Mes Mémoires (A. Dumas)/05/07
CXVIII
Relativement, l’exécution d’Henri III fut rapide ; le plan complètement arrêté dans mon esprit, je mis deux mois à peine à exécuter l’ouvrage.
Je me rappelle que, dans l’intervalle de la composition du plan à l’exécution de la pièce, j’allai à Villers-Cotterets à la chasse, je crois ; au retour, je pris les devants sur la voiture, et mes jeunes amis, Saunier, Labarre, Duez vinrent me conduire jusqu’au village de Vauciennes. Pendant la route, je leur racontai Henri III d’un bout à l’autre. — Henri III était fait du moment où le plan était fait.
Au reste, quand je travaille à une œuvre qui me préoccupe, c’est un besoin pour moi de raconter : en racontant, j’invente ; et, à la fin de quelqu’un de ces récits, il se trouve, un beau matin, que la pièce est achevée.
Mais il arrive souvent que cette manière de faire, c’est-à-dire de ne commencer la pièce que lorsque j’ai fini le plan, est très-lente. J’ai gardé Mademoiselle de Belle-lsle près de cinq ans ainsi dans ma tête, et j’ai, depuis 1832, dans la mémoire, le plan d’un Juif errant, auquel je puis me mettre au premier moment de repos que j’aurai conquis, et qui sera un de mes meilleurs livres.
Aussi n’ai-je qu’une crainte, c’est de mourir sans l’avoir fait.
Henri III achevé, je le lus chez madame Waldor en petit comité. La pièce fit grand effet ; mais l’avis unanime fut que je devais faire représenter Christine auparavant. Henri III, disait-on, était trop risqué pour un premier ouvrage.
Il va sans dire que le père Villenave trouvait tous ces nouveaux essais monstrueux, et les déclarait des aberrations de l’esprit humain.
C’était, au reste, l’époque où toute une génération nouvelle poussait avec nous et autour de nous. Plusieurs journaux venaient d’être créés par des hommes de notre âge, et étaient lancés dans des idées nouvelles, en opposition avec celles du Constitutionnel, du Courrier français, du Journal de Paris et du Journal des Débats, qui, dès cette époque, réservait toute sa bienveillance pour Victor Hugo.
Ces journaux étaient le Figaro et de Sylphe. Ils étaient rédigés par Nestor Roqueplan, Alphonse Royer, Louis Desnoyers, Alphonse Karr, Vaillant, Dovalle, et une douzaine d’autres hardis champions du romantisme.
je les réunis tous dans la chambre de Nestor Roqueplan, et, en dehors d’eux, j’invitai Lassagne et Firmin.
À cette époque, Nestor Roqueplan n’était pas splendidement logé dans les appartements de l’Opéra ; ses salons n’avaient pas des entre-deux de Boule et des encoignures de Coromandel. Il avait une petite chambre au cinquième, avec une cheminée garnie d’une cuvette au lieu de pendule, et de pistolets de duel au lieu de candélabres. Nous nous entassâmes une quinzaine dans cette chambre ; on étendit les matelats du lit sur le carreau pour faire des divans ; on transforma la couchette en sofa. Je me mis devant une table éclairée par de simples bougies ; on plaça la bouilloire devant le feu, afin de couper chaque acte par une tasse de thé, et je commençai.
Cette fois, j’avais affaire à des oseurs ; aussi, l’avis fut-il tout différent : on déclara d’une voix unanime que je devais abandonner Christine à son malheureux sort, et poursuivre Henri III.
Firmin était enchanté ; il comprenait bien mieux le rôle de Saint-Mégrin qu’il n’avait compris celui de Monaldeschi. Il se chargea de demander lecture pour moi, et de hâter cette lecture.
En attendant, il réunirait, si je voulais, ses camarades chez lui, et je ferais une lecture qui précéderait la lecture définitive au Théâtre-Français.
J’étais enivré de mon succès ; j’aurais lu cinquante fois, si l’on m’eût demandé cinquante lectures. Je me remis entre ses mains, et lui dis de faire comme il voudrait.
En sortant, Lassagne me prit par le bras.
— Mon ami, me dit-il, après Christine, vous n’aviez qu’à moitié raison ; après Henri III, vous avez raison tout à fait.
Firmin fixa la lecture au jeudi suivant ; Béranger devait y assister.
Vous comprenez la portée de ce mot : « Béranger devait y assister ! »
Béranger était l’homme de l’époque ; Benjamin Constant venait de dire de lui :
— Ce bon Béranger, il croit faire des chansons, et il fait des odes !
Le mot avait été répété, trouvé ravissant d’exactitude, et tout le parti libéral avait acclamé Béranger le plus grand poëte de l’époque.
Un peu de persécution était arrivé par là-dessus, et avait porté l’enthousiasme au comble.
Je ne veux pas dire, entendons-nous bien, que l’on fût trop bienveillant pour Béranger ; je veux dire qu’on était un peu injuste pour les autres.
Et, par les autres, j’entends Lamartine et Hugo.
Eux aussi faisaient des odes, des odes admirables même, et peu s’en fallait qu’on ne dît qu’ils ne faisaient pas même des chansons.
C’est qu’alors, Lamartine et Hugo représentaient purement et simplement le parti royaliste, et que le parti royaliste était loin de représenter l’opinion de la majorité.
Or, ce n’était pas pour Béranger simple poëte qu’était l’enthousiasme populaire ; c’était pour Béranger poëte national ; pour Béranger auteur du Vieux Drapeau, pour Béranger auteur du Dieu des bonnes gens, pour Béranger auteur des Souvenirs du peuple. L’instinct des masses ne se trompait point à cela : il sentait très-bien que Béranger était un ardent mineur, que chacune de ses chansons politiques était un coup de pioche donné sous les fondements du trône, et il applaudissait des mains et de la voix au hardi pionnier qui creusait la tranchée par laquelle le peuple arriverait un jour aux Tuileries.
Aussi, Béranger jouissait-il d’une influence énorme ; c’était à qui, de tous les partis, aurait Béranger. On avait offert la croix à Béranger, et Béranger avait refusé ; on avait offert une pension à Béranger, et Béranger avait refusé ; on avait offert l’Acadénne à Béranger, et Béranger avait refusé ; — personne n’avait Béranger, Béranger, au contraire, avait tout le monde, et particulièrement Laffitte.
Cette amitié de Laffitte pour Béranger, et cette influence de Béranger sur Laffitte, devaient se manifester d’une merveilleuse façon en 1830.
La France leur dut le règne de Louis-Philippe, c’est-à-dire la transition indispensable, à notre avis, de la royauté aristocratique à la magistrature populaire, ce passage qu’on a appelé la royauté bourgeoise.
Nous aurons de curieux détails à raconter, quand nous en serons arrivé là, nous qui, pendant toute cette grande semaine, n’avons pas quitté les défaiseurs et les refaiseurs de rois.
Mais, pour le moment, celui des deux Béranger que Firmin nous promettait, ce n’était pas Béranger l’homme politique, c’était Béranger le poëte, Béranger l’auteur de Lisette, Béranger l’auteur des Deux Sœurs de Charité, Béranger l’auteur de Frétillon.
Nous devions, en outre, avoir comme autorités MM. Taylor, Michelot, Samson ; mademoiselle Leverd et mademoiselle Mars.
Je voulus donner à ma mère le bonheur d’assister à cette lecture, de l’issue de laquelle je ne doutais point, et je la déterminai à m’accompagner.
Hélas ! pauvre mère ! on eût dit que je prévoyais qu’elle n’assisterait pas à la représentation !
L’effet de la lecture fut immense sur tout le monde. Quoique l’esprit de Béranger soit médiocrement appréciateur de la forme dramatique, il se sentit pris comme les autres au troisième et au cinquième acte, et n’hésita point à me prédire un grand succès.
À partir de cette soirée a daté pour moi, de la part de Béranger, une amitié qui ne s’est jamais démentie.
Cette amitié fut plus d’une fois railleuse, amère même dans son expression ; car Béranger est loin d’être le bonhomme que l’on croit : il a trop d’esprit pour être bonhomme ; mais cette amitié fut toujours sincère et prête à se traduire par des faits et par des preuves.
L’effet, comme je l’ai dit, avait été grand pour tout le monde ; mais il avait surtout porté sur les cinq comédiens qui se trouvaient là : Firmin, Michelot, Samson, mademoiselle Mars et mademoiselle Leverd. Il fut décidé que, dès le surlendemain, jour de comité, on demanderait une lecture extraordinaire, et qu’en s’appuyant de la promesse qui m’avait été faite à propos de Christine, on obtiendrait un tour de faveur ; ce qui permettrait à la pièce d’être jouée immédiatement.
La pièce fut lue le 17 septembre 1828, et reçue par acclamation.
Après la lecture, on m’appela dans le cabinet du directeur, vacant faute de directeur.
J’y trouvai Taylor, mademoiselle Mars, Michelot et Firmin.
Mademoiselle Mars aborda la question avec sa franchise, j’allais presque dire avec sa brutalité ordinaire.
Il s’agissait de ne pas se laisser rouler pour Henri III, comme je l’avais été pour Christine ; il fallait arrêter, séance tenante, la distribution, la signer, et, tandis que le comité était encore tout chaud d’enthousiasme, obtenir de l’administration la mise en scène immédiate.
D’ailleurs, Taylor, mon protecteur acharné, allait quitter le théâtre et partir pour l’Orient ; il avait tenu parole à l’auteur d’Hécube, et se sauvait, non-seulement jusqu’à Alexandrie, jusqu’au Caire, mais même jusqu’à Louqsor.
On pouvait profiter de son absence pour me faire quelque mauvais tour.
Je donnai mes pleins pouvoirs à mademoiselle Mars, à Firmin et à Michelot, qui se chargèrent de mes affaires, et se constituèrent en conseil de famille, me déclarant incapable de mener moi-même à bonne fin une pareille négociation.
Quant à la distribution, elle subit de la part de mademoiselle Mars une grave opposition.
Mademoiselle Mars voulait Armand pour Henri III, et madame Menjaud pour le page.
Moi, je voulais Louise Despréaux pour le page, et Michelot pour Henri III.
La discussion fut longue, elle dura huit jours : elle commença, entre mademoiselle Mars et moi, une lutte qui, malgré notre bonne amitié, se prolongea, de sujet en sujet, jusqu’à la mort de cette admirable artiste.
Mais je tins bon ; j’avais profité des reproches que mademoiselle Mars m’avait faits, et je les retournai contre elle.
Madame Menjaud était une femme d’un grand talent ; mais elle n’était ni assez jeune, ni assez jolie pour remplir le rôle du page, et c’était justement pour cela que mademoiselle Mars, ne pouvant se dépouiller de cet égoïsme qui est le défaut des artistes les plus éminents, la voulait avoir près d’elle, déjà âgée de cinquante et un ans à cette époque : — un jeune et frais visage la gênait.
Je me contentai de répondre que, Louise Despréaux étant l’élève de Firmin, j’étais engagé avec Firmin.
Quant à Armand, la raison de mon refus de lui laisser jouer je rôle d’Henri III était plus difficile à donner, Armand, quoique plus vieux que mademoiselle Mars de cinq ou six ans, était encore beau, paraissait encore jeune, et était le plus élégant des comédiens français ; mais, Armand jouant Henri III, il n’y avait qu’Armand qui pût y songer !
Je fus obligé de répondre à Armand lui-même qu’il convenait trop bien au rôle, et que c’était pour cela que je ne voulais pas le lui donner.
Cette réponse me brouilla à tout jamais avec Armand, et faillit me brouiller avec mademoiselle Mars.
Voilà quelles étaient mes tracasseries au théâtre ; — le bureau m’en gardait bien d’autres.
Comme pour Christine, les journaux s’étaient empressés de publier ma réception, et, comme pour Christine, la rumeur avait été grande dans les bureaux.
Cependant, on ne dit rien d’abord ; mais, Firmin m’ayant, grâce à cette facile communication du comité avec mon cabinet, appelé plusieurs fois, et mes absences à la suite de ces appels, qui avaient pour but de régler quelques difficultés de distribution ou de mise en scène, ayant été constatées, il en résulta contre moi une déposition assez grave pour constituer un délit.
En conséquence, un matin, je reçus, par l’entremise de Féresse, l’invitation de monter chez M. le directeur général.
M. de Broval m’attendait avec ce visage sévère qui promet un orage. Il me rappela à l’instant même M. Lefèvre, avec son discours sur la machine bien organisée, et le rouage, si petit qu’il soit, qui ne fonctionne pas.
Hélas ! depuis six ans, je n’avais pas beaucoup grandi comme rouage, et je me trouvais presque aussi petit devant M. de Broval que je l’avais été devant M. Lefèvre.
Mais il y avait quelque chose au fond de mon cœur qui me grandissait : c’était cette assurance en moi-même que m’avaient donnée six ans de travaux, et ma double réception de Christine et D’Henri III.
J’attendais donc la tempête avec un calme qui surprit M. de Broval, qui le déconcerta presque.
Enfin, d’un ton assez doucereux, il m’expliqua que la littérature et la bureaucratie étaient deux ennemies qui ne pouvaient vivre ensemble, et que, sachant que, malgré cette antipathie naturelle qu’elles ont l’une pour l’autre, je voulais les allier, il m’invitait à choisir entre elles.
C’était un beau parleur que M. de Broval, ayant rempli, en diplomatie, des emplois de troisième ordre. — Dans les grands jours, il portait, comme je crois l’avoir dit, un habit brodé au collet, et, sur cet habit, la plaque de Saint-Janvier, qu’il avait eue au mariage du duc d’Orléans avec la fille de Ferdinand de Sicile ; dans les jours ordinaires, il était vêtu comme tout le monde, avait le nez gros et rouge, et portait une épaule plus haute que l’autre.
J’avais du malheur avec les bossus.
Je compris que le moment était arrivé de jouer le tout pour le tout : je laissai M. de Broval arrondir ses phrases, caresser ses périodes, et, quand il eut fini :
— Monsieur le baron, lui répondis-je, ce que je crois comprendre de votre discours, c’est que vous me laissez le choix entre ma place de commis expéditionnaire et ma vocation d’homme de lettres.
— Mais oui, monsieur Dumas, répondit le baron.
— Ma place fut demandée au duc d’Orléans par le général Foy ; elle fut accordée par le duc d’Orléans sur cette demande ; or, avant de croire que le premier prince du sang royal, un homme que tout le monde proclame le protecteur des lettres, — et qui, à ce titre, a recueilli dans sa bibliothèque M. Casimir Delavigne, renvoyé de son bureau pour crime de poésie, — avant de croire, dis-je, que cet homme me renvoie de son administration pour le même crime commis par M. Casimir Delavigne, et qui, chez M. Casimir Delavigne, était un titre de faveur, j’ai besoin que mon exeat, verbal ou écrit, me soit signifié de la bouche ou de la main de M. le duc d’Orléans. Je ne donnerai ni n’accepterai la démission de ma place. Quant à mes appointements, comme M. le baron m’a laissé entendre que les cent vingt-cinq francs de traitement que je touche par mois grèvent d’une façon exorbitante le budget de Son Altesse royale, je les abandonne à l’instant même.
— Ah ! ah ! fit M. de Broval étonné ; et votre mère, monsieur, et vous-même, comment vivrez-vous ?
— Cela me regarde, monsieur.
Je saluai et m’apprêtai à sortir.
— Faites attention, monsieur Dumas, me dit M. de Broval ; à partir du mois prochain, vous ne toucherez plus de traitement.
— À partir de ce mois-ci, si vous voulez, monsieur. Ce sera cent vingt-cinq francs que vous économiserez à Son Altesse, et je ne doute pas que Son Altesse ne vous sache gré de cette économie.
Sur ce, je saluai une seconde fois, et me retirai.
M. de Broval me tint parole. En rentrant à mon bureau, je fus averti officiellement que je pouvais disposer de mon temps à l’avenir comme je l’entendrais, vu qu’à partir de ce jour mes appointements étaient suspendus.
C’est incroyable, et, cependant, cela est ainsi.
Il y a plus. Les appointements, dans l’administration du prince, étaient, en général, si faibles, qu’ils nous donnaient à peine de quoi vivre. Aussi, chacun avait-il recours à une industrie particulière pour améliorer son état de gêne continuel : les uns avaient épousé des lingères qui tenaient de petites boutiques ; les autres étaient intéressés dans des entreprises de cabriolet ; il y en avait, enfin, qui tenaient, dans le quartier latin, des restaurants à trente-deux sous, et qui déposaient à cinq heures la plume ducale pour prendre la serviette du maître de gargotte. Eh bien, à ceux-là, on ne disait rien, on ne leur reprochait pas d’abaisser la majesté du prince dans les hommes qui étaient à sa solde ; non, on louait leur industrie, on la trouvait toute simple et toute naturelle ; et moi qui ne me sentais pas de vocation pour épouser une boutique, moi qui ne possédais pas de fonds que je pusse placer dans une spéculation de carrosserie, moi qui avais l’habitude de mettre une serviette sur mes genoux, et non sur mon bras, on me faisait un crime de chercher dans la littérature une voie de salut ! on me suspendait mes appointements parce que j’avais une tragédie et un drame reçus à la Comédie-Française !
Au reste, j’avais mon plan arrêté d’avance, et c’était ce plan qui m’avait donné tant de fermeté.
J’étais résolu à m’adresser à Béranger, et, par son intermédiaire, d’arriver à Laffitte.
Laffitte ferait peut-être pour moi ce que, dans une circonstance analogue, il avait fait pour Théaulon.
Laffitte me prêterait peut-être mille écus.
J’allai conter ma peine à Firmin, qui me conduisit chez Béranger.
Béranger me conduisit chez Laffitte.
Je mentirais si je disais que M. Laffitte mit de l’enthousiasme à me rendre se service ; mais je mentirais aussi si je ne me hâtais de dire qu’il me le rendit.
Je souscrivis une lettre de change de trois mille francs ; je déposai un double du manuscrit d’Henri III entre les mains du caissier, et je m’engageai d’honneur à rembourser ces trois mille francs sur le prix du manuscrit.
D’intérêts, il n’en fut pas question.
Je sortis de chez Laffitte mes trois billets de mille francs dans ma poche, j’embrassai Béranger, et je courus chez ma mère.
Je la trouvai au désespoir : la nouvelle était déjà parvenue jusqu’à elle. Je tirai de ma poche mes trois billets de mille francs : je les lui mis entre les mains.
C’était deux années de mes appointements.
Je lui expliquai la source de cet argent : elle n’en revenait pas.
Et, cependant, pauvre mère, elle commençait à croire que je n’avais pas tout à fait tort de m’entêter à faire des pièces, puisque, sur le simple manuscrit d’une de ces pièces, on me prêtait mille écus, c’est-à-dire une somme égale à deux années de mes appointements.
Le soir, je racontai l’aventure chez M. Villenave.
M. Villenave me donna tort ; mais, à part lui, tout le monde me donna raison.
Quinze jours après m’avoir rendu ce service, Béranger était condamné par le tribunal de police correctionnelle de la Seine à dix mille francs d’amende et à neuf mois d’emprisonnement, comme auteur de l’Ange gardien, de la Gérontocratie et du Sacre de Charles le Simple.
Béranger n’appela point du jugement, et se constitua prisonnier au commencement de l’année 1829.
Un mois après son écrou, M. Viennet le visita.
— Eh bien, mon grand chansonnier, lui demanda l’auteur de la Philippide, combien avez-vous déjà fait de chansons, depuis que vous êtes sous les verrous ?
— Pas encore une, répondit Béranger ; croyez-vous qu’une chanson se fasse comme un poëme épique ?