Mes paradis/Dans les remous/Ballade de la faim

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XIII

BALLADE DE LA FAIM


Oui, mange à ta faim, mange en paix.
Ta chair a droit d’être nourrie.
Fais ton devoir et la repais.
Pourtant, vois qu’en la bergerie
Par trop de luzerne fleurie
Les moutons crèvent du carreau.
Mange donc, mais sans goinfrerie.
Préfère la lame au fourreau.

Songe que, si tu t’entripais,
Ton sang vermeil, pur de scorie,
Deviendrait un liquide épais
Pareil à cette glu pourrie
Qui s’encharogne à la voirie.

Qu’il soit char et non tombereau !
C’est du fer qu’il faut qu’il charrie.
Préfère la lame au fourreau.

Les crânes, les gens à toupets,
Sont les maigres. Leur chair meurtrie
Se tale au dos des parapets.
Quelque vague charcuterie,
Voilà leur meilleure frairie.
Mais ils risquent bagne et bourreau.
Les gueux seuls ont l’âme aguerrie.
Préfère la lame au fourreau.

ENVOI

Prince, ceux dont le ventre crie
Voient rouge. Sois comme eux, taureau,
Et pour frapper dans la tuerie
Préfère la lame au fourreau.