Message du Président de la République au Sénat et à la Chambre des députés (4 août 1914)

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Message du Président de la République au Sénat et à la Chambre des députés


Raymond Poincaré
lu par René Viviani


4 août 1914

Messieurs, la France vient d’être l’objet d’une agression brutale et préméditée qui est un insolent défi au droit des gens. Avant qu’une déclaration de guerre nous eût encore été adressée, avant même que l’ambassadeur d’Allemagne eût demandé ses passeports, notre territoire a été violé. L’Empire d’Allemagne n’a fait hier soir que donner tardivement le nom véritable à un état de fait qu’il avait déjà créé.

Depuis plus de quarante ans, les Français, dans un sincère amour de la paix, ont refoulé au fond de leur cœur le désir des réparations légitimes.

Ils ont donné au monde l’exemple d’une grande nation qui, définitivement relevée de la défaite par la volonté, la patience et le travail, n’a usé de sa force renouvelée et rajeunie que dans l’intérêt du progrès et pour le bien de l’humanité.

Depuis que l’ultimatum de l’Autriche a ouvert une crise menaçante pour l’Europe entière, la France s’est attachée à suivre et à recommander partout une politique de prudence, de sagesse et de modération. On ne peut lui imputer aucun acte, aucun geste, aucun mot, qui n’ait été pacifique et conciliant. À l’heure des premiers combats, elle a le droit de se rendre solennellement cette justice qu’elle a fait, jusqu’au dernier moment, des efforts suprêmes pour conjurer la guerre qui vient d’éclater et dont l’Empire d’Allemagne supportera, devant l’Histoire, l’écrasante responsabilité.

Au lendemain même du jour où nos alliés et nous, nous exprimions publiquement l’espérance de voir se poursuivre pacifiquement les négociations engagées sous les auspices du cabinet de Londres, l’Allemagne a déclaré subitement la guerre à la Russie, elle a envahi le territoire du Luxembourg, elle a outrageusement insulté la noble nation belge, notre voisine et notre amie, et elle a essayé de nous surprendre traîtreusement en pleine conversation diplomatique.

Mais la France veillait. Aussi attentive que pacifique, elle s’était préparée ; et nos ennemis vont rencontrer sur leur chemin nos vaillantes troupes de couverture, qui sont à leur poste de bataille et à l’abri desquelles s’achèvera méthodiquement la mobilisation de toutes nos forces nationales. Notre belle et courageuse armée, que la France accompagne aujourd’hui de sa pensée maternelle, s’est levée toute frémissante pour défendre l’honneur du drapeau et le sol de la patrie.

Le président de la République, interprète de l’unanimité du pays, exprime à nos troupes de terre et de mer l’admiration et la confiance de tous les Français.

Étroitement unie en un même sentiment, la nation persévérera dans le sang-froid dont elle a donné, depuis l’ouverture de la crise, l’exemple quotidien. Elle saura, comme toujours, concilier les plus généreux élans et les ardeurs les plus enthousiastes avec cette maîtrise de soi qui est le signe des énergies durables et la meilleure garantie de la victoire.

Elle est fidèlement secondée par la Russie, son alliée ; elle est soutenue par la loyale amitié de l’Angleterre. Et déjà, de tous les points du monde civilisé, viennent à elle les sympathies et les vœux. Car elle représente aujourd’hui, une fois de plus devant l’univers, la liberté, la justice et la raison.

Dans la guerre qui s’engage, la France aura pour elle le droit, dont les peuples non plus que les individus, ne sauraient impunément méconnaître l’éternelle puissance morale. Elle sera héroïquement défendue par tous ses fils, dont rien ne brisera devant l’ennemi l’union sacrée et qui sont aujourd’hui fraternellement assemblés dans une même indignation contre l’agresseur et dans une même foi patriotique.

Haut les cœurs et vive la France !