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Mes heures de travail/Texte entier

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AVANT-PROPOS


Devenu octogénaire depuis l’an dernier, ne pouvant plus manier aisément la plume, ni me livrer à un travail dont l’utilité soit appréciable, je pense profiter de ce que la mémoire d’un passé déjà lointain est du moins très présente à mon esprit, pour dicter quelques mots qui s’y rapportent et, à ce propos, les remettre entre les mains de mes enfants qui m’ont vu à l’œuvre.

Le moment de ces réminiscences me paraît bien choisi, avant que l’affaiblissement inéluctable de mes facultés m’empêche de bien saisir l’enchaînement des divers travaux auxquels je me suis livré, et de jeter sur leur ensemble un coup d’œil qui me permette de juger le rôle modeste qu’il m’a été donné de remplir dans ce monde.

Au surplus, je ne compte pas entrer dans le détail de toutes mes occupations. Je me propose seulement de rappeler les principaux actes que j’ai accomplis comme travailleur, en laissant de côté ce qui rentre dans le cadre de ma vie privée. Je ne dirai rien par conséquent, dans ce qui va suivre, de ma famille, ni de mes relations, de ma vie religieuse, de mes délassements, de mes voyages, etc., particularités qui ne sauraient trouver place que dans une biographie proprement dite, que je ne me propose point de composer.

Pour mettre de l’ordre dans cet exposé, j’y mentionnerai, en premier lieu, ce qui est relatif à un temps pendant lequel ma sollicitude s’est portée presque exclusivement sur mes compatriotes (Genevois et Suisses d’autres cantons) ; cela formera la première partie de ces souvenirs, celle pendant laquelle j’ai fait, en quelque sorte, mon apprentissage d’altruisme. Puis j’aborderai la période où j’ai été conduit à déployer mes ailes et à m’aventurer dans une sphère plus vaste, fixant spécialement mon attention sur la guerre, le droit international et la civilisation de l’Afrique. J’appellerai cette deuxième période activité mondiale et la précédente activité helvétique. Sur tout cela, au surplus, je serai concis, ne me permettant des développements que sur certains points dont j’ai fait la matière de notes additionnelles.

Novembre 1907.

INTRODUCTION


Les vicissitudes de la politique genevoise, notamment la révolution du 7 octobre 1846, ont influé fortement sur ma carrière active, et je dois le rappeler brièvement, pour commencer.

Cet événement eut en effet, pour conséquence, de me faire quitter ma ville natale, au moment où je venais d’y prendre le grade de bachelier ès-lettres. Il me fallut aller faire à Paris, des études que j’avais précédemment résolu d’entreprendre à l’Académie de Genève. Je dus accompagner à l’étranger mes parents, que la chute d’un gouvernement, dont mon père avait fait partie, avait trop affligés pour que, jusqu’à nouvel ordre, ils voulussent consentir à vivre sur les bords du Léman qui leur rappelaient des souvenirs douloureux. Ce fut donc dans l’automne de 1846 que je quittai mon pays et m’installai dans la capitale de la France. J’y pris place sur les bancs de l’École de Droit, où je séjournai jusqu’au 1er mars 1850. Ce jour là, je les quittai, pourvu du diplôme de licencié, après une soutenance de thèse, pour laquelle j’avais obtenu de mes examinateurs « quatre boules blanches » c’est à dire le suffrage le plus élogieux par lequel ils pussent prendre congé d’un de leurs élèves. J’eus alors quelque velléité de rester encore sous leur direction jusqu’au moment où je serais devenu docteur en droit, car j’avais pris goût à la science à laquelle mes professeurs m’initiaient, mais j’étais, d’autre part, trop désireux de retrouver mes pénates, pour ne pas reprendre, le plus promptement possible, le chemin de la Suisse.

Afin de compléter mon instruction professionnelle, il fallait encore que je fisse, pendant deux ans, un stage dans l’étude d’un avocat, et je l’entrepris immédiatement à Genève. Toutefois la pratique du barreau ne répondit nullement à mon attente, et, après une assez courte période d’essai, je me décidai à changer de vocation, si toutefois j’en trouvais une à laquelle je fusse apte et qui m’offrît plus d’attraits que celle où je venais de débuter.

Désorienté de la sorte et n’ayant de goût prononcé pour aucune carrière, je fis à tâtons des essais de divers côtés, à la recherche d’une occupation qui ne fût pas encombrée d’amateurs et pour laquelle mon faible concours eût quelque chance d’être agréé. Guidé par ces considérations, j’inclinai en faveur de l’amélioration du sort des classes ouvrières, ou plutôt de la solution de la question sociale, comme on dit aujourd’hui. Cela ne devait pas, il est vrai, me procurer un emploi lucratif de mon temps ; mais gagner de l’argent avait toujours été à mes yeux un mobile peu noble d’activité, pour qui n’est pas privé du nécessaire, et j’estimais infiniment préférable de chercher à me rendre utile en travaillant au bien de mes semblables.




PREMIÈRE PARTIE


ACTIVITÉ HELVÉTIQUE

CHAPITRE PREMIER

Société Genevoise d’Utilité Publique.

L’une des tâches qui me tentèrent le plus fut de collaborer aux travaux de la Société genevoise d’Utilité publique, vouée à l’étude des questions de philanthropie locale. Ce programme obtint ma préférence, parce qu’il devait m’appeler à aborder, plus ou moins, les divers problèmes de ce qu’on nomme maintenant la sociologie, problèmes qui me paraissaient s’imposer de plus en plus impérieusement à l’attention des hommes cultivés.

Je me mis d’autant plus volontiers en rapport avec les membres de la société sus-nommée que, lorsqu’ils me proposèrent d’entrer dans leurs rangs, ils venaient de projeter une statistique complète des bonnes œuvres qui se poursuivaient dans leur entourage, et allaient me fournir ainsi une excellente occasion de m’initier à des entreprises avec lesquelles je serais apparemment appelé à avoir des contacts fréquents, si, comme je le prévoyais, une intéressante carrière se présentait devant moi, avec cette spécialité pour objet. Mais mon attente fut trompée par suite du décès de l’homme (M. d’Espine) en qui s’était incarnée la conception que l’on se proposait de réaliser. Je ne me laissai cependant pas décourager par ce contretemps et je résolus d’entreprendre seul ce qui avait dû s’effectuer en commun. Je lançai hardiment, revêtue de ma seule signature, une circulaire d’enquête, que j’adressai un peu au petit bonheur dans toutes les directions, sans cependant dépasser les limites de l’État microscopique où je me trouvais. Mes intentions furent si bien comprises et approuvées, que je fus assez vite en mesure de faire paraître plusieurs chapitres de l’ouvrage que j’avais projeté d’écrire, dès que des documents instructifs seraient venus grossir mon dossier d’informations.

D’autre part, aussitôt que je me fus mêlé aux travailleurs dont je parle, ils me confièrent une mission qui ne put que m’engager à persévérer dans la ligne de conduite que je venais d’adopter. Il s’agissait d’aller, avec plusieurs de mes collègues, représenter la Société dans un Congrès international de bienfaisance, convoqué à Bruxelles (en 1856), à l’instigation d’un Belge, M. Édouard Ducpétiaux, inspecteur des établissements de bienfaisance et des prisons du royaume, qui se disposait à en être l’âme. N’ayant jamais assisté à de semblables réunions, je ne me représentais guère ce que j’aurais à y faire ; néanmoins, j’acceptai les yeux fermés le mandat qu’on me proposait, et je n’eus pas à m’en repentir. On n’était pas encore blasé, dans ce temps-là, sur ce genre d’assemblées cosmopolites, et celle de Bruxelles avait pour moi tout l’attrait de la nouveauté. Elle me mit en relation avec beaucoup d’hommes distingués et me familiarisa avec diverses matières dont j’entendis parler alors pour la première fois. Une liste qui avait été dressée de toutes les applications connues de la bienfaisance m’ouvrit en particulier des horizons intéressants.

Du reste, ce qui me paraissait le plus important, pour le moment, était que mes commettants se montrassent satisfaits de la manière dont je m’acquittais de ma tâche, et le rapport que je leur présentai à mon retour leur révéla, paraît-il, chez moi, des aptitudes qui leur donnèrent à penser qu’en me mettant à leur tête, ils contribueraient au bien de leur association (quoique certains m’estimassent trop jeune [30 ans] pour inspirer une pareille confiance). Je devins donc très vite leur président, et ils me maintinrent à ce poste pendant plus de dix ans, trouvant apparemment que je réussissais à donner une impulsion vigoureuse à leurs études qui, à vrai dire, en avaient bon besoin. Je suis maintenant leur président honoraire.

Ils me déléguèrent encore à deux congrès pareils à celui de Bruxelles, qui se tinrent à Francfort (en 1857) et à Londres (en 1862). Cette charge, en se renouvelant ainsi, me fit perdre peu à peu une partie de la timidité, dont la conviction de ma médiocrité à tous égards m’avait fait contracter l’habitude, et dont j’avais souffert pendant ma prime jeunesse.

Je n’entrerai pas ici dans le détail de mes travaux présidentiels, vu que cela m’entraînerait trop loin. On pourra s’en convaincre par une énumération pour laquelle je me bornerai aux quelques indications ci-après :

1o La création d’un Bulletin trimestriel, qui a cessé d’être périodique, et dont j’eus pendant un certain temps, conformément à un vœu des congrès auxquels j’avais participé, l’ambition de faire une véritable « Revue de bienfaisance ».

2o Je rappellerai encore la présidence temporaire qui m’échut de la Société suisse (et non plus seulement genevoise) d’Utilité publique, puis :

3o La fondation d’une Société helvétique de statistique, qui prospère toujours et que je présidai pendant sa première année d’existence.

4o Enfin, je ne saurais passer sous silence la formation d’une bibliothèque spéciale, à l’usage des membres de l’Association, et la publication de son catalogue. Cette dernière brochure, que je présentai à Paris, à l’illustre Le Play, le frappa beaucoup et lui fit regretter que la France n’eût point de collection pareille. Il me proposa même d’en fonder une à Paris, avec son concours. Mais je crus devoir repousser cette offre gracieuse et séduisante, car elle m’aurait détourné de devoirs dont j’avais déjà assumé la responsabilité, et dont je ne consentis à me décharger plus tard que lorsqu’une affaire imprévue et importante (la Croix-Rouge) m’y contraignit.

5o J’allais oublier de dire qu’en 1878 la Société d’Utilité publique, devant fêter le cinquantième anniversaire de sa fondation, s’adressa à moi pour avoir un rappel de son activité pendant cette longue période. Il fut donné lecture de cet opuscule dans une séance publique, qui eut lieu le jour où l’on commémora solennellement la naissance de l’institution.

Comme président de la Société genevoise d’Utilité publique, je fus appelé en outre :

6o à organiser plusieurs séries de Conférences populaires ;

7o à créer dans la rue du Cendrier, et à présider pendant sa première année, une École enfantine, destinée à faire connaître la méthode pédagogique de Frœbel, dite « des Jardins d’enfants » ;

8o à publier, avec le concours de MM. Gustave Rochette et Edmond Pictet, un Annuaire philanthropique genevois qui eut deux éditions ;

9o à rédiger le rapport d’une commission d’enquête sur l’ivrognerie dans le canton de Genève, rapport dont je fis l’objet d’une conférence ;

10o à écrire l’histoire de l’assistance des Enfants trouvés, abandonnés ou orphelins dans le même canton ;

11o à faire connaître les diverses institutions de prévoyance du même canton ;

12o à dresser la statistique des Associations d’intérêt public dans le même canton ;

13o à décrire les institutions pour le soin à domicile des malades pauvres existant dans le même canton ;

14o à y fonder la société dite des Salles de rafraîchissements non alcooliques, que je présidai longtemps et dont je fus ensuite le président honoraire. Elle s’est dissoute quand, pour entrer dans la même voie, l’industrie privée n’eut plus besoin d’être stimulée par l’émulation ;

15o à créer un bureau de renseignements pour les émigrants, qui ne fut qu’ébauché, et auquel on dut renoncer par suite du décès prématuré de son directeur (M. Alphonse Gautier).

À être adjoint à des commissions officielles ayant pour but :

16o la recherche du meilleur système à adopter pour l’assurance contre l’incendie ;

17o la convenance de permettre la crémation des cadavres ;

18o de remédier à la rareté des petits logements hygiéniques ;

19o de préaviser pour la construction d’une nouvelle prison ;

20o d’organiser, en 1886, une Exposition nationale suisse, dont je refusai la vice-présidence, et qui n’eut lieu qu’en 1896.

La notoriété que me valut la prolongation de ma présidence au sein de la Société d’Utilité publique me fit aussi désigner pour prendre part à plusieurs œuvres de charité locale, savoir :

21o la Société de secours, vouée au patronage des apprentis. J’en fus longtemps le secrétaire, puis le président et l’historien ;

22o l’Œuvre des Mariages pour régulariser les unions illégitimes. Je la présidai pendant toute sa durée de dix ans ; puis une réforme législative, qui en atténua la nécessité, vint y mettre un terme ;

23o l’École des sourds-muets ; j’eus à pourvoir au remplacement de son directeur et à y introduire l’enseignement de la parole ;

24o la Société de Winkelried, pour l’assistance des blessés de l’armée suisse ; je fus l’un de ses fondateurs ;

25o les Diaconies de l’Église nationale. Je fis partie de celle de St-Gervais (Nord) ;

26o la Salle du Dimanche qui cherche à procurer à la jeunesse un bon emploi de son temps, pendant le jour du repos. J’y fis deux lectures ;

270 les Boîtes dites « de la Semaine religieuse », qui recueillent en certains lieux les offrandes destinées aux bonnes œuvres. Je fis partie de leur comité de surveillance ;

28o la Collecte des vieux papiers, au profit des pauvres. Je fus requis, dans des moments d’encombrement, pour aider à leur manutention et à leur écoulement ;

29o la Société de Domestiques protestantes (secours mutuels). J’en étais le secrétaire quand il fallut lui assurer un logement pour son infirmerie, par l’acquisition d’une maison, et je présidai pendant plus de quarante années la société dite « de l’immeuble de la Taconnerie », qui géra le capital affecté à cet usage ;

30o la Société de la Paix, dont j’avais refusé la présidence parce que j’en pressentais l’inutilité, mais dont je fis néanmoins partie comme membre du Comité et qui fut éphémère ;

31o la Société anti-esclavagiste, qui me paraissait avoir des moyens d’action trop limités pour pouvoir servir utilement la cause des esclaves et qui n’eut, comme je l’avais prévu, qu’une courte existence, pendant laquelle je siégeai dans son Comité ;

32o l’Agence des Institutrices. Le grand nombre d’institutrices qui émigrent chaque année de la Suisse romande et dont le sort n’est pas toujours enviable, ayant donné à penser qu’une agence, désintéressée et gratuite, qui veillerait à leur placement et à leurs intérêts, pourrait contribuer à améliorer leur condition, on me pria, avec de vives instances, d’en accepter la présidence. Je cédai à ces sollicitations, après quoi j’organisai l’œuvre et suivis de près son fonctionnement pendant une vingtaine d’années.

Un ami de cette agence lui ayant fait un don qui lui permit d’assurer une pension viagère à d’anciennes institutrices besogneuses, j’eus à présider le comité qui dirigea l’emploi de ce fonds, et il me nomma son président honoraire lorsque je devins incapable d’aller siéger dans son sein.

Plusieurs entreprises concernant divers cantons confédérés et se trouvant hors de la sphère d’activité de la Société genevoise d’Utilité publique, attirèrent enfin mon attention et j’eus à agir dans leur intérêt ; ce furent :

33o une société de tempérance projetée pour la Suisse romande, qui eut à Lausanne une séance préparatoire, à laquelle j’assistai mais dans laquelle je ne me laissai pas enrôler parce qu’elle me paraissait mal conçue ;

34o de concert avec M. Ernest Naville, j’organisai aux bains de Schinznach (Argovie), une collecte permanente, pour permettre de reconstruire le Bain des pauvres dans cette localité. Le bâtiment nouveau existe maintenant ;

35o je fis de même plus tard pour les Bains de Louèche (Valais) avec l’aide d’un comité local ;

36o j’inspectai soigneusement, avec M. Spyri (de Zurich), l’Asile des Aveugles de Lausanne, pour éclairer à son sujet la Société suisse d’Utilité publique, dont cet établissement sollicitait une subvention ;

37o la Compagnie d’assurance sur la vie « La Suisse » à Lausanne. J’en fus très longtemps l’un des administrateurs, puis le vice-président ;

38o Incendie de Travers (Neuchâtel). Membre du comité genevois de secours pour les incendiés de cette localité, je fus chargé de leur porter l’argent recueilli en leur faveur.

NOTE ADDITIONNELLE AU CHAPITRE PREMIER

Institutions ouvrières de la Suisse.

Lorsque la France manifesta l’intention de donner satisfaction à une légitime curiosité, en réunissant temporairement à Paris, en 1867, les chefs-d’œuvre de l’industrie du monde entier, elle confia la direction de cette entreprise à l’ingénieur-économiste Le Play, qui s’efforça de rendre cette solennité aussi captivante, originale et utile que possible. Il le fit notamment en témoignant le désir que les exposants envisageassent non seulement l’intérêt du consommateur, mais aussi la condition des travailleurs aux labeurs desquels ces produits seraient dûs. Il invita en conséquence chaque État à dire ce qui se faisait chez lui en faveur de la classe ouvrière.

En présence de ce louable vœu auquel était jointe la promesse de récompenses, pour qui se distinguerait dans cette joute d’un nouveau genre, le Conseil fédéral suisse y applaudit pour sa part, mais n’entra pas pleinement dans les vues du programme, en ce sens qu’il n’encouragea pas ses concitoyens à accepter les primes qui leur seraient offertes, tenant pour certain que ce qu’ils pourraient citer à leur éloge leur aurait été dicté par leur conscience, et convaincu qu’il leur répugnerait de solliciter des distinctions pour avoir obéi à ce qu’ils considéreraient comme l’accomplissement d’un devoir. Toutefois il souhaita que quelqu’un de désintéressé dans la question voulût bien élever la voix pour exposer, comment et dans quelle mesure, nos 22 Cantons pourraient concourir à l’enquête Le Play.

Il me fit alors l’honneur de jeter les yeux sur moi et me demanda de dresser un tableau de tous les efforts tentés par ses ressortissants, pour améliorer la situation matérielle, intellectuelle et morale des habitants du territoire helvétique.

Je le fis très volontiers, mais non sans avoir sollicité préalablement de mes compatriotes des informations précises, que, de toutes les parties du pays, ils m’envoyèrent en abondance. Grâce à eux je pus donc mettre sous les yeux du jury de l’Exposition un mémoire de deux cents pages, qui parut avoir atteint complètement son but et satisfait tous les intéressés, en montrant, qu’au point de vue dont il s’agissait, la Suisse était digne d’occuper un rang très honorable entre les puissances les plus civilisées.

Obligé de composer et de publier, dans le court délai de moins de trois mois, cet ouvrage que je nommai « Les Institutions ouvrières de la Suisse », je me conformai à cette exigence, mais ce fut au prix d’un labeur excessif, que je ne saurais oublier et dont le souvenir m’a engagé à lui consacrer ces lignes. Je les rapproche de ce qui concerne la Société d’Utilité publique, car c’est à elle que je devais une certaine notoriété, qui m’avait valu l’honneur d’être investi de la confiance des autorités supérieures de mon pays. Mon livre fut publié aux frais de l’État.







DEUXIÈME PARTIE


ACTIVITÉ MONDIALE


CHAPITRE II

Croix-rouge et Convention de Genève.

En 1862, je reçus l’hommage d’une brochure intitulée un Souvenir de Solférino, par laquelle son auteur avait compté attirer l’attention publique sur le sort des militaires blessés, en montrant l’insuffisance des moyens de secours que la plupart des gouvernements avaient coutume de mettre à leur disposition en temps de guerre. Après m’être assuré auprès de l’écrivain, M. Henry Dunant, qu’il ne songeait nullement à faire combler la grave lacune sur laquelle il avait mis l’accent avec raison, je résolus de prendre moi-même l’initiative de cette campagne charitable et le rôle de fondateur qui n’appartenait encore à personne. J’en assumai toute la responsabilité, car mon cœur avait fortement vibré à la lecture des pages émouvantes que je venais de lire. Puis, je pensai que la Société d’Utilité publique, que je présidais (voir page 18) et qui, en toute circonstance se montrait disposée à suivre les voies où je désirais la voir entrer, ne refuserait pas de me prêter son assistance, quoique mon dessein dût la faire sortir du cadre habituel de ses préoccupations (voir page 15) et l’obliger à affronter de bien autres difficultés que celles auxquelles elle se heurtait dans la poursuite de son programme habituel.

La procédure qu’elle devrait suivre pour m’aider à atteindre mon but, ne se présentait pas encore très nettement à mon esprit ; cependant les étapes qu’il lui faudrait franchir pour y parvenir, m’apparaissaient très clairement et je m’y engageai sans tarder.

Je demandai avant tout à mes administrés de vouloir bien inscrire à l’ordre du jour de l’une de leurs séances l’examen de la suggestion capitale, mais vaporeuse, contenue dans le livre dont je parle, et de m’adjoindre quatre d’entre eux, triés sur le volet, pour former un Comité d’initiative, qui serait invité à se prononcer sur la possibilité d’exaucer les souhaits de l’auteur, et même à procéder aux premières mesures d’exécution qu’exigerait un pareil projet.

Cette démarche eut un plein succès (le 9 février 1863) et, dès que je fus en mesure de consulter mes premiers conseillers ainsi recrutés, j’eus la satisfaction de me convaincre que ce qu’il y avait de plus pressé était, à leur avis comme au mien, de faire surgir dans chaque État civilisé une société civile permanente, devant servir de complément et d’auxiliaire au service de santé officiel de l’armée.

Mais le petit groupe de genevois qui partageait cette opinion[1] sentait bien qu’il n’aurait pas, comme il le faudrait, l’autorité voulue pour la faire adopter par le monde entier, et il reconnaissait sans peine, d’autre part, qu’il n’avait pas la compétence nécessaire pour trancher toutes les questions se rattachant à la constitution des sociétés désirables. Il craignait d’ailleurs, à juste titre, de n’avoir pas les bras assez longs pour mettre la population du globe en mouvement, s’il osait l’inviter à suivre ses directions, qui ne répondraient probablement pas, sous tous les rapports, à la manière dont les diverses races envisageaient leurs relations internationales. Il lui fallait donc sonder préalablement, pensa-t-il, l’esprit public à cet égard, afin de ne pas s’exposer à être obligé de battre en retraite, après avoir parlé bien haut de sa sollicitude pour les victimes de la guerre, et il considéra comme indispensable, pour assurer ses premiers pas, de faire contrôler son idéal par une assemblée d’experts, qui, si elle l’approuvait, lui fournirait un point d’appui d’une grande valeur.

Il débuta donc par la publication d’une circulaire de convocation, largement répandue, annonçant une conférence générale, accessible à tous les hommes de bonne volonté. Mais ses propres membres, qui seuls, naturellement, eurent qualité pour la signer, la jugèrent insuffisante, vu qu’ils étaient pour la plupart inconnus, ailleurs que dans leur voisinage rapproché. Estimant donc nécessaire de lui donner une publicité exceptionnelle, afin d’attirer des spécialistes sérieux, ils envoyèrent leur secrétaire, qui était précisément l’auteur du Souvenir de Solférino, auprès de plusieurs souverains et autres personnages influents, pour plaider verbalement la cause de la réunion qui devait avoir lieu à Genève le 26 octobre 1863. Ce messager dut, en particulier, se rendre à Berlin, où devaient se trouver réunis, lors de son passage, beaucoup de médecins militaires, en un Congrès de statistique. Les jours qu’il employa à cette tournée ne furent pas du temps perdu, car, à l’heure de l’échéance, nous vîmes accourir auprès de nous trente-six personnes, expérimentées pour la plupart, avec lesquelles nous pûmes examiner comment il serait possible de répondre d’une manière pratique aux vues que nous avions affichées.

Ces messieurs nous approuvèrent pleinement, et, pour bien montrer qu’ils considéraient leurs multiples conseils comme solidaires les uns des autres, ils les réunirent sous le titre commun de Résolutions, donnant ainsi à entendre qu’il faudrait s’y rallier en bloc pour être considéré comme partageant leur manière de voir, mais émettant d’autre part de simples Vœux, qui, pris isolément, pourraient caractériser des progrès complémentaires et successifs. Ainsi se trouvèrent jetées les bases d’une institution capable de parer en grande partie au mal signalé. Elle devait mettre en effet les particuliers en mesure d’aider leurs gouvernements respectifs dans l’accomplissement de leur devoir.

En même temps, le comité d’initiative fit observer que, si la situation des militaires blessés laissait beaucoup à désirer, c’était, en grande partie, par suite des agissements des belligérants à leur égard, et que, pour y remédier efficacement, il faudrait que la diplomatie légiférât aussi sur les lois générales de la guerre, en interdisant notamment aux combattants l’emploi de rigueurs inutiles envers leurs ennemis. Cette assertion parut fondée et fit l’objet de votes destinés à être soumis à qui de droit, c’est-à-dire aux chefs d’États.

Lorsqu’après cinq séances de délibérations, que je présidai en remplacement de notre vénérable président honoraire, qui s’était récusé[2], les membres de la conférence se furent dispersés pour regagner leurs demeures respectives (sans avoir spécifié à qui incomberait le soin de donner à leurs Résolutions et à leurs Vœux les suites variées que ces décisions comportaient) ce problème se posa immédiatement devant nous. La part prépondérante que, de son propre mouvement, le Comité d’initiative avait prise à cette affaire, semblait devoir le rendre moralement responsable de ce qui s’ensuivrait, et ses membres avaient lieu de croire que les personnes qui avaient répondu à leur appel s’attendaient à ce que ceux qui l’avaient rédigé se montrassent disposés à y pourvoir. Aussi, au lieu de se dissoudre, comme il l’aurait pu, puisqu’il n’avait pris d’engagements ultérieurs envers personne, résolut-il de prolonger indéfiniment son existence, tant qu’il verrait devant lui une tâche à accomplir, pour parachever celle qu’il avait commencée avec tant de bonheur.

Désireux d’en témoigner nettement, il prit un nouveau nom, se fit appeler le Comité international, puisqu’il ne comptait s’occuper que des intérêts généraux ou internationaux de l’œuvre et me choisit pour son Président, sans assigner aucun terme à ce mandat, qui dure depuis quarante-quatre ans. Les Résolutions et les Vœux de la Conférence furent dès lors de sa part l’objet d’une sollicitude incessante, sans qu’il les confondît toutefois, car ils étaient de natures différentes.

Ce qui concernait les sociétés de secours paraissait devoir donner moins de peine que le reste, pour parvenir à être appliqué. Les experts en avaient proposé le type qui leur avait paru le meilleur ; seulement il s’agissait de le faire adopter librement par chacune des associations qui surgiraient, car elles devaient rester indépendantes les unes des autres quant à leur mode de fonctionnement. Toutefois, comme il était dit qu’elles pourraient être appelées à s’entr’aider, nous trouvâmes bon de n’approuver la constitution qu’elles se donneraient que dans la mesure où nous pouvions nous le permettre, c’est-à-dire que pour autant qu’elles se conformeraient de tout point aux Résolutions prises internationalement à Genève.

À la suite de nos recherches à ce sujet, des offres telles que nous les désirions affluèrent dans nos bureaux et, actuellement, il y a déjà trente-quatre nations outillées de la sorte. Dans toutes les guerres modernes, on a pu voir des légions de volontaires sortis de chez elles qui se sont fait bénir pour les bienfaits qu’ils ont répandus, en atténuation des ravages que continuaient à faire, de leur côté, les moyens de destruction.

Ces sociétés nouvellement imaginées ont toutes pris, peu à peu, le nom de Croix-Rouges, d’après l’insigne distinctif par lequel elles révèlent leur présence et que personne ne leur avait imposé (croix rouge sur fond blanc). Elles se considèrent comme de simples alliés et appellent leur collectivité « La Croix-Rouge ». Elles se sont propagées avec une étonnante rapidité, non seulement au sein de la chrétienté mais aussi chez des nations peu accoutumées à pratiquer la charité, qui, ayant démarqué, pour l’appliquer à leur usage, cette vertu d’origine chrétienne, se la sont admirablement appropriée, s’exposant aux plus grands dangers pour le bien de leur prochain et rivalisant de libéralités avec les sectateurs du Christ. Cet élan prouve bien que la race humaine en général était mûre pour les exploits qu’on en avait sollicités.

Tous les cinq ans leurs organes principaux s’assemblent pour s’entretenir de leurs travaux, et le Comité international, de son côté, s’est chargé bénévolement de les renseigner à chaque trimestre, par un Bulletin, sur ce qui se passe et peut les intéresser.

Un soin qui incombait encore au Comité international, en vertu des Vœux de la Conférence, et qui devait l’appeler à se mouvoir dans la sphère gouvernementale pure, paraissait être beaucoup moins aisé à exécuter, car ce corps ne savait trop comment prendre contact avec les autorités politiques, n’ayant pas lui-même, plus que la conférence dont il entendait suivre les traces, le moindre caractère officiel. Il pensa cependant qu’il ne lui serait pas impossible de découvrir un souverain disposé à l’appuyer, en prenant sous son égide une réunion diplomatique, qui serait invitée à faire ce que nous désirions et ne pouvions pas accomplir nous-mêmes, c’est-à-dire humaniser le droit des gens. Sa conjecture se réalisa, car, aussi promptement que gracieusement, l’empereur Napoléon III se mit à sa disposition en consentant à ce que des diplomates, encouragés par lui, s’assemblassent dans ce dessein. Une année ne s’était pas écoulée que le gouvernement genevois dut se préparer à offrir l’hospitalité à ceux qui se proposeraient de tenter chez lui une chose aussi insolite et même, on peut le dire, aussi hasardeuse que celle dont il s’agissait.

La réussite en fut complète. Le 22 août 1864, douze puissances conclurent dans notre cité, ce qu’on appela naturellement la Convention de Genève. Cet acte dut couper court de leur part à diverses coutumes barbares, qu’il ordonna avec compétence et autorité de remplacer par des procédés empreints de bienveillance et de commisération.

Je fus, dans cette circonstance, l’un des plénipotentiaires de la Suisse, et je rédigeai un projet de textes que la conférence voulut bien prendre pour base de ses délibérations. Cette réforme répondait pleinement à une évolution morale qui s’opérait à cette époque au sein de la race humaine, en sorte que presque toutes les puissances civilisées, sollicitées pour la plupart par le Comité, vinrent peu à peu y apposer leur sceau et que, en 1906, quand le moment parut venu de la confirmer, en la révisant dans un sens encore plus fraternel, je pus, comme Président d’honneur de l’assemblée qui en fut chargée, me trouver en présence de 79 délégués, représentant 36 États, c’est-à-dire presque tout le monde habité[3].

Je reçus à cette occasion les félicitations de beaucoup d’assistants, qui comprirent combien il devait m’être doux de voir couronner une réforme qu’ils voulaient bien faire remonter jusqu’à moi, et qui tinrent aussi à me complimenter de ne pas m’être laissé absorber par les travaux du Comité de Genève, mais d’avoir plaidé plus d’une fois la cause de la Croix-Rouge dans des publications individuelles, que mon désir de la voir triompher m’avait seul porté à écrire.

Pour ne citer que les principales, je rappellerai : une Étude juridique sur la Convention de Genève ; un coup d’œil sur les premières années de la Croix-Rouge et sur son avenir ; une Étude historique et critique sur la révision de la Convention de Genève ; enfin un rappel succinct de tous les travaux du Comité international.



NOTE ADDITIONNELLE AU CHAPITRE II

A. — La Guerre et la Charité.


Les personnes désireuses de s’occuper de la création de Sociétés de secours pour les militaires blessés, auraient cherché en vain, dans la littérature antérieure à 1863, des informations de quelque valeur sur les expériences de ce genre tentées jusqu’alors. Aussi la Société prussienne, qui se mit une des premières sur la brèche, fut-elle bien inspirée en ouvrant un concours, dès 1865, pour se procurer une sorte de manuel, dont l’auteur aurait à tirer parti des rares essais déjà tentés, en complétant ses indications par d’autres purement théoriques.

Je fus tenté d’entreprendre cette étude, qui devait m’appeler à approfondir le caractère plus ou moins acceptable du programme que la Conférence de Genève avait esquissé. Seulement, ne me sentant pas de force à courir seul cette aventure, je ne pris la plume qu’après m’être assuré la collaboration de mon collègue, M. le Docteur Appia, dont les connaissances médicales devaient m’être précieuses à consulter. Dès que nous eûmes dressé ensemble la liste des problèmes que nous devrions aborder et des points de vue sous lesquels nous aurions à envisager notre sujet, nous nous partageâmes le travail et en fîmes neuf parts, pour six desquelles il s’en remit pleinement à moi du soin de les traiter, tandis que les trois autres constituèrent son propre lot, si bien que lorsque notre tâche fut terminée, il se fit scrupule de laisser figurer son nom à côté du mien comme celui d’un véritable associé. Je fus très sensible à son désintéressement mais ne l’acceptai pas, et je m’en félicitai quand j’appris que le jury de Berlin avait considéré notre manuscrit comme digne du prix de cent frédérics d’or (ou deux mille francs) qu’il avait promis au lauréat.

Notre travail fut publié sous le titre de La guerre et la charité, et dut aider les pionniers de la Croix-Rouge à se tracer une ligne de conduite, en attendant que des expériences nouvelles leur permissent d’en mesurer la justesse.






NOTE ADDITIONNELLE AU CHAPITRE II

B. — Alerte du Comité international.


À l’improviste, le Comité international de la Croix-Rouge vit un jour son existence sérieusement menacée, par une circonstance qui m’alarma peut-être plus que de raison, mais qui me préoccupa extrêmement, et que je veux rappeler en raison du souci qu’elle m’occasionna.

Vers la fin du siècle dernier, il y avait, dans la banlieue de Genève, à Champel, un célibataire âgé d’environ trente-cinq ans, qui habitait avec ses parents une jolie villa leur appartenant. C’était une famille honorable, et je connaissais quelque peu l’homme dont je viens de parler, pour l’avoir rencontré chez des amis communs, mais j’ignorais ce qu’il valait. Je savais seulement qu’il n’avait pas de vocation positive, mais avait tenu la plume dans une banque, dont le patron l’avait congédié comme incapable de rédiger des correspondances en bon français ; puis qu’il payait largement de sa personne en faveur d’une œuvre locale d’évangélisation ; enfin qu’il avait été pendant assez longtemps employé au service de la Compagnie des Colonies suisses de Sétif, pour le compte de laquelle il avait visité plusieurs fois l’Afrique, non sans se créer personnellement dans ce continent des intérêts industriels. Il s’était aussi essayé dans la littérature, et avait publié un ouvrage sur Tunis, mais son existence paraissait, en somme, avoir été assez aventureuse. On disait, en particulier, qu’il avait accompagné, en 1859, l’armée française dans sa campagne d’Italie, et avait assisté, quoique simple particulier, à la grande bataille de Solférino, mais avait toujours fait mystère de ce qui l’y avait attiré.

J’en étais là de mes relations avec lui lorsqu’il eut l’amabilité de me gratifier, en 1862 d’un ouvrage qu’il venait de faire imprimer et où il racontait ce dont il avait été témoin en Lombardie.

Cette brochure m’intéressa vivement, mais, quoiqu’elle portât sa signature, je jugeai, à première vue, d’après son style, qu’elle avait dû être écrite par un littérateur plus exercé, ce qui lui permit d’exciter la pitié de bien des gens en faveur des militaires blessés, ceux-ci ayant besoin, disait-il éloquemment, de voir se former, pour les assister, des sociétés spéciales de secours. Profondément ému par son plaidoyer en faveur d’une pareille institution, je projetai sur l’heure de l’appuyer, s’il voulait bien s’y prêter et j’allai le voir dans cette intention.

Je le trouvai très disposé à faire partie du petit comité d’initiative dont j’estimais avoir besoin pour me seconder, et m’en applaudis. Je pensais, en particulier, qu’il avait dû réfléchir aux moyens de réaliser son rêve et qu’il pourrait peut-être me fournir d’utiles indications pour faire naître l’institution dont seul, jusqu’alors, il avait émis l’idée.

Sous ce dernier rapport je dois avouer que je me trompais, car je le pris au dépourvu, avant qu’il eût conçu, m’assura-t-il, le moindre plan pour la mise en œuvre de son invention. Cela me parut bien un peu surprenant, mais comme je ne savais pas encore que sa véracité dût être suspecte, je l’enrôlai parmi mes collaborateurs à venir, d’autant que je ne pouvais douter de l’intérêt qu’il prendrait à mon projet et qu’il passait pour jouir d’une situation indépendante, qui devait lui laisser beaucoup de temps disponible pour s’acquitter de la tâche qu’il pourrait être appelé à remplir à mes côtés.

Le comité d’initiative, constitué comme je l’avais désiré (voir p. 36), se mit au travail avec zèle, et ses premières démarches furent couronnées d’un succès de bon augure pour la suite de ses opérations. Il ne se dissimula pas que la respectabilité de ses membres devait y être pour beaucoup, car la plupart d’entre eux n’avaient pas eu l’occasion de donner des preuves de capacité, quant aux questions de détail qu’ils allaient avoir à résoudre. Il était donc plein d’espoir dans la réussite de son entreprise, si aucune circonstance imprévue ne venait compromettre l’excellent crédit que, d’emblée, il s’était acquis, et il se croyait certain qu’aucun de ses membres ne serait capable de le rendre suspect. Bien contrairement à son attente, cette dernière éventualité se réalisa, comme on va le voir.


Ici je dois ouvrir une parenthèse et informer mes lecteurs que, en 1867, le plus jeune membre du dit comité cumulait deux emplois entre lesquels n’existait nulle incompatibilité. En même temps qu’il était secrétaire du Comité international de la Croix-Rouge, il remplissait les fonctions d’administrateur du Crédit genevois, société de financiers qui, comme bien d’autres, avaient en lui une confiance absolue.

Or, un matin de cette année-là, c’est-à-dire quatre ans environ après ses débuts, le Comité de la Croix-Rouge apprit avec stupéfaction que son secrétaire avait, dans la nuit précédente, quitté clandestinement Genève, et le bruit se répandit qu’il s’était rendu coupable, envers le Crédit genevois, d’actes très répréhensibles, à la suite desquels, il avait cru prudent de se soustraire aux recherches de la police. Sans attendre d’en savoir plus long sur ce point, le Comité international s’assembla d’urgence et décida que la rumeur publique lui paraissait assez fondée pour l’obliger à rompre immédiatement toutes relations avec celui des siens qui paraissait avoir compromis sa bonne réputation.

L’indélicatesse qu’on lui reprochait consistait à avoir abusé de la confiance que lui témoignaient ses collègues du Crédit genevois, en les « trompant sciemment » par des allégations mensongères, et elle eut pour conséquence un procès, qui aboutit à ce qu’il fut rendu responsable, envers les victimes de sa faute, pour la totalité de la perte considérable qu’il leur avait occasionnée. Je puis bien le rappeler sans indiscrétion, puisque la cour d’appel rendit, à cet égard, un jugement civil qui fut publié in-extenso dans le principal journal du pays, et qui entraîna la faillite de la Société en cause. Une instance pénale aurait dû en découler, mais l’autorité judiciaire estima avoir le droit de transiger avec l’intéressé, dont l’un des parents ne faisait pas mystère de ses démarches pour obtenir cette faveur. On consentit donc, en haut lieu, à ce qu’il optât entre une comparution devant la cour d’assises ou un exil volontaire et perpétuel. Or, il choisit cette dernière alternative, ce qui explique pourquoi on ne l’a jamais revu à Genève depuis cette époque, car il a tenu jusqu’à ce jour la promesse qu’il dut faire à l’État et pour l’exécution de laquelle les magistrats durent certainement exiger des garanties qui n’ont pas été divulguées.

Quoique cette affaire n’eût causé aucun dommage matériel à la Croix-Rouge, le Comité international, considérant que l’honneur exigeait que son personnel fût d’une probité irréprochable, résolut sans hésitation, comme je l’ai dit, d’exclure de son sein celui de ses membres qui venait de donner une grave entorse à la morale la plus élémentaire et qui, en même temps, se posait en apôtre d’un grand progrès concernant la morale sociale. Cette coïncidence nous parut une inconséquence frisant le scandale, à laquelle il importait de couper court le plus promptement possible. Le comité de Genève, respectueux toutefois du selfgovernment promis à tous les comités nationaux avec lesquels il correspondait, ne leur imposa point sa conduite en exemple.

Plusieurs fois déjà, à propos de travaux historiques, j’ai été dans le cas de rappeler cette crise, mais je l’ai toujours fait avec ménagements, par égards pour la famille profondément navrée de l’homme dont elle mettait le nom en évidence. D’ailleurs je n’avais envisagé alors la Croix-Rouge qu’objectivement, tandis qu’aujourd’hui je m’attache à rappeler les souvenirs personnels qu’elle m’a laissés. Je suis donc bien obligé de préciser quelque peu ce qui s’est passé jadis, afin de faire comprendre combien ont dû être vives et pénibles les impressions que je ressentis, lorsque j’acquis la certitude que, dans le groupe que je présidais, et que j’avais cru ne composer que d’individus absolument dignes d’estime, il se trouvait quelqu’un en l’honorabilité de qui personne ne pourrait plus avoir foi. Une épuration du Comité de Genève s’imposait donc et ne se fit pas attendre.

Ce comité en fut, comme on pense, profondément alarmé et crut sa dernière heure venue, ne doutant pas que ce qui venait de se passer n’arrivât, tôt ou tard, à la connaissance de ses amis lointains et ne jetât sur lui une défaveur telle, que la confiance qu’ils lui avaient témoignée jusqu’alors lui fût retirée. Si l’opinion publique mal informée, comme il pouvait le craindre, lui attribuait à tort une part de responsabilité dans l’acte que son secrétaire s’était permis, il devait appréhender que les Sociétés de la Croix-Rouge ne confiassent sans retard leurs intérêts généraux à de plus dignes.

Pendant un certain temps le Comité international éprouva une grande angoisse à ce sujet, mais ce fut heureusement une fausse alerte, car personne ne fit la moindre allusion à son infortune et lui-même n’en dit rien, de sorte que peu à peu il se sentit délivré de ses appréhensions et continua sans secousse à jouir d’une considération universelle, qui n’a fait dès lors que croître sans cesse.

Cependant il ne manqua pas de gens pour affirmer que, selon eux, un homme aussi respectable que paraissait devoir l’être le pseudo-philanthrope qui avait des démêlés avec la Justice de son pays, devait avoir été incapable d’agir comme il avait dû reconnaître cependant l’avoir fait. J’en fus moi-même plus surpris et affligé que n’importe qui, mais il fallut bien m’incliner devant des pièces officielles qui auraient au besoin justifié la conduite du Comité international mais qu’il s’est abstenu de publier.

Ce qui montre bien que les magistrats genevois partagèrent mon opinion, c’est qu’ils se sont refusés à voir dans celui dont le sort dépendait d’eux un grand homme faisant honneur à son pays, comme lui-même le proclame sans cesse et qu’ils l’ont tenu, au contraire, pour un être qu’il importait de mettre autant que possible hors d’état de nuire, dans l’avenir, à ses concitoyens.






CHAPITRE III

Progrès du droit international.

Les travaux qui m’incombèrent au service de la Croix-Rouge pendant la guerre franco-allemande, éveillèrent en moi le désir de voir les lois de la guerre devenir plus précises qu’elles ne l’étaient alors, non seulement au point de vue des blessés, mais dans toutes leurs applications, car une foule de conflits avaient surgi à leur propos entre les belligérants, qui n’étaient pas d’accord sur ce qu’elles prescrivaient. De l’expérience qui venait d’être faite avec succès par la Convention de Genève, on pouvait conclure, n’est-il pas vrai, qu’il ne serait pas chimérique, d’espérer voir les divers peuples se mettre d’accord sur tout ce qui devait être permis ou défendu, de façon à éviter dorénavant des contestations fâcheuses en campagne ? Je conçus donc le projet d’amener des jurisconsultes de toutes langues à siéger ensemble pour statuer à cet égard, et l’un de mes amis M. Rolin Jaequemyns, de Gand, plus tard Ministre de l’Intérieur dans le gouvernement belge, qui venait de fonder une revue de droit international, et devait être bien renseigné sur tout le personnel scientifique faisant autorité en cette matière, m’apparaissait comme le deus ex machina le plus qualifié pour prendre en main la direction de ce mouvement.

Il valait la peine, pensai-je, d’aller l’en entretenir, et je le trouvai tout disposé à partager mon opinion, d’autant qu’à sa connaissance plusieurs juristes caressaient déjà des idées analogues à la mienne, notamment le célèbre Professeur Bluntschli de Heidelberg, originaire de Zurich, avec lequel il m’invita à aller me mettre en rapport. Je me rendis donc sur les bords du Neckar en revenant de Gand, et j’y trouvai le susdit savant consentant sans peine à former, avec M. Rolin et moi, un trio qui prendrait l’initiative de la création à laquelle je songeais à donner le branle.

Une correspondance très serrée s’en suivit et aboutit à la réunion à Gand, au mois de septembre 1873, de onze spécialistes, moi compris (tout indigne que je fusse d’y figurer), appartenant à neuf nationalités différentes, qui rédigèrent les statuts d’une association nouvelle, à laquelle ils donnèrent le nom d’Institut de droit international. Ils prirent de grandes précautions pour qu’elle ne se recrutât que parmi les sommités juridiques, et lui prescrivirent de se réunir, chaque année, si elle le pouvait, dans des localités différentes, pour essayer de faire cesser les désaccords scientifiques qui existaient entre ses membres et, par suite, un certain nombre des prétextes de guerre qui pouvaient surgir entre les nations.

Depuis 34 ans, l’Institut se conforme fidèlement à ces prescriptions et j’ai assisté à ses vingt premières sessions[4]. Les nombreuses consultations qu’il a données ont, à l’heure actuelle, beaucoup de poids aux yeux des érudits. Elles sont consignées dans un recueil qui, s’il ne forme pas encore un code complet, en groupe du moins peu à peu les éléments avec toute la prudence et la sagesse imaginables. L’Institut a même pris la peine d’éditer, entre autres choses, un Manuel des lois de la guerre sur terre, pour lequel il m’avait désigné comme rapporteur et qui a été voté dans la session d’Oxford (1880).

Cette compagnie se compose d’un nombre limité de personnes, et compte actuellement 9 membres honoraires, 56 membres effectifs et 58 associés. Elle m’a jugé digne d’être son Président d’honneur. J’ai fait d’elle une monographie dont il a été donné lecture à l’Institut de France, et dans le compte-rendu des travaux duquel elle a paru.

Je puis citer encore à mon actif, comme se rattachant à des matières que le nouvel Institut n’a pas abordées jusqu’ici, et que mon seul désir d’apprendre à connaître me porta à étudier, un travail qui fut apprécié par les juristes : c’est une étude sur les Bureaux internationaux des unions universelles, qui existent à Berne pour la plupart, et qui, par ce motif, intéressent tout particulièrement les ressortissants de la Suisse ; puis un Essai sur les caractères généraux des lois de la guerre que feu M. Carlos Calvo jugea digne d’être reproduit dans la dernière édition de son fameux traité de droit international, enfin un mémoire sur la question du Congo dont il sera parlé plus loin.



CHAPITRE IV

Civilisation de l’Afrique.


Ayant été sollicité de faire partie de la Société de géographie de Genève, j’en étais membre depuis longtemps, lorsque S. M. le Roi des Belges, s’enthousiasmant pour la civilisation de l’Afrique, envisagée sous tous les aspects, chercha à susciter la formation de groupes nationaux disposés à y travailler avec lui, déclarant qu’il les considérerait comme se rattachant à une Société internationale qu’il présiderait, pour veiller avant tout à l’exploration méthodique du continent noir. En 1877, il convoqua chez lui leurs délégués pour qu’ils se concertassent à cet égard.

La Société de géographie de Genève dut y envoyer deux de ses membres, et me désigna pour être à Bruxelles l’un de ses représentants dans cette occasion, conjointement avec son président, quoique je ne fusse nullement un géographe de profession et qu’elle ne se fût pas encore avisée, ainsi qu’elle le fit plus tard, de songer à me mettre à sa tête. Nous passâmes de la sorte trois jours, comme hôtes de S. M. Léopold II, dans son palais où les délégués suisses n’eurent, comme on pense, à jouer qu’un rôle effacé, ainsi que le prouve le rapport que je présentai à notre Société lors de notre retour.

J’étais, pour ma part, un peu honteux d’assister à de longues séances de discussion à côté et sous la présidence de S. M. sans y prendre une part active.

Mais je me demandais pendant ce temps d’inaction relative, si je ne pourrais pas concourir à seconder les explorateurs de divers pays qui, probablement, suivraient l’impulsion donnée par le roi, car la tâche qu’on allait faire sérieusement entreprendre par la race blanche, de dédommager la race noire du mépris dans lequel elle l’avait tenue pendant si longtemps et de la faire bénéficier des moyens dont disposait la civilisation moderne pour améliorer son sort, me semblait des plus attrayantes et des plus conformes aux vues de la Providence.

Il me parut qu’il serait bon, par exemple, qu’un recueil périodique renseignât et éclairât sur toutes les tentatives par lesquelles des groupes multiples s’efforceraient de dissiper à l’envi les ténèbres de l’Afrique. Aussi me mis-je promptement en état de réaliser cette idée. À peine de retour, j’engageai à mon service deux rédacteurs compétents, MM. Charles Faure et William Rosier, avec lesquels, durant quinze ans, je publiai des livraisons mensuelles ornées de cartes, sous le titre de l’Afrique explorée et civilisée. Ce travail ne prit fin que lorsque l’état maladif de mon principal collaborateur m’en fit une nécessité, après avoir embrassé une période pendant laquelle les découvertes furent plus nombreuses et aussi importantes que jamais.

D’autre part dès que Stanley eut découvert le cours du Congo en descendant ce fleuve jusqu’à la mer, je pressentis que la diplomatie estimerait nécessaire d’étudier le régime légal qu’il conviendrait de lui appliquer, et j’engageai l’Institut de droit international à faire de même. Je lui présentai dans cette intention, pendant sa session de Munich, un mémoire détaillé concernant la Question du Congo, mémoire sur lequel il ne se jugea pas assez renseigné pour oser se prononcer séance tenante, mais auquel il attacha cependant une importance suffisante pour vouloir qu’il fût communiqué de sa part à tous les gouvernements. Puis, apprenant qu’une grande conférence officielle allait avoir à trancher à Berlin les diverses questions que j’avais traitées, je fis parvenir mon écrit à tous les membres de cette assemblée, qui en usèrent, me firent-ils savoir, dans une large mesure, ce dont je ne pus douter après avoir pris connaissance de leurs discussions.

Lorsque la situation se fut bien éclaircie, je trouvai opportun d’exposer, devant l’Institut de France, la manière correcte mais insolite dont s’était effectuée la fondation de l’État indépendant du Congo, au point de vue juridique.

De son côté le gouvernement congolais, trouvant qu’il était conforme à ses intérêts d’être représenté auprès de la Suisse par un consul général, daigna me proposer de m’investir de ces fonctions auxquelles, après dix années d’exercice, je ne renonçai plus tard que vu mon âge avancé, après avoir reçu un témoignage de satisfaction des autorités africaines avec lesquelles je m’étais trouvé en relations, et avoir été spontanément invité par le Roi-souverain à porter, en souvenir de ma charge, le titre de consul général honoraire.




CHAPITRE V

Activité littéraire.


On a dû comprendre, en lisant les chapitres qui précèdent, que j’ai employé de nombreuses heures à faire des publications, car j’y ai mentionné, au fur et à mesure, les principales de celles qui se rapportaient aux sujets que je traitais. Mais, comme j’ai consacré beaucoup de temps à faire imprimer en divers temps d’autres petits travaux sortis de ma plume, je me permets d’en donner ici la bibliographie, pour montrer la diversité des matières qu’ils ont embrassées.




Publications de l’auteur
Nombre
de Pages.
1    1850   
Notions générales sur les interdits en droit romain (thèse).
   in-8o 44
2    1856   
Notice historique sur la Société de secours pour le patronage des apprentis de Genève.
   in-8o 27
3    1856   
La prévoyance à Genève.
   in-12o 59
4    1856-1862   
Congrès internationaux de bienfaisance à Bruxelles, Francfort et Londres (rapports).
   in-8o
5    1858   
De la participation des employés du chemin d’Orléans aux bénéfices de l’exploitation.
   in-8o 18
6    1858-1868   
Direction du Bulletin de la Société genevoise d’utilité publique (trimestriel).
   in-8o
7    1859   
Histoire de l’assistance à Genève des enfants trouvés, abandonnés ou orphelins.
   in-8o 65
8    1859   
Biographie biblique de l’apôtre Paul (Bridel, édit.).
   in-12o 127
9    1860   
Les Associations genevoises (statistique).
   in-8o 91
10    1861   
Concours sur l’assurance contre l’incendie (rapport du jury).
   in-8o
11    1862   
Société genevoise d’utilité publique, catalogue de sa bibliothèque.
   in-8o
12    1863   
Enquête sur diverses questions concernant la Croix-Rouge (rapport).
   in-4o 26
13    1863   
De l’abus des boissons enivrantes dans le Canton de Genève (rapport).
   in-8o 47
14    1864   
La Convention de Genève (rapport au Conseil fédéral).
   in-8o 16
15    1865   
Société des domestiques protestantes à Genève (rapport).
   in-8o 16
16    1867   
Les institutions ouvrières de la Suisse (publication du Conseil fédéral).
   in-8o 195
17    1867   
La guerre et la charité, traité théorique et pratique de philanthropie appliquée aux armées en campagnes (couronné), collab. le docteur L. Appia (Cherbuliez, édit.).
   in-12o 401
18    1869   
Notice nécrologique sur le docteur Th. Maunoir.
   in-8o 2
19    1869   
Exposition de matériel sanitaire à La Haye.
   in-4o
20    1869-1905   
Direction du Bulletin international de la Croix-Rouge (trimestriel).
   in-8o



21    1870   
Étude sur la Convention de Genève (Cherbuliez, édit.).
   in-12o 376
22    1870   
Concours sur l’observation du repos hebdomadaire (rapport du jury).
   in-8o 13
23    1873   
La Convention de Genève pendant la guerre franco-allemande.
   in-8o 62
24    1874   
La Croix-Rouge. Son passé et son avenir. (Sandoz & Thuillier, éditeurs).
   in-12o 288
25    1874   
Ce que c’est que la Croix-Rouge.
   in-8o 8
26    1875   
Notice nécrologique sur le général G.-H. Dufour.
   in-8o 5
27    1875   
Annuaire philanthropique genevois (collab. Gust. Rochette et Edm. Pictet) (2me édit., 1879, Desrogis, édit.).
   in-12o 11



28    1876   
Les destinées de la Convention de Genève pendant la guerre de Serbie.
   in-8o 23
29    1876   
De la fédération des Sociétés de la Croix-Rouge.
   in-8o 12
30    1877   
Commission internationale africaine (rapport).
   in-8o 21
31    1878   
Institutions genevoises pour le soin gratuit des malades.
   in-8o 24
32    1878   
Le cinquantenaire de la Société genevoise d’utilité publique.
   in-8o 30
33    1879   
Manuel des lois de la guerre sur terre, adopté par l’Institut de droit international (texte et rapport).
   in-8o 27
34    1879-1895   
Direction de l’Afrique explorée et civilisée (mensuel) collab. Ch. Faure et W. Rosier.
   in-8o



35    1880   
Notice nécrologique sur le colonel E. Favre.
   in-8o 2
36    1881   
Société des salles de rafraîchissements non alcooliques à Genève (Ier rapport).
   in-8o 17
37    1882   
Question de l’émigration en Suisse.
   in-8o 5
38    1883   
La question du Congo devant l’Institut de droit international.
   in-8o 22
39    1883   
De la crémation.
   in-8o 15
40    1886   
Histoire des prisons de Genève au XIXe siècle (fragment).
   in-8o 12
41    1886   
De quelques faits récents relatifs à la Convention de Genève.
   in-8o 17
42    1887   
La fondation de l’État indépendant du Congo au point de vue juridique.
   in-8o 27
43    1888   
Notice nécrologique sur L. Micheli de la Rive.
   in-8o 3
44    1888   
Les causes du succès de la Croix-Rouge.
   in-8o 18
45    1888   
Toast pour le 25me anniversaire de la fondation de la Croix-Rouge.
   in-8o 8



46    1890   
L’Institut de droit international.
   in-8o 26
47    1890   
Discours pour le jubilé de M. Ern. Naville.
   in-8o 7
48    1891   
Conférence sur la Convention de Genève.
   in-8o 36
49    1892   
Les bureaux internationaux des unions universelles (Cherbuliez, édit.).
   in-8o 175
50    1893   
Considérations sur la sanction pénale à donner à la Convention de Genève.
   in-12o 33
51    1895   
Essai sur les caractères généraux des lois de la guerre (Eggimann, édit.).
   in-12o 123
52    1896   
Notions essentielles sur le Croix Rouge.
   in-12o 55
53    1896   
Notice sur l’agence gratuite de Genève pour la protection des institutrices, gouvernantes et bonnes suisses à l’étranger.
   in-4o 3
54    1898   
Étude historique et critique sur la révision de la Convention de Genève.
   in-4o 62
55    1898   
Notice nécrologique sur le Dr L. Appia.
   in-8o 5
56    1899   
La Convention de Genève au point de vue religieux.
   in-8o 7



57    1900   
De la forme de la Croix-Rouge.
   in-8o 3
58    1900   
Manuel chronologique pour l’histoire générale de la Croix-Rouge.
   in-8o 32
59    1901   
De la reconnaissance des sociétés nationales de la Croix-Rouge.
   in-8o 5
60    1901   
Coup d’œil sur l’histoire des conférences internationales de la Croix-Rouge.
   in-8o 73
61    1901   
L’expédition polaire d’Andrée en ballon.
   in-8o 26
62    1903   
La fondation de la Croix-Rouge.
   in-8o 2
63    1904   
Coup d’œil sur le berceau de la Croix-Rouge.
   in-8o 5
64    1905   
Rappel succinct de l’activité déployée par le Comité international de la Croix-Rouge, de 1863 à 1904.
   in-8o 125
65    1906   
Mes rapports avec M. Ernest Naville (imprimé comme manuscrit pour le 90e anniversaire de sa naissance).
   in-8o 16












APPENDICE


Institut de France.


Chez nos voisins de France, il est bien rare qu’un travailleur intellectuel se considère comme un homme arrivé, tant que l’Institut de son pays ne l’a pas accueilli dans ses rangs, mais cette ambition légitime ne franchit guère la frontière du territoire national, car les étrangers ne figurent dans cet illustre corps qu’en petit nombre. Toujours est-il que je n’avais jamais entrevu le moins du monde l’espoir d’y pénétrer, lorsqu’un parisien de mes amis, en visite chez moi, après m’avoir questionné sur mes divers travaux, me témoigna une surprise extrême que l’Institut qui siège à Paris n’eût pas encore songé à m’attirer à lui, estimant que j’avais plus de titres qu’il n’en fallait pour justifier ma candidature à l’Académie des sciences morales et politiques. J’étais convaincu qu’il se faisait d’étranges illusions à mon égard, mais mon rôle n’était pas de le détromper, et quand je vis qu’il prenait son idée au sérieux, voulant bien en faire son affaire, je ne pus que lui savoir gré de son appréciation flatteuse. Toutefois, rentré chez lui, il perdit je pense notre entretien de vue et, comme il ne me donnait plus signe de vie, je m’enquis auprès d’un académicien de mes amis, M. Aucoc, de ce qu’il pensait de ma présentation. Il n’en fallut pas davantage pour que ce dernier l’approuvât chaudement et se montrât heureux de la patronner. Il le fit tant et si bien, qu’une place de correspondant étant précisément vacante dans la section de morale, il réussit à me la faire attribuer.

Mais plus ambitieux que moi, qui me tenais pour très suffisamment honoré par son succès, il ambitionna bientôt ma promotion à un grade supérieur, auquel, suivant lui, je pouvais prétendre. Ce grade était celui d’associé étranger, qui m’aurait élevé au rang de membre de l’Institut et m’aurait rendu le confrère des 56 savants qui figuraient déjà en cette qualité dans l’annuaire officiel. Il se trouva aussi que j’étais connu de plusieurs de ces derniers qui voulurent bien appuyer l’amicale démarche de M. Aucoc en ma faveur. Une circonstance fortuite leur vint d’ailleurs en aide. Depuis longtemps la section dont il s’agissait se sentait gênée de ne pouvoir disposer que de six fauteuils pour ses associés, et pendant que ma candidature était en suspens, elle obtint que ce chiffre fût porté à huit par le gouvernement.

De mon côté je fus bien inspiré de chercher à m’acquitter, vers le même temps, de ma dette de reconnaissance envers l’Institut, en lui exposant, dans une série de mémoires composés à son intention, les divers progrès scientifiques auxquels je m’étais efforcé de contribuer. Je ne saurais oublier le bon accueil qu’il leur fit, surtout à celui que j’avais intitulé « Des causes du succès de la Croix-Rouge ». Sa lecture en effet me valut une véritable ovation, par où j’entends des félicitations exceptionnelles du Président et celles de plusieurs membres, qui vinrent me serrer la main en me complimentant, sans me connaître personnellement. L’un d’eux m’annonça même que ma prose occuperait une place d’honneur dans le Bulletin des travaux de l’Académie, et un autre ajouta, bien témérairement me parut-il : « À la première vacance qui se produira parmi les associés étrangers vous serez des nôtres ! » Sa prédiction me porta bonheur et se réalisa. Il ne me reste donc rien à souhaiter, puisque le plus envié des titres scientifiques français m’a été départi.

Tel est du moins le langage que je tiendrais si la perspective d’obtenir des distinctions humaines avait jamais fait battre mon cœur, mais comme la corde de l’ambition à cet égard n’a jamais vibré en moi, je me désavouerais véritablement en me déclarant parvenu au comble de mes vœux par la grande faveur dont me gratifia l’Institut de France. Sans doute je l’ai reçue avec une vive gratitude, ainsi que les nombreux témoignages d’estime qui m’ont été donnés en plusieurs pays, tels que les présidences effectives ou honorifiques auxquelles j’ai été appelé, les grades flatteurs que m’ont décernés spontanément plusieurs universités, les médailles commémoratives que l’on m’a remises dans maintes occasions, les ordres de chevalerie que des souverains m’ont décernés, etc., etc. Tout cela ne m’a point trouvé indifférent mais j’y ai vu surtout des encouragements à persévérer dans la voie où je marchais. Ce n’était pas là au fond le but que je poursuivais, et qui était de faire progresser sans cesse le règne de Dieu sur la terre. Toutes les occupations auxquelles je me suis livré y tendaient en effet très directement, et l’assurance d’y avoir réussi en quelque mesure est le seul résultat que j’aie profondément souhaité obtenir. Nulle autorité humaine ne saurait me garantir que je l’aie atteint, mais j’attendrai patiemment pour savoir ce qui en est, jusqu’au jour où je comparaîtrai devant notre souverain juge.



  1. Il se composait de Messieurs : le Docteur Louis Appia, le général G. H. Dufour, le Docteur Théodore Maunoir, Gustave Moynier et l’auteur du Souvenir de Solférino, qui n’en fit pas longtemps partie (voir p. 52). Ce dernier n’était pas, d’ailleurs, membre de la Société d’Utilité publique.
  2. Le général Dufour, généralissisme de l’armée suisse.
  3. La liste des puissances signataires de la Convention de Genève n’est pas identique à celle des pays qui possèdent des Sociétés de la Croix-Rouge, plusieurs des premières n’estimant pas que leur état social leur ait permis, jusqu’à présent, d’organiser chez elles de pareilles institutions.
  4. Je me souviens en particulier d’avoir été choisi, dans celle de Heidelberg, pour avoir l’honneur de lire un de mes travaux devant S. A. R. le Gd. Duc de Bade, un jour où il assistait à notre séance. Je lui fis entendre un mémoire sur le droit qui, selon moi, devrait être appliqué aux chemins de fer en temps de guerre.