Michel-Ange - L’Œuvre littéraire/Appendices Stances

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Traduction par Boyer d’Agen.
Librairie Ch. Delagrave (p. 183-184).

STANCES

Nuovo pracer e di maggiore stima…
I

Un autre genre de plaisir qu’il faut priser bien davantage, c’est de suivre des yeux ces chèvres hardies qui vont grimpant et paissant çà et là sur la pointe escarpée des rochers. Le pâtre, tantôt assis, tantôt errant dans la plaine, fait résonner son instrument agreste, et chante des vers, sans art, où il exhale les tourments de son âme ; tandis qu’avec un air dédaigneux, son insensible bergère repose sous un chêne, auprès de son troupeau.


II

Tel est encore le coup d’œil qu’offre sur l’éminence cette cabane rustique, recouverte de chaume. Ici l’on dresse une table ; là, sous le roc avancé, s’allume un brasier ardent. L’un soigne et nourrit le porc qu’il agace, l’autre assujettit sous le bât l’ânon encore novice ; et le vieillard, assis au seuil de sa porte, jouit à la fois des travaux de son industrieuse famille et des bienfaisants rayons du soleil.


III

Leur visage montre à découvert ce qui se passe en leur âme : on y voit une paix que ne troublent ni l’ennui ni la haine. Ils vont, pleins de gaieté, labourer leurs collines ; et la nuit seule les ramène au foyer. Leurs portes n’ont point de verrous ; exempts de crainte, ils laissent leur maison ouverte à la fortune ; et, rassasiés de glands après leurs longs travaux, ils cherchent et trouvent sur la paille un tranquille sommeil.


IV

L’envie n’habite point sous leur chaume, l’orgueil en est banni. Ce qu’ils désirent le plus, c’est une verte prairie où l’herbe croisse plus riante et plus fraîche. Une charrue est leur trésor ; un soc, leur plus précieux joyau. Ils ont des paniers pour buffet, et des vases de bois au lieu de coupes dorées.


V

Stupide avarice ! êtres abjects qui abusez des biens de la nature ; vous qui, pour acquérir de l’or, des provinces ou des empires, ne consultez jamais que votre orgueil : la mollesse vous plonge dans la luxure, l’envie vous rend ingénieux et prompts pour la perte d’autrui ; et, dans vos insatiables désirs, vous oubliez combien courte est la vie, combien sont bornés nos besoins


VI

Nos pères, dans les premiers âges, se contentaient d’eau pour boisson, de glands pour nourriture. Que leurs leçons vous éclairent ! Que leur exemple vous guide et mette un frein salutaire à votre intempérance, à vos dérèglements. Prêtez à mes discours une oreille attentive : ceux qui gouvernent le monde, qui le remplissent de leur grandeur, ont encore des désirs et ne peuvent trouver cette paix délicieuse que le villageois goûte avec ses troupeaux.


VII

Parée d’or et de pierreries, mais l’inquiétude dans les yeux, la Richesse marche triste et pensive ; le vent et la pluie la troublent, les augures et les prodiges l’occupent. La Pauvreté joyeuse, en fuyant les trésors, en acquiert de plus véritables, sans songer ni quand ni comment ; et, libre sous ses habits grossiers, elle vit au milieu des bois, loin des soucis, des procès et de la servitude.


VIII

Les arts et leurs progrès, les rivages recherchés et bizarres, et le doit et l’avoir, et le mieux et le pire, tout cela est indifférent au villageois. Ce qui l’occupe, ce sont les bois, les prés, les eaux et le laitage. Pour faire un compte, ses doigts et ses mains calleuses lui tiennent lieu de plume et de papier. Il ignore ce que c’est que l’usure et, sans inquiétude, il s’abandonne au sort.


XI

Le premier objet de ses soins, c’est la fécondité de sa vache, c’est la croissance de son jeune taureau. Plein de crainte et d’amour pour le Créateur, il appelle les bienfaits célestes sur ses champs et sur ses troupeaux. Les si, les mais, les comment, les pourquoi, toutes ces subtilités dangereuses lui sont entièrement étrangères. Sa vie simple et pure est agréable à Dieu et rend le Ciel propice à ses prières.