

Nicolai Edmundini Annæ Augustini Restifii Saxiacensis carmina quæ cecinit in vitæ suæ infortuniis. Prunus codex, anno 1752[54].

Tout ce qui n’était point vers, dans ces cahiers, Codices ou Memoranda, comme il les appelait, était écrit en latin, langue que les leçons de l’abbé Thomas et plus encore son application au travail lui avaient rendue familière. Elle avait pour but de dérouter les profanes. C’est la découverte d’un deses cahiers qui lui avait valu une mercuriale de son frère et l’avait contraint de regagner le domicile paternel.
A Courgis, Jeannette Rousseau fut l’objet d’une de ses premières inscriptions sur le fameux Codex, dont nous ne soutenons pas, bien entendu, la latinité, à commencer par Russica. La voici intégralement :
Adoranda illa Russica prima mihi cor movit. Reputabam intus, die festo, in delubro Kurgiacæo, quæ mihi magis placeret amica. Species formaque jamjam visebantar, statura quidem, habitusque. Cùm hæc in mene volvebantur, ecce ad communionem accedentem Johannam deabus formosiorem aspicio. Amo statim, dein ardeo, sæpeque furo. Hæ Kurgisii evenere annis 1748. 9. 50[55].
L’extrait suivant des Codices, reproduit dans le Drame de la vie, rentre tout à fait dans le style des Dates de l’île Saint-Louis :
Dates de mes cahiers, de 1752 a 1754. Annus est cùm hic adfui primum. 14 Julii 1752[56].

Manè surgendo, 26 Octobre 1752, hoc reputo : quid sentiam anno sequenti, pari die et horâ ?… Revisi 53[57]. (Ce dernier mot signifie qu’il a revu ce passage, l’année suivante, 1753.)

Hodiè, 2 Junii, Sacram. Ch. festi prid. 1753, in horreo, juxta fenestram, cùm fessus sederem, annos superiores in mente revocavi Quid anni ante duo, quid unus cogitabam ? Quid abhinc duobus transitis annis, quid uno ?… 1754 eâdem die, ferè in eodem statu hæc lego[58].

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

O quam nunc Heræ meæ (Mme Parangon) formosissimæ amore excrucior infelici ! Animum ostendere conor. Dicam certè[59].

Quam malè me gero ! Ægroto y mæreo. Attamen amorem Heræ dicere cogito. Quam formosa ! Quam hanc felicem diem opto, quâ illi dicam amorem ardoremque ! 6 Octobre 1753… Obiit Coletta mense Martio, 1757[60].

Restif n’a pu rédiger les premiers livres de Monsieur Nicolas que grâce à ses cahiers. En les ouvrant pour y prendre ses notes, il ne put se défendre d’un accès d’attendrissement : « Les voilà, ces antiques cahiers, depuis quarante à quarante-cinq ans dépositaires fidèles de toutes mes pensées, écrites à mesure pour moi-même, non pour tromper les autres : je les dérobais à tout le monde… »

Il les relisait souvent et, à chaque lecture, ajoutait des commentaires en marge : « O tempus felix, écrivait-il en 1763, à l’aspect des premiers vers, quomodo abiisti ? Ebrietas diva juvenum, nunquam redibis ! » Il conservera, dans ses inscriptions de l’île, l’habitude de revoir et d’annoter les dates.

Voyons maintenant à quel mobile il obéissait. Il le dit dans Monsieur Nicolas :

« J’avais pour but principal de me ménager des anniversaires, goût que j’ai eu toute ma vie, et qui sera sans doute le dernier qui s’éteindra. L’avenir est pour moi un gouffre profond, effrayant, que je n’ose sonder ; mais je fais comme les gens qui craignent l’eau ; j’y jette une pierre. C’est un événement qui m’arrive actuellement. Je l’écris, puis j’ajoute : « Que penserai-je, dans un an, à pareil jour, à pareille heure ?… » Cette pensée me chatouille. J’en suis le développement toute l’année, et comme presque tous les jours sont des anniversaires de quelque trait noté, toutes les journées amènent une jouissance nouvelle. Je me dis : « M’y voilà donc, à cet avenir dont je n’aurais osé soulever le voile, quand je l’aurais pu ! Il est à présent. Je le vois. Tout à l’heure, il sera passé, comme le fait qui paraissait me l’annoncer ! » Je savoure le présent ; ensuite je me reporte vers le passé ; je jouis de ce qui est comme de ce qui n’est plus, et si mon âme est dans une disposition convenable (ce qui n’arrive pas toujours), je jette dans l’avenir une nouvelle pierre, que le fleuve du temps doit, en s’écoulant, laisser à sec à son tour… Voilà quelle est la raison de mes dates, toujours exactes dans mes cahiers, et de celles que je fais encore tous les jours. Mais, dans mes douze années de mort, à la fleur de mon âge, de 1755 à 1765-66, je ne datais rien, ou peu de chose. La variété de mes sentiments et de mes amours, leur force, que la variété n’affaiblissait pas, prouvent combien les romans les plus accrédités sont loin de la vraisemblance, avec leur suite bien raisonnée, qui ne se dément jamais !… »


Se « ménager des anniversaires », tel est donc le but constant de Restif. Ces anniversaires étaient ceux des événements importants de sa vie. Ainsi, le 14 juillet 1753, il se rappelle, en se levant, que, deux ans plus tôt, à pareil jour, il arrivait à Auxerre. Aussitôt, il ouvre son premier cahier et écrit, comme nous venons de le voir : « Il y a deux ans que j’arrivai ici en apprentissage. »

Mais écrire ne lui suffit pas, il sent le besoin de « célébrer sa commémoration », en revoyant les lieux par lesquels il était passé à son arrivée dans la ville ; il sort et parcourt les rues que son pied avait foulées le premier jour.

L’année suivante, il oublie jusqu’à midi de faire sa commémoration. Quel événement l’avait pu distraire de ce grave devoir ? Madame Parangon était partie, ce matin-là, pour Paris. L’émotion excusait sa distraction… qu’il se hâta de réparer dans l’après-midi.

Cette même année 1754, l’aimable Colombe, d’Auxerre, a pour lui des complaisances qu’il se hâte d’inscrire ; il en prend même les dieux à témoin : « 29 jun. Columbam amicam dulce habui… Dii boni, scitis quid egimus ! »

Au commencement de septembre de la même année, Restif marque ainsi le début de sa passion pour Rose Lambelin : « His diebus soleo loqui cum ingeniosâ puellâ Rosâ Lambelin, ad portam dominæ Chouin, carnicoquæ parisiensis vicinæ. »

Le 9 septembre, il écrit cette phrase dont nous avons déjà vu l’équivalent et qui revient sans cesse, aussi bien dans les dates de ses cahiers que dans celles de l’île Saint-Louis : « Hodie dico : quid anno sequenti, tali die, sentiam, dicam aut agam ? » Elle était, paraît-il, le signe d’une vive agitation.

Voyons la suite, pour la gradation des sentiments. Le 10 : « Ha ! quelle félicité !… Heri, quam egi dulce juxta puellam Rosam ! » L’explication suivante lui a paru nécessaire : « Cette expression qui est souvent répétée dans mes cahiers, agere dulce juxta puellam, ne signifie autre chose qu’une grande satisfaction morale, au lieu que habere dulce puellam y est un terme décent pour exprimer la dernière faveur. » Le 12 : « Ad puellam carissimam Rosam ivi, et j’ajoute : O felicitatem, si perdurares ! » Ce latin avait, pour Restif, l’avantage de lui procurer, à trente ou quarante ans de distance, des sensations délicieuses. Il lui semblait éprouver encore les émotions qui lui avaient dicté ses notes. Il recommande aux lecteurs de puiser à cette source de satisfactions : « O mes jeunes amis ! Écrivez vos actions dans votre jeunesse ! En cherchant, dans mes cahiers, je tombe sur mes dates, du 1er Auguste à la fin de décembre 1754, et elles me reportent délicieusement au temps où je les écrivais. Je m’y retrouve, je m’y sens, et quarante années s’effacent ! C’est une délicieuse extase qui dure quelques minutes, mais qui abreuve l’âme plusieurs heures d’une ambroisie enivrante et féïque. »

Ailleurs : « Il me semble, aujourd’hui, que ces vers et ces notes, en les relisant dans le même cahier où je les inscrivis, me remettent dans la situation où j’étais alors ; la vivacité de mon imagination réalise cette ivresse de jeunesse et d’amour dont il est si délicieux de sentir l’illusion[61] ! »

L’émotion est si forte, quand il rapporte, dans Monsieur Nicolas, l’histoire de Madelon Baron, morte à Auxerre au moment où il devait l’épouser, que la plume lui tombe des mains : « Le l6 février 1784, à trois heures et demie, dans mon lit où je travaille, je ressens le coup aussi douloureusement que le premier jour. Si je l’écrivais le 11 mars, je ne pourrais tenir la plume : les anniversaires m’émeuvent trop violemment. » Il s’arrête au milieu d’une phrase et dit, en note : « J’en restai ici, hier, suffoqué de douleur ; je ne pouvais plus écrire. »

Quand il fut installé dans sa proterie de Paris, Restif continua ses Memoranda. L’idée de graver sur la pierre de l’île Saint-Louis ne lui vint qu’en 1776 ; encore ne fut-ce qu’accidentellement. L’habitude n’en fut prise régulièrement qu’à partir de sa liaison avec Sara Debée. Il se servait d’une clef[62], qu’il remplaça ensuite par des fers[63] forgés exprès pour cette besogne.

Outre la facilité que présentaient les murs des jardins et les parapets des quais, l’île Saint-Louis avait l’avantage de lui rappeler certaine île de l’Yonne où il allait, autrefois, lire, rêver, « exhaler ses transports ». Elle s’appelait et s’appelle encore l’ile d’Amour.

Cependant, quelques dates importantes furent inscrites sur sa fenêtre ; par exemple celle du 8 août : Timor et tremor, relative à ses craintes pour la Paysanne pervertie. Cette date était répétée sur le quai.

Quand il commença La Dernière aventure d’un homme de quarante-cinq ans, l’idée lui vint que les inscriptions de « son île » pourraient servir à composer un curieux volume. Il écrivait en 1783 : « Si tous mes lecteurs devaient être affectés comme moi, je ferais un journal, et il serait assés intéressant ; il montrerait la gradation de cette passion impérieuse et cruelle (pour Sara Debée). » Les dates étaient, en effet, multipliées dans l’état de bonheur ou de malheur, rares dans l’état d’inertie ou de tranquillité d’âme[64] : « Quand je connus Sara, mes dates devinrent journalières ; j’allais soupirer sur mon île chérie, j’y écrivais chaque événement en abrégé, la situation gaie ou douloureuse de mon âme, lorsque je fus malheureux. C’est ainsi que, sans le savoir, je prolongeais mon attachement pour Sara, en entretenant ma sensibilité[65]. »

Par une contradiction dont il offre de nombreux exemples, tantôt il déclare insensibles les hommes ne comprenant point le mobile qui le faisait agir ; tantôt il convient de la futilité de son occupation. Le mot enfantillage est prononcé, dans le passage suivant de la Prévention particulière, où il explique sa manie : « Ma promenade de l’île est un enfantillage, mais il est quelquefois agréable d’en avoir, à quarante-neuf ans. Étonné d’être parvenu à cet âge, moi condamné, dans mon enfance, à une vie beaucoup plus courte, par tous ceux qui m’environnaient, cet étonnement est la source du plaisir que je trouve à écrire puérilement sur la pierre des dates que je revois deux, trois, quatre, cinq ans après avec attendrissement. Je ne sais si les autres hommes me ressemblent, mais c’est, pour moi une émotion délicieuse que celle occasionnée par une date, au-dessous de laquelle est exprimée quelquefois la situation de mon âme, il y a deux, trois ans. Si elle était triste, horrible même (car j’en ai de celles-là), je tressaille de joie comme un homme échappé du naufrage. Si elle était heureuse, je la compare et je m’attendris. Si elle était attendrissante, alors cet attendrissement se renouvelle avec force, il m’enivre et je pleure encore. Oh que la sensibilité est quelquefois délicieuse ! Oh que la sensibilité est, quelquefois, cuisante, affreuse, déchirante ! »

Sa promenade, accompagnée de la revision de ses dates, doublait donc le bonheur de se sentir vivre. S’il relevait de maladie, s’il éprouvait de la tristesse ou de l’inquiétude, s’il voulait se reposer d’un travail[66], son premier soin était de courir sur l’île. Là, devant les caractères à demi effacés par le temps, il se complaisait dans sa rêverie. Quelquefois, l’inspiration se faisait sentir : il raconte, dans les Nuits de Paris, comment, au cours d’une de ces excursions sérotinales, au moment où il venait de repasser dans sa mémoire trente années de son existence, il écrivit le commencement de cet ouvrage : « Dans ce désordre d’idées, j’avance, je m’oublie et je me trouve à la pointe orientale de l’île Saint-Louis. C’est un baume salutaire qu’un lieu chéri ! Il me sembla que je renaissais. Mes idées s’éclaircirent. Je m’assis sur la pierre[67] et, à la tremblante lumière de la lune, j’écrivis rapidement[68]… »


Outre les sorties subites, faites sous l’impression du moment, il avait des visites obligées, des commémorations qu’il qualifie saintes (sacra). Ainsi, jamais il n’eût manqué d’aller voir, le 14 septembre, ses « célèbres » dates de la rue Saintonge, au Marais, qui lui rappelaient Victoire Dorneval, fille d’un procureur, ni celle qui commémorait la mort de Pidansat de Mairobert, dont il avait gardé le cher souvenir[69].

Plus tard, quand ce Butel-Dumont dont il est question dans l’histoire de Sara, fut mort, il inscrivit son nom sur l’île, devenue l’île de la Fraternité, avec l’épitaphe suivante : « Mortuus est dives Dumont, o Sara ! A me fere solo luctus. Et nos inopes vivimus ! Lugeamus Dumont qui, si voluisset, féliciter nobiscum felicibus adhuc viveret ! 27 feb. 89. »

Il faut encore mettre au nombre de ses anniversaires importants le commencement et la fin d’une liaison de femme ou d’un ouvrage, les visites aux censeurs, les menées de ses ennemis plus ou moins imaginaires, la peur de la Bastille, etc. Les dates d’un intérêt secondaire sont celles de la réception d’une lettre, de la rencontre d’un ami ou d’un joli pied de femme (on sait qu’il tenait les jolis pieds en estime particulière), de la correction d’une épreuve, d’un accès de colère, etc., etc.

Cet amusement puéril lui jouait quelquefois de mauvais tours. Les malintentionnés n’avaient que l’île à parcourir pour lire dans son cœur et se tenir au courant. Il le croyait, du moins : « On pénétrait dans ma pensée, dit-il dans Monsieur Nicolas, en lisant mes dates sur l’île Saint-Louis ; on devinait mes dispositions et l’on agissait en conséquence. »

« L’infâme Augé » n’aurait point manqué une si belle occasion d’être désagréable à son beau-père. Il prit à tâche d’effacer les inscriptions et se fit aider, dans sa besogne, par les écoliers de l’île. Restif crut d’abord que le coupable était un ouvrier nommé Angelot, qu’il avait traité d’ivrogne et contraint de quitter une imprimerie. Mais il reconnut son erreur ; c’était bien Augé qui ameutait les « poliçons » contre lui : « Accablé de chagrins, exposé, le soir, par les menaces d’attenter à ma vie qu’a faites un scélérat ; insulté pendant le jour par la populace de l’île Saint-Louis, à laquelle ce misérable m’a désigné, je n’osais presque plus sortir seul, ni le jour, ni dans l’obscurité. Non que je redoutasse un homme, mais je craignais une surprise qui devenait facile aux malintentionnés, à cause de ma concentration[70]. »

Désespéré, Restif écrivit au secrétaire du prévôt des marchands, qu’il connaissait. Tout ce qu’il obtint fut une sentinelle, qui le protégea quelques jours[71]. C’était déjà beaucoup pour un homme atteint de cette manie lapidaire, qui ne pouvait exciter l’intérêt de la police municipale, au contraire.

Il fit part de son chagrin à ses amis qui s’y associèrent, peut-être en riant sous cape : « Vous êtes étonné, lui écrivait obligeamment le censeur Bralle, de ce que les polissons de l’île Saint-Louis vous prennent pour un espion ! Se sont-ils trompés ? Ne l’êtes-vous pas de nos travers, de nos défauts et de ceux de l’univers entier ? Et ne les dénoncez-vous pas, tous les jours, au tribunal de la saine philosophie ? Mais ces enfants, au lieu de vous craindre et de vous poursuivre, auraient bientôt gémi avec vous, si vous leur eussiez donné le mot de l’énigme : Tempus rigidum 1786[72] ! »

Donc, Restif ne goûtait plus tranquillement son plaisir favori. Ce fut bien pis quand Auge se mit à révolutionner le quartier par ses esclandres, à faire des scènes à son beau-père et à sa femme au jardin du Roi, dans la rue, jusque dans l’île[73]  ! « O mon île, s’écrie-t-il lyriquement, ton enceinte sacrée est polluée ! Un scélérat l’a profanée ! Depuis l’attentat de Moresquin (Augé), mon île est devenue, pour moi, un séjour de douleur ! »

Il en tombe malade et, pour ne point perdre ses précieuses inscriptions, il se décide, en septembre 1785, à les transcrire sur les feuilles qui nous les ont conservées. Non content de cette première précaution, il les emporte dans une chambre louée secrètement rue Saint-Jacques[74].

Toutefois, la « profanation » d’Augé ne l’empêcha point de continuer longtemps encore ses promenades. Il semble même que, plus les années s’écoulaient, plus sa passion augmentait. Le plus curieux est qu’en inscrivant les événements à leur jour, afin d’y retourner, les années suivantes, le même jour, et, autant que possible, à la même heure, il croyait « simplifier son existence ». La date du 6 décembre, inscrite six fois, réduisait les six années à six jours : « Je ne vois que ces six jours depuis 1779 et je me les représente seuls. Voilà, sous ma date, l’affection de mon âme exprimée. C’est mon thermomètre moral[75]. »

« Le tour de cette île est devenu délicieux pour moi. Tous les jours y sont inscrits sur la pierre : un mot, une lettre exprime la situation de mon âme. Voilà trois ans que cela dure… Je vis quatre fois, dans un seul instant, au moment actuel, et les trois années précédentes : il y a trois ans, à pareil instant, à pareil jour, j’étais ainsi ! Deux ans, ainsi ! L’an passé, ainsi ! Et aujourd’hui, ai-je perdu, ai-je gagné en bonheur ? J’exprime ma situation par le mot propre. Je compare le tableau, et cette comparaison me fait vivre le temps passé, comme dans le moment présent. Elle empêche, renouvelée, la perte des années écoulées, et qu’au bout d’un temps je ne me sois étranger à moi-même[76]. »

Ses commémorations annuelles sont assurées par un petit travail d’entretien. Par exemple, il écrivait, en 1783, la date du 6 octobre 1785, la visitait de temps en temps, la « rafraîchissait », et, le 6 octobre revenu, il écrivait : « Video tandem ! »

On a dit que la police, émue de la singularité de son occupation, avait fait gratter ses inscriptions, entre autres le nom de la marquise de Montalembert, tracé en caractères hiéroglyphiques (M.n.t.l.m.b.r.t.). Nous n’avons rien trouvé qui justifie cette assertion.

La marquise, femme du lieutenant général d’Angoumois et de Saintonge, avait rencontré Restif dans un dîner chez Lepelletier de Morfontaine, prévôt des marchands. Le soir même, il écrivait sur l’île : « 30 ap. 1784. — Je soupe chez M. Lepelletier avec trois dames, dont était la belle marquise de Montalembert[77]. » Le lendemain, plein de son souvenir, heureux des « mille marques flatteuses d’attention » qu’elle lui avait données, après le repas, pendant la lecture de sa Paysanne, il retournait sur le quai et ajoutait : « Je verrai, l’an prochain, ce qui sera résulté de cette rencontre. »

Ce qui en résulta, c’est qu’il ne la revit jamais. Elle s’était retirée dans un couvent. Il n’en a pas moins tracé d’elle un portrait enthousiaste dans L’Année des dames nationales : « La marquise de Montalemb…, dit-il[78], est une de ces femmes charmantes, destinées à embellir la société. Chéries parce qu’elles sont aimables et belles, constamment recherchées parce qu’elles sont sages, gaies, et que jamais elles ne forment ni ne font former de ces liaisons qui, tôt ou tard, exigent une rupture, on les rencontre toujours dans les mêmes maisons ; on leur voit toujours les mêmes amis dans les deux sexes. La marquise avait pourtant tout ce qu’il fallait pour faire naître une passion violente : charmes provocants de la tête aux pieds, doux sourire, bouche mignonne, belles dents, gorge adorable, la main parfaite, le bras arrondi, taille svelte, marche voluptueuse, jambe fine sans être sèche, pied souple et délicat. Joignez à cet extérieur une âme bonne et compatissante, qui lui faisait encourager la timidité. »

Réduit à se contenter du souvenir de tant de charmes et à écrire, chaque année, le 30 avril : Anniv. cænæ cum marchianâ M.n.t.l.m.b.r.t apud dominum Pelletier, il prit le parti de mettre la marquise au nombre de ses Muses : c’est elle[79], et non, comme on l’a dit à tort, la marquise de Marigny, qui est l’héroïne des Nuits de Paris, sous le nom de la marquise de M***.

Il convient ici de chercher jusqu’à quel point ces Nuits de Paris peuvent être classées parmi les mémoires personnels de Restif. Cela ne nous éloigne point de notre sujet, puisque ce sont précisément les Inscriptions qui vont nous servir à déterminer la limite exacte entre le roman et la réalité.

Dans les premières lignes de notre manuscrit, on lit l’inscription suivante : 5 novbris 1779, malum[80], à propos d’une maladie dont Restif souffrait.

Elle se retrouve dans les Nuits, mais avec une autre signification. Il ne s’agit plus de maladie, mais de la marquise de Montalembert : « Ce soir je sortis de bonne heure pour aller sur l’île… Arrivé sur le quai d’Orléans, mes yeux se portèrent sur la première date que j’eusse écrite, à pareil jour, en 1779 : 5 novbris, malum. Je ne saurais exprimer le sentiment d’attendrissement que j’éprouvai en me reportant à l’année précédente, en me rappelant ma situation, au même instant, à la même place, et la peine qui m’avait fait écrire le mot malum, relatif à Madame de M… Une foule d’idées se présentèrent : je restais immobile, occupé à réunir le moment actuel à celui de l’année précédente, pour n’en faire qu’un seul. Je m’attendris, mes larmes coulèrent, et cet attendrissement était délicieux ! Je baisai la pierre[81]… »

Or, en 1779, Restif ne connaissait pas encore la marquise. Mais laissons-le continuer :

« En revenant, je retrouvai, à la lueur du réverbère : Desperium ! Diva mulier nobis adempta, 17 septbris i. Plus loin : Silvia mortua, 29 aug. i. Plus loin : Nouvelles de la marq. Mal., 29 septbre i. Cette date est vis-à-vis la rue Bretonvilliers. J’avançais ainsi, retrouvant sur la pierre toutes les affections de mon âme pendant le malheur. Enfin, vis-à-vis le second jardin, je trouvai : Marches, recup. hod. 22 novbris i. Sacra. Je poussai un cri de joie, à la vue de cette date, qui était pour moi une véritable reconnaissance… Hô, si j’avais vu, écrite sur la pierre, la nuit de notre premier entretien, moi dans la rue, elle à son balcon ! Quels transports, en relisant cette date ! Je résolus de tout écrire, désormais, sur l’île, parce que c’était me fournir un véritable aliment de sensibilité. »

Ce passage montre avec quelle surprenante facilité notre graveur sur pierre s’exaltait toutes les fois qu’il était question de la marquise. Les inscriptions précitées ont été tracées, cela est probable, mais elles s’appliquaient à d’autres personnes, et quant à l’entretien du balcon, Restif a lui-même avoué qu’il n’a jamais eu lieu que dans son imagination.

On peut encore comparer, dans notre manuscrit, l’inscription : 30 Xbris Ad. Ad.[82] avec le passage des Nuits de Paris[83] où il lui donne une signification différente ; de même pour le 7 maii 70, Dolendo[84].

Les dernières pages des Nuits renferment un chapitre intitulé : Dates effacées. C’est une innocente vengeance contre mademoiselle de Saint-Léger, que Restif feint d’amener un jour chez madame de M*** et de présenter à Sara. Les deux jeunes personnes sont bientôt les meilleures amies du monde. Leur premier soin est d’aller voir les dates sur le quai et de gratter celles qui les concernent. Par une fantaisie de Restif, Sara, après avoir effacé le 31 maii, Sara non redita, efface le mot Sacra chaque fois qu’elle le rencontre, parce qu’elle le prend pour son nom. Les 1er mars, 2 avril, 3 mai, 4 juin, 5 juillet, 6 auguste, 7 septembre, 8 octobre, 9 novembre, 10 décembre, 11 janvier, 12 février disparaissent de la sorte[85].

Les jeunes filles vont faire part de leurs exploits à madame de M*** qui les tance vertement et leur ordonne de réparer leur méfait ; elles obéissent : Restif les aperçoit et se montre « indigné de la profanation », mais il se calme en apprenant qu’elles agissent d’après les instructions de la marquise.

Les Nuits de Paris sont presque entièrement écrites dans cet esprit de vérité relative. Seuls, les deux derniers volumes peuvent être considérés comme un journal authentique des débuts de la Révolution : l’auteur a soin de distinguer les passages où il écrit comme témoin oculaire de ceux où il raconte des faits qui lui ont été rapportés.

Il y a un peu à prendre et beaucoup à laisser, nous venons de le voir, dans les autres volumes. Mais le ton en est parfois si convaincu que les amis du Spectateur nocturne eux-mêmes s’y laissaient tromper. Grimod de la Reynière lui écrivait pour lui demander quelle dame se cachait derrière sa mystérieuse marquise. Il est vrai qu’au moment où paraissaient les Nuits, La Reynière était en exil et peu au courant des affaires de son collègue en originalité.

Tous deux s’étaient connus chez la veuve Duchesne[86], libraire, le 22 novembre 1782. La Reynière n’aurait eu garde d’oublier la date ! L’accueil affable[87] de l’auteur du Pornographe lui faisait un devoir de la retenir. De plus, particularité bizarre, Restif, ce jour-là, était entré, ou avait cru entrer dans sa quarante-huitième année, tandis que lui-même venait d’atteindre ses vingt-quatre ans : juste la moitié de son âge.

Leur confraternité s’affirme par des éloges mutuels. C’est d’abord La Reynière qui, dans ses Reflexions philosophiques sur le plaisir, appelle Restif « un des plus grands peintres du siècle[88] ».

Ennemi de la routine, des préjugés de caste et autres, adepte des idées nouvelles, Grimod avait tout ce qu’il fallait pour apprécier, en Restif, la sincérité naïve de l’homme, l’allure libre et fière de l’écrivain.

Naturellement, il en fit un invité des repas excentriques offerts dans l’hôtel de son père, fermier général demeurant rue des Champs-Elysées[89]. Restif parle de ces repas dans Mes Inscripcions, et plus amplement dans Monsieur Nicolas, dans les Nuits de Paris[90].

On sait que le premier eut lieu le 1er février 1783, en l’honneur de mademoiselle Quinault. Dans une salle funéraire, Grimod avait imaginé de banqueter, avec dix-sept invités, en l’honneur de l’actrice qui venait de mourir et qui, dès son enfance, lui avait témoigné de l’amitié.

Ce souper eut un incroyable retentissement : il fit enlever, en peu de temps, trois éditions des Réflexions philosophiques sur le plaisir, par un célibataire. Le Roi désira voir un spécimen des lettres d’invitation, et le comte d’Artois voulut, dit-on, y assister incognito. D’ailleurs, La Reynière avait lancé trois cents invitations pour satisfaire les curieux admis dans une galerie régnant autour de la salle.

Restif, qui n’avait pas été des dix-sept convives[91], prit part au second festin, le jeudi 9 mars 1786, et non en février 1784, comme il est dit dans Monsieur Nicolas. Ce fut une imitation de la Cène des Romains. Le maître des cérémonies n’avait annoncé qu’un plat : on en servit vingt-huit. Le repas avait été précédé d’expériences électriques et d’un spectacle d’ombres chinoises.

Une estampe des Nuits de Paris représente Restif attablé entre Mercier et l’un des frères Trudaine. M. Monselet s’étonne, dans ses Originaux du siècle dernier, de le voir, « par une particularité au moins incongrue », assis, la tête couverte de son chapeau. Il suffit de se reporter à la lettre d’invitation[92] pour apprendre que Restif était enrhumé, ce jour-là, et qu’il avait été autorisé à rester couvert. L’estampe est fidèle jusqu’au scrupule.

De son côté, Restif, dont l’ingratitude n’était point le défaut, rendait à l’amphitryon amitié pour amitié, éloge pour éloge. Les Nuits ont conservé ce portrait :

« C’est l’homme le plus poli du royaume. Loin de ressembler à nos fats du jour, M. de la R…, né de parens opulens, s’est étudié à se donner toutes les vertus opposées aux travers du siècle. On est frivole : il a voulu être appliqué. On est dédaigneux, impertinent : il a voulu se montrer affable et ne considérer que le mérite personnel. Il estime et cultive avantageusement les lettres… On le croirait du siècle de chevalerie, par ses égards pour les femmes…, etc. »

Un amour contrarié aurait été le point de départ de ses singularités et de ses dissensions de famille : on l’avait empêché d’épouser une de ses cousines, Mlle Angélique de Bessy[93], dont il était passionnément épris, et qu’on se hâta de marier avec un sieur Mitoire[94]. Les folies auxquelles il se livra, la maîtresse qu’il prit[95] pour oublier sa « céleste cousine », la publication d’un mémoire satirique dirigé contre le marquis de la Salle[96], décidèrent ses parents à demander son exil. Une lettre de cachet l’envoya dans l’abbaye des Bernardins de Domèvre, en Lorraine.

De Domèvre, Grimod entretint avec Restif une correspondance, reproduite dans le Drame de la vie et dans la seconde édition des Contemporaines. Elle dura jusqu’au moment où son libéralisme s’alarma des opinions avancées que la peur faisait professer à son ami, sous la Révolution.

Mais il est grand temps de revenir à notre sujet.

Les Inscriptions semblent avoir vivement intéressé La Reynière : « J’irai demain, écrit-il à Restif le 22 octobre 1785, faire le tour de l’île depuis cinq heures jusqu’à six heures. Si j’étais assez heureux pour m’y trouver avec vous, je redoublerais d’attachement pour ce séjour philosophique que vous m’avez rendu intéressant et cher depuis bien longtemps. J’entrerai par le Pont-rouge[97]. » L’originalité de cette fantaisie était faite pour lui plaire. Un des chagrins de son exil fut de ne plus l’accompagner dans ses pérégrinations. Presque toutes ses lettres y font allusion ; celle-ci parle de la promenade mentionnée dans notre § 548 :

« Vous rappelez-vous cette longue promenade avec M. Anaximandre[98], qui en est sorti pénétré pour vous d’un saint respect ? Avec quelle ivresse je me rappelle ces heureux momens ! Je vous assure que tous les plaisirs de Paris ne sont rien pour moi auprès de celui-là. C’est celui que je regrette le plus, qui va le plus à mon cœur. J’ai remarqué que, dans l’isle, vous étiez dix fois plus ouvert, plus confiant, plus aimant qu’ailleurs. Je reverrai avec un bien vif intérêt les marques que vous aurez faites pendant mon exil. Nous les visiterons ensemble, nous y marquerons l’époque de mon retour ; nous y passerons une soirée entière, pour l’y consacrer[99]… »

Grande est la joie de La Reynière, quand Restif lui annonce l’inscription, sur l’île, de la date de son départ pour l’exil[100]. Il se transporte, par l’imagination, sur les quais, aux heures du tour quotidien, se dit qu’à ces heures-là, son ami pense à lui et revoit son nom gravé en différents endroits. Un jour viendra, où ils pourront refaire ce tour ensemble[101]. Il ajoute que Pons de Verdun, de passage dans le pays, est venu le voir ; il demande que Restif lui fasse les honneurs de l’île, pour s’y entretenir de l’ami absent[102].

Ensuite, il donne des commissions de dates à Restif, le prie d’inscrire les 9 et 10 mars 1786 qui rappellent « la dernière de leurs orgies littéraires et nutritives[103] » avec MM. Trudaine, Le Pelletier, Mercier, de Chénier, etc. ; le 8 avril 1786, jour de la clôture des déjeuners philosophiques et semi-nutritifs[104] « qui n’existeront plus que dans le souvenir des hommes et dans la Lorgnette philosophique[105]  » ; le 27 mars 1785, où ils se sont promenés jusqu’à la Grève, où l’on tirait le canon pour la naissance du duc de Normandie[106] ; le 16 novembre, le 4 décembre 1786 et surtout les 22 et 23 mars 1787. Il ne s’explique point sur ces dernières dates relatives à la visite, à Domèvre, de plusieurs « belles dames[107] » dont l’une pourrait bien avoir été Mlle Feuchère, l’actrice du théâtre de Lyon qu’il épousa trois ans après.

Il va jusqu’à rédiger les inscriptions à faire : « Vous marquerez surtout, dans votre île, le 3, le 8 et le 10 juin, ainsi : 3 vel. 8 vel. 10 jun. dieb. felic. dilect. amb. luco Domaprensi », etc. Parfaite imitation du style de Restif.

Quelle dut être sa douleur en apprenant qu’il demandait l’impossible, — que la réalisation de son désir eût constitué un sacrilège, que les dates devaient être inscrites le jour même ou l’anniversaire du jour de l’événement !

La Reynière se résigne et se contente d’écrire docte et philosophe » demoiselle Marion ; il la supplie de rappeler ses inscriptions à son père, lors des anniversaires.

Les dernières lettres de Domèvre laissent percer un refroidissement vis-à-vis de Restif. La politique ne les accordait pas aussi bien que la littérature. Après avoir déclaré à celui qu’il appelait autrefois son « illustre ami », que, personnellement victime des abus de l’ancien régime, il les préfère à ceux du nouveau, il laisse échapper cette phrase qui peut passer pour un compliment, mais qu’il se fût bien gardé d’écrire, auparavant : « Vous avez beau graver dans l’île, sur la pierre ; ce que vous écrivez avec la plume bravera mieux les injures du temps[108]  ! »

Ils se revirent pourtant, après la Révolution, et un passage de Monsieur Nicolas laisse entendre que l’amitié de Restif pour La Reynière était supérieure aux vicissitudes de la vie[109].

Restif n’a publié qu’une réponse aux lettres du gastronome ; elle est datée de 1792. Le tour de l’île est resté sa seule consolation, depuis trois ans : « Je ne vois plus, dit-il, ni Bralle, ni la citoyenne Deluynes (sic), ni Sieyès qui m’a envoyé ses immortels ouvrages, ni le citoyen Senac-Meilhan, ni les deux honnêtes académiciens d’Amiens, ni Beaumarchais dont j’aurais pourtant grand besoin. On ne m’entrevoit plus que le soir, sur l’île, qui est mon cimetière à moi, m’entretenant volontiers avec les absens qui ne m’aigrissent pas, et jamais avec les présens… Je revois annuellement ces dates si fort étudiées, souvent effacées par Joubert[110]. Elles sont invisibles pour tout le monde, oblitérées qu’elles sont par le temps, mais je les retrouve, moi, et elles abreuvent mon âme d’amertume, de fureur et de vengeance… »

Il repousse le reproche adressé par La Reynière de n’avoir pas toujours haï « les suppôts de l’ancienne police », en lui apprenant qu’il a refusé, en 1783, deux mille livres de pension offertes par Lenoir et Martin, auxquels le libraire Valade l’avait présenté « par surprise » ; qu’il a bravé les menaces transmises par Fontanes, le 29 Auguste 1784, date écrite à deux endroits de l’île, avec le mot fugere : « J’ai tremblé, j’ai souffert, mais je n’ai jamais été lâche. »

Tous ses amis ont désiré voir ces fameuses inscriptions dont il parlait sans cesse : Marlin[111] lui écrivait pour lui reprocher de ne jamais accepter ses invitations et de demeurer invisible, quoiqu’il fût venu, en grande partie, à Paris, pour le voir : « Je comptais vous demander et obtenir l’agrément de faire une fois, ensemble, non pas le tour du monde, mais seulement le tour de l’île Saint-Louis. J’espérais que vous m’indiqueriés vous-même ces dates mélancoliques et délicieuses que votre main a tracées sur les parapets[112]. »

Le Drame de la vie se termine par une note prouvant que les inscriptions continuaient en 1792 et, avec elles, les désagréments : « Il faut, en finissant, que j’apprenne à mes concitoyens, qui viennent d’entendre beaucoup parler de mes dates sur l’île, qu’elles ont manqué récemment de me causer la mort ! Les enfans du peuple insulaire, instruits par un ennemi, m’ont insulté à coups de pierres et par des injures atroces, le samedi 3 novembre et lundi 5, 1792. J’ai résolu d’y mettre ordre. Ces tigres s’élèvent apparemment au massacre, et je réclame le secours de tous leurs concitoyens. J’ai écrit à leur commandant. »

La dénonciation d’Augé, qui l’avait fait arrêter le 14 juillet 1789, avait failli le dé- goûter à jamais de sa promenade : il raconte l’affaire dans la Semaine nocturne[113].

Au moment où il rentrait en son domicile par le pont de la Tournelle, un homme le força d’entrer au corps de garde situé à cet endroit. Là, il apprit qu’il était arrêté comme espion du Roi : « Ma foi, dit-il, je suis l’espion du vice, mais non celui du Roi ; je n’ai jamais eu l’honneur d’être en relation directe avec le chef de la Nation. » C’en était fait de lui si on l’eût conduit à l’Hôtel de ville, où le « monstre dénonciateur » le faisait accrocher infailliblement au fatal réverbère. Ce jour-là, d’ailleurs « on n’examinait rien ».

Mais Augé comptait sans les amies de son beau-père. Une jolie brune, Mlle Froment[114], avait observé la scène. Elle s’approche et parle au sergent de garde : « Hâ, dit-elle, c’est ce pauvre dateur que les enfans appelaient griffon, depuis qu’un vilain homme, petit et noir, le leur a fait remarquer. C’est un bon homme. Je me suis complue à le suivre pour lire ce qu’il écrivait. Cela était fort innocent… »

On relâche Restif, et sa libératrice se promettait de le revoir, mais il la détrompe par cette apostrophe en style pathétique : « Je n’y reviendrai plus, mademoiselle. Je chérissais mon île, mais la voilà profanée. Hélas ! elle l’était déjà. Un scélérat y a fait arrêter ma fille, malheureusement sa femme. Je ne pouvais le pardonner à ma chère île. Cependant, je l’aimais si tendrement que je n’ai pu la quitter, mais, aujourd’hui, je la renonce. Elle me fesait insulter par ses enfans ; je le lui pardonnais, parce que ses enfans n’étaient pas encore devenus cruels. Aujourd’hui qu’ils le sont devenus, ils la profaneraient en me pendant à l’un de ces réverbères sacrés qui m’ont si souvent éclairé dans le silence et l’obscurité de la nuit. (Me retournant et baisant la dernière pierre du pont de la Tournelle :) Hà ! ma chère île ! ma chère île, où j’ai versé tant de larmes délicieuses ! Adieu te dis, adieu pour jamais ! Tous les Français seront libres, excepté moi. Je suis banni de mon île ! Je n’aurai plus la liberté de m’y promener, et le dernier charme de ma vie est pour jamais détruit. »

« Je m’étais arrêté. La jeune personne était attendrie : « Vous y reviendrez pour nous », me dit-elle. « — Non, non ! le scélérat qui traîna ma famille dans la boue m’y ferait pendre à vos yeux… Je n’y reviendrai plus… »

« Et je n’y suis plus revenu. Le 14 juillet 1789 est la dernière de mes dates sur l’île. O 14 juillet, c’est toi qui, en 1751, me vis arriver à la ville, pour la première fois, tel que me présente la première estampe du Paysan-Paysane ! C’est toi qui m’ôtas aux champs pour jamais, et c’est toi qui me bannis de mon île !… »

Il n’y revint pas, en effet… de quelques jours. L’habitude était trop invétérée, l’attraction trop vive pour qu’il pût se tenir parole. Il y retournait, bien qu’Augé l’eût de nouveau fait arrêter et lui eût fait passer « à la Ville » la nuit du 28 au 29 octobre 1789[115] ; il y retournait encore en 1792, comme nous l’avons vu par la correspondance de La Reynière, qui « souffrait » de le voir éloigné de ce lieu et le remerciait d’avoir « regravé » les dates qui le concernaient[116] ; il y retournait en 1795, quoiqu’on y eût assassiné un homme pris pour Dupont de Nemours, ex-constituant[117], et qu’il eût fait d’assez sérieuses réflexions à ce sujet.

Pourquoi cet entêtement dangereux ? C’est que l’île était désormais pour lui ce qu’avaient été autrefois les yeux des belles : un irrésistible aimant. Il cherche à s’expliquer cet amour pour un endroit où il avait éprouvé tant d’ennuis[118] :

« D’où vient me promené-je ici, en m’exposant aux insultes, depuis 1785, que j’y fus injurié pour la première fois, après que j’eus été désigné aux enfans, par le scélérat qui me fit passer une nuit à la Ville, du 28 au 29 octobre 1789 ? C’est que je suis avide de sensations ; c’est que, par mes dates que je revois toujours avec transport, à la lueur de ces réverbères, je me rappelle les années où je les ai écrites, les passions qui m’agitaient, les personnes que j’aimais. En revoyant une date, d’aujourd’hui, par exemple, je vois qu’en 1777 j’étais heureux, en composant le Nouvel Abeillard, en aimant l’aînée Toniop[119], si propre, si élégante ; qu’en 1778, mon bonheur était troublé par une imprudence ; qu’en 1779 Je perdis Mairobert et l’espérance d’achever un ouvrage important, dont on voit quelques lambeaux dans le Paysan-Paysane, les Françaises, etc. ; qu’en 1780, j’étais dans l’ivresse causée par Sara ; qu’en 1781, j’étais dans la douleur causée par la même ; qu’en 1782, j’étais tranquille ; qu’en 1783, j’étais doucement agité par mon goût pour madame Maillard ; qu’en 1784, j’étais tremblant pour ma Paysane pervertie, qui était menacée ; qu’en 1785 j’étais étonné des pertes que j’avais évitées cette année ; qu’en 1786 je composais les Parisiennes ; qu’en 1787 je commençais les Nuits de Paris ; qu’en 1788 je les achevais ; qu’en 1789 je venais ici (dans l’île) en tremblant ; qu’en 1790 j’avais des peines cruelles et une sorte de désespoir ; qu’en 1791 j’étais encore dans la douleur ; qu’en 1792 j’ai fini d’imprimer le Drame de la vie ; qu’en 1793, qui est aujourd’hui, j’ai trouvé un ami généreux[120] qui vient à mon secours, pour achever d’imprimer mon Année des dames nationales et commencer Les ressorts du cœur humain dévoilés. Je vis, en un seul instant, dans quinze années différentes ; je les goûte, je les savoure… Voilà pourquoi je reviens ici, à tous risques. Il est vrai que la tranquillité dont les enfans de la populace m’y privent diminue ma jouissance ; mais ils ne l’anéantissent pas tout-à-fait. Je ne saurais plus goûter ici les rayons bienfesans du soleil ; je n’y puis venir que le soir, au risque d’être assassiné par des bandits, mais cette crainte n’anéantit pas entièrement ma sensibilité. »

Cette dernière note, de l’hiver 1792, montre combien il avait été dangereux pour lui. Mais il a beau être lapidé, couvert de boue et d’insultes par les gamins sans pitié dont il est le souffre-douleur, le pauvre Restif revient encore pleurer dans son île :

« Note.

C’est dans une simple note que je dois raconter, non les anciennes injures qui m’ont été faites sur l’île, mais les nouvelles. Le 3 novembre 1792, je passais, revenant de la pointe orientale. Les enfans fesaient une patrouille factice. Je m’en croyais oublié, ou inconnu. Mais un seul, qui était des anciens galopins qui m’insultaient, avertit les autres. Aussitôt, tous ces enfans se mirent à m’injurier et à me jeter des pierres. Je me hâtai de me retirer par la rue des Deux-Ponts. Ils me poursuivirent, me couvrirent de boue, et ils auraient exposé ma vie, s’il s’était trouvé là quelqu’un des grands vauriens qui m’avaient autrefois insulté. Je connais trop bien le peuple pour avoir réclamé le secours de la garde. La sentinelle me vit, mais elle eut la bonté de me laisser passer. Je me dérobai par la rue Guillaume… Le 5, je fus encore plus grièvement injurié et j’entendis ces petits Ogres dire entr’eux qu’il falait aller chercher des hommes pour me tuer. Je fus assailli de pierres et blessé. Je ne dus mon salut qu’à l’idée d’aller chercher des hommes : je rentrai dans l’Ile par la rue occidentale Saint-Louis. J’entendais les Ogres galoper après moi sur les quais. Je courus comme eux, afin qu’ils ne me devançassent pas, et j’eus le bonheur d’attraper le pont de la Tournelle, au moment où ils arri- vaient au corps de garde. Aussi, depuis, je viens tard et, en quittant l’Ile, je l. b. et j. m. f. inf. H. »

Restif employait volontiers de mystérieuses initiales. On pourrait lire ici : Je la baise, et je me fonds en pleurs (in fletibus ?).

IV

RESTIF JUGÉ PAR SES CONTEMPORAINS.

Dès 1769, la publication du Pied de Fanchette et du Pornographe commença la réputation de Restif. Cependant, son premier succès ne date véritablement que du Paysan perverti (1775), dont la vogue força l’attention de la critique, jusque-là dédaigneuse.

En 1770, Grimm avait déclaré ne point connaître le nom de l’auteur de La Mimographe, qu’il trouvait ennuyeux et auquel il reprochait ses néologismes, entre autres le verbe inconvénienter : « C’est son livre, s’écrie-t-il, qui inconvénienterait les progrès du goût, s’il était possible de le lire ! » Et quand parurent, deux ans plus tard, les Lettres d’une fille à son père, même dédain : « Ces lettres, dit Grimm, sont d’un original dont le nom ne me revient pas. »

Cependant, tout le monde parle du Paysan perverti, que les uns attribuent à Diderot, d’autres à Beaumarchais. Grimm change de ton, croyant que ce dernier y a collaboré : « Plein d’invraisemblance, de mauvais goût, souvent du plus mauvais ton, ce livre promène l’esprit sur les scènes de la vie les plus viles, les plus dégoûtantes, et cependant il attache, il entraîne… Il y a longtemps que nous n’avons point lu d’ouvrage français où nous ayons trouvé plus d’esprit, d’invention, de génie. Où le génie va-t-il donc se nicher ? » L’année suivante, à propos de L’École des pères, il appelle Restif « un des plus robustes cyclopes de la forge de Jean-Jacques ». Plus tard, il reconnaît les mêmes qualités, les mêmes défauts dans La Malédiction paternelle (1779), Les Contemporaines (1780), La Dernière aventure (1783). La Paysanne pervertie lui semble remplie de situations ingénieuses, de caractères naturels et vrais, de peintures pleines de coloris et de passion : « Il y a, dans ces tableaux, une chaleur, une négligence, une vérité de style qui donne de l’intérêt et même une sorte de vraisemblance aux événements les plus extraordinaires et les plus légèrement motivés. La bonne foi de l’imagination de l’auteur est, si l’on peut s’exprimer ainsi, la magie de son talent. »

Le rédacteur de la Correspondance secrète, Métra, se montre plus enthousiaste encore, sans en avoir l’air. A première lecture, Le Paysan lui paraît scandaleux. Il s’étonne que la police n’en ait point interdit la vente. Le succès de l’ouvrage le radoucit. Il a fini par s’apercevoir qu’ « au milieu des fautes de langage, des longueurs, etc.. il fourmille de traits de génie ». Il plaisante l’auteur sur son ancien métier et joue sur les mots en l’appelant « l’homme de lettres, le com- positeur par excellence, qui a été prote, compositeur d’imprimerie ». Mais ce prote a du moins « l’avantage d’avoir un faire, une manière à lui, et d’offrir des tableaux vrais de ce qui se passe journellement dans les classes inférieures de la société ».

D’après le même Métra, Les Contemporaines sont d’abord « des contes à dormir debout ». Cependant l’ouvrage s’enlève, et il y revient : « Il est peu d’hommes qui reconnoissent leurs femmes parmi les héroïnes de ces aventures, mais il n’est pas de femme qui n’y reconnoisse sa voisine, trait pour trait… En général ces petits ouvrages respirent une morale pure et même un peu sévère, comme celle de la soumission des épouses à leurs maris. » Ce mot est bien du temps.

D’autres critiques ne se laissent point désarmer, et condamnent Restif, qui les classe parmi « ces puristes » dont il a horreur. La Harpe surtout est sa bête noire. La Harpe a écrit que le Paysan perverti « est, en général, l’assemblage le plus bizarre et le plus informe d’aventures vulgaires mal amenées, du plus mauvais style et du plus mauvais goût ».

C’était, en effet, peine perdue que chercher là du bon goût. Le terrain ne s’y prêtait pas. Cependant, La Harpe n’est pas plus injuste que ses confrères, car il ajoute : « Au milieu de ce chaos, on est tout étonné de trouver des morceaux qui prouvent de la sensibilité et de l’imagination[121]. »

L’École des Pères était, selon La Harpe, un ouvrage « d’une assez bonne morale, mais un peu diffus et ennuyeux ». Dans Le Nouvel Abeilard, les idées étaient ingénieuses, mais l’auteur avait le défaut de donner pour intéressants les moindres faits : « C’est ainsi que l’on parvient à faire quatre gros volumes qui coûtent d’autant plus à lire qu’ils ont coûté moins à faire. »

Et, comme Métra, il persifle Restif à propos de son métier de typographe. Il va plus loin. Il reproche à Mercier d’avoir consacré tout un chapitre du Tableau de Paris au Paysan perverti : « On reconnaît Mercier aux louanges emphatiques qu’il donne aux plus mauvais écrivains, par exemple au trop fécond Restif de la Bretonne… Il s’écrie plus d’une fois, dans son enthousiasme risible : Oh ! Restif de la Bretonne ! Il ne manque plus que d’entendre M. Restif de la Bretonne s’écrier : Oh ! Mercier ! Et ce sera le concert de Gryphon et de Syphon, dans l’épigramme si connue de Rousseau. »

La Harpe était bon prophète ; le concert eut lieu, et, à vrai dire, la gratitude devait l’amener. Restif fit, dans les Nuits de Paris[122], un éloge complet du Tableau de Paris. En quoi il ne saurait passer pour un flatteur, car cette vivante étude des mœurs parisiennes se lira toujours avec intérêt. Sébastien Mercier resta chaud partisan de

Restif. Leurs relations commencèrent précisément à propos de ce Paysan perverti pour lequel Mercier avait exprimé spontanément son admiration, sans connaître l’auteur. A la lettre de remerciement de Restif, il avait répondu en le priant de venir le voir, à Montrouge : « 31 août 1782. — J’ai à vous narrer l’histoire de vos grands succès dans toute la Suisse : votre nom y est devenu l’égal des plus grands noms. Et moi, je ne m’en étonne point : il y a longtemps que j’ai pensé que, du côté de l’invention, du génie et de la fécondité, personne ne vous égalait. »

La seconde édition des Contemporaines[123] contient d’autres lettres où Mercier, qui ne s’enthousiasmait point à demi, le traite de « grand peintre des mœurs nationales » et raisonne ainsi ses préférences : « Mes confrères ne savent pas tous lire. Ils lisent en auteurs. Je lis en qualité d’être sensible et qui demande à être remué. Je l’ai été cent fois, en vous lisant, et, de plus, vous m’avez donné des idées que je n’aurais pas eues sans vous. Voilà le fondement de mon estime. »

Cette mutuelle amitié se maintint jusqu’à l’année 1796, où Restif, présenté par Mercier comme candidat à l’Institut, n’obtint qu’une voix, celle de son ami. Les académiciens lui reprochaient son manque de goût. Crut-il avoir été mal secondé par Mercier ? On ne sait. Toujours est-il qu’il lui en voulut de cet échec. Il poussa l’injustice au point de démentir ce qu’il avait dit du Tableau de Paris, soutenant que « Mercier n’avait rien vu de ce qu’il fabulise, pas même les auberges à quatre sous, qu’il décrit d’imagination ».

Beaumarchais montra toujours de l’amitié à Restif et lui rendit service aussi souvent qu’il le put. Dès l’année 1778, il lui avait offert la place de prote dans son imprimerie de Kehl. Plus tard, il arrangea une affaire désagréable que lui avait suscitée une des nouvelles de ses Contemporaines. Il lui écrivit, à ce propos : « Paris, 18 juillet (1780). — Je reçois votre lettre, Monsieur. Je vous prie de me venir voir ; je serai peut-être assez heureux pour arranger votre affaire. Je connais M. Picard[124], je ferai parler ou je parlerai à la dame Contemporaine. Je vous consolerai et vous proposerai une distraction peut-être agréable. Venez et nommez-vous à ma porte, qui vous sera ouverte en tout temps. Je vous salue et vous attendrai le matin qui vous conviendra. Beaumarchais. »

Quand, après un exil de trois ans, Beaumarchais, rentré en France, vit Restif besogneux, il lui exprima, en termes émus, le chagrin de ne pouvoir lui être utile ; il terminait sa lettre ainsi : « J’ai perdu, mon ami, le plus touchant plaisir de mon aisance : la possibilité d’obliger, du moins jusqu’à des temps moins désastreux… Je vous aime et ne puis vous aider[125]. » Restif devait avoir d’autres amis qu’il ne soupçonnait guère. Quelques-uns portent des noms illustres : Schiller, Gœthe, Humboldt, Lavater.

Le premier écrivait à Gœthe, le 2 janvier 1798 : «…Avez-vous lu, par hasard, ce singulier ouvrage de Restif : Le Cœur humain dévoilé ? En avez-vous du moins entendu parler ? Je viens de lire tout ce qui en a paru, et malgré les platitudes et les choses révoltantes que contient ce livre, il m’a beaucoup amusé. Je n’ai jamais rencontré une nature aussi violemment sensuelle. Il est impossible de ne pas s’intéresser à la quantité de personnages, de femmes surtout, qu’on voit passer sous ses yeux, et à ces nombreux tableaux caractéristiques qui peignent, d’une manière si vivante, les mœurs et les allures des Français. J’ai si rarement l’occasion de puiser quelque chose en dehors de moi, et d’étudier les hommes dans la vie réelle, qu’un pareil livre me paraît inappréciable[126]… »

« Gœthe[127], lui aussi, prisait fort Monsieur Nicolas et désirait connaître l’auteur. C’est, du moins, ce que Schiller avait mandé à Guillaume de Humboldt, qui se trouvait alors à Paris. Le 21 septembre 1798, Schiller écrivait à Gcethe que Humboldt connaissait la personne de Restif, mais non ses ouvrages. Quelques mois plus tard, dans une lettre datée de Paris, le 18 mars 1799, Humboldt pouvait, envoyer à Goethe ce portrait : « Restif est petit, mais robuste et bien bâti ; son visage est frappant… Il a une tête ovale, un front haut, un grand nez aquilin, des yeux noirs, tout de flammes, aux sourcils noirs aussi, mais extraordinairement touffus et longs, si bien qu’ils descendent sur les yeux. Rien de dur ou de sauvage, cependant, dans la physionomie. Il parle beaucoup, à haute voix, et avec une véhémence emportée, une ardeur sans frein. »

Cette description ressemble bien au portrait gravé qui se trouve dans Le Drame de la vie et qui a souvent été reproduit.

A cette époque, Humboldt avait lu Monsieur Nicolas : « Humboldt ne s’est fait aucune illusion sur l’homme, mais il n’en continue pas moins de vanter, avec Schiller et avec Goethe, le Cœur humain dévoilé. C’est, pour lui, le livre le plus vrai, le plus vivant qui ait jamais existé. Ce n’est pas un livre, c’est un homme qu’on voit et qu’on entend. Si ce n’est pas une histoire, c’est encore moins une fiction ; Restif n’aurait jamais inventé tous ces récits : il n’en était pas capable… Humboldt estime, en profond psychologue, que celui qui n’a pas lu cet ouvrage ne connaîtra jamais bien le caractère français[128].

Une lettre de la Reynière montre que Lavater avait conçu une haute opinion des œuvres de Restif, qu’il comparait à l’un des romanciers les plus en vogue alors : « Le célèbre Lavater a lu plusieurs de vos ouvrages et m’a beaucoup questionné sur votre compte….. M. Lavater me retint près de quinze jours à Zurich[129], et nous avons souvent parlé de vous, dont il fait grand cas, et qu’il appelle le Richardson des Français[130] »

A force d’en entendre parler, les grands seigneurs voulurent avoir à souper l’auteur à la mode, et Restif se vit inviter par les ducs de Gesvres, de Mailly, de Montmorency, par la duchesse de Luynes, par la marquise de Clermont-Tonnerre. On trouve, dans Mes Inscriptions, la mention du fameux dîner des Académiciens d’Amiens, où de nobles convives avaient eu l’idée originale de se déguiser afin de voir l’auteur du Paysan au naturel.

Sous ce rapport, le Paris mondain n’a point changé ; il cajole encore et cajolera toujours l’homme dont on parle le plus.

Quoique d’un caractère un peu sauvage, Restif acceptait assez souvent des invitations qui lui permettaient d’étudier un monde inconnu : « J’ai vu, dit-il, le genre humain : les bonnes gens chez mon père ; la plate bourgeoisie à Auxerre ; la canaille à Paris ; la bonne bourgeoisie chez Butel-Dumont ; la magistrature des deux genres et même la noblesse chez M. Le Pelletier de Morfontaine ; l’auteuraille, la médicaille, l’intrigaille, l’actriçaille, la charlatanerie de tous les genres chez mon ami Guillebert, qui se plaisait à me faire étudier ce monde-là ; la finançaille chez M. de la Reynière père ; tout le monde chez son fils[131]. »

Il ne pouvait, d’ailleurs, qu’être flatté de la cause première de politesses qui honoraient en lui l’écrivain. S’il était recherché, c’était « comme un objet rare, que personne n’avait eu et qu’on était bien aise de montrer ». Mais c’étaient Le paysan et la paysanne pervertis qui le mettaient en relief, et les compliments faits à l’homme allaient droit à son œuvre.

V
SON CARACTÈRE.

Les précédents chapitres ont déjà permis de juger le caractère de Restif. Nous achèverons de le peindre en quelques traits.

Nous avons vu qu’il aimait les compliments. Pour la même raison, il ne pouvait supporter le blâme. Malheur à qui s’avisait de le critiquer ! Menteur, infâme, misérable faussaire, aussi méchant, sot, lâche, que méchant écrivain, telles sont les épithètes dont il salue l’auteur d’articles parus dans le Journal de Nancy (1782). Il faut dire que le second de ces articles était orné d’une estampe représentant les ruades d’un âne fouetté par un paysan. Le nom de Restif était écrit sous l’âne, et celui de « Monsieur de Nancy » sous le paysan. Il reçut le numéro le jour de la Pentecôte. On verra, dans Mes Inscriptions, l’effet produit par cet envoi.

Selon son habitude, il a reproduit in extenso l’article du journal, dans l’appendice d’un des volumes de la seconde édition des Contemporaines, afin de reprendre toutes les accusations de son « ennemi » et d’y répondre victorieusement.

Il a avoué que tout blâme lui causait « une peine cruelle ». C’était là une des causes de rupture les plus fréquentes avec ses amis. C’est ainsi qu’il se brouilla avec Mlle de Saint-Léger, avec Nougaret, avec l’abbé de Fontenay et tant d’autres.

C’est encore un froissement d’amour-propre qui le sépara de Mercier. Milran (Marlin, de Dijon), un de ses plus fanatiques enthousiastes, encourut sa colère non seulement parce qu’il prit le parti d’Agnès Lebègue, dans les querelles du ménage, mais parce qu’il ne loua pas sans réserve toutes les nouvelles des Contemporaines[132] et dit franchement son opinion sur La femme infidèle[133]. Milran ne lui avait cependant pas ménagé l’expression de son admiration pour certaines autres nouvelles, après lecture desquelles il lui écrivait : « Viens que je t’embrasse, ô mon compatriote[134] !… C’est toi qui, le premier après l’illustre Jean-Jacques, as appris à l’homme à s’apprécier, non par le rang, non par les richesses, fruits du crime ou du hasard, mais par ses mœurs, par son travail, et ce travail lui-même par son degré d’utilité dans l’état social. Oui, je t’admire, même en te critiquant ! »

Mais Restif ne voulait que l’admiration, sans nuance, et Marlin s’en aperçut à ses dépens. Grand fut son chagrin. Bientôt, n’y pouvant tenir, il écrit à un ami que, malgré ses raisons légitimes d’en vouloir à Restif, il continue sa ferveur « au peintre des portraits vigoureux de La Paysanne pervertie, et à celui qui copie si fidèlement la nature ». En outre, deux de ses lettres au censeur Toustain-Richebourg[135] montrent son désir de réconciliation. Restif s’empresse de les publier, il en fait juges ses lecteurs, leur demandant s’il peut consentir à revoir M. Milran : « Si trois personnes sensées pren- nent la peine de lui donner leurs conseils et de les motiver, M. Jeandevert-Saxancour (Restif) se rendra volontiers à leur décision. » Nous ne savons si les hommes sensés répondirent à l’appel, mais le, raccommodement eut lieu.

Les rancunes littéraires sont trop vives pour durer. Restif se réconcilia de même avec Mer- cier, avec l’abbé de Fontenay, avec Mlle de Saint-Léger, avec le dessinateur Sergent, qui n’avait pas trouvé de son goût les gravures, des Contemporaines, avec l’acteur Granger auquel il reprochait d’avoir empêché la représentation d’une de ses pièces[136]. Ses colères étaient tôt éteintes, tôt allumées. On le voit, dans Mes Inscriptions, s’emporter un peu contre tout le monde, contre son tailleur qui lui réclame de l’argent[137], contre ses filles, qui le connaissent et laissent passer l’orage.

Il était si peu rancunier, qu’il parle avec une modération relative des plagiaires, ou du moins des auteurs qu’il considérait comme tels : Bertin d’Antilly, qui se serait approprié plusieurs scènes de Sa mère l’allaita ; Flins des Oliviers qui aurait pris son Réveil d’Epiménide à Paris dans les Nuits de Paris. Il dit seulement que si Flins avait connu une autre pièce de lui intitulée Le nouvel Epiménide ou la sage journée, il en aurait profité « pour nourrir sa pièce, qui est faible, incohérente[138]… » Il est plus amer en parlant de La Chabeaussière, qui aurait tiré ses Maris corrigés de La Femme dans les trois états de fille, d’épouse et de mère.

On voit que, de tout temps, à tort ou à raison, on cria volontiers au voleur ! dans le monde dramatique.

L’ingratitude n’était point, non plus, un défaut de Restif. Il resta toujours reconnaissant à Butel-Dumont d’avoir déclaré que, s’il était ministre, il ferait réimprimer et tirer à 50,000 exemplaires Les Parisiennes, pour les distribuer dans le royaume afin d’y rétablir les bonnes

mœurs. Butel voulut même faire couronner cet ouvrage par l’Académie.
Un passage de Mes Inscriptions[139] montre Restif applaudissant vigoureusement le Tarare[140] de Beaumarchais, et honnissant Lanlaire, son « infâme parodie ».
Jamais il n’oublia le censeur Pidansat de Mairobert qui parafait sans hésiter ses ouvrages et lui avait rendu d’autres services. Tous les ans, à l’anniversaire de son suicide, il allait revoir sa maison : « Sept ans que Mairobert est mort ! » écrit-il sur la porte, en 1786[141]. L’indifférence de l’ingénieur Bralle le remplit d’amertume ; il lui a fait dix visites sans le rencontrer : « Mes jambes se sont las- sées, mais non pas mon cœur, s’écrie-t-il. Peut-on oublier ceux chez qui l’on a trouvé le vrai plaisir[142] ? » Vieux, alors, ruiné par les libraires et par la Révolution, privé de ses enfants, de ses amis dont les uns sont morts, les autres absents, il gémit sur son impuissance à saisir le bonheur dont il a fini, après bien des traverses, par découvrir la véritable source… Il pleure, et le chagrin lui dicte une page aussi sincère qu’émue[143]. On a dit à tort que Restif manquait de vraie sensibilité.
Une de ses dernières amies fut la comtesse Fanny de Beauharnais, tante de l’impératrice Joséphine, qui prit à tache, avec ses filles Agnès et Marion[144], d’adoucir son sort. Il était invité chez la comtesse tous les vendredis : elle lui faisait lire ses manuscrits et lui communiquait ses idées. Ce fut elle qui lui suggéra le plan des Lettres du tombeau. La lettre suivante, si elle est due en partie à l’estime qu’elle avait pour l’écrivain, l’est certainement aussi à la connaissance de son faible pour les éloges : « Il me faudrait votre génie pour vous peindre, comme je la sens, l’admiration où je suis de votre premier volume (Les Nuits de Paris). C’est l’éloquence de Jean-Jacques, la touche grecque si gracieuse, la philosophie ornée d’un charme qu’elle n’a jamais qu’avec vous, etc., etc.[145]. »
Ses égards ne firent pas un ingrat : Restif la traite de « femme céleste » et la compare à Mme de M… (Montalembert), éloge suprême à ses yeux : « Elle me retrace tout ce que j’ai vénéré dans son sexe. C’est pourquoi je me trouve si bien lorsque je suis de l’un de ces soupers où l’honnête liberté, l’esprit, la bonté des convives égalent leurs lumières. On y voit des grands sans morgue, des étrangers qui font chérir et estimer leur patrie. Les entretiens de ceux-ci ne peuvent être que très-profitables ! On les écoute, on compare et l’on connaît les hommes. »
Et comme la « céleste Cloé » (Mme de Beauharnais) avait eu, vers la même époque, une pièce sifflée aux Variétés, il prétend avoir vu un auteur dramatique, applaudi au même théâtre, siffler sa propre pièce, en manière de protestation contre l’injustice du public[146]. Nous ne rappelons ce fait que pour montrer la chaleur de sa reconnaissance envers celle dont le nom n’est arrivé jusqu’à nous que par l’épigramme du poète Lebrun :

Églé, belle et poète, a deux petits travers :
Elle fait son visage et ne fait pas ses vers.

Après la comtesse, Restif eut, pour bienfaiteurs, le directeur Carnot, qui le secourut de son mieux, et François Arthaud, de Lyon, qui lui fournit les moyens d’imprimer Monsieur Nicolas. Un troisième Mécène, dont le nom n’est point resté, malheureusement, lui procura un emploi de deux mille francs dans les octrois. Des sympathies réelles ont donc soutenu « l’ami de la vérité ».
Il faut convenir, ici, que l’amour de la vérité était, chez lui, tempéré par une excessive confiance en sa supériorité.
Millin, dans le Magasin encyclopédique, nous a conservé cette phrase qui se trouvait au bas d’un placard annonçant la Philosophie de Monsieur Nicolas : « N. Restif de la Bretonne a été sans doute oublié dans la première formation de l’Institut national : on avait bien oublié l’article Paris, dans l’Encyclopédie ! » Les réflexions moqueuses de Millin sont à lire[147]. Il dit, en résumé, que pour admettre Restif à l’Institut, il aurait fallu en exclure tous ceux dont les idées sur planétisation, les planétocoles, la physique des anciens Chaldes, etc., n’étaient pas d’accord avec les siennes[148], c’est-à-dire rayer les noms des citoyens Lagrange, Laplace, Lalande, Cassini, etc. Et il termine ainsi :
« Monsieur Nicolas parle ensuite de la beauté physique. Il nous apprend qu’une grande femme est belle, qu’une petite est jolie et qu’un connoisseur disoit de Rosalie Poinot :
« A chaque tour de jupe, elle fait éclore une grâce, un amour et un désir. » Il est malheureux qu’à la suite de ce portrait, on ne trouve pas l’adresse de Rosalie Poinot. »
On devine l’état où le mirent ces railleries. Pour se venger de Millin, il imagina de l’appeler Ane-Licol-Malin, à cause de ses initiales A. L. M., en déclarant « que l’injustice, la sottise avaient dicté l’extrait calomniateur qu’avait fait de sa Physique un polisson cru membre de l’Institut[149] », et en adressant au Journal de Paris[150] une lettre de protestation contre « le ton indécent que prend un homme de trentesix ans avec un homme de soixante-trois ». Il n’eut plus assez de dédain pour cette Académie qui l’avait refusé : « Tout est clique, dans ce malheureux pays. Voyez ce plat Institut ! » dit-il dans Monsieur Nicolas.
Après celui de Millin, l’article qui paraît l’avoir le plus affecté est celui du Mercure du I er janvier 1777, sur le Paysan : « Des infâmes, des scélérats qui font un article de forcenés, aussi méchant que sot, contre un livre, un chef-d’œuvre. . . Vils polissons ! (Il aimait le mot.) Et toi, superficiel et jaloux auteur de l’article du Mercure du 1er janvier 1777, qui n’as pas senti que cet ouvrage immortel était le plus utile, le plus vraiment philosophique, dans notre siècle, que je te hais ! Que je te méprise ! Quoi, brutes ou aveugles méchants, vous n’avez pas vu, vous n’avez pas examiné avec quelle adresse l’auteur dégoûte le paysan-laboureur de la ville, des manufactures, des arts !… Ingrat public[151] ! »

Les « pédants de collège[152] » qui le déchiraient dans L’Année littéraire lui avaient fait donner à ce recueil le nom d'Ane littéraire.

Les censeurs qui hésitaient à parafer ses ouvrages étaient des misérables ; les directeurs qui refusaient ses pièces étaient des bêtes, tout bonnement. L’abbé Simon, censeur royal, n’ayant accepté qu’avec de nombreuses corrections La Confidence nécessaire, et Lebrun-Maupeou, autre censeur, l’ayant reçue sans restriction : « L’abbé Simon, dit-il, était un sot que l’étude n’avait rendu que plus suffisant, et Lebrun-Maupeou un homme du monde qui avait le sens commun[153]. »

Comme auteur, il n’hésite pas à se traiter lui-même de génie[154], à déclarer que l’épître dédicatoire à la Jeunesse, dans le Marquis de Tanin, un de ses romans, paru en 1771, est une perle. Il n’est pas une femme qui n’ait lu sa Fille naturelle, « chef-d’œuvre de célérité (il l’avait composée à la casse), peut-être chef-d’œuvre de pathétique ». Si un auteur dramatique puise le sujet d’une comédie dans un de ses contes, il est assuré de faire sa meilleure pièce.

Dans L’Année des dames nationales, Restif avertit le public que Les Contemporaines font les délices de l’Europe. Le frontispice de Monsieur Nicolas annonce que cet ouvrage se vend chez tous les libraires du continent. Il s’écriait déjà, avant sa publication : « Je prépare un ouvrage immortel ! » La dernière aventure offre « des tableaux dignes de l’Albane ». Ses ouvrages, en général, n’ont absolument rien à envier à ceux de Beaumarchais, et il prétend le prouver par la comparaison[155].

Il ne cesse de répéter que Le Paysan perverti

eut quarante-deux éditions à Londres et quatre en Allemagne. Or, le Paysan ne semble pas avoir été traduit en anglais, et M. Paul Lacroix n’en a compté que sept éditions, tant en France qu’à l’étranger.

Peut-être faut-il voir un système dans ces gasconnades, et la phrase suivante des Nuits : « On peut se louer soi-même par indignation contre l’injustice des autres », nous en donne-t-elle la clef. Une seule fois il avoue le péché d’orgueil, mais pour si peu de temps ! « Gâté par quelques succès qui m’avaient attiré des cajoleries, je me crus un personnage… Cette erreur ne dura que six mois[156]. »

Pour achever de juger Restif, il suffit de parcourir Monsieur Nicolas : il n’est exercice du corps où il n’ait excellé, ni qualités morales qui n’aient été siennes. A Auxerre, chacun admirait son courage ; on l’avait proclamé défenseur du beau sexe. Personne ne dansait, comme lui, l’aimable vainqueur[157]. Son agilité lui permettait de dépasser un lièvre à la course. Ses sens sont extrêmement fins, « tant pour l’ouïe que pour la vue et même pour l’attention ». La voix est « souple, avec des bas admirables et la plus grande étendue par le haut[158] ». Il inspire des passions violentes : une jeune fille est morte pour lui en 1753. Comme reproduction de son espèce, il accomplit des miracles[159]. Et ses enfants sont les plus beaux du monde.

Voilà pour le physique. Ses qualités ne sont pas moindres dans l’ordre intellectuel et moral ; Auxerre le regardait comme un modèle. Dans un bal public, il fut chargé, un soir, par les jeunes filles, d’emmener une certaine Tonton Laclos qui faisait du scandale. On la lui confia « comme étant le plus sage ». Confiance qu’il justifia, d’ailleurs, en se permettant une « familiarité ». Il faut dire qu’elle l’avait provoqué, et que « toutes les fois qu’une étincelle tombe sur l’amadou, le feu prend ».

Or, les étincelles tombèrent dru sur lui, à Auxerre. Il paraît que sa bonne réputation n’en souffrit point. Elle fit naître de l’enthousiasme chez deux de ses camarades, Gaudet et Théodore, qui lui étaient dévoués corps et âme. Le dernier, qui désirait un fils homme d’esprit, avait fait, avec Restif, de singuliers arrangements pour réaliser son vœu[160]. En 1771, il retrouve mariée une des innombrables personnes dont il s’attribue la paternité. Quand il se présente chez le mari, celui-ci, apprenant le nom du véritable père de sa femme, s’écrie, enthousiasmé : « Ton père efface la tache que t’avait imprimée ta mère[161] ! »

Comme preuve d’enthousiasme, il est difficile de trouver mieux. La mémoire de Restif était unique : il lui suffisait, dit-il, de lire un volume une fois pour le réciter par cœur.

Parangon, qui le détestait comme homme, ne pouvait se passer de lui comme prote, tant son travail était remarquable.

L’esprit de Rivarol, le talent de Jean-Jacques, les découvertes des plus grands savants sont distancés : « Il est singulier, écrit-il dans les Nuits de Paris, que j’aie deviné ce que vient de découvrir l’illustre Herschell, que les soleils se déplacent et marchent dans une orbite immense, autour d’un centre universel. »

Voici encore un bout d’éloge introduit dans Ingénue Saxancour. C’est Félicité Mesnager qui parle : « Hâ ! si vous saviez comme il (Restif) est séduisant ! C’est un de ces hommes qui n’ont pas besoin de jeunesse pour se faire aimer. Ses distractions mêmes et son air préoccupé ont un charme, parce qu’on sent trop que ce n’est pas affectation. Il ne dit pas un mot qui ne soit l’expression d’un sentiment. S’il fait un compliment, il est délicat et persuasif ; il vous détaille vos charmes et vous perfectionne de manière à faire aimer l’homme qui doit les pénétrer si bien et en deviner tout le prix[162]. » Il faut reconnaître que les femmes étaient le but suprême de son existence, son unique passion. Car il n’était ni ambitieux, ni avare, ni joueur, ni buveur, ni gourmand : « Les femmes, dit-il, furent toujours, pour moi, le feu, l’air et l’eau. » C’est à cause d’elles qu’il prit le goût du travail. Il avait besoin d’aimer et d’être aimé. Si douce que fût, pour lui, l’amitié d’un homme, il lui manquait toujours quelque chose, son cœur sentait un vide insupportable tant qu’une affection féminine n’y avait pris place : « L’amitié de Loiseau était l’unique appui qui me fût resté, mais mon cœur était conformé de façon qu’il me fallait absolument l’amour ou l’amitié d’une femme pour le remplir d’une manière agréable. Sans les femmes, j’étais un être nul, sans vigueur, sans énergie, sans activité, sans âme enfin. C’est pourquoi j’ai couru toute ma vie, sinon après l’amour, du moins après l’amitié d’une femme qui me plût, et mon malheur a été de m’être presque toujours trompé dans ce choix, ou de n’avoir pas réussi. »

C’est aussi pourquoi nous le voyons, à quarante-cinq ans et plus, ressentir toutes les angoisses de la jalousie[163], grimper, en véritable étudiant, derrière la voiture de sa maîtresse,

pour savoir où elle va[164] ; glisser des billets aux ouvrières et chanter devant leur boutique pour attirer leur attention[165]. Il est incapable de renoncer à l’amour, même quand l’âge lui en a montré les inconvénients.

Les amoureux ont le droit de faire de méchants vers. C’est ce qui arrive à Restif, et ce qu’il reconnaît d’ailleurs, dans la Confidence nécessaire, en parodiant un vers célèbre :

Pour moi Phoebus est sourd et Pégase est Restif.

Entre toutes ses poésies (dont Monsieur Nicolas reproduit une grande quantité), les plus mauvaises étaient celles adressées à madame Parangon. Il explique ce phénomène dans Le drame de la vie : « Il ne faut être que superficiellement amoureux pour faire de beaux vers ; la vraie passion étouffe le talent. »

Il y avait, cependant, du poète dans sa prose. On le voit par les descriptions pastorales des premiers livres de Monsieur Nicolas[166] par certains passages de l’histoire de Sara[167] et de Mes Inscripcions[168].

Voici un de ces passages où domine l’essence poétique ; il ne manque que des rimes :

« O temps heureux (dit-il en parlant de celui où il était fiancé à Fanchette), vous êtes passés, comme l’onde qui fuit, pressée par celle qui la suit, toujours différente en paraissant toujours la même. Ainsi coulent les moments de la vie : le moment qui s’échappe est passé pour jamais, et le temps semble toujours le même. Le fleuve d’hommes qui s’écoule paraît toujours composé de vieillards, d’hommes faits, de jeunesse et d’enfants ; on voit les mêmes folies, les mêmes crimes, les mêmes vertus rarement semés. Un spectateur isolé, éternel, croirait les hommes immortels comme lui, et ils n’ont été qu’un instant ! Ils n’ont eu qu’un instant de vie, souvent de malheur, et disparaissent pour jamais dans le gouffre de l’éternité, comme l’eau d’un fleuve dans l’abîme des mers[169] ! »

Il aimait la prose cadencée, qu’il mettait quelquefois en musique[170].

Sa fidélité au souvenir de Jeannette Rousseau ne l’empêcha point d’appliquer son principe que « l’amour est l’affaire la plus importante de l’homme, après le travail qui lui procure la subsistance[171] ». Sa manière de procéder le rendait, dit-il, irrésistible. Jamais femme sérieusement attaquée n’eût manqué de capituler, et il en donne la recette à qui veut l’employer. Elle doit réussir à tout le monde, à condition d’avoir du ressort et de la sensibilité : il s’agit d’entourer d’égards et de respect l’objet de ses vœux, lui inspirer confiance, lui témoigner de l’adoration en termes passionnés, lui faire mille gâteries et user de persévérance. Le succès est sûr, parce que la résistance est impossible : « Aucune femme, attaquée par un homme sensible, tel que je le fus, n’est coupable, parce que la séduction est au-dessus de ses forces naturelles[172]. »


Toutefois, sa sincérité même gâte un peu le tableau : il savait être « impérieux », surtout avec les filles sans expérience, et profiter des secrets qu’il apprenait sur le compte de ses victimes, auxquelles il promettait la discrétion en échange de leur bon vouloir. Ses procédés manquaient donc souvent de délicatesse[173].

Une de ses singularités est de venir, après des confidences de ce genre, révéler des accès de platonisme inattendus : il raconte avoir logé plusieurs mois, dans sa chambre, une jeune ouvrière, Jeannette Demailly, en prenant toutes les précautions voulues pour ne pas exposer l’innocence de la jeune fille. Une autre fois, songeant à se faire prêtre, il propose à une jolie Dijonnaise de l’engager comme gouvernante et de vivre tous deux comme frère et sœur. Il avait déjà fait à Marie Jehannin et à Yonne Bellecour[174] des propositions semblables. L’idée du sacerdoce ne se présentait jamais à son esprit sans celle d’une compagne.

Quand, par hasard, une femme lui résiste, il s’en réjouit comme d’un véritable bonheur[175] : « J’en atteste l’Être suprême, je ne le voulais pas[176] ! » s’écrie-t-il, quand il vient de commettre quelque sottise, d’agir en homme « turpin et vil ». Nous aurons à revenir sur son habitude, vraiment comique, de déclamer, d’adresser des invocations à la Nature et aux Astres de l’univers.

Chaque fois qu’une de ses maîtresses meurt, le souvenir de celles qui l’ont précédée revient à sa mémoire, d’où les énumérations fastidieuses de Monsieur Nicolas : il rapproche leurs qualités et les confond dans le même éloge. Déjà, à Auxerre, il racontait ses aventures aux filles dont il était amoureux. Spéculer sur la curiosité féminine était un de ses moyens de séduction.

Il en aima véritablement plus d’une et en fut aimé, mais l’oubli ne tardait pas à venir : la mort de Madelon Baron ne l’affligea pas huit jours[177]. Les succès continuèrent : « Grands de la terre, s’écrie-t-il dans l’enthousiasme de ses souvenirs, dites-moi si votre jeunesse fut heureuse comme celle d’un fils de laboureur sans fortune[178] ! » L’explication qu’il en donne, peu modeste, d’ailleurs, doit être rapportée : « J’avais l’âme honnête, expansive, sentimenteuse ; de beaux yeux, les lèvres appétissantes, une figure noble et romaine… C’est à mes yeux et à mes lèvres que je devais le premier goût inspiré[179]. »

Quelque extraordinaire que pût être son tempérament[180], nous ne pouvons admettre certains faits avancés par lui en toute sincérité, mais incompatibles, croyons-nous, avec les lois de la nature.

Il faut reconnaître, également, que la scène du souper chez Chéreau de Villefranche[181] est en contradiction avec les prétentions à l’innocence qu’il affiche dans La femme infidèle ; elle montre qu’il partageait en public l’inconduite de sa femme. Il est aussi fort à douter que la débauche n’ait été[182] autre chose pour lui qu’un moyen d’étude. Quelques traits[183] font comprendre ses raisons de se cacher, sous le nom de Siflavio, chez l’imprimeur Knapen, aussi longtemps qu’il crut pouvoir épouser la sœur de madame Parangon[184].

Le manque de travail et de conduite lui avait fait connaître la vraie misère : longtemps il avait habité un grenier « tapissé d’affiches de comédie, collées à cru sur les lattes », meublé d’« un mauvais grabat, deux chaises et une table brisées, une vieille cassette, sans fermeture, pour serrer ses habits ». La fenêtre était « une chatière ajourée par deux carreaux de papier huilé ». Il vécut trois mois avec trois louis, reçus du libraire Valade, pour le prix de Lucile, un de ses premiers ouvrages[185]. Humblot lui donnait vingt-cinq sous par nuit de correction d’épreuves. Une voisine, émue de pitié, lui fit une aumône de deux louis. Un autre jour, il accepta, de la « paidomane » madame Desvignes, une somme d’argent destinée à payer son aptitude génératrice. Le besoin le pousse aux expédients les plus honteux. On en voit des exemples dans l’histoire de cette Zéphyre, qu’il a, cependant, tant aimée. Il dit que la faim fut la vraie coupable, qu’il se rendait à peine compte de ce qu’il faisait ; on le voit s’éloigner de Paris pour ne point succomber de nouveau aux tentations. Il s’était un peu tard souvenu que : « les mœurs sont comme un collier de perles ; ôtez le nœud, tout défile[186]. »

L’ébruitement de ce passé devait autoriser bien des accusations. Sa femme, qui n’avait, relativement, rien à lui reprocher au point de vue des mœurs, insinua que Restif avait eu des relations incestueuses avec ses filles. Cette accusation le révolte. Il proclame que, si le fait était vrai, il l’avouerait, « pour l’instruction du genre humain ». Ayant admis la bonne foi de ses déclarations, nous n’hésitons pas à le croire. Il paraît, d’ailleurs, avoir été aussi bon père de famille que cela lui était possible : il refuse de profiter de l’égarement d’une amie de ses filles[187]. Si Marion a mal à la main, il en perd le sommeil[188]. Il cherche, dans l’intérêt d’Agnès, à obliger son mari qu’il hait[189]. Il supplie le lecteur d’avoir pitié d’elles, si jamais la misère les réduit à réclamer son aide, à se présenter chez lui, les œuvres de leur père à la main[190]. Il aime, en général, à décrire la vie et les scènes de famille, il apprécie les bonnes ménagères, les bonnes épouses et les bons enfants[191].

Il avoue des relations intimes avec une de ses nièces, mais par surprise : sa parenté lui était alors inconnue. Confession bien inutile, car, à chaque instant, il aurait eu des surprises du même genre avec les filles naturelles dont il croyait avoir peuplé la capitale. Sa crédulité prêtait à la mystification. Veut-on savoir ce qui lui suffisait pour les reconnaître, dans ses promenades du Palais-Royal ? — C’est, dit-il, le thermomètre de son cœur[192] !

Sa joie éclate comiquement, à chaque reconnaissance ; il déclare que ses bâtardes l’adorent et ne le rencontrent jamais sans lui sauter au cou. Si « le thermomètre du cœur » est en défaut et le laisse commettre un inceste involontaire, reconnu trop tard, ses sentiments deviennent « honnestés, paternels et tendres ». Il procure aux retrouvées un mari ou un emploi.

L’imagination de Restif et la malice des filles ont dû faire, en grande partie, les frais de ces reconnaissances.

En 1791, il eut l’idée de convoquer toutes ces jeunes personnes et de les envoyer à Cayenne, oùMme Collart[193], une autre fille naturelle, se chargeait de les recevoir et de leur trouver des époux. Elles acceptèrent, et c’est ainsi qu’il arracha à la prostitution nombre de ces infortunées. Il le dit du moins, mais son imagination est si riche, que l’histoire de cette colonisation doit être acceptée sous toutes réserves. Il s’intéressait, d’ailleurs, par vocation, aux femmes déchues, persuadé que la plupart pouvaient être ramenées au bien, et cherchant à réparer le mal que ses passions lui avaient fait commettre malgré lui.

Cette idée de réhabilitation se retrouve dans les Nuits de Paris : une femme charitable, la marquise de M… (Montalembert), l’a chargé de se mettre en quête, la nuit, dans Paris, des filles dont il croit pouvoir obtenir l’amendement, et de les conduire en son hôtel. De là, elle les dirige sur un établissement créé à leur usage. On peut voir, dans cette fiction[194], une idée première de l’œuvre des Filles repenties.

L’aventure de madame Maillard[195] semble plus réelle, ainsi que cette assertion de Monsieur Nicolas : « J’ai retiré cinq filles de la prostitution, dont chacune m’a coûté huit cents livres. » Il trouvait souvent de la reconnaissance chez ses protégées : « Je ne suis pas tout à fait malheureux, puisque je connais deux obligées qui ne sont pas ingrates[196]. »

Agnès Lebègue elle-même a rendu hommage à la générosité de son mari, dans une lettre écrite après la mort de Restif[197]. Elle confirme ce qu’il dit dans Monsieur Nicolas[198], que, pendant quinze ans, treize pères de famille lui ont dû la subsistance. Elle ajoute que les pauvres avaient beaucoup perdu en le perdant : « Ne faut-il pas convenir, dit Grimm, en lisant ce détail dans la Paysanne pervertie, que c’est là, véritablement, l’existence d’un citoyen utile, estimable, honorable ? »

Tout était singulier chez cet homme : fort mal soigné de sa personne, il confesse n’avoir point acheté d’habits, de 1773 à 1796[199]. Cubières raconte qu’il poussait la négligence jusqu’à la malpropreté ; que l’ayant, un jour, rencontré avec sa barbe inculte, il lui demanda quand il comptait s’en séparer : « Elle ne tombera, répondit-il, que lorsque j’aurai achevé le roman auquel je travaille. » Ce roman était en quinze volumes, et trois seulement étaient faits. Mais Restif, dit Cubières, en composait un demi par jour. Notre volume prouvera qu’il y a, ici, exagération.

Il sortait vêtu du grand manteau à collet, coiffé du chapeau de feutre à larges bords sous lequel il s’est fait représenter dans les estampes des Nuits où il s’intitule : Le spectateur nocturne, historiographe des événements ténébreux des nuits de Paris.

Il avait une manière originale d’intéresser le public à ses œuvres : « j’invite les personnes zélées pour l’honneur de la Patrie d’envoyer à l’adresse de Maradan, libraire, rue des Noyers, près Saint-Yves, les traits de vertu de leurs aimables compagnes, filles ou femmes. Je ne ferai que rédiger ; le Public sera le véritable auteur de cet important ouvrage (L’année des Dames nationales). » Beaucoup répondaient à l’appel, et leurs communications ne furent pas inutiles à la rédaction des six cent dix nouvelles. dont l’ouvrage se compose. Restif convient, d’ailleurs, que, si différents amis ne lui eussent fourni des sujets pour ses Contemporaines, il ne fût point arrivé à en écrire un aussi grand nombre[200].

Elles mettaient en scène des personnages vivants, souvent même des hommes puissants, dont les noms étaient écrits en toutes lettres, ou à peine déguisés. D’où mille tracas pour leur éditeur, et la crainte perpétuelle de l’embastillement. Un certain Beauregard, qui se croyait historié dans le Ménage parisien[201], faillit l’assommer. Nous avons vu que Beaumarchais l’aida à sortir du mauvais pas où l’avait engagé La belle hôtesse et son pensionnaire, dont l’héroïne demeurait près la porte Saint-Honoré. Une dame portant le même nom logeait réellement à cet endroit. Il n’y avait eu là qu’une fâcheuse coïncidence. Restif ne la connaissait pas : « J’en ai persuadé cette femme estimable chez son avocat, en présence d’un homme célèbre dans toute l’Europe, M. de Beaumarchais[202]. » Sa manière de procéder donnait quelquefois lieu à des scènes amusantes : le libraire Guillot reconnut, dans la nouvelle La mère Gâteau, son confrère Bastien, mis en scène sous le nom de Nesbat, et ne se reconnût pas lui-même sous son pseudonyme[203].

Les difficultés recommencèrent à propos d’une nouvelle publiée d’après les indications de Desmarais, de Châteauneuf, où des gens haut placés jouaient un rôle peu honorable[204]. Son indiscrétion devint particulièrement grave dans L’année des dames nationales, parue en pleine Révolution. Il ne fut pourtant point inquiété.

Restif est donc bien le fondateur de l’école naturaliste. Il a fait sa profession de foi dans la préface des Contemporaines : « J’imaginai que, si j’avais le talent d’écrire, il faudrait prendre une route nouvelle, et ne point prostituer ma plume au mensonge. » Cette déclaration de principes laissait pourtant une part à l’imagination, dans la facture de ses romans. Il établissait d’abord sa base ou canevas. Ensuite il choisissait une Muse, c’est-à-dire une femme qui l’inspirât[205]. Ces conditions remplies, il se mettait au travail et romanisait son histoire : « Toutes les aventures que j’ai rapportées, dit-il, ont un fond vrai, mais il y fallait quelque déguisement[206]. »

Il n’applique cette méthode qu’à ses nouvelles. Les récits de sa vie « dépouillent le clinquant de la fable[207] ». Dans ce genre d’ouvrages, il ne tend qu’au rôle d’historien fidèle : « On n’a rien à demander à l’historien qu’un style simple[208]. » Tous les sacrifices, il se les impose pour rendre intéressante l’anatomie de son cœur : de même que le médecin doit, pour soigner efficacement les maladies, les avoir auparavant étudiées avec soin, de même, à son sens, l’écrivain doit avoir éprouvé les sentiments qu’il retrace[209]. On voit qu’il devance les théories professées aujourd’hui par l’école « psychologique ».

Pour dire la vérité dans ses écrits, rien ne lui coûte. C’est afin de connaître les filles entretenues que Restif se fait le protecteur de Virginie François et de Sara Debée. Il risquait de se faire assassiner par Augé en publiant Ingénue Saxancour ; il confessait, dans Monsieur Nicolas, avoir commis « des mauvaises actions de tout genre, le meurtre excepté[210] », il se couvrait de honte dans La femme infidèle. — Tout cela par amour de la vérité. Il le dit, du moins.

Rien ne pouvait l’arrêter dans ses travaux : ni les souffrances les plus cruelles[211], ni les mécontents, ni les importuns. Jamais il ne perdait une minute[212]. Quiconque voulait lui faire visite dans la journée était éconduit. On lui rapporta un propos de son hôtesse à l’un de ses visiteurs : « Revenez le soir ; dans le jour, Mgr le duc d’Orléans ne lui parlerait pas[213]. » Le travail était une passion pour lui ; les lignes suivantes peignent bien le plaisir intellectuel et les fruits du labeur :

« Lorsque je n’ai pas rempli suffisamment ma journée, je me trouve mécontent de moi et je ne m’en console que par le redoublement de courage que j’éprouve pour le lendemain. Quand je travaille, je me regarde comme un être utile, important, une sorte d’homme public, chargé de fonctions augustes. Je sens alors que je vaux quelque chose. Tant que je n’ai pas été capable de travail, j’étais honteux, timide, sauvage. Je fuyais, je redoutais les autres hommes. Il me semblait qu’ils pouvaient lire sur mon front : « Voilà un être nul », et je ne pouvais soutenir l’idée de leur mépris. Mais, depuis que je travaille, j’ai pris une honnête assurance. Je me présente sans hardiesse, sans prétention, mais avec un sentiment d’égalité qui me soutient. Je dois tout au travail : et mon sentiment de paix intérieure et la considération au dehors. Avant que de travailler, je n’existais pas. J’étais parfaitement inconnu, parfaitement nul. Combien je dois aimer le travail qui m’a tiré du néant, qui m’a donné des connaissances, des amis !…

« O mes chers concitoyens ! Si vous n’avez jamais essayé du travail, commencez. Savourez ensuite ce que vous éprouverez. Ne vous découragez pas ! Pendant longtemps j’ai travaillé avec sécheresse. Mais enfin le goût est venu. C’est lui qui nous soutient, qui nous anime. Essayez de la satisfaction inexprimable que donne, pendant quelques jours, un ouvrage fini ! Et vous sentirez alors les délices du travail ! Elles vous donneront des forces pour en recommencer un autre[214] ! »

Cette glorification du travail est un des passages les plus honorables qu’on puisse signaler dans les œuvres de Restif.

Les « délices de sa tâche » lui donnaient bon estomac et bonne humeur : « Personne, dit-il, ne gaudit comme moi, quand je me crois avec de bons enfants. » Gaieté franche, obtenue sans effort, et qui le rendait aimable en société. Le vin n’y entrait pour aucune part. Il n’a bu que de l’eau, tant que sa santé, sa jeunesse ne lui ont pas rendu l’usage du vin indispensable[215]. Il n’a fait qu’« essayer philosophiquement l’ivresse ». Elle le rendait doux et bon : il en conclut qu’il possédait réellement des qualités de douceur et de bonté, s’appuyant sans doute sur l’adage : In vino veritas. Le mot gris, plusieurs fois répété dans Mes Inscriptions, ne saurait donc se prendre à la lettre : Restif était de ceux que la première libation étourdit. Ivrogne, d’ailleurs, il n’eût pas été le travailleur que nous connaissons.

Si l’amour de la vérité lui suggéra le désir d’être auteur, ce fut celui de la femme qui fit jaillir l’étincelle. Aussi s’écriait-il toujours, devant la maison de Rose Bourgeois, inspiratrice de La famille vertueuse, son premier livre : « Salve, à domus quæ me fecisti scriptorem ! »

Comme tous les débutants, il avait commencé par imiter. A Auxerre, il aimait à lire La princesse de Clèves et les romans de madame de Villedieu. Madame Riccoboni fut son premier modèle[216]. Bientôt il connut « cet état d’effervescence sans lequel il n’y a ni auteurs, ni poètes », et sentit « l’insurmontable besoin d’écrire », remplacé par « un feu divin qui le remplit tout entier ». Mais l’imagination, loin de le pousser à la création d’êtres fictifs, le dirigeait vers l’étude de l’homme, vers la peinture des caractères. Ce côté positif n’exclut pas, en lui, le rêveur qui mettait en vers, Je matin, les songes de la nuit[217], qui parcourait les lieux où il avait aimé et s’y laissait envahir par la mélancolie, qui travestissait une femme aperçue à son balcon en marquise de M…, et la marquise en madame Parangon : « Tout à coup, une idée me vint : c’est Colette Parangon ressuscitée ! Oui, oui, c’est elle. Même beauté, même vertu sublime ! Hé ! peut-on avoir, deux fois dans la vie, du pouvoir sur le cœur et sur l’esprit de deux femmes différentes[218] ? » C’est bien le même être sensible qui se plaisait à revoir sur les quais, à plusieurs années de distance, des inscriptions qui le ramenaient à la situation d’esprit où il se trouvait en les traçant.

De l’impressionnabilité à la timidité, il n’y a qu’un pas. Restif fut longtemps « le plus sauvage des hommes », et la raison qu’il en donne est bien de lui : « Je redoute l’éclat autre que celui de la vertu[219]. » Avant que ses succès d’auteur lui eussent communiqué un peu de hardiesse, il n’osait entrer dans une assemblée nombreuse ; il n’eut l’audace de pénétrer dans un café qu’en 1772 et se surprit, plusieurs fois, à faire demi-tour, à la porte d’une maison où il était invité. Fréquenter le monde lui paraissait si héroïque, que « l’ambition lui vint de l’entreprendre et qu’il doit à sa timidité même d’être devenu indagateur[220] ». Elle persista longtemps : « J’ai bien de la peine à en venir, à cinquante ans, après mes ouvrages, à la hardiesse d’un sot qui n’a rien fait[221]. »

Loin d’en rougir, il rappelle un proverbe consolant pour les timorés :

Nul n’est hardi que le sot
Qui ne sait ce qui lui défaut[222].

Mais il proteste contre toute accusation de lâcheté : « Je suis très-timide, mais pas craintif, c’est-à-dire que je craindrais de passer devant une belle compagnie et que je brave volontiers une troupe de scélérats. Dans le premier cas, c’est orgueil : je crains la comparaison. Dans le second, c’est courage : je ne suis pas poltron[223]. » Le § 76 de Mes Inscriptions[224] donne une assez petite idée de ce cou- rage, qu’il n’a guère déployé, d’ailleurs, pendant la Révolution.

La passion de Restif pour les chaussures mignonnes est bien connue. Il prétendait deviner le visage d’une femme à sa tournure et à son pied[225]. Fou des jolis pieds bien chaussés, il n’admettait point que ses filles n’eussent hérité cette beauté de leurs mères.

C’était un goût qui remontait à sa plus tendre enfance : affirme sérieusement qu’à quatre ans, il remarquait déjà le pied d’Agathe Tilhien, paysanne de Sacy[226]. Plus tard, la vue de la jambe de Marguerite Pâris, servante de son frère l’abbé Thomas, l’amenait à de graves excès. Il voulait qu’on mît dans son tombeau la mule de madame Parangon, essayée par Zéphyre. (Double consécration ! la mule avait porté « deux chefs-d’œuvre ! ») Le premier de ces chefs-d’œuvre l’avait fait succomber, le jour où son œil s’était fixé « sur la jambe fine de madame Parangon, sur son soulier de droguet blanc, dont le talon mince, élevé, donnait encore plus de délicatesse à son pied mignon, le mieux fait qu’il eût vu de sa vie ». Le second servait de modèle à ses graveurs. Bastienne Dumoulin, seule, avait pu mettre cette chaussure. Aussi se plaisait-il à l’en fournir.
Il prend note, dans Mes Inscriptions, du jour où il a essayé les souliers à « haut talon » à madame Belin[227] femme du libraire, et du soir où sa fille Marianne, chaussée de « souliers noirs à hauts talons[228] », lui a lu la Prévention nationale. Il avait remarqué que les jolis pieds donnaient de l’élégance aux animaux mêmes et cherchait à se rendre compte de son goût si prononcé, en se demandant s’il avait sa cause « dans le physique ou dans le moral[229] ». Il décidait la question ainsi : « La passion que j’eus, dès l’enfance, pour les chaussures délicates, était un goût factice basé sur un goût naturel, mais celui de la petitesse du pied a seulement une cause physique. »
Il blâme irrévérencieusement, dans Monsieur Nicolas : « les pieds plats des républicaines, leur jambe nerveuse, leur derrière crotté[230] », s’indigne de voir le Journal de Paris prôner la nouvelle mode des talons plats, et répond au Journal de Neufchâtel qui l’avait légèrement raillé sur sa manie : « Je trouve qu’il n’y a pas de sens aux femmes d’avoir voulu se grandir par la tête, comme les grenadiers, et de se raccourcir si désavantageusement par les pieds. Ce n’est rien gagner. Pour moi, je crois que les talons hauts ont un double avantage pour les femmes ; le premier et le plus important, c’est d’éloigner la forme de leur chaussure de celle des hommes, ce qui leur donne le charme du sexe, qu’elles n’auraient pas sans cela ; le second, de rendre plus agréable le bas de la jambe et du pied ; le troisième, de donner à leur marche un air moins décidé. Je trouve que la marche d’une femme à talons bas a quelque chose de trop hardi et même d’indécent. Une femme doit avoir l’air d’une sylphide. Un soulier plat lui donne l’air matériel, au lieu qu’un talon haut l’empêche de toucher la terre, en quelque sorte, et en fait une créature céleste[231]. » Une autre raison donnée ailleurs, c’est qu’avec un talon haut, le pied « prend peu de boue et n’en renvoie point[232] ». Rien de laid comme une femme crottée : « J’ai vu, hier, une femme en talons larges et plats. Je l’aurais battue, si je pouvais battre une femme. Elle était crottée comme un barbet… Nos ayeules parisiennes adoptèrent, jadis, les talons élevés, par goût pour la propreté. Elles étaient plus sages que leurs petites-filles… »

Ne va-t-il pas jusqu’à souhaiter que la police s’en mêle et ordonne « que toute dame qui rapprochera son vêtir de celui des hommes soit traitée en catin par le guet et les commissaires[233] » ! Il prétend que les grisettes seules, ayant conservé l’ancienne mode, sont restées appétissantes[234].

Voici une phrase qui semble dédiée aux amis de la peinture par les mots. Nous la donnons pour la curiosité des expressions : « Si nos femmes actuelles semblent avoir pris à tâche de s’hommifier, nos fats, nos infâmes petits-maîtres pointus, pour compléter le mal, semblent avoir pris à tâche de se femmifier. Ils ont, autant qu’ils ont pu, rapproché leurs habits de la lévite des femmes ; et, tandis que celles-ci se chaussent à plat, en bas de couleur qui, le noir excepté, leur vont toujours si mal, se pataudent et s’hommassent d’une manière horripilante, par la suppression de ces talons délicats qui les sylphisaient, nos farauds, de leur côté, profanent la chaussure féminine en se faisant faire des souliers, des bottes pointues[235]… » Une sylphide, une créature céleste, éthérée, avec une taille de guêpe et des pieds d’enfant, est son idéal de la femme physique ; telle il l’a représentée dans ses estampes ; telle était madame Parangon, et quand il dit d’une personne, « elle ressemblait à madame Parangon », c’est le plus bel éloge qu’il lui puisse décerner[236].

Grand déclamateur, Restif exagérait encore la manière de Rousseau. D’où son surnom de Rousseau du ruisseau, qui fait allusion à son habitude de prendre ses héros dans la classe populaire. De son temps, la déclamation était dans les mœurs. On ne voyait ni un site pittoresque, ni une femme aimée, sans adresser une invocation en règle à la Nature. Le ô et le ah ! étaient prodigués, même dans les correspondances les plus bourgeoises. Cette mode de sensibilité fait sourire aujourd’hui, et l’indignation de Restif égayé, lorsqu’il s’écrie : « vengance paternelle, quelle rosée tu es pour un cœur altéré ! » à propos de ses projets de vengeance contre le séducteur d’une de ses filles naturelles.

Ce mot rosée lui plaisait. On le retrouve dans ce passage du Paysan : « Tu as dit à ta « femme : Allez-vous-en, il y a du serein, la rosée pourrait vous faire mal…
« la rosée, c’étaient mes larmes[237] !… »

Dans une lettre à Zoé, la presqu’épouse de son ami Loiseau, qui vient de mourir, Restif lui fait part de ses gémissements, à la fatale nouvelle ; mais, se reprenant : « Gémir n’était point le terme : je mugis de douleur[238] ! » Et, aussitôt, il entonne un hymne au Soleil.

Il salue la fontaine de la rue de Saintonge, en passant devant la maison de Victoire, et chante un air qu’il a composé sur des paroles rythmiques : « Lieux enchantés qu’elle me rendit aimables, vous me l’êtes encore, même après qu’elle ne m’aime plus[239]. »

Après la fontaine, les fleuves : pendant vingt-sept ans, il est descendu sur les bords de la Seine, le jour de la fête de Colombe d’Auxerre, et a chanté, en buvant l’eau qui a passé devant sa porte : « fleuve qui l’as vue, dis-moi si, par aventure, elle est heureuse. »

On ne trouve pas mieux dans certaines légendes primitives qui nous passionnent encore.

C’est encore l’invocation qui sert à Restif, dans ses jours de faiblesse :

« O jour malheureux, je te maudis ! » s’écrie-t-il après avoir failli à ses principes de vertu[240] (ce qui lui arrivait souvent).

Ses soupirs, ses gestes désordonnés le firent arrêter, un jour, par le guet. Interrogé par le commissaire, il avoua que son agitation venait des remords causés par une partie de débauche.

Ce ton déclamatoire prête moins à rire quand Restif raconte la mort de Zéphyre[241]. Il trouve alors la note juste.

N’oublions point de signaler, parmi ses bizarreries, l’invention du fameux Calendrier où il « commémore », chaque jour, une ou plusieurs femmes. Toutes n’ont pas été ses maîtresses. Pour y figurer, il suffit de l’avoir aimé, et « l’état le plus vil n’en exclut pas[242] ». Ce Calendrier sert aussi aux « exécrations ». Les femmes avec lesquelles il a dû se marier sont considérées comme épouses. Agnès Lebègue figure dans ses « Commémorations », comme mère de ses filles. Elles comprennent différents degrés de douleur : les larmes ou les sanglots, les gémissements ou les cris. Ces anniversaires, il allait les célébrer sur son île, et baiser les dates[243].

Jamais la religion du moi n’a été plus loin.


VI

SES IDÉES POLITIQUES, RELIGIEUSES ET SOCIALES.

Presque toutes les questions intéressantes pour l’humanité ont été abordées par Restif. Sciences naturelles et sociales, philosophie, législation, politique, religion, art, philologie, il a touché à tout ; sur tout il a formulé son opinion, proposé des réformes. Nous allons tâcher de donner un aperçu de quelques-unes de ses idées. Renvoyons d’abord ceux qui désireraient connaître sa physique à M. Assézat, sans la rechercher dans le Paysan perverti, la Découverte australe, les Nuits de Paris, la Philosophie de Monsieur Nicolas ou dans les Posthumes. Une analyse suffisante en a été donnée par M. Assézat dans sa préface des Contemporaines du commun.

En parcourant les cinq volumes des Idées singulières (Le pornographe, La mimographe, Les gynographes, L’andrographe, Le thesmographe), on est surpris de voir que plusieurs de ces projets de réforme ont été adoptés de nos jours. La mystification dont Restif fut victime au sujet du Pornographe[244] a passé dans la pratique.

Quant au Glossographe, œuvre inédite dont il a seulement donné des fragments dans Monsieur Nicolas[245], dans Les nuits de Paris[246], dans la Revue des ouvrages, dans Mes Inscripcions, etc., et à laquelle il attachait une importance particulière, il contenait des observations souvent justes. Le principe d’écrire les mots masculins différemment des féminins n’a rien de déraisonnable, et celui de mettre l’orthographe d’accord avec l’étymologie n’est pas moins rationnel.

Mercier, dans son Dictionnaire néologique, lui a emprunté certains vocables. Le mot mise[247] qu’on reprochait à Restif d’employer est devenu d’un usage courant, et l’on dit parfaitement, aujourd’hui, une laideur impressionnante[248].

Un chapitre de Monsieur Nicolas est consacré aux « moyens d’activer l’exécution des lois par une organisation de la magistrature et de la police[249]  ».

Nous avons trouvé, dans les Nuits de Paris[250], un passage relatif à une institution récemment mise en vigueur, et concernant l’agriculture : « Il y aura, pour les plus excellens cultivateurs, des distinctions dont ils porteront les marques sur leur habit de travail, et, surtout, les jours de fête ; et cette marque, en quelque endroit que se trouve le cultivateur, le fera honorer, dans les temples, par une place et le pain bénit, et dans la ville, bourg ou village, par une invitation chés un des premiers de la paroisse, de pareilles gens ne pouvant jamais être d’incommodes parasites. »

Les chevaliers du Mérite agricole qui ne se piquent point trop de libre pensée accepteront, sans protester, cet hommage anticipé d’un fils de laboureur.

Certes, dans les réformes qu’il propose, il en est d’inapplicables et d’inexplicables. De ce nombre est le conseil qu’il donne aux administrateurs publics de supprimer les hôpitaux, comme établissements immoraux. Il cite, à l’appui, des raisons[251] dont la valeur paraît plus que discutable. Mieux fondée est la proposition d’abandonner aux chirurgiens les corps des suppliciés. Il souhaite qu’on livre aux médecins certains scélérats vivants « pour faire sur eux des expériences qui rendent leur mort doublement utile à la Nation dont ils sont le fléau[252] ». Qu’on ne lui reproche pas sa cruauté ! Il faut, dit-il, savoir être « utilement cruel », ne jamais hésiter quand l’intérêt public est en jeu. Il déclare d’ailleurs qu’il est le plus doux des hommes.

Cependant, il n’aimait pas les « sentimenteux », entre autres Rousseau ; il n’admirait de lui que quatre ouvrages : le Discours sur l’inégalité, L’Héloîse, le Contrat social, et les Lettres de la Montagne[253]. Seuls, les passages relatifs à madame de Warens lui plaisaient, dans les Confessions[254]. D’une manière générale il lui reprochait d’avoir « trop écrit en auteur ». Ses principes n’étaient point mauvais, mais seulement « abusibles[255] ». Quelques-uns avaient fait « un mal horrible[256] », et L’Émile avait été funeste à la population parisienne en recommandant aux dames du grand monde de nourrir leurs enfants. Il y a du vrai dans la raison qu’il en donne :

« Qui doit nourrir ses enfans ? Dans l’état de nature, dans une République égale, toutes les mères ou très-peu d’exceptées, car parmi les femmes, comme parmi les animaux, il est quelques individus femelles qui ne peuvent nourrir. Dans l’état de grande civilisation, au contraire… des femmes comme nos duchesses, la plupart de nos marquises et de nos comtesses, nos présidentes et nos financières, nourriront-elles avec leur lait échauffé, leurs passions exaltées, leurs alimens âcres ? avec leur genre de vie dissipé, échauffant ? Hâ ! qu’elles s’en gardent bien ! Qu’elles confient leurs enfans à une bonne paysanne, bien fraîche, bien saine… seulement qu’on la paye bien, cette nourrice ! Qu’une loi sacrée la rende à jamais vénérable pour son nourrisson[257] !… » Nous avons cité tout au long ce passage, parce qu’il prévoit des effets confirmés, depuis, par l’expérience.

Les quarante-deux volumes des Contemporaines sont, en grande partie, consacrés à la soutenance de sa thèse favorite sur l’insubordination des femmes : « J’y travaille plus, dit-il, au bonheur des femmes qu’à celui des hommes, en tachant d’ouvrir les yeux des premières sur leur véritable destination[258] ». Ce bonheur n’est possible, d’après lui, que si l’épouse demeure la plus fervente admiratrice, la plus humble servante de son époux. Voilà une théorie qui, assurément, n’est point faite pour déplaire aux maris. Il s’ensuit qu’on doit éviter de donner de l’instruction aux femmes. Si l’on agit autrement, « tout est perdu, mœurs et repos, plaisirs et bonheur. Une femme ne doit savoir répondre qu’aux choses d’économie domestique et aux caresses de son mari, par deux raisons : 1° C’est que, dès qu’une femme a mieux raisonné que son mari, le ménage n’a plus de chef et tout doit aller sens dessus dessous. La deuxième raison, c’est qu’il faut un repos à l’espèce humaine, et c’est dans le sein de la femme qu’elle doit le trouver[259]. »

Cette théorie nous conduit naturellement à celle de l’amour : « Procréer son semblable est un devoir sacré, dont rien ne dispense. S’attacher à une femme ou la femme à l’homme est un devoir collatéral de celui-là, pour les êtres raisonnables vivant en société… L’amour physique est le plus grand des biens et la plus belle des facultés ; l’amour moral, la première des vertus. C’est par l’amour, sous ces deux rapports, que l’homme ressemble à Thot producteur[260]. » Ce système peut être regardé comme une conséquence de celui de la Compensation des biens et des maux, professé dès l’antiquité par les stoïciens et repris par les philosophes du dix-huitième siècle : « La somme des biens et des maux doit également abreuver la vie[261]… » Il aboutit à montrer toutes choses, jusqu’à la mort ou la vie, sous un même aspect indifférent. La gloire n’est plus enviable, « car les désagréments sont à côté[262] ». La poursuite du bonheur est vaine, car « l’heureux vit plus délicieusement, mais son uniformité le fatigue. Le malheureux souffre, mais il est agité par les craintes, les espérances, il vit davantage. La somme des biens et des maux est toujours égale, dans toutes les positions[263]. » Afin de corriger ce que la doctrine a de décourageant, il ne la donne pour exacte qu’à l’état de nature : « Dans l’état de société, la somme des biens peut augmenter pour les uns et diminuer pour les autres[264]. »

Le devoir du législateur est donc de pourvoir l’homme de la plus grande somme de bonheur possible. Pour cela, son premier soin doit être de tirer parti de la plus noble des sensations, l’amour. Il ne peut l’en priver sans se rendre coupable d’un crime de lèse-nature.

Au dix-neuvième siècle, Fourier, s’inspirant des idées de Restif, en a tiré le système des Attractions passionnelles.

Fourier lui a fait d’autres emprunts. Mais, auparavant, voyons quelles limites Restif trace à la passion la plus noble :

« Ce n’est pas être libertin, c’est être vertueux que de faire des enfants[265]. » Toutefois il faut en même temps « adorer les femmes et non pas les regarder comme un vil instrument de volupté[266] ». Le point important est de ne jamais « outrager la nature », ce qui veut dire qu’on doit s’abstenir de la débauche et des prostituées[267]. On voit qu’il ne fait point de l’amour une sensation matérielle ni grossière. Cependant, il peut arriver que l’homme, entraîné par ses passions, brise le frein social. Dans ce cas, mais seulement dans ce cas, il a une excuse : « Ce qui est au-dessus des forces de l’homme, ce qui lui ôte la raison, son pouvoir sur lui-même, ne peut le rendre coupable. » Restif sent que cette théorie n’est point dépourvue de dangers. C’est une sorte de grâce d’état qui ne peut exister qu’accidentellement ; l’habitude la détruirait : « Les fautes imprévues et passagères sont de la fragilité humaine, mais un état permanent est d’un malhonnête homme. » Les roués, Richelieu en tête, lui font pitié. Ses aventures ne sont qu’un tissu de fourberies, et les femmes capables d’aimer un tel fat sont à plaindre.

De son temps, malheureusement, presque tous les jeunes gens sont blasés. Cela vient de l’éducation de la jeunesse : « On voit une mère avoir la folie de mener au spectacle son fils de trois à quatre ans… Le Parisien, dès l’enfance, vit avec les femmes, sait tous les secrets de la toilette, voit tout le négligé du matin. Qu’en résulte-t-il ? Qu’il est insensible au charme du sexe et qu’il lui faut les écarts du libertinage pour lui faire éprouver des sensa- tions[268]. »

Restif s’est beaucoup occupé des jeunes gens, qu’il connaissait bien. Il leur a souvent donné des conseils[269], et leur a montré le personnage de Gaudet d’Arras, dans le Paysan perverti, comme le type des amis dont ils doivent se méfier. Quant à son opinion sur les vieillards, elle est des plus tristes. Heureusement que l’exception faite en faveur de lui-même permet d’en espérer d’autres : « Si tous les vieillards ne sont pas des scélérats, c’est moins par principes que par inertie… Qu’on juge, après cela, de tout le mal que peuvent et doivent faire un vieux roi, un vieux ministre, un vieux juge, un vieux richard, dans tous les états[270]. » S’il n’est pas, lui-même, devenu un scélérat, c’est parce que « le sacré principe de la réciprocité » l’a retenu. Ce principe de la réciprocité sert de base à sa morale : « Ne fais pas à autrui ce que tu ne veux pas qu’on te fasse. Rien de plus simple, de plus clair. Voilà ce qu’il faut inculquer de bonne heure aux enfants[270]. »

Restif était donc plus vraiment chrétien qu’il ne le paraît. D’ailleurs il ne parle qu’avec admiration de la morale de Jesuah, et reconnaît lui-même ses tendances chrétiennes dans le passage suivant : « Je serais meilleur chrétien que tous les hypocrites de nos jours, si laissant là tout ce qu’on a intercalé de faux dans l’Évangile, on s’en tenait à la fraternité qu’il établit, le cagotisme écarté. Je serais, disait très-bien de moi mon frère aîné, qui me devinait dès ma jeunesse, un rude chrétien[271]. Chrétien, il l’avait été avec madame Parangon : « Madame Parangon était chrétienne : pouvais-je être d’une autre religion que cette femme ? Lorsqu’elle ouvrait la bouche, je croyais voir, je croyais entendre la divinité me parler[272]. »

Si ses convictions religieuses n’existaient plus qu’à l’état de souvenir, il n’était pourtant point athée, pour cela. Il a même consacré, dans Monsieur Nicolas[273], un chapitre à L’Immoralité folle des athées. Il a reconnu le créateur du monde dans un Credo de sa façon : « Je crois un Être principe, source de toute vie et de toute intelligence, rémunérateur et vengeur dès cette vie[274]… »

L’Être principe devint, bien entendu, sous la Révolution, « l’Ordre, la Raison éternelle, le Dieu de la République française[275] ».

Quant au culte, il ne le croit pas indispensable, bien qu’il convienne de son utilité chez les peuples superstitieux, où il fait faire « des prodiges de valeur aux troupes[276] ». Si l’on en veut un, on doit se contenter de la prière dont il donne le texte.

Nous avons dit que Fourier avait adopté certaines théories sociales de Restif. En voici qui contiennent incontestablement le germe du Phalanstère ; Restif était persuadé que le défaut de notre organisation était de confondre l’état de nature avec celui de société :

« Personne, dans l’état de société, n’est propriétaire exclusif de son bien, de ses talens, de sa vertu, de sa beauté, de sa force, de ses lumières. Par le pacte social, il a mis tout cela en commun. Les maux, les abus, les vices ne viennent que de l’idée mal digérée qu’ont les hommes qu’ils sont propriétaires de quelque chose, dans l’état de sociabilité. »

Le nivellement des propriétés s’ensuit naturellement, et Restif commence par s’appliquer à lui-même la conséquence de ses principes : « J’avais désiré de laisser cinquante mille livres, comme mon père. Mais je considère que c’est trop, puisqu’il serait impossible que chaque citoyen en laissât autant, car il faudrait alors que la France eût un milliard quatre cents millions d’arpents de terre, vignes, prés, bois, à cent cinquante livres l’arpent, ce qui est à peu près le prix moyen… »

On trouve la même pensée dans Mes Inscriptions : « Les parcs immenses de nos richards anéantissent des générations[277]. » Le luxe doit, en effet, être banni de la nouvelle société rêvée par Restif : « Nul propriétaire ne pourra faire des parcs inutiles, des jardins anglais… Tout terrain sera utilement employé[278]. » Et aux partisans du luxe, à ceux qui prétendent y voir un écoulement de marchandises, un « stimulant des arts, du commerce, de toute activité, de toute industrie », il répond : « Nous sommes dix hommes réunis en société, sur un terrain maigre. Notre travail, à tous dix, est nécessaire pour nous faire subsister. Il est clair que, si l’un de nous cesse le travail utile pour s’occuper de choses de luxe, et que nous soyons obligés de le nourrir, nous serons surchargés. »

Si Restif n’est pas l’inventeur du plan d’association exposé dans L’Andrographe, dans Le Paysan perverti, dans la nouvelle des Contemporaines intitulée Les vingt épouses des vingt associés, dans Monsieur Nicolas, il n’en a pas moins introduit, pour la première fois, en France, des idées que Proudhon a résumées dans le mot : « La propriété, c’est le vol », et des théories auxquelles Fourier n’a pas eu grand’chose à ajouter dans ses projets de réformes sociales[279].

Dans L’Andrographe, dit Restif, « je propose à tous les hommes de vivre en frères ; je leur prouve, par les détails où j’entre, et les vues réfléchies des établissemens proposés, qu’on augmenterait par là le bien-être général et qu’on doublerait le bien-être particulier, loin de le diminuer ; qu’on rappellerait, en exécutant ce plan, et l’innocence et le bonheur. Je prouve qu’il serait facile de l’opérer et qu’il n’y aurait qu’à le vouloir fortement. La base sur laquelle tout roulerait, dans cet établissement, serait les droits de l’âge et du mérite. Du reste l’égalité serait parfaite ; l’aisance de tous les individus à jamais assurée[280]. » Il aimait les hommes et non le peuple ; il n’aimait guère davantage les nobles, au sujet desquels il a paraphrasé la définition célèbre de Figaro : « Que je hais, dit Restif, ces nobles insolents qui se prévalent du frivole avantage d’être nés de parents jadis vertueux et puissants ! » La bourgeoisie lui semblait préférable à ces deux classes : « Il n’est qu’une classe de la société vraiment estimable, celle du milieu. Mais, si j’avais à choisir entre la populace et les grands, je préférerais tomber dans les mains de ceux-ci, malgré leur puissance. Quelques-uns sont bien élevés. J’en ai connu d’excellents ! »

Quant à la populace, elle lui paraît en tout temps détestable. C’est toujours elle qui amena le despotisme : « On croit communément que ce fut l’ambition des rois, des puissants. Non, ce fut l’insolence des vauriens. Je crois que tous les hommes commencèrent par être égaux. Car pourquoi ne l’auraient-ils pas été ? Mais la canaille, c’est-à-dire les fainéants, les gourmands, les méchants en tout genre de l’espèce humaine, étant restée malaisée, tandis que les diligents, les soigneux, les laborieux s’étaient procuré l’aisance, la canaille malaisée s’aigrit, elle insulta, elle vola, elle tua. Alors, les ayant quelque chose se coalisèrent ; ils se donnèrent un chef, des armes, des soldats.

De là le gouvernement royal et magistral. De là le despotisme même[281]. »

Ouvrons, ici, une parenthèse, et, après avoir fait remarquer que, par gouvernement despotique, Restif entend, ici, le gouvernement d’un tyran, disons quelques mots de ses opinions politiques.

De l’ensemble de ses doctrines, il résulte qu’il était résolument monarchiste. Il ne faudrait point le juger en 1793, car, alors, il tremblait continuellement, redoutant une troisième arrestation, et la peur lui dictait l’éloge de Marat, « phénomène sans exemple… habile physicien, médecin intelligent, ardent patriote », éloge désavoué en 1797 dans Monsieur Nicolas. À cette époque, c’est un « ami timide » qui a fait faire des cartons à son insu, et c’est l’imprimeur à qui incombe la responsabilité d’avoir « tourné en louange l’article de Marat[282] ».

En réalité, il cherchait à faire montre de civisme ; pendant la Terreur, il plaçait sur le titre du tome XVI des Nuits de Paris l’épigraphe suivante : « Je ne m’apitoie pas sur un roi. Que les rois plaignent les rois. Je n’ai rien de commun avec ces gens-là ! » Ce qui ne l’avait point empêché d’écrire, auparavant, à la nouvelle du retour de Louis XVI à Paris : « O Roi, chef de la nation, en t’honorant, c’est elle-même qu’elle honore !… Béni sois-tu, bon Louis XVI ! La postérité parlera toujours de toi, et tu es plus immortel que dix rois ensemble. » Paroles imprudentes et sur lesquelles il croyait bon de passer l’éponge.

En voici d’autres non moins dangereuses, pour le temps : elles étaient la fidèle expression de sa pensée :

« Mépriser le Roi ou la religion, c’est manquer au bon sens, le Roi fût-il méchant et la religion superstitieuse. Vous en sentez la raison : c’est que l’athéisme et l’anarchie sont les plus grands des maux. Le despotisme, sous un bon prince, est le meilleur des gouvernements. C’est celui des corps bien organisés qui n’ont qu’une tête, à laquelle tous les membres obéissent aveuglément… Je ne suis pas plus esclave qu’un autre, mes principes sont connus. J’énonce seulement une éternelle vérité… bien différente du faux adage de Voltaire :

Le premier qui fut roi fut un soldat heureux.

« Le premier roi fut un père de famille. Ce furent les rois postérieurs, les chefs usurpateurs, les conquérans et non le premier roi qui fut choisi pour sa sagesse, les services rendus ou qu’il pouvait rendre. C’est le gouvernement naturel que le monarchi- despotique. Et la preuve sans réplique, c’est que tous les gouvernemens, même le populaire, sont obligés d’y avoir recours lorsqu’ils ont besoin d’une double énergie, et pour les armées, qui eurent toujours un chef despote, même en Grèce, même à Rome[283]. » Mais le bas peuple est l’ennemi-né de toute autorité : « C’est à lui, c’est à ces êtres stupides que l’agitateur s’adresse, habillé comme eux. »

Le seul remède, c’est la communauté :

« Si l’on n’en veut pas, il faut employer la coaction contre le peuple, et alors, plus d’égalité, car jamais le peuple ne comprendra que, dans le système actuel, où toutes les propriétés sont isolées, il faut des riches, qui sont des magaziniers politiques ; que ce serait le plus grand des malheurs que tout le monde fût dissipateur ou sans industrie, comme les ancêtres des pauvres ou les pauvres eux-mêmes ; qu’il faut, dans le système actuel, protéger les propriétés et n’empêcher les trop grandes fortunes qu’en terres, parce que ceux qui en ont trop en mettent une partie en terres de luxe, perdues pour la culture[284]. »

On dirait Restif prophète, quand il ajoute :

« La préoccupation constante des philosophes d’améliorer le sort des ouvriers, d’augmenter leur bien-être, leur salaire, doit fatalement amener la suppression du travail. Ils ressemblent « aux estomacs que trop de nourriture engorge et rend paresseux[285] ». Si le prix de la journée est doublé, qu’arrive-t-il ? La populace qui, « semblable aux hordes sauvages, ne voit que le présent », se dispense de l’atelier trois jours sur six, passe les trois autres à se débaucher, à faire des dettes et à prendre des habitudes de paresse. Les femmes d’ouvriers s’en aperçoivent à leurs dépens, les entrepreneurs sont ruinés par la cherté de la main-d’œuvre, et l’étranger en profite[286]. »

Sur ce dernier point, Restif avait une idée étrange ; il disait que, s’il était de l’Assemblée nationale, il ferait une motion consistant à déclarer tous les ouvriers « propriété nationale » et, comme tels, obligés à travailler pour eux-mêmes et pour leurs familles[287] : « Ce serait le vrai moyen de faire refleurir le commerce. »
On reconnaît là sa tendance à rattacher toutes les professions au pouvoir central. Les journalistes, ces « poux de la littérature », devraient, à son avis, être l’objet d’une semblable mesure : « Fonction qui devrais être un sacerdoce sacré, pourquoi donc es-tu avilie et devenue la plus basse partie de la littérature ?… Je propose de faire, du journalisme, une fonction publique à laquelle ne seraient admis que des gens éprouvés pour le patriotisme et le talent[288]. »

Ses observations sur les ouvriers ont d’autant plus d’autorité qu’elles émanent d’un enfant du peuple. C’est d’ailleurs en le fréquentant que Restif, observateur par goût et par métier, a puisé les éléments de ses prédictions du cataclysme de 1789[289].
Il écrivait, en 1780 : « Elle viendra peut-être, cette Révolution terrible où l’homme utile sentira son importance[290] ! »
Elle viendra, parce que les nobles n’ont pas compris le peuple et que, trop nombreux, ils « annoncent, comme les frelons, la destruction de la ruche ». Le moment n’est point éloigné où leur naissance ne leur tiendra plus lieu de mérite, où le sceptre changera de mains : « Voyez-vous cet esprit remuant qui se manifeste ?… Savez-vous ce que cela signifie ?… Que ce même peuple… secoûra, dans peu, toutes les salutaires entraves de la sociabilité.. Écoutez la voix d’un plébéien qui voit tout, qui vit avec le peuple, qui connaît ses plus secrètes pensées ! La fermentation existe ; elle augmente ; l’opposition entre les puissances gouvernantes l’encourage. Prévenez-la ! Ramenez le bon ordre, la subordination  ! »
Ramenez-les par l’organisation du travail, par la résistance aux efforts mal entendus des philosophes, par le rétablissement de la hiérarchie sociale, par l’« utile despotisme des maîtres sur des hommes brutes, insolens », car « l’ouvrier est devenu le despote et, par un renversement qui annonce une révolution terrible, le pouvoir est passé entre les mains de ceux qui ont intérêt de l’anéantir[291] ».

En multipliant nos extraits, nous croyons avoir employé le meilleur moyen de faire apprécier l’œuvre étrange que nous publions.
Presque hiéroglyphique, son premier aspect est de ceux qui découragent. Mais quand on a bien connu l’auteur, ces hiéroglyphes piquent d’autant plus la curiosité. Puis, leur aspect ingrat offre le meilleur gage de cette entière sincérité que recherche avant tout, et que rencontre si peu l’observation du cœur humain.
On peut affirmer qu’un homme s’est révélé, ici, tout entier.

Paul Cottin.


    de la Politique, une curieuse conversation d’un prisonnier du château de Pierre-Encise avec Mirabeau. Celui-ci, après avoir avoué qu’il devait « sourdement et de concert avec les deux personnes royales, travailler au rétablissement de la royauté dans tous ses droits », fait la profession de foi suivante : « Mirabeau me disait, un jour, qu’il nous fallait un peu plus de monarchisme qu’aux Anglais et non pas un peu moins, comme le prétendent certaines gens. A qui la liberté est-elle bonne ? A très-peu de monde, puisque ce n’est qu’aux sages. Or, un gouvernement doit être pour tout le monde… Il vaut mieux se soumettre à un maître despotique, avec les lois les plus dures, que d’avoir une liberté dont abuseraient les mauvaises têtes. » L’homme que Restif appelle Pierre-Encise ajoute qu’en ce qui regarde le régime républico-monarchique, « il fut imaginé par des imbéciles qui crurent pouvoir allier deux choses incompatibles : la liberté et la sujétion ».

  1. Voir Mes Inscripcions, § 552, P. 128, et § 580, p. 140.
  2. V., par exemple, le § 695, p. 188 ; au moment de sortir, il écrit : « Je vais savoir l’heure de Beaumarchais. » En rentrant, il ajoute : « Je ne l’ai pas sue. »
  3. 1. V. Monsieur Nicolas, édition Liseux, t. XI, p. 163. Cubières-Palmézeaux et de Humboldt rapportent que cette habitude lui avait fait une réputation d’économie. Elle est, d’ailleurs, celle de presque tous ceux qui font des travaux de recherches et procèdent par notes.
  4. Avertissons, à ce propos, nos lecteurs, qu’ayant suivi scrupuleusement le manuscrit, nous avons dû, parfois, comme Restif l’avait fait par erreur, répéter les numéros des paragraphes ; que les renvois à Monsieur Nicolas s’appliquent à l’édition Liseux, beaucoup plus facile à se procurer que l’édition originale (nous avons, toutefois, été obligé de renvoyer à cette dernière pour le volume renfermant la Morale, la Religion et la Politique, car il n’a pas été réimprimé) ; que les personnages cités ayant pu figurer dans plusieurs notes, il sera bon de se reporter à l’index pour les éclaircissements.
  5. Ce texte différera, par là, quelque peu de celui de notre Revue rétrospective de 1886, où nous l’avons publié pour la première fois. (Revue rétrospective, recueil de pièces intéressantes et de citations curieuses, cinquième semestre et suiv. Bureaux, 55, rue de Rivoli.)
  6. Le chevalier de Cubières-Palmézeaux, dans sa notice de l’Histoire des compagnes de Maria, réimprimée en tête de la Bibliographie de Restif de la Bretonne, par Paul Lacroix, fait allusion à l’habitude de Restif « d’écrire tous les soirs, en rentrant chez lui, ce qu’il avait vu ou entendu dans la journée ».
  7. Monsieur Nicolas, t. I, p. 43. En ne comptant pas le Drame de la vie, qui forme un volume à part, cela fait huit morceaux.
  8. V. Monsieur Nicolas, t. XI, p. 206.
  9. V. Monsieur Nicolas, t. XI, p. 193.
  10. V. Monsieur Nicolas, t. XIV.
  11. V. ces deux pages, t. VIII, p. 4829, de la 1re édition.
  12. V. Mes Inscripcions, § 546.
  13. V. page 323.
  14. V. Nuits de Paris, p. 2511.
  15. 11 mars 1886.
  16. Introduction des Contemporaines du commun.
  17. V. ses articles sur Les Confidences de Nicolas, dans la Revue des Deux Mondes de 1850. Ils ont été réimprimés dans Les Illuminés ou les Précurseurs du socialisme (1852).
  18. V. Restif de la Bretonne, sa vie et ses amours (1854).
  19. V. Bibliographie et iconographie de Restif de la Bretonne (1875).
  20. Introductions des extraits des Contemporaines mêlées, des Contemporaines graduées, des Contemporaines du commun (1875-76).
  21. Étude publiée dans le Temps et reproduite dans les Portraits du dix-huitième siècle (1879).
  22. L’œuvre complète de Restif est d’ailleurs presque impossible à rencontrer, et la Bibliothèque nationale est loin de la posséder. On cite à peine un ou deux bibliophiles qui l’aient réunie.
  23. Publié en 1881 par M. Octave Uzanne, dans la collection des Petits conteurs du dix-huitième siècle.
  24. Quatorze volumes in-8o (1883). On en avait extrait et publié à part, en 1881, l’épisode de Louise et Thérèse, de même qu’on a publié à part, en 1885, l’Histoire de Sara, sous le titre de Sara ou l’amour à quarante-cinq ans.
  25. Publiée en 1884. M. Assézat cite une autre réimpression de cet ouvrage, parue en 1848, dans une collection de Romans chrétiens.
  26. Bruxelles, 1883, 4 vol. in-8o. Une autre édition, en 2 vol., a paru dans la même ville en 1886.
  27. Elle a paru dans le Gil Blas, puis en volume (1888), par les soins de M. Maurice Talmeyr. Il serait à souhaiter qu’on entreprît un travail du même genre pour les Nuits de Paris, pleines de renseignements sur les mœurs et l’histoire de la fin du dix-huitième siècle. — Complétons la nomenclature des réimpressions en citant le Monument du costume (1876), texte revu par M. Ch. Brunet, préface de M. A. de Montaiglon.
  28. V. note 2, page 137. Il est mort le 3 février 1806.
  29. Monsieur Nicolas, t. X, p. 51.
  30. La femme infidèle est un des ouvrages les plus rares de Restif. Mais on peut lire, dans Monsieur Nicolas, de nombreux détails sur le compte d’Agnès.
  31. A l’égard de la mère, V. Monsieur Nicolas, t. IX, p. 108.
  32. V. Monsieur Nicolas, t. IX, p. 82.
  33. V. Monsieur Nicolas, t. XI, pp. 150, 165. Le tome XIX des Contemporaines, 2e édition, renferme des lettres de Butel-Dumont qui « jettent un jour sur la Dernière aventure ».
  34. Affiches de province, 12 avril 1783.
  35. S’il ne composait pas ainsi des ouvrages entiers, il en composait, du moins, des passages, « et ces endroits, faits à la casse, sans copie, sont toujours les meilleurs, les mieux écrits, les mieux pensés ». (Revue des ouvrages. Cette Revue se trouve à la suite de certains exemplaires de la Paysanne pervertie et des Figures du paysan.)
  36. Le journal de Restif est intéressant pour les amis de l’histoire de Paris ; aussi avons-nous mis des notes à la plupart des noms de rues, monuments, hôtels, jardins, etc. Nous avons été aidé dans ce travail par M. Paul Lacombe, auteur de la Bibliographie parisienne. (Paris, Rouquette, 1887, in-8o.
  37. Nougaret était cependant l’« Aristarque » qu’il s’était choisi pour la correction de son premier manuscrit, celui de La famille vertueuse (V. Monsieur Nicolas, t. IX, p. 217). Mais il paraît qu’il était devenu jaloux après la publication du Paysan (il avait publié en 1777 une Paysanne pervertie), et qu’il « ameuta tous ses co-boulevaristes » contre son ancien protégé. (V. Monsieur Nicolas, t. XI, p. 72.)
  38. La paysanne pervertie l’avait été en un mois.
  39. V. page 169, note 2.
  40. V. § 534, p. 120.
  41. M. Soury, dans ses Portraits du dix-huitième siècle, remarque avec raison que Restif était de la race des « exhibitionnistes ». Il aimait à attirer l’attention sur sa personne, à s’exhiber. Cette manie est très caractérisée chez certains hommes ; elle l’est à un haut degré chez lui.
  42. Voir, pour les détails sur Augé, le § 586, p. 144.
  43. Lettre du 20 septembre 1786, 2e édition des Contemporaines, et Drame de la vie, appendice.
  44. Lettre du 20 septembre 1786.
  45. Monsieur Nicolas, t. XI, p. 158.
  46. Le petit-fils de Restif, Victor Vignon-Restif de la Bretonne, est l’auteur du Paria français, le traducteur des Poésies latines de Rosvith, etc. Il est mort vers 1862, laissant deux enfants.
  47. Monsieur Nicolas, t. XI, p. 42.
  48. Nuits de Paris, p. 2902.
  49. V. § 829, p. 240.
  50. V. § 878, p. 255.
  51. Les Nuits de Paris (p. 2342) contiennent quelques pensées de Restif. En voici deux sur les ouvriers : « Honorer l’écolier, c’est le rendre paresseux ; honorer l’ouvrier, c’est en faire un important. — Dites au sot qu’il est trop soumis, il devient insolent ; dites à l’ouvrier qu’il travaille trop, il ne fera rien. « Mes Inscriptions renferment aussi des pensées justes sur l’amour (V. § 158) ; sur le monde (§§ 73, 86), etc.
  52. V. § 554, p. 130.
  53. V. § 842, p. 243.
  54. Vers chantés par Nicolas-Edme-Anne-Augustin Restif, de Sacy, dans les malheurs de sa vie. Livre premier, année 1752.
  55. Cette adorable Rousseau fut la première qui fit battre mon cœur. Je songeais, un jour de fête, dans l’église de Courgis, à l’amie qui me plairait le plus. Je voyais déjà son extérieur, sa figure, sa taille, sa mise. Pendant que je me livrais à ces réflexions, voici Jeannette qui, plus belle que les déesses, s’approche pour communier. Je l’aime aussitôt, puis la passion me dévore, et souvent même je délire. Ces événements se passèrent à Courgis en 1748-9-50.
  56. Il y a un an que j’arrivai ici, 14 juillet 1752. (V. Mes Inscriptions, p. 310, § 1128.)
  57. En me levant le matin du 26 octobre 1752, je fais cette réflexion : Que penserai-je l’an prochain à pareils jour et heure ?… Revu en 1753.
  58. Aujourd’hui 21 juin, date sainte (voir ci-dessous pages xxxviij et xlvj, veille de la Fête-Dieu, 1753, m’étant assis, fatigué, contre la fenêtre d’un grenier, j’ai songé aux années précédentes. Que pensais-je il y a deux ans, un an ?… 1754, le même jour, je lis ceci, presque dans la même situation.
  59. Oh ! combien je suis maintenant torturé par mon malheureux amour pour ma belle maîtresse ! (Mme Parangon.) Je m’efforce de montrer mes sentiments. Je parlerai certainement.
  60. Comme je me porte mal ! Je suis malade, triste. Cependant, je pense à avouer mon amour à ma maîtresse. Qu’elle est belle ! Combien j’aspire à ce jour heureux où je lui dirai mon amour brûlant ! 6 octobre 1753… Colette est morte au mois de mars 1757.
  61. En parcourant le manuscrit des Souvenirs inédits de E. J. Delécluze, dont nous avons publié la partie intéressante dans la Revue rétrospective de 1888-89, nous avons été frappé par une petite anecdote remontant à son enfance, et qu’on croirait racontée par Restif : Un soir de 1788 ou 89, Delécluze, alors tout jeune, s’était attiré à table une réprimande de ses parents. Resté seul dans la salle à manger, il écrivit sur le bois de la table : Pauvre Etienne ! « Bien longtemps après, dit-il, j’ai retrouvé ces deux mots qui me remettoient aussitôt dans la même disposition d’esprit que celle où j’étois en les écrivant. » (T. Ier du ms., p. 99.)
  62. V. la note de la page 4 de Mes Inscripcions.
  63. V. Les Nuits de Paris, t. XVI, p. 334 : « J’allai aux Tuileries par le Pont-Royal. Au moyen des fers qui me servent à graver sur l’île, il m’est quelquefois arrivé de grimper dans ce jardin après qu’il était fermé… »
  64. V. Mes Inscripcions, § 33, p. 18.
  65. Monsieur Nicolas, t. XII, p. 175.
  66. V. Monsieur Nicolas, t. XI, p. 43.
  67. C’est une habitude qu’il conserva jusqu’à la fin. Lorédan Larchey nous a dit avoir appris d’un témoin des dernières années de la vie de Restif qu’on le voyait souvent écrire, assis sur les bornes, vêtu d’un manteau qui allait se raccourcissant avec les ans, parce qu’il rafraîchissait au ciseau ses bords effiloqués : il conservait longtemps ses vêtements, témoin le fameux habit bleu fait en 1773 et avec lequel il se vantait encore à La Reynière de monter la garde en 1792. (V. Le Drame de la vie et, ci-dessous, p. {{sc|xciij}.
  68. Les Nuits de Paris, t. Ier, p. 3.
  69. V. la note 3 de la page 180.
  70. Nuits de Paris, p. 3224.
  71. V. §§ 613 et 618, pp. 159 et 161.
  72. Les Contemporaines, 2e édition, t. XIX. Lettre datée du 11 janvier 1786.
  73. V. les §§ 657 et suiv., p. 173.
  74. V. le § 551, p. 128.
  75. Nuits de Paris, p. 2888.
  76. Nuits de Paris, p. 2506.
  77. V. le § 381, p. 86.
  78. T. V, p. 1312.
  79. V. la note 2 de la page 261.
  80. V. la page 3.
  81. Nuits de Paris, p 2571
  82. V. page 14 de Mes Inscriptions.
  83. V. page 2415.
  84. Nuits de Paris, p. 413.
  85. Restif explique ici d’une nouvelle manière la consécration de ces jours : ils étaient, dit-il, pour lui, les Calendes des Anciens.
  86. Contemporaines, 2e édition, t. XXIX.
  87. Le Drame de la vie, lettres de la Reynière (à l’appendice).
  88. Réflexions philosophiques sur le plaisir. In-8° de 80 pages, 1783.
  89. C’est pour cela que, dans La femme infidèle, Restif appelle La Reynière M. de l’Elysée. — Cet hôtel, situé au coin de la rue Boissy-d’Anglas et de la place de la Concorde, était occupé, sous la Restauration, par l’ambassade russe, et, plus récemment, par l’ambassade ottomane. Il l’est, aujour- d’hui, par le cercle de l’Union artistique. L’architecte Barré le construisit pour le fermier général.
  90. Voir aussi les Mémoires secrets, mais il faut rectifier leurs erreurs en comparant leur récit à celui de Barth, secrétaire de La Reynière, dans sa réponse au mystificateur Caillot-Duval. (Correspondance philosophique de Caillot-Duval, citée par M. Desnoiresterres, dans son ouvrage Grimod de La Reynière et son groupe.)
  91. Ce repas, dit-il dans Monsieur Nicolas, avait précédé d’un mois sa connaissance avec La Reynière (t. XI, p. 68). Raison inadmissible ; on verra, par la comparaison des dates ci-dessus, qu’il le connaissait depuis trois- mois.
  92. V. cette lettre dans les Contemporaines, 2e édition, t. XIX.
  93. C’est du moins le nom que lui donne Restif, dans les Françaises.
  94. V. Mes Inscriptions à la page 98, note 2.
  95. Son nom paraît avoir été de Nosoyl (anagramme de Loyson). V. pour les détails sur cette dame la page 189, note 2. Elle assistait, habillée en homme, au premier souper.
  96. V. Mes Inscriptions, p. 187, note 2.
  97. Contemporaines, 2e édition, t. XXI.
  98. Andrieux, auteur d’Anaximandre.
  99. Les Contemporaines, t. XXVIII, 2e édition.
  100. V. le § 1039, p. 294.
  101. Contemporaines, 2e édition. Lettre du 20 septembre 17S6. Tomes XXVII et XXVIII.
  102. Ibid., t. XXIX.
  103. v. § 669, p. 177.
  104. V. page 99, note 1.
  105. Titre d’un ouvrage de Grimod de La Reynière.
  106. Drame de la vie, appendice.
  107. Ibid.
  108. Drame de la vie, appendice.
  109. T. XI, p. 68. Par contre, dans un passage des Nuits, t. XVI, p. 312, il dit que La Reynière, autrefois son ami, est devenu son « ennemi mortel ». Il dit aussi, dans Monsieur Nicolas, qu’il fut un temps où il loua beaucoup La Reynière, mais, ajoute-t-il, « ce qui est vrai dans un temps, souvent est faux dans un autre ». De son côté, La Reynière parle, dans une de ses lettres, d’un « tour » que lui aurait joué Restif. Il ne s’explique pas davantage.
  110. On ne s’attendait guère à ce nom. C’était Augé, auparavant.
  111. V. la note 2 de la page 75.
  112. Contemporaines, 2e édition, t. XXIX.
  113. Pages 72 à 76.
  114. V. la note 2 de la page 229.
  115. V. Nuits de Paris, t. XVI, p. 414 et suiv. Augé l’avait dénoncé en le déclarant auteur de trois pamphlets : Moyen sûr à employer par les deux ordres pour dompter et subjuguer le tiers État et le punir de ses exactions. — Domine salvum fac Regem. — Dom B… aux États généraux.
  116. Le Drame de la vie, appendice.
  117. Nuits de Paris, t. XVI, p. 492.
  118. Nuits de Paris, t. XVI, p. 414 et suiv.
  119. Poinot.
  120. François Arthaud. V. p. 88
  121. V. Mes Inscriptions, § 91, § 403, et Monsieur Nicolas : « Je ne me sais d’autres torts avec cet homme (La Harpe) que d’avoir l’énergie et l’imagination qu’il n’a pas. Il attaqua, dans le Mercure de 1777, deux de mes ouvrages, Le Paysan et L’École des Pères. Mais qu’y a-t-il de commun entre M. de La Harpe et moi ? Je n’ai aucune de ses qualités, il n’a aucun de mes défauts. Il versifie bien, il est correct, réglé, sage. Je ne versifie pas, je suis incorrect, désordonné et je porte quelquefois la chaleur de mon style ou la liberté de mes tableaux à un excès peut-être condamnable. A la vérité, j’ai souvent de l’onction…, mais M. de La Harpe n’en ayant jamais, nous ne devons pas nous rencontrer, pas même à l’Académie, dont je n’aurai certainement pas l’honneur d’être. »
  122. Page 2900.
  123. Tomes XIX, XX, XXI.
  124. Avocat de la plaignante, qui était une dame Laugé. (V. le § 245, p. 70.)
  125. Lettre du 7 frimaire an V. (V. Monsieur Nicolas, t. XI, p. 65.)
  126. Correspondance de Schiller avec Gœthe, édition Saint-René Taillandier, t. 1er, p. 413.
  127. Ces lignes sont extraites des Portraits du dix-huitième siècle, par M. Jules Soury.
  128. Portraits du dix-huitième siècle, par M. Jules Soury.
  129. La Reynière avait vu changer son exil en bannissement et quitté Domèvre en juillet 1788, d’où il était passé en Suisse.
  130. Une lettre du baron de Corberon, ministre du prince de Deux-Ponts, lui donne même le pas sur l’auteur de Clarisse : « Plus vaste et plus détaillé, votre plan nous annonce une observation singulièrement étendue et des résultats qui doivent embrasser presque toutes les classes de la société. C’est le projet d’un écrivain-citoyen. » (Les Contemporaines, 2e édition, t. XIX.)
  131. Monsieur Nicolas, t. XI, p. 147.
  132. Les Contemporaines, 2e édition, t. XIX
  133. Ibid., t. XXVII.
  134. Ibid., t. XXXIV.
  135. Les Contemporaines, 2e édition, t. XXVII.
  136. V. la note 1 de la page 277. On trouve, dans Mon- sieur Nicolas, t. IV, p. 207, une liste de ses ennemis. A ceux que nous avons cités il faut joindre Linguet, Ginguené, Geoffroy, Panckoucke. Quant à Joubert et à Fontanes, qui paraissent avoir mérité sérieusement sa haine, par leur conduite avec Agnès Lebègue, il ne leur pardonna jamais.
  137. V. le § 979, p. 283.
  138. V. La semaine nocturne, p. 174.
  139. v. le $ 1110, p. 308.
  140. V. le S 1141, P- 312.
  141. V. Mes Inscripcions, $ 677, p. 180.
  142. Monsieur Nicolas, t. XI, p. 180.
  143. Ibid., t. XI, p. 187.
  144. V. une lettre de ses filles adressée au Journal de Paris, le 15 février 1806.
  145. Lettre insérée dans les Nuits. Madame de Beauharnais s’intéressait aussi à Marion Restif. V. Monsieur Nicolas, t. XIII, p. 299.
  146. Nuits de Paris, p. 2650.
  147. Magasin encyclopédique, t. IX, p. 550.
  148. V. une plaisanterie sur le même sujet, p. 183, note 1.
  149. Monsieur Nicolas, t. X, p. 131. On voit que les romantiques n’ont rien inventé en traitant de polissons les Académiciens.
  150. Numéro du 14 novembre 1796.
  151. Les Nuits de Paris, p. 2781.
  152. Monsieur Nicolas, t. XIV, p. 114.
  153. Ibid.,X. V, p. 153.
  154. T. XI, p. 211. Il déclare, toutefois, dans les Nuits de Paris, qu’il ne se croit pas un génie pour avoir inventé des mots nouveaux : « Ni ces Messieurs qui m’en font un crime, ni moi, n’en avons, Dieu merci ! Le génie, comme en avait Corneille, ne peut exister, dans un siècle esprité comme le nôtre, à moins qu’il ne soit un peu fou, comme celui de J.-J. Rousseau. Ni Pascal, ni Racine, ni Boileau, ni Voltaire n’eurent de génie, mais beaucoup d’esprit, un excellent esprit que puissions-nous avoir… » Ses accès d’orgueil sont tempérés par des accès de modestie.
  155. V. Monsieur Nicolas, t. XI, p. 162 : « Pertinax et Bellemarche. — Il existe à Paris deux hommes de lettres qui ont de singuliers rapports ! Il se trouve entre eux une grande ressemblance pour le genre d’esprit, pour le faire, la manière de travailler, des inclinations, la situation (une chose exceptée), le style et la marche des ouvrages. Bellemarche a fait Eugénie ; Pertinax, la Mère impérieuse ; Bellemarche, les Deux amis ; Pertinax, la Prévention nationale ; Bellemarche, le Barbier de Séville ; Pertinax, l’Épiménide grec, etc. »
  156. Monsieur Nicolas, t. 1er, p. 28. La place nous manque pour rapporter une petite aventure assez joliment racontée dans les Nuits de Paris, p. 2519, et qui contribua, dit-il, à lui inspirer de la modestie.
  157. « Espèce de danse aux beaux bras, dans le genre de celle de Vestris, de Gardel. » (Monsieur Nicolas.)
  158. Il raconte, dans Monsieur Nicolas, qu’il avait failli s’engager à l’Opéra-Comique.
  159. Voir, ci-dessous, p. lxxxix.
  160. V. Monsieur Nicolas, t. XIII, p. 17s
  161. V. Monsieur Nicolas, t. XIII, p. 209.
  162. Ingénue Saxancour, t. III, p. 126.
    Aussi est-on surpris de voir parfois cet ennemi de la critique se critiquer lui-même. Dans un Dialogue entre un médecin et l’éditeur des Contemporaines (t. XXX ; ce dialogue n’est peut-être pas de Restif, mais il le publie, de même qu’il publie souvent d’autres pièces qui n’ont rien de flatteur pour ses ouvrages), il donne la liste de ses meilleures nouvelles, mais il avoue que « les 70-71 sont un peu vides… les 81-83 manquent de vraisemblance… les 97 et 98 sont peu intéressantes et manquent également d’art et de naturel… » Dans la Revue des ouvrages, il déclare que les Nouveaux mémoires d’un homme de qualité sont une des plus médiocres productions de l’auteur.
  163. V. Mes Inscriptions, §§ 68 et 69, pp. 26 et 27.
  164. V. Mes Inscripcions, § 14$, p. 53.
  165. Ibid., § 810, p. 233.
  166. V. aussi l’anecdote du bois luisant, t. VI, p. 148.
  167. Dans Monsieur Nicolas. Voyez le récit des promenades aux collines de la banlieue de Paris.
  168. V. le § 49, p. 22 ; les §§ 16 et 18, pp. 13 et 15 ; le § 854, p. 247.
  169. Monsieur Nicolas, t. V, p. 243.
  170. V. la note 1 de la page 45.
  171. Mes Inscriptions, § 193, p. 64.
  172. Monsieur Nicolas, t. V, p. 34.
  173. Ibid., t. IV, p. 188.
  174. Ibid., t. IX, p. 44.
  175. Ibid., t. X, p. 41, à la note.
  176. Monsieur Nicolas, t. X ; p. 111.
  177. ibid., t. IV, p. 187.
  178. Ibid., t. VI, p. s 1.
  179. Ibid., t. X, p. $7.
  180. V. son aventure avec mesdemoiselles Prudhomme et Baptiste, de l’Opéra-comique, en 1757. Monsieur Nicolas, t. VII, p. 155.
  181. V. Monsieur Nicolas, t. IX, p. 139.
  182. V. Monsieur Nicolas, t. XIV, p. 139.
  183. Voir, dans Monsieur Nicolas, les aventures de Pauline Ebret (XIII, 84) ; d’Hélène Senlaur (125) ; d’Apolline Canapé (128), etc.
  184. Ibid., XIII, 81.
  185. Monsieur Nicolas, t. XIV, p. 16.
  186. ibid., t. IX, p. 28.
  187. Ibid., t. XI, p. 120.
  188. Mes Inscriptions, §§ 1064, 1069, pp. 299, 300.
  189. Mes Inscriptions, § 471, p. 103.
  190. Les Contemporaines, 2e édition, t. XXVII.
  191. Les Nuits de Paris, p. 1613.
  192. Monsieur Nicolas, t. XI, p. 182.
  193. Monsieur Nicolas, t. XI, p. 186.
  194. V. aussi dans les Nuits de Paris, p. 3348, l’exposé de la bienfaisance de madame Châtel, « dame généreuse qui aide les personnes malaisées pour leur faire franchir les premiers pas d’un commencement d’état toujours si difficile ».
  195. V. Mes Inscriptions, § 287, p. 77.
  196. V. Mes Inscriptions, p. 79.
  197. V. la préface de la notice placée en tête de l’Histoire des compagnes de Maria.
  198. T. XI, p. 211.
  199. Monsieur Nicolas, t. X, p. 248.
  200. Pidansat de Mairobert prenait pour lui des informations « sur les personnes qu’il rencontrait ou qui le frappaient ». (Les Contemporaines, préface.) Les femmes du peuple lui donnaient aussi des renseignements précieux pour la peinture des mœurs populaires.
  201. V. Mes Inscriptions, § 135, p. 50, et la note de la page 290
  202. Contemporaines, V édition, t. XXX. MM. E. Campardon et A. Longnon ont publié, dans le Bulletin de l’Histoire de Paris, année 1876, p. 142, des documents concernant cette affaire.
  203. V. Mes Inscripcions, § 863.
  204. V. Mes Inscripcions, p. 229, note 3.
  205. Il a donné une liste de ses Muses. V. Monsieur Nicolas, t. XIV, p. 147. V. aussi t. XI, pp. 52 et 151 ; t. VIII, pp. 44 et 48.
  206. Les Contemporaines, préface.
  207. Monsieur Nicolas, introduction.
  208. Les Nuits de Paris, p. 2475.
  209. V. Mes Inscripcions, § 96, p. 38.
  210. V. page 4103 de la 1re édition.
  211. V. Mes Inscriptions, §§ 485, 665, 669, pp. 106, 177, 178.
  212. V. le § 1099, p. 305 : il compose un chapitre de la Physique, pendant la correction d’une épreuve.
  213. Les Nuits de Paris, p. 1878. V. aussi une lettre de Mallet de Genève, du 31 janvier 1786, dans la 2e édition des Contemporaines.
  214. Nuits de Paris, t. V.
  215. Monsieur Nicolas, t. X, p. 247.
  216. Ibid., t. XIV, p. 6.
  217. Monsieur Nicolas, t. IV, p. 71.
  218. Nuits de Paris. V. aussi le § 896 à la note, p. 262.
  219. Monsieur Nicolas, t. XI, p. 9.
  220. Nuits de Paris, p. 1901.
  221. Mémento, folio 108, verso.
  222. Monsieur Nicolas, t. V, p. 131.
  223. Nuits de Paris, p. 167 1.
  224. Page 31 : « J’étais trop ému pour être lâche. »
  225. Nuits de Paris, p. 1757.
  226. Monsieur Nicolas, t. XIII, p. 5.
  227. V. § 566, p. 133.
  228. V. § 763, p. 217.
  229. Monsieur Nicolas, t. 1er, p. 92.
  230. T. XI, p. 51.
  231. Revue des Ouvrages, p. CCXXVI.
  232. Nuits de Paris, p. 2360.
  233. Nuits de Paris, p. 1837.
  234. Ibid., p. 248.
  235. Monsieur Nicolas, 1re édit., p. 4774.
  236. Il l’accordait à la marquise des Nuits et à madame de Beauharnais. (Monsieur Nicolas, t. XI, p. 155.)
  237. Il était très fier de cette phrase. V. Monsieur Nicolas, t. XI, p. i75.
  238. Monsieur Nicolas, t. VIII, p. 210.
  239. Monsieur Nicolas, t. X, p. 59. — Mes Inscripcions, voir la phrase chantée du § 15, p. 13.
  240. Monsieur Nicolas, t. VII, p. 79.
  241. Monsieur Nicolas, t. VIII, pp. 52-62
  242. Calendrier, p. 297.
  243. Nuits de Paris, t. XVI, p. 402
  244. V. la note du § 930, p. 271.
  245. T. XIV, p. 125.
  246. T. V.
  247. V. la note du § 854, p. 247. Voici quelques autres mots de son invention : Honnester, inconvénienter, actricisme, sérieuser, espriter, comédisme.
  248. V. la Revue des Ouvrages.
  249. Monsieur Nicolas, 1re édition, p. 4415.
  250. Page 1420.
  251. Nuits de Paris, pp. 1773 et 2528.
  252. Nuits de Paris, p. 277.
  253. Monsieur Nicolas, t. IV, p. 213.
  254. Ibid., p. 2917.
  255. Nuits de Paris, p. 3181.
  256. Ibid., p. 3184.
  257. Nuits de Paris, p. 2514.
  258. Les Contemporaines, 2e édition, préface.
  259. Monsieur Nicolas, 1re édition, p. 4060.
  260. Nuits de Paris, p. 504.
  261. V. Mes Inscriptions, § 32, p. 18.
  262. Nuits de Paris, p. 1219.
  263. Nuits de Paris, t. XVI, p. 396.
  264. Ibid., p. 2455
  265. Monsieur Nicolas, t. XIII, p. 144.
  266. Ibid., t. XI, p. 125.
  267. Ibid., t. XIII, p. 77.
  268. Nuits de Paris, p. 248.
  269. V. Nuits de Paris, pp. 413 et 2342.
  270. a et b Monsieur Nicolas, p. 4074, 1re édition.
  271. Ibid., p. 4154.
  272. Monsieur Nicolas, p. 4147.
  273. Page 4818, 1re édition.
  274. Monsieur Nicolas, p. 4156, 1re édition.
  275. Ibid., t. IV, p. 214.
  276. Ibid., p. 4028, 1re édition.
  277. v. § 704, p. 193.
  278. Nuits de Paris, p. 1535. V. aussi Monsieur Nicolas, t. IX, p. 12.
  279. Pierre Leroux le constate dans ses Lettres sur le fouriérisme, Revue sociale de 1850. V. aussi un article d’Emile de Girardin dans la Presse du 28 septembre 1852.
  280. T. XXX des Contemporaines, 2e édition. Dialogue entre i’éditeur et le médecin. — Le plan de communauté que Restif propose à toute l’Europe, dans Monsieur Nicolas, et qu’il développe dans l’Andrographe, est en 39 articles relatifs à l’abolition du droit de propriété, aux besoins matériels de la vie, aux devoirs des cultivateurs, des artistes, des artisans, des gens de lettres, aux punitions et aux récompenses, aux monnaies, à l’éducation publique, aux tribunaux, etc.
  281. Les Nuits de Paris, t. XVI, p. 492.
  282. Monsieur Nicolas, p. 4307, 1re édition, à la note.
  283. Les Nuits de Paris, p. 2326. V. aussi p. 2121. On trouve dans la 1re édition de Monsieur Nicolas, au chapitre
  284. Les Nuits de Paris, t. XVI, p. 460.
  285. Les Nuits de Paris, p. 1488.
  286. bid., p. 1808.
  287. Monsieur Nicolas, p. 4047.
  288. Monsieur Nicolas, 1re édition, pp. 4445-57.
  289. Signalons le tome V des Nuits de Paris, qui contient une prédiction d’un tout autre genre : c’est un chapitre intitulé, Paris en 1888 ; et la phrase suivante de Monsieur Nicolas (page 4320, 1re édition), écrite en 1790 :
    « Il ne faut pas nous flatter. Notre révolution va nous coûter dix ans de guerre… »
  290. Les Contemporaines, nouvelle des Vingt épouses des vingt associés. V. aussi, dans le même ouvrage, t. XXVII, 2e édition, La cruelle soirée.
  291. Nuits de Paris, p. 2327