Mes mémoires (Groulx), tome III/vol. 5/Passage à Lourdes

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Fides (p. 141-142).

XI

PASSAGE À LOURDES

Rencontre de Monseigneur Gerlier

Mes audiences terminées, je quitte Rome encore une fois. J’ai pris congé du Père Leduc qui, lui, se dit naïvement enchanté des résultats de mon voyage. Il me donne une longue et affectueuse poignée de mains. Le cher Père rentrerait volontiers, je pense, avec moi, au Canada. Mais il est trop bon religieux pour le laisser paraître. Je remonte vers le nord, par un autre train rapide. J’ai le dessein de ne m’arrêter qu’un moment à Marseille pour, de là, remonter vers Lourdes. Là encore, mon passage sera court : le temps d’aller dire ma messe à la Grotte. Mais je fais une rencontre imprévue : celle de Mgr Gerlier, évêque de Tarbes et de Lourdes. Monseigneur s’en vient, accompagné de sa suite, dire sa messe à la Grotte. C’est son habitude lorsque le temps le permet. Il m’aperçoit. Nous nous sommes rencontrés à un Congrès national de l’ACJF, en 1909, à Orléans — alors que, jeune avocat, on l’élut à la présidence de cette association de jeunesse. Nous nous sommes revus depuis à Paris, en 1921, alors que, devenu prêtre, il s’occupait encore d’œuvres de jeunesse. Il m’invite à dîner avec lui, le soir, à son évêché. Je retarde mon départ de quelques heures, ne voulant pas manquer cette aubaine. Encore une rencontre où, faute de notes en mes carnets, mes souvenirs restent confus. Je me souviens toutefois que nous avons longuement parlé du Canada qu’il aimait beaucoup. Encore avocat et président de l’ACJF, il était venu au Congrès eucharistique international de 1910 ; il était revenu, deux ans plus tard, au Congrès de la Langue française à Québec. Il comptait alors, dans la jeunesse de chez nous, un grand nombre d’amis. On s’était facilement épris de ce grand et beau jeune homme, d’une foi si simple et si fière, d’un caractère si liant et doué d’une remarquable éloquence. À l’évêché de Lourdes, ce soir-là, nous avons donc remué beaucoup de souvenirs. L’évêque ne faisait pas oublier le jeune homme d’autrefois. Il était resté simple, d’une affabilité parfaite, pas l’ombre de ces airs de grand seigneur qu’affichent trop volontiers les évêques de France. Mgr Gerlier gardait dans sa mémoire, des noms d’hommes qui lui étaient restés chers. Il me demanda des nouvelles d’Omer Héroux, d’Henri Bourassa, de Georges Baril, de Mgr Bruchési, etc., etc. Malheureusement il avait à sa table, ce soir-là, un autre invité, un catholique laïque avec lequel il paraissait très lié. La conversation, cela va de soi, tournait souvent du côté de l’autre invité. Je ne dirai pas cette fois, comme à Rome : « rencontre manquée ». Mais je l’aurais voulue plus intime, plus seul à seul.