Mes paradis/Les Îles d’or/Ô lumière, couleurs, formes, fête des yeux

La bibliothèque libre.


XLV


Ô lumière, couleurs, formes, fête des yeux !
Isis, honneur à tes amants aux doigts pieux
Qui purent soulever quelque coin de tes voiles
Et qui, dans les airains, les marbres et les toiles,
Ont su rendre visible un peu de ta beauté !
Que connaîtrions-nous de toi, leur œuvre ôté ?
C’est à travers leur œuvre, Isis, qu’on te contemple,
Et l’on y doit entrer comme on entre en un temple.
Pour moi, que nul autel ne vit prier jamais,
À des dévotions ici je me soumets ;
Sur mes lèvres s’éveille une oraison fervente ;
Mon cœur a des frissons de mystique épouvante ;
Et lorsque ta splendeur se manifeste à nous
Je ne me défends pas de ployer les genoux.

Vaines religions, folles mythologies,
Présentez-moi vos dieux en belles effigies,
Et leur culte aussitôt me deviendra sacré
Et de toute ma foi je les adorerai.
Ne vous aimé-je pas d’un amour sans mélange,
Ô Vénus de Milo, toi, Nuit de Michel-Ange,
Vous, Saintes Vierges du suave Raphaël,
Et ta femme couchée aux chairs d’ambre et de miel,
Titien, et, Vinci, ta sublime Joconde ?
Et tant d’autres, et tant ! Car la race est féconde
Des bons artistes, saints révélateurs du Beau,
Qui n’en laissent jamais éteindre le flambeau,
Qui d’Isis entrevue ont soulevé les voiles,
Et qui, dans les airains, les marbres et les toiles
Vous font vivre pour nous avec leurs doigts pieux,
Ô lumière, couleurs, formes, fête des yeux !