Meschacébéennes/Préface

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Librairie de Sauvaignat (p. i-iv).

PRÉFACE.


Jeté sur la terre d’exil par des circonstances inattendues, oppressé du poids d’une irrémédiable tristesse, craignant de voir s’éteindre ma vie loin des bords de ce Michasippi que tout créole de la Louisiane aime d’un amour filial, vers qui tout enfant voyageur se sent entraîné par un irrésistible instinct, j’éprouve le besoin de laisser à mes concitoyens, à ma famille, à mes amis, ces faibles essais poétiques comme un souvenir.

J’ai voulu aussi inspirer aux jeunes poètes de la France le désir de visiter les forêts vierges de la Louisiane. Que ces âmes souffrantes, que

Ces cœurs lassés de tout, même de l’espérance,

viennent rêver à l’ombre de nos mélèzes harmonieux, sur les rives inhabitées de quelque bayou solitaire, au murmure des ruisseaux sans nom du désert, au chant plaintif et monotone du will poor will ! C’est là qu’ils trouveront des trésors inconnus ailleurs : la paix de l’âme et l’oubli de tout !

Poétiques enfans de la France, que ne comprenez-vous l’idiome harmonieux et musical de la tribu Chactas, cette langue aimée de notre enfance, mais que notre jeunesse oublie ! Ah ! c’est dans cette langue dont chaque syllabe emprunte sa sauvage harmonie de quelque voix mystérieuse de la solitude, c’est dans ce dialecte inculte et coloré des fils du désert, que nous vous parlerions avec éloquence des vierges forêts, des ondoyantes et vastes savanes, des mille bayous tributaires du plus grand des fleuves américains !…

Fille de la France, la Louisiane, comme sa mère, aura un jour ses poëtes. Du sein de notre belle et bouillonnante jeunesse, il surgira, n’en doutons pas, quelques uns de ces hommes prédestinés qui, selon l’expression de Victor Hugo :

Marchent un pied dans l’avenir !

Oui, notre Louisiane est une terre de tristesse et de poésie ! Comme la vieille Calédonie, c’est une austère et sauvage contrée, stern and wild, c’est une grande et inculte nature qui sera féconde en poëtes.

Puisse, un jour, quelque barde immortel de nos savanes américaines prendre pour épigraphes à ses chants futurs quelques uns de mes vers, et sauver mon nom de l’oubli !…


Paris, 20 octobre 1838.