Meschacébéennes/À M. Anatole C***, II

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Librairie de Sauvaignat (p. 65-66).


 
There is a pleasure in the pathless woods.
(BYRON.)

Et puis tous deux assis, quel bonheur de lui dire
De ces mots qu’on invente et qu’on ne peut écrire,
Ces mots mystérieux qui font trembler la voix,
Prononcés, dans les pins, pour la première fois !
(MÉRV.)




Oui, je pars ; il me faut la solitude immense !
Quand je vois ma forêt, alors je recommence
À revivre, à rêver sous mes pins toujours verts,
À m’égarer pensif, à composer des vers.
Quelle est donc,

réponds-moi, ta puissance secrète,
Ô solitude sainte, ô mère du poëte ?
Oh ! comme tous ces bruits qui tombent des rameaux
Versent au cœur souffrant l’oubli de tous les maux !
Comme à ces mille voix dont l’âme se pénètre,
Attendri l’on se sent rajeunir et renaître !
Il semble alors qu’au monde on ait dit son adieu,
Qu’on soit seul ici-bas et qu’on vive avec Dieu !
Et dans l’illusion, le charme de ce rêve,
On lui dit:« Ô mon Dieu, mais où donc est mon Ève ?
J’ai déjà de mes mains bâti mes ajoupas ;
Oh ! mon Ève ! Mon Dieu, ne l’amenez-vous pas ?… »
C’est ce que je disais autrefois, le cœur vide,
D’amour, d’émotions, toujours, toujours avide,
Et sans cesse jetant, d’une plaintive voix,
Un nom imaginaire à l’écho des grands bois.
Mais, heureux aujourd’hui…………
J’ai trouvé ce qu’à Dieu tout jeune homme demande;
Sur les bords du grand fleuve enfin je l’ai trouvé
L’ange que tant de fois mon âme avait rêvé !



Février 1838.