Mes paradis/Les Îles d’or/« Il était une fois… » On jouait ; on s’arrête

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XXX


« Il était une fois… » On jouait ; on s’arrête ;
Tous les joujoux lâchés quittent la main distraite ;
On s’assoit, bouche bée, en faisant des yeux ronds.
Grand’mère, qui tricote à petits gestes prompts,
D’une petite voix commence son ramage,
Et l’on reste, à l’ouïr, sage comme une image.
Le conte qu’elle dit, certe, on le connaissait.
C’est le Chaperon Rouge, ou le Petit Poucet,
La Belle au bois dormant, le Chat botté, Peau d’âne,
Cendrillon, les Souhaits, Barbe-bleue et sœur Anne,
Et Riquet à la houppe, et bien d’autres encor.
Certe, on en sait par cœur l’histoire, le décor,
Les répliques ; mais comme on aime à les entendre
Au chevrotement doux monotonement tendre

De grand’mère qui conte en tricotant son bas
Et semble quelque fée, elle aussi, de là-bas !
Soi-même, à ce là-bas, comme on y va, sincère !
Quand c’est le loup qui parle, ou bien l’ogre, on se serre
L’un contre l’autre ; on voit leurs yeux rouges ardents,
Le trou blanc qu’ouvrent dans la nuit leurs grandes dents.
Pauvre Chaperon Rouge, avec son pot de beurre !
Heureux Petit Poucet, lui ! Sa chance est meilleure ;
Mais il l’a joliment méritée en effet ;
Et s’il coupe le cou de l’ogre, c’est bien fait.
Ce Riquet à la houppe, en dit-il, des folies !
Et les princesses, donc, ce qu’elles sont jolies !
Qu’on les veuille épouser toutes, ça se conçoit ;
Car chacune est toujours la plus belle qui soit,
Et sa robe est couleur du temps, et tout prospère
Au royaume enchanté que gouverne son père.
On y vit, dans ce bon royaume ; on le parcourt
En long, en large ; et tout voyage y semble court,
Quelque vastes que soient la ville et ses banlieues,
Puisque l’on a chaussé les bottes de sept lieues.
Car on est le Petit Poucet soi-même, sûr,
Et le Prince Charmant, aussi le Prince Azur,
Ton aimé, Belle au bois dormant, le tien, Peau d’âne,
Et l’un des cavaliers qu’annonce enfin Sœur Anne
Quand Barbe-bleue aiguise en bas son coutelas.
« Allons, mes chérubins, vous devez être las »,

Dit grand’mère, « voilà si longtemps que je conte !
« C’est assez pour ce soir. Vous avez votre compte.
« L’homme au sable a passé sur vos yeux. Vite au lit ! »
Et l’on frotte ses yeux qu’en effet il remplit
De sable. Un sable en or ! Mais, quand même, il picote.
On se couche. Grand’mère, elle, toujours tricote,
Toujours, et l’on s’endort en rêvant de là-bas,
Cependant que les cinq aiguilles dans le bas
Font comme un cliquetis de petites épées,
Par lesquelles seront tout à l’heure coupées
Les têtes des géants, des ogres et des loups,
Afin que l’on épouse en dépit des jaloux
La princesse de fleurs et d’étoiles coiffée,
Dont la robe est couleur du temps, dont une fée
Fut la marraine, et dont le père vous reçoit
En vous disant qu’elle est la plus belle qui soit.