Michel-Ange - L’Œuvre littéraire/Correspondance divers

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Traduction par Boyer d’Agen.
Librairie Ch. Delagrave (p. 53-118).

CORRESPONDANCE

MICHEL-ANGE ET DIVERS CORRESPONDANTS

La Correspondance de Michel-Ange, dont on trouvera ici les principales lettres, traduites de l’italien pour la première fois, est conservée aux archives de la Maison Buonarroti et de la Bibliothèque Nationale, à Florence. Le texte en fut publié en partie : par Giovanni Gave (Carteggio inedito di Artisti dei secoli xiv, xv, xvi, Firenze, 1840) ; par Hermann Grimm (Das Leben Michelangelos, Hanovre, 1860) ; par Gaetano Milanesi (Lettere di M.-A. Buonarroti, pubblicate coi Accordi ed i Contratti artistici, Firenze, 1845), et par Aurelio Gotti (Vita di Michelangelo buonarroti, Firenze, 1875). Une autre partie de cette correspondance est conservée au British Muséum de Londres.

L’illustration de ces Lettres par des dessins de Michel-Ange est empruntée aux collections de la Maison de Michel-Ange, à Florence, et à celles que l’Angleterre possède, depuis que les souverains et les artistes de ce pays eurent le goût de les acquérir en Italie, pour en doter leurs Galeries publiques et privées. On connaît celle que George III sut réunir au château de Windsor, avec les fonds d’atelier des peintres Peter Lely, Josuah Reynolds, Hudson, Ryshack, Sandby, Benjamin West, Talman, Hone Pond, Cosway, qui avaient enrichi leurs portefeuilles avec ceux de Giorgio Vasari, ami de Michel-Ange, de Timoteo della Vite, qui le fut de Raphaël, et avec les riches collections qu’avaient su grouper deux prélats de la Cour romaine, Mgrr Croat et Mgr Marietti.

En France aussi un élève de Louis David, le chevalier Wicar, en avait recueilli un grand nombre, après les campagnes d’Italie où il avait suivi Bonaparte, comme délégué de la République, pour la reconnaissance des œuvres d’art à prélever en otages et indemnités de guerre. Après les campagnes de l’Empire, Wicar, revenu pour son compte en Italie, avait acquis à Florence un lot exceptionnel de dessins de Michel-Ange, que la mauvaise foi des marchands l’obligea à racheter et à payer deux fois, et au milieu desquels il mourut à Rome sans pouvoir se décider à venir passer, dans sa patrie, les derniers jours de son extrême et insatiable vieillesse. L’incurie française laissa revendre cette belle collection à sir Ottley, qui la céda ensuite au peintre Thomas Lawrence pour 10.000 livres sterling. À la mort de ce peintre, la même collection, remise en vente, fut acquise par l’Université d’Oxford, qui en a fait un des lots les plus importants de sa galerie artistique. Les quelques spécimens que le musée de Lille — ville natale de Wicar — conserve de son concitoyen, ne sont que des épaves — rari nantes — des cartons que cet habile collectionneur avait pu assembler, au cours de quatre-vingts ans de vie, et auxquels les précédentes acquisitions de Crozat et de Mariette ne furent pas comparables.


I

Michel-Ange à Lorenzo di Pier Francesco Medici[1].
Rome, 2 juillet 1496.

Magnifique Lorenzo, ceci est seulement pour vous aviser que, samedi dernier, nous sommes arrivés à bon port et que, tout de suite, nous sommes allés faire notre visite au cardinal de Saint-Georges [2], à qui j’ai présenté votre lettre. Il a paru me voir avec plaisir, et il a voulu que j’allasse incontinent examiner certaines figures, ce qui m’a pris tout le jour et m’a empêché de porter vos autres lettres. Dimanche, le cardinal est venu dans la nouvelle maison et m’a fait appeler pour m’interroger sur ce que je pensais des figures que j’avais vues. Je lui en dis mon sentiment, et en vérité il me semble que ce sont de très belles figures. Ensuite, le cardinal m’a demandé si je me sentais le courage d’entreprendre quelque chose de beau. Je répondis que je n’avais pas d’aussi grandes prétentions, mais qu’il verrait bien ce que je ferais. Nous avons acheté un bloc de marbre pour une figure de proportions naturelles, et, lundi prochain, je commencerai à travailler. Depuis lundi passé, j’ai remis vos autres lettres à Paolo Rucellai, qui m’a offert l’argent dont j’aurais besoin, et aux Cavalcanti. Ensuite, j’ai donné votre lettre à Baldassare (del Milanese) et je lui ai demandé de me rendre le bambin (le Cupidon), lui disant que je lui rendrais à mon tour son argent (les 30 ducats). Il m’a répondu, avec beaucoup d’aigreur, qu’il briserait plutôt ce marbre en cent morceaux ; qu’il l’avait acheté, qu’il le tenait pour sien et qu’il possédait des papiers prouvant qu’il avait satisfait ceux qui le lui avaient envoyé ; que certainement il n’avait pas à le rendre. Et là-dessus, il s’est beaucoup plaint de vous, disant que vous aviez mal parlé de lui. Je sortis et je priai quelques-uns de nos Florentins de s’interposer pour nous mettre d’accord. Mais ils n’en ont rien fait. Maintenant, je compte agir par la voie du cardinal, ainsi que me le conseille Baldassare Balducci. Je vous tiendrai au courant de ce qui suivra. Rien de plus sur ce sujet. Je me recommande à vous. Que Dieu vous garde [3].

Michel-Agnollo.0000

(Arch. di Stato di Florence.)


II

Allocation à Michel-Ange du groupe de la « Pietà » à Rome.

Rome, 17 août 1498.0000

Qu’il soit connu et manifeste à qui lira le présent écrit comment le Révssime cardinal de Saint-Denis [4] a convenu avec le maître Michel-Ange, statuaire florentin, que ledit maître ait à faire une Pietà de marbre à ses dépens, à savoir une Vierge Marie vêtue, avec le Christ mort dans ses bras, grande au juste de la taille humaine, pour le prix de 450 ducats d’or en or papal, au terme d’un an à dater du commencement de l’œuvre Et ledit Révssime cardinal promet de lui faire le payement de la manière suivante, à savoir : d’abord, il promet de lui donner 150 ducats d’or en or papal, avant que soit commencé l’ouvrage ; et ensuite, l’ouvrage commencé, il promet de lui donner, chaque quatre mois, 100 ducats semblables, en sorte que lesdits 450 ducats d’or en or papal seront finis de payer dans un an, si ladite œuvre est aussi finie ; et si elle est finie avant, sa Seigneurie Révssime sera obligée de payer le tout.

Et moi Jacob Gallo, je promets au Révssime Monseigneur que ledit Michel-Ange fera ladite œuvre dans un an, et que ce sera la plus belle œuvre de marbre qui soit actuellement à Rome, et que nul maître ne la fera mieux aujourd’hui. Et vice versa je promets audit Michel-Ange que le Révssime cardinal fera le payement, selon ce qui est stipulé ci-dessus. En foi de quoi, moi, Jacob Gallo, j’ai fait la présente de ma propre main, l’an, le mois et le jour susdits. Il est entendu que cet écrit casse et annule tout autre écrit de ma main ou de la main dudit Michel-Ange, et que celui-ci a seul valeur.

Le Révssime cardinal m’a donné, à moi Jacob, il y a quelque temps, cent ducats d’or en or de la Chambre (Apostolique) et, à ce jour, cinquante ducats d’or en or papal.

Ita est IOANNES, Cardinalis S. Dyonisij.
Idem IACOBUS GALLUS propria manu.

0000(Arch. Buonarroti.)


II bis

Les Consuls de l’Arte della Lana et les ouvriers de Sainte-Marie-des-Fleurs allouent à Michel-Ange la statue du David.
Flor., 16 août 1501.0000

Les honorables sieurs Consuls de l’Art de la Laine et les sieurs ouvriers réunis en séance (dans la salle) de cette corporation, choisissent le maître Michel-Ange, fils de Ludovic Buonarroti, citoyen florentin, pour faire et compléter et achever à la perfection un certain homme ébauché, appelé le Géant, en marbre mesurant 9 brasses, appartenant à ladite Corporation, autrefois ébauché par le maître Augustin le Grand de Florence, et mal ébauché. Ledit ouvrage sera terminé à peu près en deux ans, à dater des prochaines calendes de septembre, au prix et pour tout payement de 6 florins d’or par mois. Ladite Corporation est tenue de fournir tout ce qui sera nécessaire, tant en charpente qu’en hommes et en toute autre chose nécessaire à cet ouvrage. Lequel ouvrage terminé en ledit homme de marbre, les Consuls et ouvriers élus à cette époque jugeront s’il convient d’en élever le prix et s’en remettront, pour ce, à leur conscience.

Ecrit en marge : Ledit Michel-Ange a commencé à travailler et à sculpter ledit géant, le 13 septembre 1501, etc.

0000(Arch. du Duomo de Florence.)


II ter

Délibération municipale sur le David de Michel-Ange.

(Le 25 janvier 1503, Andréa délia Robbia, Betto Baglioni, etc., 14 présents. — En marge : absents, Baccio d’Agnolo, lainier, Giovanni, fifre, et son frère, etc.)

Lesdits ouvriers, — vu comment la statue du David est quasi finie, — désirant lui assigner un emplacement commode et digne, etc., ont délibéré comme suit, selon le procès-verbal de la séance.

Maître Francesco, Hérault de la Signoria. — J’ai pensé qu’il y a deux endroits susceptibles de recevoir cette statue : le premier, où est la Judith (bronze de Donatello) ; le second, au milieu de la cour du Palais où est le premier David (bronze du Verrocchio). Et ce, parce que la Judith est une manifestation morticole et qu’il ne convient pas, à nous qui avons pour enseigne la croix et le lis, que la femme tue l’homme, et surtout alors que celle-ci a été inaugurée sous une mauvaise étoile (chostellazione), car dans la suite vos affaires ont tourné de mal en pis et vous avez perdu Pise. Quant au David de la cour (du Palais), c’est une statue qui n’est pas parfaite, car sa jambe droite est manquée (sciocha, sotte). C’est pourquoi, je conseillerais qu’on remplaçât par cette statue (nouvelle) une des deux qui occupent ces lieux, et de préférence celle de la Judith.

Francesco Monciatto, menuisier. — Je crois que tout ce qui arrive arrive pour quelque fin. Ces statues furent faites pour être placées sur des pilastres extérieurs, devant l’église (de Sainte-Marie aux Fleurs). Pourquoi ne le fit-on pas ? Je l’ignore, mais il me semble qu’à cette place elles eussent été pour l’honneur de l’Église et des Consuls. Si vous les changez de place, je conseillerais de mettre celle-ci, ou devant le palais, ou autour de l’église.

Cosimo Roselli. — Les sieurs François et François ont bien dit : je crois que sa place est autour du palais…

Sandro Botticelli. — Cosimo a précisé exactement l’endroit où il semble qu’elle serait le mieux vue des promeneurs…

Giuliano da San-Gallo. — J’opine, comme Cosimo, qu’il la faudrait placer sur un côté de l’église, où elle serait bien vue des promeneurs. Mais cette statue, étant un monument public et vu l’imperfection du marbre qui est tendre et cuit pour avoir été exposé aux pluies, il me semble qu’elle ne se conservera pas à cette place. Pour ce motif, j’ai pensé qu’il serait bon de la placer sous l’arcade de la Loggia des Signiori

0000(Carteggio d’Artisti.)


III

Michel-Ange à Julien de San-Gallo [5].
1 mai 1506.0000
J’ai appris par une de vos lettres que le pape a mal vu mon départ et que
12. Michel-Ange. British Museum.
étude pour deux « ignudi » de la chapelle Sixtine

Sa Sainteté est disposée à exécuter nos précédents accords pour que je retourne et qu’elle n’ait plus à douter de mon concours.

Pour ce qui est de mon départ, il est vrai que j’avais entendu dire que, le Samedi Saint, le pape, parlant à table avec un joaillier et le maître des cérémonies, aurait affirmé ne vouloir plus dépenser un sou pour pierre ni petite ni grosse. Ce propos m’étonna fort. Cependant, avant de me décider à la retraite, je demandai un peu de ce dont j’avais besoin pour continuer l’ouvrage. Sa Sainteté me répondit : « Reviens lundi. » Je revins le lundi, et le mardi, et le mercredi, et le jeudi suivants, comme il put le savoir. À la fin, le vendredi matin, je fus congédié, je veux dire chassé. Et même celui qui me renvoya dit qu’il me connaissait bien, mais que tel était son mandat. C’est pourquoi, ayant entendu répéter ces paroles le samedi et en voyant l’effet, je tombai dans un grand désespoir. Mais ce ne fut pas la seule et unique raison de mon départ. Cette autre raison, je ne veux pas l’écrire : il m’avait suffi de savoir que, si je restais à Rome, le premier tombeau à faire eût été, non celui du pape, mais le mien ; et ce fut là le vrai motif de mon départ subit.

À présent, vous m’écrivez de la part du pape. Je vous prie donc de lire au pape ma réponse. Il faut que Sa Sainteté entende bien que je suis, plus que jamais, disposé à continuer l’œuvre. Si le pape veut que je fasse ce tombeau, qu’il ne s’inquiète pas du lieu où j’y travaillerai ; il suffit que nous soyons d’accord sur ce point que, dans cinq ans, ce tombeau sera muré dans Saint-Pierre à la place qui aura plu, et que ce sera une belle chose, comme je l’ai promis. Si cette œuvre se fait, je suis certain qu’il n’y en aura pas une semblable dans le monde entier.

Et maintenant, si Sa Sainteté veut donner suite à l’affaire, qu’elle en dépose les fonds ici, à Florence, à l’adresse que je donnerai. J’ai beaucoup de marbres commandés à Carrare ; je les ferai venir ici, et aussi ceux que j’ai encore à Rome. Encore qu’à mon détriment, je n’aurai d’autre souci que de faire cette œuvre. J’en enverrai les parties faites, l’une après l’autre, en sorte que Sa Sainteté prendra plaisir à les voir, comme si je travaillais à Rome même, et mieux parce qu’Elle verra les morceaux tout faits, sans avoir l’ennui de les voir faire. Pour ce qui est des fonds et de l’ouvrage, je m’obligerai au gré de Sa Sainteté et je lui donnerai ici, à Florence, toutes les garanties qu’Elle demandera… (effacé). Il suffit que Florence entière ; mais assez. Je veux aussi ajouter qu’il n’est pas possible de faire un tel monument et pour un tel prix, à Rome ; tandis qu’ici je profiterai de bien des commodités que je n’aurais pas là-bas ; et je travaillerai, en outre, d’un esprit plus tranquille et de meilleur cœur, parce que je n’aurai pas à penser à tant de choses.

C’est pourquoi, mon très cher Julien, je vous prie de me faire réponse et bientôt. C’est tout.

(Arch. Buonarroti.)0000


IV

Pietro Roselli à Michel-Ange.
Rome, 10 mai 1506. 0000

0000Mon très cher et presque mon frère,

Après t’avoir salué et m’être recommandé à toi, je t’avise que, samedi soir, au dîner du pape, je présentai certains dessins que nous eûmes à faire accepter, Bramante et moi. Quand le pape eut dîné et que je lui eus montré mes dessins, il fit appeler Bramante et lui dit : « Sangallo va demain à Florence, et il en ramènera ici Michel-Ange. » Bramante répondit au pape en disant : « Saint-Père, Michel-Ange n’en fera rien, car je l’ai beaucoup pratiqué et il m’a dit, à maintes reprises, qu’il ne voulait pas s’occuper de la chapelle dont vous vouliez lui donner la commande, et que vous ne vouliez vous-même le charger que du tombeau, et non de la peinture. » Et il ajouta : « Saint-Père, je crois qu’il ne s’en chargerait pas, parce qu’il n’a pas fait trop de figures, et surtout parce que ces figures seraient à peindre à la voûte et en raccourci, ce qui est tout autre chose que de les peindre à terre. » Alors le pape répondit en disant : « Si Michel-Ange ne revient pas, il me fera tort. Je crois, à toute fin, qu’il reviendra. » Alors je me découvris et je dis une bien grande vilenie en présence du pape. Je dis ce que je crois que vous auriez dit vous-même, à mon endroit. Ce fut si fort que Bramante ne sut que répondre et qu’il laissa croire qu’il s’était mal exprimé. Je dis en outre : « Saint-Père, il n’a jamais parlé à Michel-Ange, et sur ce qu’il vient de vous dire, s’il est vrai qu’il lui en a jamais ouvert la bouche, je veux que vous me fassiez trancher la tête. Je crois que Michel-Ange reviendra, quand Votre Sainteté le voudra. » Ainsi finit l’entretien. Rien autre à vous dire. Dieu vous garde de tout mal. Quoi que je puisse faire pour vous, avisezmoi, je le ferai volontiers. Rappelez-moi au souvenir de Simone Bollaiuolo.

(Arch. Buonarroti.)0000



V

Andréa Sansovino[6] à Michel-Ange.
30 juin 1517.0000

… Le pape, le cardinal et Jacob Salviati sont hommes dont la parole vaut un papier et un contrat ; il sont de bonne foi, et non comme vous dites. Mais vous les mesurez à votre aune. Pour vous, ne valent ni acte ni serment. Vous dites, à la fois, oui et non, selon que vous en retirez profit et utilité. Vous savez bien que le pape m’a promis les histoires (à sculpter sur la façade de San-Lorenzo), et que Jacob (Salviati) me les a promises aussi, et qu’ils sont hommes à maintenir leur parole. J’ai fait pour vous tout ce que j’ai pu qui vous soit utile et honorable, et je n’avais pas encore pris garde que vous ne faites jamais de bien à personne. Commencer par moi, serait vouloir que l’eau ne mouille pas. Enfin, vous savez que nous nous sommes trouvés ensemble dans bien des conversations, et je puis dire que maudit soit le jour où vous avez, en général, bien parlé de quelqu’un.

0000(Arch. Buonarroti.)



VI

Michel-Ange au capitaine de Cortone.
Florence, mai 1518.0000

0000Monsieur le Capitaine.

Comme j’étais à Rome, la première année (du pontificat) du pape Léon (X), maître Luca, peintre de Cortone [7], y vint aussi et, me rencontrant un jour, dans le quartier de Monte Giordano, il me dit qu’il venait d’arriver pour parler au pape et obtenir je ne sais plus quelle chose. Il ajouta qu’il en était venu jusqu’à risquer de se faire couper la gorge par amour pour la Maison des Médicis et qu’il lui paraissait qu’aujourd’hui elle ne semblait pas le reconnaître. Il ajouta d’autres choses semblables dont je ne me souviens plus, et, après ces raisonnements, il me demanda quarante jules en m’indiquant où j’aurais à les lui envoyer, c’est-à-dire à la boutique d’un certain cordonnier où je crois qu’il s’en retournait. Comme je n’avais pas cet argent sur moi, je m’étais offert de le lui envoyer, et ainsi je fis. Sitôt rentré chez moi, je lui mandai ces quarante jules par un de mes garçons d’atelier qui a nom Sylvio, — je crois même qu’il est encore aujourd’hui à Rome. Dans la suite, le projet de maître Luca ne lui ayant peut-être pas réussi, il vint, quelques jours après, dans ma maison du Macello dei Corvi, — maison que j’occupe encore aujourd’hui, — et il me trouva en train de travailler à une statue de marbre en pied, haute de quatre brasses, qui a les mains levées [8], et il se plaignit et me redemanda autres quarante jules, ajoutant qu’il voulait quitter Rome. Je montai à ma chambre et je lui rapportai quarante jules, en présence d’une fille de Bologne qui était à mon atelier, et même je crois du garçon qui y était encore et qui avait apporté les premiers jules. Luca prit cet argent et s’en alla à la grâce de Dieu. Je ne l’ai plus revu ; mais je me rappelle qu’étant moi-même alors mal portant, je m’étais plaint de ne pouvoir travailler avant que maître Lucas ne quittât ma maison. Il me répondit : « Ne doute pas que les anges viendront du ciel pour te tenir les bras et t’aider à ton œuvre ! » Je vous écris ces choses pour que, si elles sont répétées au maître Luca, il s’en ressouvienne et qu’il ne dise pas qu’il m’a rendu cet argent, comme Votre Seigneurie l’écrit à Buonarroto… (la lettre est ici déchirée)… au cas où vous croiriez qu’il me les ait rendus. Cela n’est pas vrai, car je serais un véritable bandit, si je cherchais à avoir une deuxième fois ce que j’ai eu une première. Votre Seigneurie en pensera ce qu’elle voudra : j’ai à les recevoir encore, et je le jure ainsi, et si Votre Seigneurie veut me faire rendre raison, elle le peut…

0000(Arch. Buonarroti.)



VII

Gabriello Pachagli à Michel-Ange.
Paris, 30 janvier 1519.0000

… Je suis certain que vous vous étonnerez que je vous écrive pour la première fois. La raison en est double. La première, etc. L’autre motif est le suivant. M’étant trouvé dans une conversation du Roi Très Chrétien avec le cardinal, j’ai pensé de vous en écrire particulièrement. Étant donc dans la chambre du roi avec le cardinal, j’ouïs, entre autres arguments soutenus, qu’ils se mirent à parler de vous. Le roi s’exprima à votre sujet avec tant de gracieuseté et de sympathie, que la chose m’en parut presque incroyable. Il montra qu’il était très connaisseur de votre maîtrise, et il en vint à dire que rien ne lui était plus désirable que d’avoir quelque petite chose de vous. Il pria le légat de vous écrire avec instance et de ne pas lui faire défaut en cette affaire. Quant à moi, je n’ai aucun conseil à vous donner, parce que je sais que vous êtes sage et prudent et que vous saurez prendre le meilleur parti. J’ai cependant à vous dire que le pape a envoyé, de la main de Raphaël, un tableau représentant Notre-Dame et cinq autres figures, et un autre où l’on voit saint Michel en grand ; de plus, il a envoyé un beau portrait de la femme du vice-roi de Naples. En outre, de Mantoue est venu un autre tableau dont je ne me rappelle pas le nom du peintre. Le roi s’en réjouit grandement et a ainsi beaucoup de choses. Je suis allé voir le tombeau du dernier roi, qui se fait à Tours ; il y a beaucoup de figures. Rien de plus à vous dire. Je continue à me recommander à vous et à vous offrir mes services. Si je puis faire ici quelque chose pour vous, j’y suis tout prêt. Bene valete.

Votre serviteur,

Gabriello Pachagli.0000

0000(Arch. Buonarroti.)



VIII

Sebastiano del Piombo à Michel-Ange [9]
Rome, 12 avril 1520. 0000

0000Mon très cher Confrère, après mes salutations, etc.

Je pense que vous avez appris la mort de ce pauvre Raphaël d’Urbin et que vous en avez eu un grand déplaisir. Que Dieu lui pardonne !…

Maintenant je vous donne brièvement avis que l’on va peindre la Salle des Pontifes. Les élèves de Raphaël font, à ce sujet, beaucoup de bravades et veulent la peindre à l’huile. Je vous prie de vouloir bien vous souvenir de moi et me recommander à Monseigneur Révérendissime ; et si je suis bon pour une semblable entreprise, veuillez me mettre à l’œuvre ; car je ne vous ferai pas honte, non plus que je ne l’ai fait, je crois, jusqu’à présent. Je vous donne avis qu’aujourd’hui, j’ai porté de nouveau mon tableau au palais, près de celui de Raphaël, et il ne m’a pas fait honte. Surtout prenez garde qu’un des élèves de Raphaël d’Urbin va à Florence pour obtenir de Monseigneur Révérendissime tous les travaux du palais. Je vous en prie, faites que j’aie au moins un de ces travaux ; j’ai écrit à Monseigneur Révérendissime et me suis offert pour ce que je vaux et je puis. Je ne vous dirai pas autre chose. Jésus-Christ vous conserve en santé.

Votre compère Sébastien, peintre vénitien.

0000(Archives du Duomo de Florence.)



IX

Le même à Michel-Ange.
Rome, 3 juillet 1520. 0000

0000Mon très cher Compère, après mes salutations.

Il y a bien des jours que j’ai reçu de vous une lettre, à moi très agréable, avec une, adressée au cardinal de Sainte-Marie-in-Portico, et une à Frizi ; toutes sont bien arrivées. J’ai porté la sienne au cardinal, qui m’a fait beaucoup de gracieusetés et d’offres ; mais, pour ce que je demandais, il m’a dit que le pape avait donné la Salle des Pontifes aux élèves de Raphaël et que ceux-ci avaient peint à l’huile sur le mur, comme essai, une figure qui était une belle chose, de sorte que personne ne regarderait plus les chambres peintes par Raphaël ; que cette salle produirait une stupéfaction générale et qu’il n’y aurait pas une plus belle œuvre de peinture depuis les anciens jusqu’à nous. Il m’a demandé ensuite si j’avais lu votre lettre. Je lui ai dit que non. Il en a ri beaucoup, comme s’il s’en moquait, et, avec de bonnes paroles, je partis. Depuis, j’ai appris de Baccio de Michelagnolo [10], qui fait le Laocoon, que le cardinal lui a montré votre lettre et l’a montrée au pape, qu’il n’y a pour ainsi dire pas d’autre sujet de conversation que votre lettre dans le palais et qu’elle fait rire chacun. Baccio m’a dit, comme un grand secret, que la figure de ces élèves de Raphaël ne plaît pas au pape, et pourtant Jean-Baptiste de l’Aquila, le Dataire et aussi le cardinal de Sainte-Marie-in-Portico avec messire Giovanni Matteo voudraient qu’elle lui plut, mais en réalité elle ne lui plaît pas. À dire vrai, cette salle n’est pas un travail de jeunes gens, elle ne convient qu’à vous. Ne vous étonnez pas que je ne vous aie pas écrit plus tôt ; j’attendais que le compère Leonardo fût arrivé à Florence et qu’il eût causé avec vous de ce dont il a causé avec moi. C’est, en effet, l’œuvre la plus importante et la plus belle et la plus à propos que l’on puisse imaginer, et l’on y gagnerait beaucoup d’honneur et d’argent, si vous vouliez vous en charger. Je crois qu’on y veut mettre toutes les histoires de batailles, et ce ne sont pas là des travaux de jeunes gens. Vous savez bien, vous, quelle est leur importance. Il ne faut pas que vous ayez désormais le moindre soupçon à mon égard ; vous m’aurez toujours à vous, bouilli ou rôti. À ce sujet, je ne vous dirai pas autre chose, vous êtes le maître de tout.

Quant au désespoir, grâce à votre affectueuse lettre, — car en vérité un père ne pouvait écrire mieux à son fils, — et après ce que m’a dit notre compère Leonardo, je m’étais calmé et je vivais en paix, travaillant volontiers et avec amour. Maintenant, il m’est survenu un chagrin tel que je ne puis vivre : il est bien pis que le premier. Mon compère, je vous en prie par l’amitié qui nous unit et par l’amour de Jésus-Christ, veuillez savoir de messires Domenico Boninsegni et Benedetto Strozzi, son beau-frère, d’où vient qu’ils ne veulent pas finir de me payer. Vous savez avec quelle honnêteté je me suis comporté, par amitié pour vous et aussi par affection pour Monseigneur Révérendissime ; car je leur ai donné au moins deux cents ducats du mien et j’ai consenti à être payé comme ils ont voulu, le compère Leonardo vous le dira. À présent il me reste dû soixantre-trois ducats, et j’ai reçu un tiers. Ils m’ont dit que messire Benedetto Strozzi leur a écrit de ne pas me payer. Je voudrais bien en apprendre seulement la raison, et, pour vous le dire à vous, j’ai été sur le point de prendre querelle avec un des fils de Bernardo Bini, parce que je sais qu’ils ont la cédule de Benedetto Strozzi, l’ordre de me payer, et ils disent qu’ils ne la trouvent pas. Cela m’a fait penser qu’il y avait là de la méchanceté. Je me rappelle encore avoir vu une lettre de Messire Domenico portant que Benedetto me devait payer jusqu’à la somme de huit cents ducats d’or, seulement pour mon travail du tableau, sans l’ornement. Je ne sais d’où vient cela. Je suis certain que si je voulais cet argent pour le jouer ou pour le donner à quelque p…., je l’aurais eu mille fois ; mais, pour marier ma sœur, le diable ne l’a pas voulu. Ces soixante-trois ducats sont capables de me faire casser le cou, parce que je ne puis souffrir qu’on me fasse une pareille tromperie. Si du moins ils me disaient pourquoi. Mais dire : « Je ne veux pas te payer ! » Il me semble que je suis assassiné. Je vous en prie, ne vous y refusez pas ; après tant de peines que vous avez prises pour moi, veuillez en faire conscience à messire Domenico ou à Benedetto, et les prier de me faire donner ce qui m’appartient, parce que Dieu sait si je le mérite oui ou non. Je crois que si vous leur dites un mot, vous, ils auront honte de ne pas me payer. Daignez, je vous prie, m’envoyer une ligne si vous croyez que je doive en écrire au cardinal. — Je ne vous dirai pas autre chose. Jésus-Christ vous conserve en santé.

Votre très fidèle compère Sébastien, peintre à Rome.

0000(Arch. Buonarroti.)



X

Michel-Ange au cardinal Bernardo Dovizi da Bibbiena [11].
Florence, juin 1520.0000

0000MONSEIGNEUR,

Je prie Votre Seigneurie Révérendissime, non comme ami ou serviteur, (car je ne mérite d’être ni l’un ni l’autre), mais comme un homme vil, pauvre et fou, afin que vous fassiez en sorte que Bastiano (Sébastien del Piomboï, peintre de Venise, ait quelque part aux travaux du Palais, puisque Raphaël est mort. Et quand il semblerait à Votre Seigneurie, comme je l’estime aussi, que ce service pourrait devenir inutile, je pense tout de même qu’à servir les fous on peut trouver par hasard quelque plaisir. Ainsi fait usage de la ciboule celui qui, fatigué du chapon, veut varier sa salade. Des hommes de valeur, il n’en manque pas aujourd’hui à employer. Je prie Votre Seigneurie de me donner cette preuve. Ce sera nous rendre un très grand service ; car Bastiano est homme de valeur. Si l’on s’est trompé sur mon compte, il n’en sera pas de même de Bastien, qui, j’en ai la certitude, fera honneur à Votre Seigneurie.

0000(Arch. Buonarroti.)



XI

Sebastiano del Piombo à Michel-Ange.
(Suite de la lettre du 3 juillet 1520.)


… Je portai votre lettre au cardinal, qui me fît beaucoup d’amabilités et de promesses. Mais, sur ce que je demandais, il me dit que le pape avait donné la Salle des Pontifes aux élèves de Raphaël et que ceux-ci avaient peint à l’huile sur le mur une figure qui était une belle chose, de telle sorte que personne ne regarderait plus les Chambres que Raphaël a faites, que cette salle stupéfierait les visiteurs et que ce serait la plus belle œuvre de peinture faite depuis les temps antiques jusqu’aux nôtres. Ensuite, il me demanda si j’avais lu votre lettre. Je lui répondis que non. Il se mit à en rire fort, comme si j’avais dit une plaisanterie ; et, sur de bonnes paroles, il me congédia. Depuis, j’ai appris par Bacino de Michelagnolo (Bandinelli), qui fait le Laocoon [12] que le cardinal lui a montré votre lettre et l’a montrée aussi au pape, et qu’il n’est au Palais d’autre sujet de conversation que cette lettre qui fait rire tout le monde.

0000(Arch. Buonarroti.)



XII

Michel-Ange à Jean Francesco, prêtre de Sainte-Marie des Fleurs,
à Florence. (De passage à Rome.)
Florence, octobre 1520.0000

… J’ai la tête vide, au sujet de cette statue dont les membres pourraient être utilisés, si j’en crois un maraîcher installé sur la Place, un grand ami à moi, qui m’a dit en secret qu’on y ferait un beau pigeonnier. Une autre fantaisie me poursuit, qui serait bien meilleure ; mais il faudrait faire cette statue très grande, — et on le pourrait puisqu’on fait une tour par morceaux. La tête de cette statue servirait de campanile à San-Lorenzo, qui en a grand besoin. Les cloches, placées dans la tête, feraient sortir leurs sons par la bouche, et il semblerait que ce colosse crierait miséricorde, surtout aux jours de fêtes, quand on sonne plus souvent et à plus grandes volées.

0000(Arch. Buonarroti.)


13. Michel-Ange. Musée des offices.
étude pour un « ignudo » de la chapelle Sixtine

XIII

Bartolomeo Angelini [13] à Michel-Ange Buonarroti, sculpteur, à Florence.
Rome, 3 juin 1523.0000

0000Mon bien cher Michel-Ange,

Si je ne vous ai pas écrit depuis longtemps, c’est l’occasion qui m’en a manqué, encore que je vous aie toujours dans mon cœur, et vous y resterez tant que je vivrai. Mais, me trouvant ces jours derniers avec le cardinal Grimano, nous en vînmes à parler de vous. Il me pria alors de vous écrire pour savoir si vous étiez toujours disposé à lui faire un petit tableau pour son cabinet d’études, selon la demande qu’il vous en avait déjà faite. Il dit que vous le lui avez promis, et il s’en remet à vous pour la matière et pour la fantaisie, soit peinture, soit sculpture, ce qui vous sera le plus commode à faire. Pour le prix, il s’en remet aussi à vous ; ce que vous lui demanderez il vous le donnera, et en outre il restera votre très obligé. Cependant, mon cher Michel-Ange, désireux que je suis d’être utile et agréable à vous et au cardinal aussi, pour tant que cela vous sera commode, laissez-moi la charge du payement. Je vous ferai réglera Florence ce que vous demanderez. Assurément, il a autant le désir d’une œuvre de vous, que de sa propre santé. Votre réponse étant facile à faire, j’aurai un singulier plaisir à la recevoir. Rappelez-vous que je suis toujours à votre service et que je ne désire rien tant que de vous satisfaire en ce que vous demanderez. Que Dieu vous conserve en bonne santé.

0000(Arch. Buonarroti.)



XIV

Michel-Ange à Bartolomeo Angelini, à Rome.
Florence, juillet 1523.0000

… Je suis vieux et mal dispos. Si je travaille un jour, il faut que je me repose quatre. C’est pourquoi, je ne me fie guère à promettre tant de choses que je ne saurais tenir. Je m’ingénierai cependant à vous servir à toute force, et à vous montrer que je reconnais la sympathie que vous avez pour moi.

0000(Arch. Buonarroti.)



XV

À Giovanni Fattucci, à Rome.
Florence, 1523.0000

Voici deux ans environ que je suis revenu de Carrare, où j’étais allé extraire les marbres pour les tombeaux du cardinal (Médicis). Quand j’allai lui en parler, il me dit de prendre la bonne résolution de faire vite ces tombeaux (des Médicis). Je lui envoyai par écrit tous les moyens de les faire, — et vous le savez, vous qui les lui avez lus, — c’est-à-dire que je les entreprendrais, à forfait, et au mois ou à la journée, comme il plairait à Sa Seigneurie, car je désirais les faire. Aucun de ces projets ne fut accepté. On répondit que je n’avais pas en tête de servir le cardinal. Plus tard, le cardinal revenant là-dessus, je lui offris de faire les modèles en bois, à la grandeur égale des tombeaux projetés, et d’y comprendre toutes les figures en terre et bourre, de la grandeur voulue et finies, comme elles le seraient (en marbre), et j’exposai que ce serait là sujet de peu de dépense : ce fut quand nous voulûmes acheter le jardin des Caccini. On n’en fit rien, comme vous le savez. Quand le cardinal s’en fut en Lombardie, dès que je le sus, j’allai le trouver parce que je désirais me mettre à son service. Il me dit de chercher les marbres, de réunir les hommes et de faire tout ce que je pourrais pour qu’il trouvât quelque chose de fait, sans que j’eusse à lui en demander davantage ; et il ajouta que, s’il vivait, il ferait encore la façade (du Dôme de Florence) et qu’il laisserait à Dominique Boninsegni la commission de verser tout l’argent nécessaire. Le cardinal parti, j’écrivis tout ce qu’il m’avait dit à Dominique Boninsegni, en ajoutant que j’étais prêt à faire tout ce que désirait le cardinal ; et de ceci je gardai la copie et j’écrivis devant témoins, afin que chacun sût que je n’avais pas d’autres engagements à prendre. Dominique vint aussitôt me trouver et me dit qu’il n’avait reçu aucune commission et que, si je ne voulais rien, il l’écrirait au cardinal. Je lui dis que je ne voulais rien. Finalement, au retour du cardinal, Giovanni me dit que Médicis lui avait demandé de mes nouvelles. J’allai aussitôt le voir, estimant qu’il voulait parler des tombeaux. Le cardinal me dit : « Nous voudrions que ces tombeaux présentassent quelque chose de bon, c’est-à-dire quelque chose de ta main. » Mais il n’ajouta point qu’il voulait que je les fasse. Je partis donc en disant que je reviendrais lui parler, lorsque les marbres seraient là.

À présent vous savez comment, à Rome, le pape a été informé du tombeau du pape Jules et comment, par un motu proprio, il a été procédé contre moi pour me demander ce que j’avais fait de cette œuvre et quels deniers j’en avais reçus. Vous savez que le pape ajouta : « Que Michel-Ange fasse les tombeaux (des Médicis), s’il ne veut pas faire celui-ci (de Jules II). » Il faut donc que je m’y engage, comme vous voyez que j’en reçois l’ordre, si je ne veux pas m’exposer à mal. Et si le cardinal de Médicis veut, à présent de nouveau, comme vous me le dites, que je fasse les tombeaux de San-Lorenzo, vous voyez bien que je ne le puis à Florence, s’il ne me libère pas 0000de cette affaire à Rome. S’il m’en libère, je lui promets de travailler pour lui sans récompense aucune, tout le temps qui me restera à vivre. Non que je demande d’être libéré du tombeau de Jules, — car je le ferai volontiers, — mais il faut d’abord servir Médicis. Si enfin celui-ci ne veut pas me libérer et s’il désire quelque chose de ma main aux tombeaux (de Florence), je m’ingénierai à trouver le temps de faire quelque chose qui lui plaise, pendant que je travaillerai à la sépulture de Jules.

0000(Musée Britann.)


XVI

À Dominique, dit Topolino, extracteur à Carrare.
Florence, 25 nov. 1523.0000

0000Mon bien cher maître Dominique,

Le porteur de ce mot sera Bernardino de Pier Basso, qui vient chez vous pour certain bloc de marbre dont j’ai besoin. Je vous prie de l’adresser où il sera servi bien et vite. Je vous le recommande autant que je le sais, et puis je n’ai rien à ajouter à ce sujet. Vous aurez appris comment Médicis été élu pape [14]. Il me semble que cette nouvelle aura réjoui tout le monde, a car j’estime qu’ici, en art, on fera beaucoup de choses. C’est pourquoi, servez-nous bien fidèlement pour qu’il y ait honneur à tous.

0000(Arch. Buonarroti.)


XVII

Au Pape Clément VII, à Rome.
Florence, 1524.0000

0000Très Saint-Père,

Les intermédiaires donnant souvent raison à de grands scandales, j’ai pris la hardiesse d’écrire directement à Votre Sainteté au sujet des tombeaux de Saint-Laurent. Je dis que je ne sais ce qu’il y a de meilleur, ou le mal qui profite, ou le bien qui nuit. Fou et méchant comme je le suis, je suis certain que, si l’on m’avait suivi comme l’on a commencé, tous les marbres nécessaires à l’œuvre seraient, aujourd’hui, à Florence et ébauchés selon le modèle, avec beaucoup moins de dépenses qu’on en a faites jusqu’à cette heure. Et ce ne serait pas la chose la plus remarquable de celles que je me suis chargé de conduire.

À présent, je vois que cette affaire traîne, et je ne sais comment elle se comporte. C’est pourquoi, je m’excuse auprès de Votre Sainteté afin que, si l’entreprise ne répond pas à ses désirs, comme je n’y ai pas mis d’autorité, il me paraît qu’on n’y mettra pas de ma faute. Si, au lieu de ne me laisser aucune initiative dans la direction de mon art et des hommes que j’y emploie, on me permet d’obliger le serment et on me donne toute libre commission, on verra ce que je ferai et le résultat que j’obtiendrai, à ce prix. Stefano (di Tommaso) a fini de placer, sur le faite de la chapelle de Saint-Laurent, la lanterne aujourd’hui découverte. Elle plaît généralement à tout le monde ; et il en sera de même, j’espère, pour Votre Sainteté quand elle la verra. On fait faire la boule qui la surmontera d’environ une brasse. Pour la distinguer des autres, j’ai pensé de la faire faire à facettes ; et ainsi la fait-on.

0000(Arch. Buonarroti.)



XVIII

Au major Giovanni Spina, à Florence.
Florence, 1524.0000

0000Mon cher Giovanni,

La plume étant toujours plus animée que la langue, je vous écris ce que plusieurs fois, ces jours derniers, je ne me suis pas enhardi de vous dire verbalement. Le voici :

Étant donnés les temps présents, contraires à mon art, je ne sais si j’ai à espérer d’autres provisions. Si j’étais certain de n’en plus avoir, je n’en continuerais pas moins à travailler de tout mon pouvoir pour le pape ; mais, je ne tiendrais pas maison ouverte, par égard pour les frais que vous savez que je subis, lorsque je pourrais m’en tirer avec moins de dépenses ; et je vous enlèverais aussi l’ennui de la location. Tant que la provision suivra, je resterai ici comme précédemment, et je m’évertuerai à faire mon devoir. Mais je vous prie de me dire ce que vous entendez faire, afin que je pense à arranger mes affaires en conséquence.

0000(Arch. Buonarroti.)



XIX

À ser Giovan Francesco Fattucci, à Rome.
Florence, janvier 1524.0000

… Quant à mes affaires, puisque vous êtes mon intendant selon la volonté du pape, je vous prie de me bien traiter, comme vous l’avez toujours fait. Car vous savez que, pour tant de bienfaits reçus de vous, je vous suis plus débiteur que ne le sont, comme on dit à Florence, les crucifiés de Sainte-Marie des Fleurs envers le cordonnier Noca.

0000(Arch. Buonarroti.)


14. Michel-Ange. British Museum.
étude pour un « l'aurore » du tombeau de laurent de médicis
(Chapelle des Médicis à San Lorenzo, Florence.)


XX

À ser Giovan Francesco Fattucci, à Rome.
Florence, janvier 1524.0000

0000Messer Giovan Francesco,

Vous me demandez dans une de vos lettres où en sont mes affaires avec le pape Jules. Je vous répondrai que, si je pouvais demander des dommages et intérêts, j’aimerais mieux avoir à retenir qu’avoir à donner. Quand il (Jules II) m’envoya chercher à Florence, — c’était, je crois, la seconde année de son pontificat, — je m’étais employé à faire la moitié de la salle du Conseil de Florence, je veux dire à la peindre, pour le prix de 3.000 ducats. Le carton en était déjà fait [15], — comme tout Florence le sait, — et il me semblait avoir ainsi gagné mon salaire. Des douze apôtres que j’avais encore à faire pour Sainte-Marie des Fleurs, un seul était ébauché, comme on le voit encore ; et déjà j’avais amené (de Carrare) la plus grande partie des marbres (pour le tombeau du pape). Quand le pape Jules m’eut enlevé à ce travail, je n’eus plus rien ni de ce projet ni de l’autre. Dans la suite, étant à Rome avec le même pape Jules qui m’avait commandé son tombeau où devaient entrer mille ducats de marbre, il me les fit payer en m’envoyant à Carrare pour en extraire d’autres. Je restai là, huit mois, à faire des ébauches, et j’amenai la plus grande partie des marbres sur la place de Saint-Pierre. L’autre partie resta à Ripa [16]. Quand j’eus fini de payer les bateliers porteurs des marbres, de l’argent reçu pour cet ouvrage. Je fournis, de ma poche, la maison que j’avais sur la place de Saint-Pierre, je l’approvisionnai de lits et autres ustensiles et, confiant dans l’espoir de ce tombeau, je fis venir des marbriers de Florence pour travailler avec moi (il en est qui vivent encore), et je leur fis leurs payes avec mon argent. — En ce temps-là, le pape Jules changea d’avis et ne voulut plus de son tombeau. Ignorant sa pensée, comme j’étais allé lui demander des fonds, je fus chassé de l’appartement. Pour cette insulte je quittai Rome sur-le-champ. Mal en prit au bien que j’avais chez moi, et les marbres que j’avais amenés restèrent sur la place de Saint-Pierre jusqu’à la création du pape (Léon X), en sorte que, d’une part comme de l’autre, la chose alla très mal. Entre autres preuves que je peux avancer, Agostino Ghigi fit enlever de Ripa deux blocs de quatre brasses et demie chacun, qui m’avaient coûté plus de cinquante ducats d’or ; et cette substitution pourrait m’être remboursée, puisqu’il y a des témoins. Mais pour en revenir aux marbres, il se passa plus d’un an entre le temps où j’allai les chercher à Carrare et celui où je fus chassé du palais ; de ce temps-là je n’eus jamais nul dédommagement, et il m’en coûta maintes dizaines de ducats.

De plus, la première fois que le pape Jules alla à Bologne, je fus forcé de m’y rendre avec la corde au cou, pour lui demander pardon. Alors il me donna à faire sa statue de bronze, haute d’environ 7 brasses. Quand il me demanda l’argent qu’il y faudrait, je lui répondis que je croyais pouvoir la fondre avec mille ducats, mais que ce n’était point là mon métier et que je ne voulais en prendre aucune obligation. Il me répondit : « Va, travaille et coule-la, jusqu’à ce qu’elle vienne à point, et je te donnerai tant que tu seras content. » Pour abréger, je vous dirai qu’on la coula deux fois et que, au bout de deux ans que j’avais passés là, je me trouvais avoir reçu quatre ducats et demi. De ce temps-là je n’eus pas autre paye, et, pour toutes les dépenses que j’y fis et les deux ans que j’y passai, on ne me compta que les mille ducats dont j’avais estimé la fusion. Cette somme me fut payée, en plusieurs fois, par Messer Antonio-Maria de Legnia(ma), de Bologne.

Quand j’eus placé la statue sur la façade de San-Petronio et que je fus de retour à Rome, le pape Jules ne voulut encore pas que je fisse sa sépulture, et il m’employa à peindre la voûte de Sixte. Nous fîmes contrat pour trois mille ducats. Les premiers dessins de ce travail furent les douze apôtres à figurer dans les lunettes, le reste de l’espace devant être rempli d’ornements comme on en use. Quand j’eus commencé ce travail, il me sembla que je faisais là pauvre chose, et je dis au pape comment, en faisant les Apôtres ainsi seuls, il me paraissait que je faisais pauvre chose. Il me demanda pourquoi. Je lui répondis : « Parce qu’ils furent pauvres, eux aussi ! » Alors il me donna nouvelle commission de faire ce que je voudrais et qui me satisferait, et de peindre aussi les sujets figurant dessous. En ce temps-là, la voûte étant à peu près finie, le pape retourna à Bologne. J’y allai aussi deux fois, pour l’argent que j’avais à en recevoir. Je ne fis donc rien et je perdis tout ce temps, jusqu’au retour à Rome. Revenu à Rome, je me mis à faire les cartons pour cette œuvre, — c’est-à-dire pour les têtes et pour les faces entourant la chapelle de Sixte, espérant toujours avoir de l’argent et finir le travail. Je ne pus jamais rien obtenir. Comme un jour, en compagnie de Messer Bernardo da Bibbiena et d’Attalente, je me plaignais de ne pouvoir rester à Rome, et que je n’avais plus qu’à aller chez… le bon Dieu, Messer Bernardo dit à Attalente qu’il lui rappelât cette affaire, car il voulait à toute force me faire donner de l’argent. Il me fit verser 2.000 ducats de la Chambre apostolique ; ce sont ceux qui, ajoutés au premier mille dont je payai les marbres, me mettent en compte pour le tombeau (du pape Jules), et j’estimais en mériter beaucoup plus, pour le temps perdu et pour l’ouvrage fait. Et même sur cesdits deniers, comme Messer Bernardo et Attalente avaient réussi à me les faire payer, je donnai à l’un 100 ducats et à l’autre 50.

Ensuite survint la mort du pape Jules. Au commencement du règne du pape Léon, (le cardinal) d’Agen [17] voulant agrandir le tombeau, c’est-à-dire faire œuvre plus importante que le dessin que j’avais d’abord présenté, on fit un contrat nouveau [18]. Et comme je m’opposais à ce qu’on mit au compte du tombeau les 3.000 ducats que j’avais reçus, et que je prouvais que j’avais à en recevoir bien davantage, Agen me dit que j’étais un bandit (churmadore, galérien).

0000(Arch. Buonarroti.)



XXI

À Sebastiano del Piombo.
Mai 1525.0000

0000Mon très cher Sebastiano,

Hier soir, notre ami le capitaine Cuio et quelques autres gentilshommes voulurent me faire la courtoisie de me recevoir à dîner avec eux. J’y éprouvai un très grand plaisir, parce que cela me sortait un peu de ma mélancolie, — je veux dire de ma folie. Et je n’eus pas plaisir seulement du repas qui fut des plus agréables, mais j’en eus plus encore des propos qui s’y tinrent. Ces propos augmentèrent surtout ma joie, quand j’entendis le capitaine Cuio citer votre nom. Et il ne s’en tint pas là, car ensuite je me réjouis bien plus encore pour l’art, quand j’entendis dire par le capitaine que vous n’avez pas votre pareil au monde et que vous êtes ainsi réputé dans Rome. Si j’avais pu prendre à ce repas plus de plaisir encore, c’est à ces propos que je l’aurais dû. Ainsi donc mon jugement personnel n’est pas faux ; et je vous prie de croire que je dis vrai quand je vous écris que vous êtes sans pareil. Trop de témoignages l’affirment, et, grâce à Dieu, voici devant moi un tableau [19] qui en fait foi pour quiconque voit clair.

0000(Arch. Buonarroti)



XXII

À messer Giovan Francesco Fattucci, à Rome.
Florence, 24 octobre 1525.0000

Je réponds à votre dernière. Les quatre statues projetées ne sont pas encore finies, et il y a beaucoup à faire (pour les tombeaux des Médicis à la chapelle de Saint-Laurent). Les quatre autres, qui représenteront les fleuves, ne sont pas commencées, parce qu’il n’y a pas de marbres pour elles [20]. Et pourtant ils étaient là. Je ne vous écris pas la raison pour laquelle ils ont disparu, parce que ce n’est pas mon affaire.

Quant au tombeau du pape Jules, il me plaît de faire une sépulture semblable à celle de Pio dans Saint-Pierre, comme vous me l’avez écrit, et je la ferai faire ici peu à peu, aujourd’hui un morceau et demain l’autre, et je la payerai de mon argent, puisque j’en ai une provision et que, comme vous dites, la maison me reste, — je veux dire la maison que j’habitais à Rome, avec les marbres et le mobilier qui en est resté. Je ne veux rien avoir à leur donner, — je veux parler des héritiers du pape Jules, — rien, dis-je, de ce que j’ai reçu pour ce tombeau, si ce n’est le tombeau lui-même. Il sera, dis-je, comme celui de Pio à Saint-Pierre. On y mettra le temps qu’il y faudra, et j’en ferai les statues moi-même. En m’appliquant aussi cette provision, comme j’ai déjà dit, je n’en mettrai pas moins au service du pape Clément les forces qui me restent. Elle sont faibles, parce que je suis vieux. Quoi qu’elles vaillent, elles m’aideront à affronter les dédains qu’on m’adresse. Avec elles, je puis encore beaucoup. Voilà plusieurs mois qu’on ne m’a pas laissé faire à ma guise. Il est impossible de travailler à une chose avec les mains et à une autre chose avec le cerveau, et surtout à un ouvrage de marbre. On dit, ici, que ces dédains sont faits pour m’éperonner ; et moi je dis que les éperons sont mauvais, quand ils font retourner en arrière. Voici l’année passée, et je n’ai pas touché encore ma pension : je me bats avec la pauvreté. Je suis bien seul à mes ennuis, et j’en ai tant qu’ils me tiennent plus occupé que l’art même.

0000(Arch. Buonarroti.)



XXIII

À mon cher ami Baptiste délia Palla [21], à Florence.
Venise, 15 septembre 1529.0000

J’ai quitté notre ville, comme je crois que vous l’avez appris, pour aller en France, et j’arrive à Venise. Je me suis informé du chemin, et l’on m’a

15. Michel-Ange. British Museum.
croquis pour un portrait de vittoria colonna

répondu que, pour aller là-haut, il faut passer en terre allemande, où il est

dangereux et difficile de voyager. J’ai pensé de m’en entendre avec vous, pour le cas où il vous plairait que nous fassions route ensemble. Je vous prie de me donner votre avis, si vous voulez que je vous attende, pour que nous voyagions de compagnie. Je suis parti sans mot dire à aucun de nos amis, dans le désordre de mes affaires ; et bien que, comme vous le savez, je voulusse à toute force aller en France et que j’en eusse plusieurs fois fait la demande que l’on m’a toujours refusée, je n’en étais pas moins résolu d’attendre avec appréhension la fin de la guerre. Mais, mardi matin, 21 septembre, quelqu’un vint me rejoindre, hors de la Porte San-Niccolo, sur les bastions où j’étais, et il me dit à l’oreille qu’il n’y avait plus à essayer de vivre à Florence. Il vint à la maison avec moi, traça un plan de route et me conduisit à cheval, sans vouloir me laisser avant de m’avoir mis hors de la ville et démontré que c’était pour mon bien. Est-ce Dieu ou le Diable, je ne le sais.

Je vous prie de répondre à cette lettre le plus tôt que vous le pourrez, parce que le désir d’aller me consume ; et si vous n’êtes pas d’humeur de voyager, je vous prie encore de m’en aviser pour que je prenne le meilleur parti possible.

0000(Arch. Buonarroti.


XXIV

À Sebastiano del Piombo, à Rome.
Rome, 26 juin 1531.0000

Mon cher Sebastiano [22], je vous donne trop d’ennuis. Allez en paix et pensez de chercher plus de gloire à ressusciter les morts qu’à faire des figures qui paraissent vivantes. Quant au tombeau de Jules, j’y ai pensé plus d’une fois. Comme vous me l’écrivez, il me semble qu’il y aurait deux moyens de s’en débarrasser : l’un de le faire, l’autre de le donner à faire avec l’argent qu’il y faudrait. De ces deux résolutions, il ne convient de prendre que celle qui plaira au pape. À mon avis, si je m’en charge, je déplairai au pape, parce que je ne pourrai vaquer aussi à ses projets. C’est pourquoi, il faudrait persuader aux autres, — je veux dire à ceux qui s’occupent des affaires du pape Jules, — de prendre l’argent et de faire la chose eux-mêmes. Je donnerai dessins et modèles et tout ce qu’ils voudront, avec les marbres déjà travaillés. En y ajoutant 2.000 ducats, je crois qu’on pourrait faire un beau tombeau ; et voilà des hommes jeunes qui le feraient bien mieux que moi. Si l’on s’arrêtait à ce dernier projet de recevoir l’argent et de faire l’ouvrage, je pourrais compter aux artistes 1.000 ducats d’or, et les autres 1.000 ensuite…

Je ne vous dirai pas comment je me trouve aujourd’hui, parce que ce n’est pas le moment. Sachez seulement que, des 3.000 ducats que j’ai portés à Venise en or et en argent, il n’en restait plus que 50 quand je revins à Florence. La seule Commune m’en avait pris 1.500. Je n’en peux plus ; mais il y a encore peut-être moyen de m’en tirer. C’est ainsi que j’espère en la faveur que me promet le pape.

0000(Arch. Buonarroti.)



XXV

À Monsignore Marco Vigerio, évêque de Sinigaglia.

0000Monseigneur,

Votre Seigneurie m’envoie dire que je peigne et ne doute de rien. Je réponds qu’on peint avec le cerveau et non avec les mains, et que celui qui n’a pas son cerveau s’expose au blâme. Aussi bien, tant que cette affaire ne s’arrangera pas, je ne ferai rien de bon. La rectification du dernier contrat ne me parvient point ; et en vertu de cet autre contrat passé en présence de Clément (VII), je suis chaque jour lapidé, comme si j’avais crucifié le Christ. Je dis que cedit contrat ne fut pas lu en présence du pape Clément dans les termes dont j’eus ensuite la copie. Voici comment la chose arriva.

Ce jour-là, le pape Clément m’ayant envoyé à Florence, Gian Maria (Della Porta), ambassadeur de Modène, s’en vint chez le notaire et fit amplifier le document à sa manière ; de telle sorte que, lorsque je retournai et que je contrôlai ce contrat, j’y trouvai ajoutés plus de mille ducats qui n’y avaient pas précédemment figuré. J’y trouvai stipulé le séquestre de la maison que j’habite et certains autres points capables de me ruiner. Clément (VII) ne les aurait pas supportés, et Fra Sebastiano m’est témoin qu’il voulut que j’allasse me plaindre au pape et que je fasse citer le notaire. Je ne le voulus point, parce que je ne me regardais pas obligé à une chose que je n’aurais pu faire, si j’eusse été laissé sans appui. Je jure que je n’ai pas reçu l’argent dont parle ce contrat, malgré l’affirmation de Gian Maria disant que je l’aurais reçu. Mais supposons que je l’aie reçu et que je ne puisse m’affranchir du contrat ; supposons que j’en aie même reçu d’autres, s’il s’en trouve encore, et qu’on fasse un faisceau de tous ces arguments. Qu’on regarde, d’autre part, ce que j’ai fait pour le pape Jules, à Bologne, à Florence et à Rome, en bronze, en marbre et en peinture, tout le temps que je travaillai pour lui, — c’est-à-dire pendant tout son pontificat, — et que l’on voie ce que j’ai mérité. Je dis, en bonne conscience, — vu la provision que le pape Paul me donne, — qu’il me reste à recevoir des héritiers du pape Jules la somme de cinq mille écus. Je dis encore ceci que, par ma faute, ayant eu du pape Jules une si pauvre récompense pour m’être tant fatigué et m’être si mal gouverné, je mourrais aujourd’hui de faim si je ne comptais pas sur ce que le pape Paul m’a accordé. Aux termes de ces ambassadeurs, il parait qu’il m’aurait fait riche et que j’aurais volé l’autel. Ils en font grand tapage. Je saurais bien trouver le moyen de les faire taire, mais à quoi bon ! Gian Maria, ambassadeur intérimaire du vieux duc (Francesco Maria della Rovere), lorsque fut fait ledit contrat en présence de Clément et que, de retour de Florence, je commençais à travailler pour le tombeau de Jules, me demanda si je voulais faire grand plaisir au duc. En ce cas je n’avais qu’à envover au… bon Dieu ce monument, car il n’avait plus souci de cette sépulture, et il voyait d’un mauvais œil que je servisse le pape Paul. Je compris alors pourquoi il avait fait figurer la maison dans le contrat : c’était pour m’en chasser et y danser en maitre… Je me trouve avoir ainsi perdu toute ma jeunesse, lié à ce tombeau où ne m’ont pas permis de travailler les papes Léon et Clément ; et la crédulité excessive que ma conscience n’a pa :. voulu contrôler, a causé ma ruine. Ainsi le veut ma fortune. J’en vois beaucoup qui, avec deux mille et trois mille écus de traitement, se reposent tranquilles dans leur lit ; et moi, avec d’excessives fatigues, je m’évertue à m’appauvrir.

Pour en revenir à la peinture, je ne peux rien refuser au pape Paul. Je peindrai mécontent et je ferai des mécontents. J’écris ceci à Votre Seigneurie pour que, quand l’occasion s’en présentera, vous puissiez mieux dir ? la vérité au pape. J’aimerais bien qu’il l’entende et qu’il sache à quoi tient cette guerre qu’on me fait. Qui a à entendre, entende !

Serviteur de Votre Seigneurie,

Michel-Ange.0000

J’aurais autre chose à dire, et le voici. Cet ambassadeur a avancé que j’aurais prêté à usure l’argent du pape Jules et que je me serais fait riche à ce commerce. Comme si le pape Jules m’avait précédemment compté 8.000 ducats ! Quand il parle de l’argent que j’ai eu pour le tombeau, veut-il entendre les dépenses que j’ai faites en ce temps-là pour ce travail ? Il verra alors que cette somme égale celle que devrait formuler le contrat passé sous le pontificat de Clément. En voici la raison. La première année où le pape Jules me commanda ce tombeau, je passai huit mois à Carrare pour l’extraction des marbres, que j’amenai jusque sur la place de Saint-Pierre, où j’avais mon logis derrière Sainte-Catherine. Ensuite le pape Jules ne voulant plus faire son tombeau pendant sa vie, je me mis à peindre. Plus tard, il me retint deux ans à Bologne pour lui couler en bronze la statue qui fut depuis brisée. Ensuite, revenu à Rome, je restai avec lui jusqu’à sa mort, tenant toujours maison ouverte sans retenue ni provision, vivant toujours de l’argent du tombeau, car je n’avais pas d’autres rentrées.

Après la mort de Jules, le cardinal d’Agen voulut continuer le tombeau, mais agrandi. C’est pourquoi, je fis porter les marbres au Macello dei Corvi et je ris exécuter la partie du monument qui est murée à Saint-Pierre-aux-Liens dont j’exécutai les figures que j’ai à l’atelier. En ce temps-la, le pape Léon, ne voulant plus que je travaillasse à ce tombeau, feignit de vouloir faire à Florence la façade de Saint-Laurent, et il m’envoya au cardinal d’Agen pour que j’obtinsse, à toute force, la permission de m’occuper en même temps à Florence du tombeau du pape Jules. Quand je fus là-bas pour cette façade de Saint-Laurent, comme il n’y avait plus les marbres extraits pour le tombeau du pape Jules, je retournai à Carrare, où je séjournai treize mois. J’en lis extraire d’autres marbres que j’amenai à Florence, où, après avoir construit un atelier pour cet ouvrage, je commençai à travailler.

Alors le cardinal d’Agen manda, pour me presser, Messer Francesco Pallavicini, qui est aujourd’hui évêque d’Aléria. Celui-ci vit à l’atelier tous les marbres et les statues ébauchés pour le tombeau : — ils y sont encore aujourd’hui. Voyant les travaux que je faisais pour cette sépulture, (le cardinal ) Médicis, qui était à Florence, ne me laissa pas continuer : et ainsi j’en fus empêché jusqu’à ce que (le cardinal) Médicis devînt (le pape) Clément, à tel point qu’en sa présence fut rédigé le dernier contrat de ce tombeau, où il fut stipulé que j’avais reçu les mille ducats que l’on dit avoir été prêtés par moi à usure. Je veux même confesser un péché à Votre Seigneurie. Pendant que j’étais à Carrare, où je restai près d’un mois pour ce tombeau, comme l’argent me manquait, je dépensai, pour les marbres de cette œuvre, 1.000 écus que m’avait envoyés le pape Léon (X) pour la façade de Saint-Laurent ou pour me tenir occupé (loin de Rome). Je lui en fis paroles pour lui en soumettre les difficultés, et je ne le fis que pour l’amour de l’œuvre que j’avais entreprise. Et, aujourd’hui, j’en suis payé en m’entendant appeler voleur et usurier par des ignorants qui n’étaient pas, alors, de ce monde. Je vous écris cette histoire, Monseigneur, parce que j’ai à cœur de me justifier par elle auprès de vous, comme auprès du pape à qui on a médit de moi, selon ce que m’écrit messer Pier Giovanni, qui a eu à me défendre, ajoute-t-il. Je l’écris aussi pour que, lorsque Votre Seigneurie verra l’occasion de pouvoir dire un mot pour ma défense, elle le fasse. Car j’écris ici la vérité. À la face des hommes, — je ne dis pas devant Dieu, — je me tiens pour un homme de bien, parce que je n’ai jamais trompé personne, et aussi parce qu’à me défendre contre les méchants il faut parfois que je devienne fou, comme vous le voyez. Je prie Votre Seigneurie, quand elle en aura le temps, de lire cette histoire et de me la conserver, et de retenir qu’il est encore des témoins pour affirmer la vérité de grande partie des choses qui sont écrites ici. Je serais heureux que le pape la connaisse, et aussi tout le monde ; parce que ce que j’écris est vrai et que je suis, non un voleur usurier, mais un citoyen de Florence, noble et fils d’homme de bien, — et non pas issu des Cagli !

Quand j’eus écrit ceci, je reçus un message de l’ambassadeur d’Urbin disant que, si je voulais que la rectification fût faite, il faudrait que j’y accommodasse aussi ma conscience. Ma réponse est qu’il sait se fabriquer un Michel-Ange dans son cœur, avec cette matière dont il est fait lui-même.

S’il vous faut continuer encore l’histoire de ce tombeau du pape Jules, je peux vous dire que lorsque celui-ci changea de fantaisie, — c’est-à-dire de le faire, sa vie durant, comme je l’ai déjà dit, — alors que les barques chargées des marbres que j’avais commandés à Carrare venaient d’aborder à Ripa, et que je ne pouvais obtenir de l’argent du pape qui se repentait de cette œuvre, il me fallut, pour payer les bateliers, trouver 150 ou mieux 200 ducats. Je me les fis prêter par Balthazar Balducci, banquier de Messer Jacopo Gallo. Et, comme arrivaient aussi en ce temps-là, de Florence, les marbriers que j’avais embauchés pour cette sépulture, — et il en est encore de vivants, — ayant moi-même fourni les lits et autres ustensiles pour les hommes du carré ainsi que toutes autres choses nécessaires au travail du tombeau, dans la maison que m’avait donnée le pape Jules derrière Sainte-Catherine, il me sembla que, sans argent, mon embarras allait grandir. Voulant forcer le pape à donner suite à l’affaire autant que je le pouvais, un matin que j’étais allé pour lui parler de ce compte, il me fit congédier par un palefrenier. Un évêque de Lucques, témoin de cette chose, dit au palefrenier : « Vous ne connaissez donc pas cet homme ? » Et le palefrenier me dit : « Pardonnez-moi, gentilhomme : j’ai commission de faire ainsi. » J’allai à la maison et j’écrivis au pape ceci :

0000 « Saint-Père,

« J’ai été, ce matin, chassé du Palais, de la part de Votre Sainteté. En conséquence je vous fais entendre que dorénavant, si vous me voulez, vous aurez à me chercher ailleurs qu’à Rome. »

Et j’envoyai cette lettre à Messer Agostino, échanson, pour qu’il la donnât au pape. J’appelai aussitôt un certain Cosimo, menuisier qui restait avec moi pour réparer la maison), et, en outre, un marbrier qui vit encore aujourd’hui et qui était aussi avec moi, et je leur dis : « Allez chercher un juif, vendez ce qui est à la maison et venez-vous-en à Florence. » Et je montai en poste pour regagner Florence. Ayant reçu ma lettre, le pape manda derrière moi cinq cavaliers, qui me rejoignirent à Poggi Bonzi (sic), environ vers la troisième heure de la nuit. Ils me présentèrent une lettre du pape qui disait : « Aussitôt lue la présente, sous peine de notre disgrâce, tu as à retourner à Rome. » Les estafettes voulurent que je répondisse pour témoigner qu’ils m’avaient rencontré. Je répondis au pape que toutes les fois qu’il me rappellerait à mes engagements, je m’empresserais de rentrer ; mais qu’en dehors d’eux, il n’espérât point de m’avoir jamais. Pendant que j’étais à Florence, le pape Jules envoya trois brefs à la Signoria[23]. Au dernier, la Signoria me fit rechercher et me dit : « Nous ne voulons pas risquer la guerre, pour toi, avec le pape Jules. Il faut que tu t’en ailles. Si tu veux retourner à lui, nous te ferons des lettres si bien autorisées que, s’il fait injure à ta personne, il la fera à la Signoria. » — Et ainsi fit-elle, et je retournai au pape. Ce qui suivit serait long à dire. Qu’il me suffise d’ajouter que cette affaire me causa un dommage de plus de 1 000 ducats, parce que, étant ainsi parti de Rome, on en fit grand tapage au détriment du pape. Tous les marbres que j’avais (recueillis) sur la place de Saint-Pierre y furent saccagés, et de préférence les petits morceaux ; de sorte que j’eus à en refaire la provision une autre fois. En conséquence, je dis et affirme que j’en ai pour 5 000 ducats de dommages et intérêts avec les héritiers du pape Jules. Et c’est celui qui m’a volé toute ma jeunesse et mon honneur et mon bien, qui m’appelle voleur ! Et de nouveau, comme je l’ai précédemment écrit, l’ambassadeur d’Urbin m’envoie dire de corriger d’abord ma conscience, et que la rectification du duc viendra ensuite ! Avant de m’avoir fait déposer 1 400 ducats, il ne parlait pas de la sorte. Sur toutes ces choses dont j’ai écrit, je peux errer pour le temps, avant ou après ; tout le reste est vrai, encore plus que je ne l’ai écrit. Je prie Votre Seigneurie, pour l’amour de la vérité, de lire ces choses quand il en sera temps, afin que, à l’occasion, elle puisse me défendre contre ceux qui disent du mal de moi sans preuve aucune et qui, avec leurs fausses informations, m’ont fait passer aux yeux du duc pour un bandit. La raison de toutes les discordes qui naquirent entre le pape Jules et moi fut la jalousie que Bramante et Raphaël d’Urbin exercèrent contre moi. Ce fut la cause pour laquelle le tombeau de ce pape ne fut pas continué, durant sa vie. On voulait me ruiner. Et il avait bien raison de le faire, ce Raphaël qui, de tout ce qu’il savait en art, ne le savait que par moi [24].

0000(Bibl. Nat. de Florence.)



XXVI

À Phébus (de Poggio).
Florence, décembre 1533.0000

Vous me portez grande haine, et je ne sais pourquoi. Je ne crois pas que ce soit pour l’amour que je vous garde, mais pour les paroles d’autrui auxquelles vous ne devriez pas ajouter foi. Je ne peux cependant m’empêcher de vous écrire ceci. Je pars demain et vais à Pescia trouver le cardinal de Cesis et messer Balthazar. Avec eux, J’irai jusqu’à Pise et ensuite à Rome, et je ne retournerai plus par ici. Je vous fais savoir que tant que je vivrai, partout où je serai, je me mettrai toujours à votre service avec autant de foi et d’affection qu’aucun autre ami en puisse avoir au monde. Je prie Dieu qu’il vous ouvre les yeux pour une autre réponse, afin que vous sachiez que celui qui désire votre bien plus que son salut propre sait aimer comme un ami, et non haïr comme un ennemi.

0000(Arch. Buonarroti.)



XXVII

Pierre l’Arétin à Michel-Ange.
Venise, 15 sept. 1537.0000

… Je sens bien qu’avec cette fin du monde que vous peignez présentement vous voulez en surpasser le commencement que vous avez déjà laissé sur les voûtes (de la Sixtine) ; de telle sorte que vos peintures, vaincues par vos peintures, vous donneront la gloire de triompher de vous-même.

Qui ne s’épouvanterait de donner son pinceau à ce terrible sujet ? Je vois, au milieu des foules, l’Antéchrist dans un aspect que vous seul lui pouvez donner. Je vois l’épouvante sur le front des vivants ; je vois la menace que font de s’éteindre le soleil, la lune et les étoiles ; je vois la vie s’exhaler, en quelque sorte, du feu, de l’air, de la terre et des eaux ; je vois là, à l’écart, la Nature terrifiée se ramassant dans sa vieillesse décrépite et stérile ; je vois le Temps desséché de frayeur et tremblant, qui est arrivé à son terme et s’assied sur un tronc (roc) aride ; et tandis qu’au son de la trompette des anges je sens battre les cœurs dans toutes les poitrines, je vois la Vie et la Mort prises d’épouvante et de confusion, l’une se fatiguant à relever les morts, et l’autre pourvoyant à abattre les vivants. Je vois l’Espérance et le Désespoir guidant les groupes des bons et les foules des méchants. Je vois le théâtre des nues se teindre des couleurs échappées aux purs rayons du ciel où, sur ses milices (d’anges), le Christ vient s’asseoir, ceint de splendeur et de terreur à la fois. Je vois sa face fulgurer et, aux joyeux et terribles éclairs de sa flamme, remplir d’allégresse les bons, et de peur, les méchants. Cependant, je vois les suppôts de l’abîme qui, avec un aspect horrible, jettent la gloire des martyrs et des saints à la face des César et des Alexandre : car c’est autre chose d’avoir vaincu le monde, et de s’être vaincu soi-même. Je vois la Renommée avec ses couronnes et ses palmes, jetée sous les roues de son propre char. Finalement, je vois sortir la grande sentence de la bouche du Fils de Dieu. Je la vois sortir en forme de deux traits, l’un de salut et l’autre de damnation ; ils volent jusque vers la terre, ils la frappent ; et je l’entends, elle, à ces coups, qui se brise et se résout en poussière. Je vois les lumières du ciel et les fournaises de l’abîme diviser les ténèbres tombées sur la face de l’air ; et, dans cette image que je me fais de la ruine du jour dernier, je me dis : « Si l’on craint et l’on tremble à contempler seulement l’œuvre du Buonarroti, quelle crainte et quel tremblement éprouvera-t-on du jugement de Celui qui doit nous juger tous ?



XXVIII

Michel-Ange à messer Pietro Aretino, à Venise [25].
Rome, septembre 1537. 0000

0000Magnifique messer Pietro, mon seigneur et frère,

En recevant votre lettre, j’ai eu plaisir et peine à la fois. Je me suis beaucoup réjoui d’aller vous voir, parce que votre valeur est unique au monde ; et j’en ai eu un vif regret, parce qu’après avoir lu, en grande partie, votre histoire, je ne peux la reproduire dans mon œuvre. Votre imagination est telle que, si le jour du Jugement était arrivé et que vous l’eussiez vu en personne, vos paroles ne sauraient mieux le dépeindre. Pour ce qui est de répondre à mes lettres, je vous en exprime non seulement ma gratitude, mais je vous supplie de le faire encore, alors que les rois et les empereurs estiment pour souveraine faveur que votre plume les nomme. Par ainsi, s’il est quelque chose de moi qui vous soit agréable, je vous l’offre de tout cœur. Mais si vous dites que vous ne voulez venir à Rome que pour y voir la peinture que je fais, je vous prie de renoncer à ce projet, car il serait excessif. Je me recommande à vous.

0000(Coll. B. Pino.)



XXIX

À messer Niccolo Martelli, à Florence.
Rome, 20 janvier 1542.0000

0000Messer Niccolo,

J’ai reçu par messer Vincent Perini une lettre contenant deux sonnets et un madrigal. La lettre et le sonnet qui me sont adressés sont choses admirables, à ce point que l’auteur le plus châtié ne pourrait trouver raison de les châtier encore. Vos écrits, il est vrai, me réservent tant de louanges que, si je portais le paradis dans mon sein, elles seraient plus que suffisantes. Vous vous êtes imaginé, je le vois bien, que je suis un homme tel que Dieu a voulu que je fusse. Je ne suis qu’un pauvre homme et de peu de valeur, qui va se fatiguant dans l’art que Dieu m’a permis de connaître pour allonger la vie le plus qu’il me sera possible. Mais, qui que je sois, je reste votre serviteur et celui de toute la maison des Martelli. Je vous remercie de votre lettre et de vos sonnets, mais non assez pour ne point rester votre obligé. Je ne saurais atteindre à assez haute courtoisie, et je suis pour toujours vôtre.

0000(Bibl. Nat. de Florence.)



XXX

À messer Luigi del Riccio [26], à Rome.
Rome, 1542.0000

… J’ai envoyé ce madrigal, il y a quelque temps, à Florence. Aujourd’hui, l’ayant refait plus convenablement, je vous l’envoie pour que, si tel est votre plaisir, vous le jetiez au feu, — je veux dire à celui qui me brûle. Je voudrais de vous une autre faveur, et ce serait celle de me tirer d’une certaine

16. Michel-Ange. Musée Buonarroti.
cléopatre

perplexité où cette dernière nuit m’a laissé. Je rêvais que je saluais notre

idole, et il m’a semblé qu’elle me menaçait en riant. Ne sachant à quoi m’en tenir, je vous prie de vous en entendre avec elle-même et de m’en aviser lorsque, dimanche, vous l’aurez revue.

0000(Arch. Buonarroti.



XXXI

Vittoria Colonna [27] à Michel-Ange.

0000Mon très honoré seigneur Michel-Ange,

Je vous prie de m’envoyer un peu le crucifix, quoiqu’il ne soit pas fini, parce que je voudrais le montrer à des gentilshommes du révérendissime cardinal de Mantoue. Si vous ne travaillez pas, aujourd’hui, vous pouvez venir me parler à votre aise.

Votre dévouée,

Marquise de Pescara.0000

XXXII

De la même, au même.


0000Unique maître Michel-Ange et mon unique ami,

J’ai eu votre lettre et j’ai vu le Crucifix, lequel a certainement effacé de ma mémoire toute autre peinture que j’aie jamais vue. L’on ne saurait en voir de mieux faite, en image plus vive et plus achevée. Certes, ce n’est pas moi qui saurais expliquer combien elle est finement et merveilleusement exécutée. C’est pourquoi, j’ai résolu de n’en point avoir de faites par d’autres mains. Je patienterai donc jusqu’à ce que vous m’ayez assuré que celle-ci n’est faite par un autre que vous. Si cette œuvre est de vous, je ne veux d’autre manière la rendre ; mais dans le cas où elle ne (serait) pas de vous et que vous (voudriez) en faire faire une, faite d’après la vôtre, nous en causerons d’abord, parce que, comme je sais qu’il est difficile de vous imiter, je me résoudrai plutôt à ce que l’on fasse autre chose que ceci. Mais si ce Crucifix est de vous, habituez-vous à cette idée que je ne vous le rendrai jamais. Je l’ai bien regardé à la lumière, et sans verre, et avec le miroir. Je n’ai rien vu de plus parfait.

Je suis entièrement votre dévouée,

Marquise de Pescara.0000


XXXIII

De la même, au même.

0000Magnifique maître Michel-Ange,

Si grande est la renommée que vous donne votre vertu, que je n’aurais peut-être jamais cru avoir été mortelle pour un temps ni d’aucune manière, si dans votre cœur n’avait pénétré cette divine lumière qui nous a prouvé que la gloire terrestre, d’aussi longue durée qu’elle soit, n’en est pas moins soumise à la mort. De façon qu’en contemplant sur vos peintures la bonté de Celui qui vous a créé un maître unique, vous reconnaîtrez que, par mes écrits déjà presque morts, je remercie seulement le Seigneur, parce que je l’offense moins en les décrivant, vu que maintenant je ne le fais pas à loisir. Je vous prie de vouloir bien accepter cette mienne volonté, comme gage des œuvres futures.

0000Votre dévouée,
Marquise de Pescara.0000


XXXIV

De la même, au même.

0000Magnifique messer Michel-Ange,

Je n’ai pas répondu encore à votre lettre parce que, peut-on dire, cette réponse se trouvait contenue dans celle de ma lettre précédente. Je pense que si, vous et moi, nous continuons à nous écrire selon mon obligation et votre courtoisie, il faudra bien que je renonce à la chapelle de Sainte-Catherine où je ne pourrai me trouver aux heures ordinaires, en compagnie de ces bonnes sœurs, et que vous laissiez aussi la chapelle de Saint-Paul où, du matin au soir, tout le jour, vous ne pourrez continuer avec vos peintures ce doux colloque qu’elles ne manquent pas de tenir avec vous, de leur accent naturel, comme font avec moi-même les vivants qui m’entourent. Ainsi nous manquerons tous deux, moi aux épouses du Christ, et vous à son Vicaire. Cependant, connaissant votre stable amitié et le lien chrétien de notre affection très sûre, je ne prétends pas, avec mes lettres, donner aux vôtres une raison d’être, mais plutôt donner à mon esprit ainsi préparé une occasion raisonnable de vous servir. Je prie ce même Dieu dont vous m’avez parlé d’un cœur si ardent et si humble, à mon départ de Rome, que je vous y retrouve au retour avec son image aussi vivement renouvelée par vo re foi dans votre âme, que vous l’avez peinte dans ma Samaritaine. Je me recommande toujours à vous et à votre Urbino.

Du monastère de Viterbe, le 20 juillet.

Marquise de Pescara.0000
(Lettr. artistiq. inéd. de Giuseppe Campori. Modena, 000000000000000000
Sogliani, 1866. Trad. Sturdza.)00000000000


XXXV

De la même, au même.

Vos magnifiques œuvres excitent forcément le jugement de quiconque les regarde. Pour en faire une autre expérience, je vous avais engagé à faire accroitre votre bonté pour les choses parfaites, et j’ai vu depuis que omnia possibilia sunt credenti. J’avais mis en Dieu ma foi la plus grande pour qu’il vous donnât une grâce surnaturelle à peindre ce Christ. J’ai vu depuis cette œuvre si admirable qu’elle surpasse, de toute manière, celles que je pouvais attendre de vous. Mon âme, avivée par vos propres miracles, désirait ce qu’à présent je vois merveilleusement accompli, et c’est à ce point parfait qu’on ne peut ni désirer davantage ni même oser désirer tant. Je vous dirai que je me réjouis beaucoup que l’ange de droite soit de beaucoup le plus beau, parce que c’est Michel, et qu’il placera Michel-Ange à la droite du Seigneur, au dernier jour. Et par ainsi, je ne sais comment vous servir mieux qu’en priant ce doux Christ que vous avez si bien et si parfaitement peint, et qu’en vous priant vous-même de me considérer comme votre chose en tout et pour tout.

Marquise de Pescara.0000

0000(Grimm, page bS-j, note 90.)



XXXVI

Francisco de Hollanda au roi de Portugal Jean III.

… Dans le nombre des jours que je passai aussi dans cette capitale (Rome, y en eut un, ce fut un dimanche, où j’allai voir, selon mon habitude, messire Lactance Tolomei, qui m’avait procuré l’amitié de Michel-Ange par l’entremise de messire Blasio, secrétaire du pape. Ce messire Lactance était un grave personnage, respectable autant par la noblesse de ses sentiments et de sa naissance (car il était neveu du cardinal de Senne) que par son âge et par ses mœurs. On me dit chez lui qu’il avait laissé commission de me faire savoir qu’il se trouvait à Monte-Cavallo dans l’église de Saint-Sylvestre, avec M me la marquise de Pescara, pour entendre une lecture des épitres de saint Paul. Je me transportai donc à Monte-Cavallo. Or, Mme Vittoria Colonna, marquise de Pescara, sœur du seigneur Ascanio Colonna, est une des plus illustres et des plus célèbres dames qu’il y ait en Italie et en Europe, c’est-à-dire dans le monde. Chaste et belle, instruite en latinité et spirituelle, elle possède toutes les qualités qu’on peut louer chez une femme. Depuis la mort de son illustre mari, elle mène une vie modeste et retirée ; rassasiée de l’éclat et de la grandeur de son état passé, elle ne chérit maintenant que Jésus-Christ et les bonnes études, faisant beaucoup de bien à des femmes pauvres et donnant l’exemple d’une véritable piété catholique……

M’ayant fait asseoir et la lecture se trouvant terminée, elle se tourna vers moi et dit : « Il faut savoir donner à qui sait être reconnaissant, d’autant plus que j’aurai une part aussi grande après avoir donné que François de Hollande après avoir reçu. Holà ! un tel, va chez Michel-Ange, dis-lui que, moi et messire Lactance, nous sommes dans cette chapelle bien fraîche et que l’église est fermée et agréable. Demande-lui s’il veut bien venir perdre une partie de la journée avec nous, pour que nous ayons l’avantage de la gagner avec lui ; mais ne lui dis pas que François de Hollande l’Espagnol est ici.

Après quelques instants de silence, nous entendîmes frapper à la porte. Chacun eut la crainte de ne pas voir arriver Michel-Ange, qui habitait au pied de Monte-Cavallo ; mais, à mon grand contentement, le hasard fit qu’on le rencontra près de Saint-Sylvestre, allant vers les Thermes. Il venait parla via Esquilina, causant avec son broyeur de couleurs Urbino ; il se trouva donc si bien retenu qu’il ne put nous échapper. C’était lui qui frappait à la porte.

La marquise se leva pour le recevoir, et resta debout assez longtemps avant de le faire asseoir entre elle et messire Lactance. Moi, je m’assis un peu à l’écart. Après un court silence, la marquise, suivant sa coutume d’ennoblir toujours ceux à qui elle parlait ainsi que les lieux où elle se trouvait, commença avec un art que je ne pourrais décrire ni imiter, et parla de choses et d’autres avec beaucoup d’esprit et de grâce, sans jamais toucher le sujet de la peinture, pour mieux s’assurer du grand peintre. On voyait la marquise se conduire comme celui qui veut s’emparer d’une place inexpugnable par ruse et par tactique, et le peintre se tenir sur ses gardes, vigilant comme s’il eût été l’assiégé… « C’est un fait bien connu, dit-elle enfin, qu’on sera battu complètement toutes les fois qu’on essayera d’attaquer Michel-Ange sur son terrain, qui est celui de l’esprit et de la finesse. Aussi vous verrez, messire Lactance, qu’il faudra lui parler brefs, procès ou peinture, pour avoir l’avantage sur lui et pour le réduire au silence… Vous avez le mérite de vous montrer libéral avec sagesse, et non pas prodigue avec ignorance ; c’est pourquoi vos amis placent votre caractère au-dessus de vos ouvrages, et les personnes qui ne vous connaissent pas estiment de vous ce qu’il y a de moins parfait, c’est-à-dire les ouvrages de vos mains. Pour moi, certes, je ne vous considère pas comme moins digne d’éloges, pour la manière dont vous savez isoler, fuir nos inutiles conversations et refuser de peindre pour tous les princes qui vous le demandent…

— Madame, dit Michel-Ange, peut-être m’accordez-vous plus que je ne mérite ; mais, puisque vous m’y faites penser, permettez-moi de vous porter mes plaintes contre une partie du public, en mon nom et en celui de quelques peintres de mon caractère. Des mille faussetés répandues contre les peintres célèbres, la plus accréditée est celle qui les représente comme des gens bizarres et d’un abord difficile et insupportable, tandis qu’ils sont de nature fort humaine. Partant, les sots, je ne dis pas les gens raisonnables, les tiennent pour fantasques et capricieux, ce qui s’accorde difficilement avec le caractère d’un peintre… Les oisifs ont tort d’exiger qu’un artiste absorbé par ses travaux se mette en frais de compliments pour leur être agréable, car bien peu de gens s’occupent de leur métier en conscience, et certes ceux-là ne font pas leur devoir qui accusent l’honnête homme désireux de remplir soigneusement le sien… Je puis assurer à Votre Excellence que même Sa Sainteté me cause quelquefois ennui et chagrin en me demandant pourquoi je ne me laisse pas voir plus souvent ; car lorsqu’il s’agit de peu, je pense lui être plus utile et mieux la servir en restant chez moi qu’en me rendant auprès d’elle. Alors je dis à Sa Sainteté que j’aime mieux travailler pour elle à ma façon, que de rester un jour en sa présense, comme font tant d’autres.

— Heureux Micbel-Ange ! m’écriai-je à ces mots. Parmi tous les princes, il n’y a que les papes qui sachent pardonner un tel péché.

— Ce sont précisément des péchés de cette sorte que les rois devraient pardonner, » dit-il. Puis, il ajouta : « Je vous dirai même que les occupations dont je suis chargé m’ont donné une telle liberté, que, tout en causant avec le pape, il m’arrive, sans y réfléchir, de placer ce chapeau de feutre sur ma tête, et de parler très librement à Sa Sainteté. Cependant elle ne me fait point mourir pour cela ; au contraire, elle me laisse jouir de la vie, et, comme je vous le dis, c’est dans ces moments-là que mon esprit est le plus occupé de ses intérêts.

« J’ose l’affirmer, l’artiste qui s’applique plutôt à satisfaire les ignorants qu’à sa profession, celui qui n’a dans sa personne rien de singulier, de bizarre, ou du moins ce qu’on appelle ainsi, ne pourra jamais être un homme supérieur. Pour les esprit lourds et vulgaires, on les trouve, sans qu’il soit besoin de lanternes, sur les places publiques du monde entier. »

Vittoria reprit, en s’adressant à Lactance : « Demanderai-je à Michel-Ange qu’il éclaircisse mes doutes sur la peinture ? Car, pour me prouver maintenant que les grands hommes sont raisonnables et non bizarres, il ne fera point, j’espère, un de ces coups de tête dont il a l’habitude.

Michel-Ange répondit : « Que Votre Excellence me demande quelque chose qui soit digne de lui être offert, elle sera obéie. »

La marquise, souriant, continua : « Je désire beaucoup de savoir ce que vous pensez de la peinture de Flandre, car elle me semble plus dévote que la manière italienne.

— La peinture flamande, répondit Michel-Ange, plaira généralement à tout dévot plus qu’aucune d’Italie. Celle-ci ne lui fera jamais verser une larme, celle de Flandre lui en fera répandre abondamment, et ce résultat sera du non pas à la vigueur ou au mérite de cette peinture, mais tout simplement à la sensibilité de ce dévot. La peinture flamande semblera belle aux femmes, surtout aux âgées ou aux très jeunes, ainsi qu’aux moines, aux religieuses et à quelques nobles qui sont sourds à la véritable harmonie. En Flandre, on peint de préférence, pour tromper la vue extérieure, ou des objets qui vous charment, ou des êtres dont vous ne puissiez dire du mal, tels que des saints et des prophètes. D’ordinaire ce sont des chiffons, des masures, des champs très verts ombragés d’arbres, des rivières et des ponts, ce que l’on appelle paysages, et beaucoup de figures par-ci, par-là. Quoique cela fasse bon effet à certains yeux, en vérité il n’y a là ni raison ni art, point de proportions, point de symétrie, nul soin dans le choix, nulle grandeur. Enfin cette peinture est sans corps et sans vigueur, et pourtant on peint plus mal ailleurs qu’en Flandre. Si je dis tant de mal de la peinture flamande, ce n’est pas qu’elle soit entièrement mauvaise ; mais elle veut rendre avec perfection tant de choses, dont une seule suffirait pour son importance, qu’elle n’en fait aucune d’une manière satisfaisante. C’est seulement aux œuvres qui se font en Italie qu’on peut donner le nom de vraie peinture ; et c’est pour cela que la bonne peinture est appelée italienne… La bonne peinture est noble et dévote par elle-même, car chez les sages rien n’élève plus l’âme et ne la porte mieux à la dévotion que la difficulté de la perfection qui s’approche de Dieu et qui s’unit à lui : or la bonne peinture n’est qu’une copie de ses perfections, une ombre de son pinceau, enfin une musique, une mélodie, et il n’y a qu’une intelligence très vive qui en puisse sentir la difficulté. C’est pourquoi elle est si rare que peu de gens y peuvent atteindre et savent la produire. »

Après un long développement de cette doctrine, Vittoria interroge encore :

« Quel homme vertueux et sage, dit-elle (à moins qu’il ne vive dans la sainteté), n’accordera toute sa vénération aux contemplations spirituelles et dévotes de la sainte peinture ? Le temps manquerait, je crois, plutôt que la matière pour les louanges de cette vertu. Elle rappelle la gaieté chez le mélancolique, la connaissance de la misère humaine chez le dissipé et chez l’exalté ; elle réveille la componction chez l’obstiné, guide le mondain à la pénitence, le contemplatif à la méditation, à la crainte ou au repentir. Elle nous représente les tourments de l’enfer, et autant qu’il est possible la gloire et la paix des bienheureux et l’incompréhensible image du Seigneur Dieu. Elle nous fait voir bien mieux que tout autre moyen la modestie des saints, la constance des martyrs, la pureté des vierges, la beauté des anges, l’amour et la charité dont brûlent les séraphins. Elle élève et transporte notre esprit et notre âme au delà des étoiles, et nous fait contempler l’éternel empire. Elle nous rend présents les hommes célèbres qui depuis longtemps n’existent plus, et dont les ossements mêmes ont disparu de la surface de la terre. Elle nous invite à les imiter dans leurs hauts faits… Elle exprime clairement ce qui, sans elle, serait aussi long à décrire que difficile à comprendre. Et cet art si noble ne s’arrête point là : si nous désirons voir et connaître l’homme que ses actions ont rendu célèbre, il nous en montre l’image ; il nous présente celle de la beauté dont une grande distance nous sépare, chose que Pline tient pour très importante. La veuve affligée retrouve des consolations dans la vue journalière de l’image de son mari, les jeunes orphelins sont satisfaits, une fois devenus hommes, de reconnaître les traits d’un père chéri [28]. »



XXXVII

Michel-Ange à Luigi del Riccio.
Rome, 1542.0000

Je vous envoie un sac de manuscrits, afin que votre courtoisie voie lesquels il faut présenter à Cortèse. Je vous prie de dire à Urbino [29] de les faire copier, de les attendre, de les payer et de les porter à Cortèse. Pour vous éviter aujourd’hui une telle sollicitude, Urbino me rapportera ces écrits, que je vous renverrai une autre fois quand il en sera temps. Je vous prie aussi de m’envoyer mon contrat et celui de Perino (ou mieux Pierino), et aussi ce sonnet que je vous ai fait passer, afin que je le raccommode et que, comme vous me le disiez, je lui fasse deux yeux.

0000(Arch. Buonarroti.



XXXVIII

Au même.
Rome, 1542.0000

La musique d’Arcadelt[30] est retenue comme une belle chose. Comme, selon ses paroles, il n’a pas voulu faire moins de plaisir à moi qu’à vous qui le lui aviez demandé, je voudrais lui en témoigner ma reconnaissance. Pensez, je vous prie, de lui faire un présent, soit en drap, soit en argent, et donnez-m’en avis, car je n’oserais le faire moi-même.

… J’ai un coupon de soie, chez moi, pour un gilet ; je le tiens du sieur Gérôme. S’il vous en semble, je vous l’enverrai pour ce cadeau.

0000(Arch. Buonarroti.)



XXXIX

Au même.
Rome, 1542.0000

Je suis vivement pressé par messer Pier Giovanni[31] de commencer à peindre[32]. Comme on le peut voir, je ne crois pas pouvoir le faire avant quatre ou six jours, parce que l’enduit n’est pas assez sec pour le permettre. Mais il est autre chose qui me donne plus d’ennui que l’enduit et que de ne pouvoir peindre : c’est la rectification de mes comptes qui n’arrive pas, malgré la parole qui m’en avait été donnée, à tel point que j’en suis grandement désespéré. Je me suis tiré du fond du cœur 1.400 écus qui m’auraient servi, sept ans, à travailler et à faire plutôt deux tombeaux qu’un seul ; et cela, je l’espère, pour pouvoir rester en paix avec le pape et le servir cordialement. À présent je me trouve sans argent et avec plus de tracas et d’ennuis que jamais. Ce que j’ai fait pour avoir cet argent, je l’ai fait avec le consentement du duc de Florence et avec le contrat de la commande. Et maintenant que j’ai déboursé, la rectification n’arrive pas ; de manière qu’on voit bien ce que signifie cette chose, sans qu’il soit besoin de l’écrire. Sans doute, je ne mérite pas mieux, pour la foi d’artiste que j’ai manifestée trente-six ans, et pour m’être donné volontairement aux autres. La peinture, la sculpture, le travail et la foi ont été ma ruine ; et tout s’en va, de mal en pis. Mieux eût valu que, dès mes premiers ans, je me fusse mis à faire des allumettes ; car je ne serais pas, aujourd’hui, en tels tourments. Je vous écris, à vous, ces choses parce que vous me voulez du bien et que, ayant négocié cette affaire, vous en savez toute la vérité t la pouvez faire entendre au pape, pour qu’il sache que je ne peux pas plus vivre que peindre. Si j’ai donné la promesse de commencer mon travail, je l’ai donnée contre la promesse de recevoir mes comptes ; et il y a plus d’un mois de cela. Je ne veux plus rester sous ce poids ni être, chaque jour, accusé de fourberie par qui m’a pris la vie et l’honneur. La mort ou le pape seul peuvent m’en tirer.

0000(Musée Britann.)


XL

Au même.
Rome, oct. 1542.0000

Voyant que la rectification ne vient pas, je me suis résolu à me renfermer chez moi et à finir les trois statues sur lesquelles je suis d’accord avec le duc. Cela me vaudra mieux que d’aller traîner, chaque jour, au Palais. Qui veut se crucifier, se crucifie. Il me suffit d’avoir fait en sorte que le pape n’ait pas à se plaindre de moi. Le bénéfice de cette rectification n’était pas pour moi, mais pour Sa Sainteté qui veut que je me remette à peindre. C’en est assez, car il ne me plaît pas de me mettre entre le duc et le pape. Si celui-ci voit que j’ai abandonné sa peinture, il sera peut-être bon de l’aviser de la résolution que j’ai prise et savoir ce qu’il faudra lui répondre, quand il conviendra.

0000(Arch. Buonarroti.)



XLI

Au même.
Rome, 1543.0000

Je sais que vous êtes aussi bon maître de cérémonies que je le suis peu moi-même. Ayant reçu de Mgr de Todi [33] le présent dont vous parlera Urbino, je vous prie, en vous en faisant part et en croyant que vous êtes ami de Sa Seigneurie, de l’en remercier à propos, avec ces manières qui vous sont faciles. Et faites-moi votre débiteur pour quelque bonne pâtisserie (berlingozzo) que je vous réserve.

0000(Arch. Buonarroti.)


17. Michel-Ange. Musée du Louvres.
étude pour le crucifixde vittoria colonna


XLII

À Vittoria Colonna, marquise de Pescara, Rome.
Rome, 1543.0000

Je voulais, Madame, avant de recevoir ce que Votre Seigneurie a voulu plusieurs fois m’offrir, faire quelque chose de ma main pour accueillir votre don le moins indignement que je pusse. Puis, ayant reconnu que la de Dieu ne se peut acheter et que la faire attendre est un très grand péché, je vous confesse ma faute et volontiers j’accepte cette offrande. Quand je l’aurai, il me semblera que je suis au paradis en pensant que je l’ai, non pas dans ma maison, mais dans la vôtre. C’est de quoi je resterai à votre Seigneurie plus obligé encore que je ne le suis déjà. Le porteur de ce moi est Urbin, qui vit avec moi. Votre Seigneurie pourra lui dire quand elle voudra que je vienne voir la fête à laquelle elle m’a promis de me faire assister.

0000(Arch. Buonarroti.)



XLIII

À la même.
0000

0000Madame la Marquise,

Il ne semble pas qu’étant à Rome, je puisse laisser le crucifix à messer Thomas [34] et accepter qu’il partage avec moi la faveur de vous servir. Je voudrais faire pour vous plus que pour aucune autre personne au monde. Mais les grandes occupations qui m’ont tenu et me tiennent encore n’ont pas laissé connaître ces raisons à Votre Seigneurie. Et parce que je sais que vous n’ignorez pas que l’amour ne veut pas de maître et que qui aime n’en dort pas, les moyens de m’excuser me faisaient encore plus défaut. Bien que je parusse ne plus m’en souvenir, je faisais ce que je ne disais point, pour arriver plus agréablement avec une chose moins attendue. Hélas ! mon dessin est gâté :

Mal fa, chi tanta fé si tosto obblia

Le serviteur de Votre Seigneurie.

0000(Arch. Buonarroti.)



XLIV

Pierre l’Arétin au grand Michel-Ange, à Rome.
Venise, novembre 1545.0000

0000Mon Sieur,

En voyant l’esquisse entière de tout votre Jugement dernier, j’ai fini par comprendre la fameuse grâce de Raphaël, dans l’adorable beauté de l’invention. Et c’est pourquoi, au titre de (chrétien) baptisé, j’ai honte de la licence à ce point interdite à l’esprit, que vous avez pourtant prise en exprimant le concept de notre fin dernière, où aspire toute sensation de notre croyance la plus vraie.

Ainsi donc, ce Michel-Ange étonnant de renommée, ce Michel-Ange de si notable prudence, ce Michel-Ange que "tous admirent, a voulu présenter au monde un exemple non moins d’impiété en religion que de perfection en peinture ? Est-il possible que vous qui, par votre essence divine, ne daignez pas vous mêler à la foule des humains, vous ayez osé commettre cet acte dans le plus grand temple de Dieu, sur le premier autel de Jésus, dans la plus auguste chapelle du monde, là où les grands cardinaux de l’Église, où les sacerdotes vénérables, où le Vicaire du Christ, au milieu des cérémonies catholiques, des ordres sacrés et des oraisons divines, confessent, contemplent et adorent son corps, son sang, sa chair sacrés ?

Si ce n’était chose inouïe que de traiter par similitude un tel sujet, je me vanterais de bénignité en traitant de la Nanna, comme je l’ai fait, et en opposant une sagesse avisée à votre indiscrète conscience. Car, en matière lascive et impudique, je n’emploie pas des mots à sous-entendus et polissons, mais une langue chaste et irrépréhensible. Vous, au contraire, dans un sujet d’histoire si élevée, vous anudissez anges et saints, les uns sans la moindre pudeur terrestre, les autres dépouillés de tout céleste ornement. Quand les païens sculptent, je ne dis pas une Diane vêtue, mais une Vénus nue, ils lui font recouvrir de la main les parties honteuses qui ne se découvrent jamais. Un chrétien, pour tant qu’il préfère l’art à la foi, tient pour un spectacle défendu autant l’inobservance décorative chez les martyrs et les vierges, que le geste du rapt par les membres génitaux (che anco serrarebbe gli occhi il postribolo per non mirarlo). Votre manière convenait à un (bagno delitioso), non à un chœur suprême.

Votre vice serait moindre si, à peindre de telle sorte, vous cherchiez à diminuer la croyance de votre prochain. Mais là aussi l’excellence de votre téméraire merveille ne demeure pas impunie, puisque le miracle qu’elle produit engendre aussi la mort de votre propre louange. Vous rappelez à nos mémoires le nom de ces choses honteuses que vous dessinez aux damnés avec des flammes de feu, et aux bienheureux avec des rayons de soleil ; et vous imitez par là cette pudeur de Florence qui, sous quelque feuille d’or, cache ce qu’il faut voiler à son beau colosse. Mais encore celui-ci est-il sur une place publique, et non dans un temple sacré.

Que Dieu vous le pardonne, comme moi qui ne raisonne pas ainsi pour le regret de n’avoir pas reçu ce que je désirais de vous [35]. C’était affaire à vous de satisfaire à votre engagement, en n’envoyant ce que vous m’aviez promis ; vous auriez calmé, de la sorte, une envie dont ne peuvent bénéficier à leur profit qu’un Gherardi et un Tomai. Mais si le trésor que vous laissa le pape Jules, pour que ses restes mortels fussent déposés dans le monument que vous deviez tailler, n’a pas suffi pour vous faire tenir vos promesses, que puis-je, moi, espérer ? Non, ce n’est pas votre ingratitude et votre avarice qui sont en cause, grand peintre, c’est la seule bonté et le mérite du pasteur souverain déçu. C’est Dieu qui a voulu que l’éternelle renommée du pape Jules n’ait que sa propre dépouille pour se survivre en sa simplicité, et non plus cette altière machine de mausolée qu’il n’aurait dû qu’à la vertu de votre style. En manquant de la sorte à la dette par vous contractée, on vous accuse d’un vol. Mais, en raison des sentiments de dévotion dont les âmes de vos grands clients ont plus besoin que de la ferveur de votre dessin, que Dieu, qui inspira la Sainteté de Paul III, comme il inspira la Béatitude de Grégoire le (Grand), préférant dépouiller Rome des superbes statues de ses idoles que d’amoindrir, avec elles, le respect dû aux humbles images des saints…

Serviteur.

L’Arétin.0000

Et maintenant que j’ai laissé éclater tant soit peu ma colère contre la cruauté dont vous avez traité ma dévotion envers vous ; après vous avoir montré que, si vous êtes divin (di vino, de vin), je ne suis pas un composé d’eau fraiche, déchirez à morceaux cette lettre que j’ai aussi écrite par morceaux, et résolvez-vous à croire que je suis pourtant un de ceux à qui les rois et les empereurs répondent.

0000(Arch. Strozzi.)



XLV

À messer Luigi del Riccio.
Rome, 1546.0000

Il vous semble que je vais vous répondre selon votre désir ; et c’est tout à fait le contraire. Vous me parlez de ce que je vous ai refusé, et vous me refusez ce que je vous ai demandé. Certes, vous ne péchez que par ignorance en m’envoyant, par Hercule ! ce que vous auriez rougi de me donner vous-même. Celui qui m’a pris à la mort a bien le droit de m’en blâmer encore ; mais je ne sais ce qu’il y a de plus grave, ou le blâme ou la mort. Cependant je vous prie et je vous conjure, par la vraie amitié qui nous lie, laissez-moi vous dire qu’il ne me paraît pas bien que vous laissiez se gâter cette estampe et brûler les autres. Si vous tenez boutique avec mes œuvres [36], ne le faites pas avec celles des autres ; et si vous faites mille morceaux de moi, j’en ferai tout autant, non de vous, mais de vos choses.

(Après la signature.)

Ni peintre, ni sculpteur, ni architecte ; mais tout ce que vous voudrez, excepté ivrogne, comme je vous l’ai dit à la maison.

0000(Arch. Buonarroti.)


XLVI

François Ier à Michel-Ange.

0000Sieur Michel-Angelo,

Pour ce que j’ai grand désir d’avoir quelques besognes de votre ouvrage, j’ai donné à l’abbé de Saint-Martin de Troyes (François Primatice), présent porteur que j’envoie par delà, d’en recouvrer ; vous priant, si vous avez quelques choses excellentes faites à son arrivée, les lui vouloir bailler, en les vous bien payant, ainsi que je lui en ai donné charge, et davantage vouloir être content pour l’amour de moi qu’il molle le Christ de la Minerve et la Notre-Dame de la Fèbre [37]) afin que j’en puisse aorner l’une de mes chapelles, comme de choses qu’on m’assure être des plus exquises et excellentes en votre art.

Priant Dieu, sieur Michel-Angelo, qu’il vous ait en sa garde. « Escrit à Saint-Germain-en-Laye, le sixième jour de février mil cinq cent quarante-six.

0000Signé Laubépine.



XLVII

Michel-Ange au Roi de France Très Chrétien.
Rome, 6 avril 1546.0000

Je ne sais si Votre Majesté a usé de plus de grâce que de merveille en daignant écrire à un homme de ma condition, et, plus encore, en lui demandant des nouvelles d’un artiste peu digne d’intéresser Votre Majesté. Elle apprendra que depuis longtemps j’ai le désir de la servir ; mais pour ne l’avoir pu exprimer à propos, par la faute de l’art qui me retient en Italie, je ne l’ai pu faire encore. À présent je suis vieux, et pour quelques mois encore au service du pape Pau !. Mais si, après ces travaux, il me reste quelque temps à vivre, ce que j’ai désiré longtemps pour Votre Majesté, je m’évertuerai à le réaliser, c’est-à-dire une chose de marbre, une autre de bronze, une autre de peinture. Et si la mort interrompt ce désir et si l’on peut sculpter ou peindre encore dans l’autre vie, je n’y faillirai pas au royaume où on ne vieillit plus. Je prie Dieu qu’il donne à Votre Majesté longue et heureuse vie.

De Votre Majesté Très Chrétienne le très humble serviteur,

Michelagnolo.0000

0000(Arch. Buonarroti.)



XLVIII

À messer Benedetto Varchi [38].
Rome, 1546.0000

J’ai bien reçu votre petit livre, et, quelle que soit mon ignorance, je répondrai quelques lignes à ce que vous me demandez. Je dis que la peinture me semble pouvoir être retenue d’autant meilleure qu’elle accentue davantage le relief ; et le relief d’autant plus mauvais, qu’il accentue davantage la peinture. Cependant il me semblait que la sculpture pût servir de flambeau à la peinture, et qu’entre l’une et l’autre il y avait la différence qui existe entre le soleil et la lune. Mais que penser, à présent que j’ai lu votre livre où vous dites que, philosophiquement parlant, les choses qui ont une même fin (ont un même principe) sont une même chose ? S’il en était ainsi, chaque peintre ne devrait pas moins sculpter que peindre, ni chaque sculpteur moins peindre que sculpter ; car j’entends par sculpture ce qui se fait en relief, et par peinture ce qui se fait en surface. Il suffit donc que la sculpture et la peinture soient produites toutes les deux par une même intelligence, pour qu’il soit possible de faire la paix entre elles et renoncer à toute discussion ; car on y dépense plus de temps qu’à faire des figures. Celui qui a écrit que la peinture est plus noble que la sculpture, aurait mieux fait, à mon avis, — s’il n’a pas mieux raisonné sur le reste, — d’en charger sa servante à sa place. Sur une telle question, il y aurait à dire infiniment de choses qui n’ont pas été dites encore ; mais il y faudrait trop de temps, et je n’en ai plus assez, étant non seulement un vieux, mais presque du nombre des morts.

0000(Arch. Buonarroti.)



XLIX

À messer Lucas Martini.
Rome, 1549.0000

J’ai reçu par messer Bartolomeo Bettini votre lettre et un petit livre [39] commentant un sonnet de ma main. Le sonnet vient bien de moi, mais le commentaire vient du ciel. C’est vraiment une chose admirable. Je ne dis pas selon moi, mais selon des hommes de valeur, et surtout messer Donato Giannotti [40], qui ne se lasse pas de le lire et qui se recommande à vous. Je sais bien ce que vaut ce sonnet ; mais si peu qu’il vaille, je ne peux m’empêcher d’y prendre un peu de vaine gloriole, puisqu’il est la cause d’un si beau et si savant commentaire. Et parce que je reconnais aux paroles et aux louanges que me prodigue cet auteur que je ne suis pas celui qu’il pense, je vous prie de lui en exprimer, comme il convient pour tant de sympathie, ma courtoise affection. Je vous prie de le faire, parce que je ne m’y sens pas assez de valeur. Quiconque jouit d’une bonne réputation ne doit pas tenter la fortune ; mieux lui vaut le silence, que de tomber de haut. Je suis vieux, et la mort m’a pris les pensées de jeunesse. Pour savoir ce qu’est la vieillesse, celui qui l’ignore n’a qu’à attendre avec patience qu’elle arrive.

0000(Arch. Buonarroti.)



L

À Francesco Faîtucci, prêtre de Sainte-Marie, à Florence.
Rome, oct. 1549.0000

Il y a longtemps que je ne vous ai écrit. Pour vous montrer avec cette lettre que je suis encore vivant, et pour apprendre de vous la même bonne nouvelle, je fais pour vous ces quelques vers. Je me recommande à vous, et je vous prie de faire parvenir aussi cette lettre à messer Benedetto Varchi, lumière et splendeur de l’Académie florentine. Je crois qu’il est votre grand ami. Je vous prie de le remercier, de ma part, plus que je ne sais ni ne puis le faire.

Ces jours derniers, comme je restais très mécontent chez moi, en fouillant certains coins, j’ai mis la main sur un grand nombre de ces bêtises que j’avais l’habitude de vous envoyer autrefois. Je vous en envoie encore quatre, que je vous avais peut-être déjà mandées. Vous direz que je suis un vieux fou et je vous répondrai que, pour être en meilleure santé et en moindre passion, je ne trouve rien de mieux que la folie. Ne vous en étonnez pas, je vous prie, et répondez-moi quelque chose. (Musée Britann.)

0000



L bis.

Au même.

… Quant à la vieillesse qui nous tient également tous les deux, j’aimerais bien savoir comment elle vous traite. Quant à la mienne, elle ne me contente pas beaucoup. Je vous en prie, écrivez-moi quelque chose. Vous savez que nous avons un nouveau pape, et qui il est [41]. Grâce à Dieu, Rome entière s’en réjouit et attend beaucoup de la libéralité de ce pontife, surtout pour les pauvres de la ville…



LI

Au même.
Rome, 1er août 1550.0000

0000Mon cher ami,

Avant à écrire à Florence, au peintre Georges (Vasari), je prends sur moi de vous donner un petit ennui en vous priant de lui remettre la lettre ci-incluse, car je pense qu’il est votre ami. N’ayant pas autre chose à vous écrire, et pour ne pas être trop bref dans ce billet, je vous envoie quelqu’une de mes nouvelles (poésies). Je les écrivais pour la marquise de Pescara, qui ne me voulait pas moins grand bien que je n’en voulais à elle-même. La mort m’a pris une grande amie. Je ne sais plus rien vous dire. Je vais comme de coutume, supportant avec patience les défauts de la vieillesse, et je crois que vous faites de même.

0000(Arch. Buonarroli.)



LII

À messer Giorgio Vasari, ami et peintre excellent [42].
Rome, 22 août 1550. 0000

Mon cher ami,

Voilà bien des jours que j’ai votre lettre. Je ne vous ai pas répondu sur-le-champ pour ne pas vous paraître mercantile. Aujourd’hui, je vous dirai qu’au nombre des louanges que vous me décernez, si j’en méritais une seule, ce serait pour avoir, en mon âme et mon corps, pu vous donner quelque minime chose dont je vous étais débiteur et qui eût pu vous satisfaire. Je vous reconnais créditeur de beaucoup plus que je n’en peux payer ; car je suis vieux, et désormais j’espère moins en cette vie que dans l’autre, pour pouvoir régulariser mes comptes. Usez donc de patience avec moi. Quant à votre œuvre [43], je suis allé voir Bartolomeo (Ammannati), et il me semble que la chose va aussi bien que possible. Il travaille avec foi et amour ; c’est, comme vous le savez, un vaillant jeune homme. Il est si bien, qu’on peut l’appeler l’ange Bartolomeo…

0000(Arch. Buonarroti.)


LIII

Au même.
Août 1550.0000

Messer Giorgio, mon cher ami, comme le pape ne voulait point entendre parler de l’église de San-Pietro-in-Montorio, je ne vous en écrivis rien, sachant d’ailleurs que vous étiez informé de ce qui se passait par la personne que vous avez ici. Il convient maintenant de vous dire que, hier matin, le pape, revenant de Montorio, me fit appeler. Je le rencontrai sur le pont, et j’eus avec lui une longue conversation au sujet des tombeaux qu’on veut placer là. Il finit par me dire qu’il était décidé à ne point les mettre dans cette église, mais à San-Giovanni-de’-Fiorentini. Il me demanda mon avis et un dessin. J’applaudis beaucoup à cette idée, estimant que par ce moyen cette église pourrait être terminée.

Quant aux trois lettres que vous m’avez adressées, ma plume ne pourrait répondre à toutes les belles choses que vous me dites. Si j’avais seulement une partie des qualités que vous m’attribuez, je n’en serais heureux que parce que vous auriez en mci un serviteur qui vaudrait quelque chose. Mais cela ne m’étonne point, depuis que je sais que vous ressuscitez les morts, que vous prolongez les jours des vivants, ou bien que, dans la colère où vous mettent les méchants, vous les envoyez à la mort pour un temps infini. Pour finir, je reste tout à vous, tel que je suis.

0000(Arch. Buonarroti.)



LIV

Au même.
13 oct. 1550.0000

Messer Giorgio, mon cher ami, Bartolomeo ne fut pas plus tôt arrivé ici, que j’allai parler au pape, et, voyant qu’il voulait faire jeter les fondements des sépultures à Montorio, je pourvus à ce qu’on eût un maçon de Saint-Pierre. Le Tante Cose le sut et voulut en envoyer un de sa façon. Moi, pour ne pas lutter avec un homme qui fait souffler les vents, j’ai battu en retraite, parce qu’ayant à faire avec un personnage léger, j’ai craint de me trouver emporté dans quelque bourbier. Qu’il vous suffise de savoir qu’il ne faut plus penser à l’église de San-Giovani-de’-Fiorentini. Revenez promptement et portez-vous bien. Je n’ai pas autre chose à vous dire.

0000(Arch. Buonarroti.)



LV

À Benvenuto Cellini.
Rome, 1552.0000

Je vous ai estimé, il y a bien des années, comme le meilleur orfèvre qui ait jamais été, et aujourd’hui je vous reconnais pour un sculpteur aussi

18. Michel-Ange. Musée Buonarroti.
la madone allaitant l’enfant jésus

digne. J’ai à vous apprendre que messer Bindo Altoviti m’a mené voir un portrait fait, de lui, en bronze. Il m’a dit que cette œuvre était vôtre. J’en ai eu grand plaisir, mais j’ai bien trop regretté qu’elle fût exposée sous un mauvais jour. Si elle était éclairée plus raisonnablement, on verrait là quelle belle œuvre vous avez faite.

00000(Fragment d’une lettre citée par Benvenuto Cellini
0000000000000dans sa propre Vie, 1500-1571.)



LVI

À Giorgio Vasari.
Avril 1554.0000

Ne soyez point étonné si je ne vous réponds pas plus promptement ; j’agis ainsi pour ne pas ressembler à un boutiquier. Maintenant, je vous dirai que si je méritais une seule de toutes les louanges dont vous m’accablez dans votre dernière lettre, il me paraîtrait qu’en m’étant donné à vous de corps et d’âme, je vous aurais fait un présent de bien peu de valeur, et me serais acquitté de la plus petite partie de la dette que j’ai contractée envers vous. Je reconnais, à tout instant, que je vous dois plus que je ne puis payer ; je suis trop vieux pour espérer jamais de pouvoir égaliser notre compte dans cette vie. Ayez donc un peu de patience. Je suis tout à vous. Les choses ici restent dans le même état.

0000(Arch. Buonarroti.)



LVII

Au même.
Rome, 19 sept. 1554.0000

Certes, vous direz que je suis un vieux et un fou, à vouloir rimer des sonnets ; mais précisément parce que beaucoup disent que je tombe en enfantillage, j’ai voulu faire mon devoir. À votre lettre, je vois l’amour que vous me portez. Retenez pour certain qu’il me serait cher d’aller faire reposer mes pauvres os auprès de ceux de mon père, ainsi que vous m’en faites prière. Mais si je partais d’ici, je serais cause d’une grande ruine pour la Fabrique de San-Pietro : ce serait grande honte et très grand péché. Quand sera établie toute la composition et qu’elle ne pourra plus être changée, j’espère alors faire ce que vous m’écrivez. En attendant, il n’est pas mal de tenir en échec certains gloutons qui attendent que je m’en aille vite.

0000(Arch. Buonarroti.)



LVIII

À messer Bartolomeo Ammannati [44].
Rome, 1555.0000

0000Mon cher ami,

On ne peut nier que Bramante ne fût, en architecture, aussi valeureux que le meilleur, depuis les Antiques. Le premier, il a tracé le plan de San-Pietro, non plein d’obscurité, mais clair et net, lumineux et isolé alentour, de manière à ne nuire à aucune autre ligne du palais. On le retint pour une belle chose, — et c’est encore manifeste, — de telle sorte que quiconque s’est écarté de cette ordonnance établie par Bramante, comme Ta fait Sangallo, s’est d’autant éloigné de la vérité. S’il en est ainsi, quiconque le regardera sans passion verra ainsi ce modèle. Sangallo, en arrondissant extérieurement la construction, enlève d’abord toute la lumière au plan de Bramante ; et non seulement cela, mais il ne reste pas même de lumière pour son projet. En haut et en bas, il place tant de coins et recoins obscurs, qu’ils favoriseront les infinis rendez-vous des ribauds. C’est à croire qu’il a voulu travailler secrètement pour les bandits, les faux monnayeurs, les nonnes enceintes et autres coquins ; en sorte que, le soir, quand l’église se fermera, il y faudra bien vingt-cinq hommes pour chercher qui ne s’y cache pas, et c’est avec peine qu’ils y trouveront quelqu’un s’il y est. Il y aura aussi un autre inconvénient. En circonscrivant le plan de Bramante comme Sangallo le fait à l’extérieur avec son plan supplémentaire, il faudra forcément jeter à terre (pour lui faire place ; la chapelle Pauline, les chambres du Piombo, la Ruota et beaucoup d’autres (bâtisses vaticanes), sans compter la chapelle Sixtine qui ne sera pas épargnée, je le crains. Quant à la partie exécutée de ce cercle extérieur, elle aurait déjà coûté, dit-on, cent mille écus. Cela est invraisemble, car on peut la faire avec seize mille. On ne perdrait pas grand’chose à la démolir, car les pierres employées aux fondations ne servent à rien. À économiser ce plan, la Fabrique de Saint-Pierre y gagnerait 200.000 écus et trois cents ans de durée. Tel est mon sentiment exprimé sans passion ; s’il est battu en brèche, ce sera avec de fort grandes pertes. Et si vous pouvez faire entendre ces raisons au pape, vous me ferez plaisir. Je ne me sens pas bien.

Votre

Michelagnollo.0000

Si l’on exécute le modèle de Sangallo, il s’ensuivra encore que tout ce qui aura été fait de mon temps tombera par terre, et ce sera bien grand dommage.

0000(Arch. Buonarroti.)



LIX

À Giorgio Vasari, peintre excellent, à Florence.
Mai 1555.0000

J’ai été employé par force à la Fabrique de San-Pietro, et j’y ai servi environ huit ans, non seulement gratuitement, mais encore à mon plus grand dommage et déplaisir. Et maintenant que l’affaire marche et qu’il y a de l’argent à dépenser, au moment où je vais lever en toute hâte la coupole, si je m’en allais, ce serait la ruine de cet ouvrage. Je porterais la plus grande vergogne à la face de la chrétienté, et le plus grand péché sur mon âme. C’est pourquoi, mon cher messer Georges, je vous prie de remercier de ma part le duc pour les belles propositions que vous m’écrivez, et de dire à la Signoria que je lui demande la permission et sa bonne grâce, afin de pouvoir continuer ici mon œuvre, de telle sorte que j’en puisse partir en bonne réputation, honneur et sans péché.

0000(Arch. Buonarroti.)



LX

Au même.
Rome, 22 juin 1555.

Ce soir chez moi est venu me trouver un jeune homme très discret et de bien. C’est messer Leonardo (Marinozzi d’Ancône), camérier du duc. Il m’a fait avec grande sympathie et affection, de la part de son seigneur, les mêmes propositions que contenait votre dernière lettre. Je lui ai répondu la même chose qu’à vous, c’est-à-dire que je remercie le duc de sa belle proposition, le mieux que je saurais le faire, et que je prie la Signoria de m’accorder la permission de terminer ici la construction de San-Pietro, jusqu’à son complément final, et pour qu’elle ne puisse être changée de forme. Si je partais avant, je serais coupable d’une grande ruine, d’une grande honte et d’un grand péché. Pour l’amour de Dieu et de saint Pierre, je vous prie d’en faire aussi prière au duc, en me recommandant à Sa Seigneurie. Mon cher messer Georges, je sais que vous êtes fait à ma manière d’écrire. Me voici arrivé à ma 24 e heure, et la pensée ne me vient pas que j’y doive trouver la mort. Dieu veuille que je la tienne éloignée, quelques années encore.

0000(Arch. Buonarroti.)



LXI

Au même.
23 février 1556.0000

Messer Georges, mon cher ami, j’écrirai mal. Cependant il faut que je vous dise quelque chose, en réponse à votre lettre. Vous savez comment Urbino est mort. Ce fut pour moi une très grande faveur de Dieu, et un sujet de chagrin bien cruel. Je dis que ce fut une faveur de Dieu, parce qu’Urbino, après avoir été le soutien de ma vie, m’a appris non seulement à mourir sans regret, mais même à désirer la mort. Je l’ai gardé vingt-six ans avec moi, et je l’ai toujours trouvé parfait et fidèle. Je l’avais enrichi, je le regardais comme le bâton et l’appui de ma vieillesse, et il m’échappe en ne me laissant que l’espérance de le revoir dans l’autre monde. J’ai un gage de son bonheur dans la manière dont il est mort. Il ne regrettait pas la vie ; il s’affligeait seulement en pensant qu’il me laissait accablé de maux, au milieu de ce monde trompeur et méchant. Il est vrai que la majeure partie de moi-même l’a déjà suivi, et tout ce qui me reste n’est plus que misères et que peines. Je me recommande à vous.

0000(Arch. Buonarroti.)



LXII

Au même.
Rome, 28 décembre 1556.0000

… J’ai reçu le petit livre de messer Cosimo [45] que vous m’avez envoyé. Veuillez trouver ici mes remerciements pour Sa Seigneurie. Je vous prie de les lui exprimer et de me recommander à lui. J’ai eu, ces jours-ci, à la fois grand en lui et grand plaisir sur les montagnes de Spolète, à y visiter les ermites. Je n’en ai rapporté à Rome que la moitié de moi-même. Vraiment, il n’y a de paix que dans les bois. Rien d’autre à vous dire. Je suis heureux que vous soyez bien portant et joyeux.

0000(Arch. Buonarroti.)



LXIII

À Cornelia, veuve de Urbino.
Rome, 28 mars 1557.0000

Je m’étais bien aperçu que tu t’étais indignée contre moi, mais je n’en trouvais pas la raison. Aujourd’hui, devant ta dernière lettre, il me semble t’avoir comprise. Quand tu m’as envoyé les fromages, tu m’as écrit que tu voulais m’envoyer beaucoup d’autres choses, mais que les mouchoirs n’étaient pas encore prêts. Pour ne pas entrer en dépense à mon sujet, je t’écrivis de ne rien envoyer, mais de me demander quelque chose si tu voulais me faire plaisir, sachant et mieux devant être certaine de l’affection que je porte encore à Urbino, bien que mort, et à tout ce qui est sien. Quant à venir ici ou à m’envoyer Michelagniolo [46], il faut que je t’écrive dans quelles difficultés je me trouve. Il n’est pas à propos d’envoyer Michelagniolo, parce que je suis sans femme et sans service et que le petit est encore trop jeune ; il pourrait en arriver quelque ennui dont je serais fort mécontent. Il y a aussi que le duc de Florence, depuis un mois, fait grand effort pour que je m’en retourne au pays, où ses belles promesses m’attendent. Je lui ai demandé assez de temps pour arranger mes affaires et pour me laisser achever la construction de Saint-Pierre ; en sorte que je crois rester encore ici, tout cet été prochain. Quand j’aurai dépêché mes affaires et les vôtres, concernant le Mont de la Foi, l’hiver prochain, je m’en retournerai pour toujours à Florence, parce que je suis vieux et que je n’ai plus le temps de revenir à Rome. Je passerai alors par chez toi, et si tu veux me donner Michelagniolo, je le garderai à Florence avec plus d’amour encore que les enfants de mon neveu Leonardo. Je lui enseignerai ce que son père désirait qu’il apprît. Je n’ai eu ta dernière lettre qu’hier, 27 de ce mois.

0000(Arch. Buonarroti.)



LXIV

À Giorgio Vasari.
Rome, mai 1557.0000

Messer Giorgio, mon cher ami, je prends Dieu à témoin que c’est contre ma volonté et avec la plus grande répugnance que je me chargeai, il y a dix ans, par ordre du pape Paul III, de la construction de Saint-Pierre de Rome, et que, si l’on avait continué à y travailler comme on le faisait alors, cet édifice serait aujourd’hui arrivé à un point qui me permettrait d’aller à Florence, comme je le désire. Mais le manque de fonds a tout ralenti, précisément au moment où nous sommes arrivés aux parties les plus importantes et les plus difficiles. Si j’abandonnais la partie, je me couvrirais de honte ; et ce serait, d’ailleurs, un péché de perdre le prix de toutes les peines que j’ai endurées, pendant ces dix années, pour l’amour de Dieu. Si j’entre dans ces détails, c’est pour répondre à votre lettre et à celle du duc, qui me traite avec tant de bonté que j’en suis grandement touché. J’en rends grâces à Dieu et à Sa Seigneurie, autant que je le sais et que je le puis. Mais je sors de mon sujet, parce que je perds la mémoire et la tête. Écrire devient pour moi une chose d’autant plus pénible que ce n’est pas mon art. Je conclus enfin en vous laissant comprendre ce qui s’ensuivrait, si j’abandonnais la bâtisse de Saint-Pierre ; d’abord je rendrais bien contents beaucoup de fripons, ensuite j’occasionnerais la ruine de ce grand monument, qui peut-être ne serait jamais achevé.

0000(Arch. Buonarroti.)



LXV

Au même.
Rome, 17 août 1557.0000

Le maître maçon s’est servi de la centina [47] marquée de rouge, sur le corps de toute la voûte. Lorsqu’on vint ensuite à passer au demi-cercle, qui est au faîte de la voûte, il s’aperçut de Terreur que faisait faire la centina, comme on le voit dans les marques tracées avec du noir sur le dessin. Le travail de la voûte est tellement avancé, qu’il faudra démolir un grand nombre de pierres, parce que cette construction est toute en travertin et que le diamètre des cercles est de vingt-deux palmes, sans compter la corniche qui les environne. J’avais fait un modèle tout exprès, comme pour toutes les choses que j’entreprends ; et cette erreur n’est arrivée que parce que ma vieillesse m’a empêché d’aller visiter souvent les travaux. Je croyais que cette voûte allait être terminée, maintenant elle ne pourra plus l’être de tout ce printemps. Si l’on pouvait mourir de chagrin et de douleur, ce serait tant mieux. Je vous prie d’informer le duc des raisons qui m’empêchent de me rendre à Florence.



LXVI

Au même, le même jour.

Messer Giorgio, pour mieux faire concevoir la difficulté que présente cet ouvrage en le prenant à son commencement, il a fallu le diviser en trois voûtes correspondantes aux fenêtres d’en bas, divisées par les pilastres, comme vous voyez : elles vont en forme pyramidale se réunir au point central du faîte de la voûte. Il était nécessaire de les gouverner avec un nombre infini de cintres en bois, changeant si souvent et par tant de côtés, de point en point, que l’on ne peut y tenir une règle sûre. Les ronds et les carrés qui viennent aboutir au centre de leurs fonds ont à diminuer et à croître par tant de côtés, et à aller à tant de points, qu’il est bien difficile d’en trouver le vrai mode. Néanmoins, à l’aide du modèle que j’ai fait, selon ma coutume, on n’aurait jamais dû commettre une aussi grande erreur que celle de vouloir gouverner ces trois coquilles à la fois avec un seul cintre en bois. Il nous reste donc la honte de démolir et redémolir encore un grand nombre de pierres. La voûte, les ornements et les parties inférieures sont en travertin, chose qui n’est pas en usage à Rome.

Je remercie de mon mieux le duc pour sa charité. Que Dieu me fasse la grâce de pouvoir encore mettre ma personne au service de Sa Seigneurie. Mais il reste si peu de moi : la mémoire et le cerveau sont allés m’attendre ailleurs.

0000(Arch. Buonarroti.)



LXVII

Au même.
28 sept. 1558.0000

Messer Giorgio, mon cher ami, soyez persuadé que si je pouvais me rappeler la manière dont j’avais combiné l’escalier de la bibliothèque de San-Lorenzo, dont on m’a tant parlé, je ne me ferais pas prier pour le dire. Je me rappelle bien, comme on se rappelle un songe, un certain escalier ; mais je ne crois pas que ce soit précisément le même que je composai alors ; parce que, s’il était ainsi qu’il me revient à l’esprit, ce serait une sottise. Cependant je vous dirai qu’il me semble que je prenais une quantité de boites ovales, de longueur et de largeur différentes, mais ayant toutes une palme de hauteur. Je posais sur le pavé la plus grande boite, aussi loin de la porte que je voulais que l’escalier fût doux ou dur à monter. Je posais sur celle-là une autre plus petite en tous sens, de manière qu’il y avait sous la première de dessous autant d’espace qu’il en faut au pied pour monter, et j’allais ainsi les diminuant et les retirant vers la porte, toujours en montant. Il faut que la dernière marche soit de la même grandeur que le vide de la porte, et que ladite partie de l’escalier ovale ait comme deux ailes, l’une d’un côté, et l’autre de l’autre. Suivant les mêmes marches qui ne sont pas ovales, l’une de ces ailes sert à celui qui monte, depuis le milieu jusqu’au-dessus dudit escalier, et les retours des deux ailes reviennent au mur. Du milieu et en dessous, jusque sur le pavé, elles s’éloignent du mur, avec tout l’escalier, d’environ 3 palmes ; de sorte que la base de la retraite n’est occupée en aucun endroit et reste absolument libre, de tous côtés. Je vous écris des choses vraiment risibles, mais je sais bien que vous trouverez ce qu’il convient de faire.

0000(Arch. Buonarroti.)



LXVIII

Cornelia, femme d’Urbin, à Michel-Ange.
Castel-Durante, le 13 décembre 1557.0000

L’été passé, l’Illsimeet Révsime cardinal) Turnone ayant entendu dire que mes enfants avaient deux tableaux de vos dessins, rit grandes instances pour les voir et y employa Rosso et plusieurs de nos parents, qui me prièrent de donner à Sa Seigneurie Illsime la satisfaction de les voir. Les avant vus, il les trouva fort à son goût et il mit aussitôt dans sa pensée de les acquérir à prix d’argent. Je ne voulus jamais consentir à une telle vente, encore que j’en eusse été priée maintes fois par d’autres ; je m’y obstinai même toujours davantage. Plus le cardinal réitéra son offre, plus je me défendis de lui complaire, donnant toujours pour excuse que je gardais ces dessins en mémoire de vous à qui, mes enfants et moi, nous sommes si obligés ; et j’ajoutai que jamais, en aucun temps, ces tableaux ne sortiraient de la maison. Ainsi Sa Seigneurie Illsime et Révsime, voyant ma ferme et constante résolution, se retira et ne me fit pas adresser d’autre prière.

En octobre dernier, l’Excsime seigneur duc, notre maître, apprit pareillement que j’avais ces tableaux, et donna ordre à un prêtre de sa maison de s’employer à les faire porter à Urbino, car il les voulait voir. Ainsi ce prêtre envoya quelqu’un avec une de ses lettres de la part de Son Excellence, me priant de lui envoyer les dessins, pour qu’il pût seulement les voir. Je m’excusai du mieux que je pus et j’évitai ainsi, cette fois encore, de les envoyer. Ces jours derniers, Son Excellence, désireuse encore de les voir, manda M. le commissaire de notre province de Massa avec une autre personne de sa cour et une lettre très aimable, me priant d’envoyer les tableaux et de les confier à une personne dont j’aurais fait choix, car il désirait les voir. Ne sachant comment procéder en cette affaire, je me résolus à demander avis à certains de nos parents, qui me dirent : « Cornelia, il ne faut pas user envers le seigneur duc de la même obstination que vous avez employée à l’égard du cardinal Turnone, parce que Son Excellence est maîtresse des dessins comme de tout ce qui vous appartient. S’ils lui plaisent, il faudra que vous les lui donniez de toute manière. Aussi nous vous conseillons de les lui adresser avec un des vôtres qui lui dira que Son Excellence est maîtresse de ces tableaux, de votre bien, de vos enfants et de toute autre chose, et qu’Elle peut en disposer comme de son propre bien. » Ainsi je fis, selon le conseil donné. J’envoyai un de nos parents, qui remplit diligemment le message auprès de Son Excellence. Celle-ci, ayant vu les tableaux, dit à notre parent qu’ils étaient d’une grande beauté, et il lui fit ordre de ne point repartir sans sa permission. Quatre jours après, le duc le fit appeler et lui dit qu’il acceptait à la fois les tableaux et mes bonnes intentions, ajoutant qu’il m’était obligé de l’offre libre que je lui avais faite ; et que les tableaux étaient si beaux qu’il n’y avait pas de prix qui les pût payer, et que s’il voulait, lui, les acquérir, il faudrait aller jusqu’à des milliers d’écus. Mais il voulait que les enfants profitassent de cent écus, par affection ducale. Notre parent refusa à maintes reprises de les recevoir, disant que les enfants ne voulaient pas autre chose que la grâce de Son Excellence, et qu’Elle voulût bien qu’ils lui fussent recommandés. Il lui raconta l’affaire de Rosso. Son Excellence, après l’avoir forcé à prendre les cent écus, donna les ordres les plus pressants en notre faveur pour que nos affaires fussent bien revisées, sans dépense et sans aucun procès. Ensuite, il me renvoya le même sieur commissaire avec une lettre, pour me remercier et faire aux enfants les plus larges promesses.

J’ai écrit tout ce qui est arrivé à V. S., pour que vous vous contentiez de ce qu’a voulu Son Exe. Ainsi, je vous prie instamment d’être satisfait aussi de la libéralité dont j’ai usé envers notre Exsime maître. Je vous prie aussi, autant que je le puis, de m’écrire afin que j’aie en repos mon esprit qui, depuis le jour où j’ai envoyé ces tableaux, est dans un ennui continu et y restera jusqu’à ce que j’aie une de vos lettres me faisant connaître clairement que vous n’en êtes pas fâché. En outre, Francesco, dont Dieu ait l’âme, ayant fait mention de ces deux tableaux dans son testament, je désirerais qu’à l’aide de votre sieur Marcello (Venusti, peintre mantouan), vous fassiez

19. Michel-Ange. British Museum.
étude pour un christ ressuscitant
faire deux copies de ces mêmes tableaux, coûte que coûte. Vous pourriez

les payer avec les intérêts de l’argent qui est déposé au Mont de la Foi. Si V. S. écrit qu’il faut ajouter à l’intérêt de cet argent du Mont, dès que j’en serai avisée j’enverrai le reste pour que la somme totale soit égalisée. Je me contenterai de votre bon plaisir. Quant à trouver ce surplus, je dis que je l’ai trouvé ; et, s’il le faut, je l’enverrai, car il pourrait toujours servir aux enfants. Si donc messer Marcello veut faire les copies, que V. S. m’en avise.

En attendant, portez-vous bien. Et, s’il arrive que je puisse faire quelque chose pour vous, prévenez-moi, car je ne manquerai pas de mettre toutes mes forces à vous servir. Je vous prie de vous souvenir de moi et de mes enfants. Mon père, ma mère et les petits vous envoient mille saluts avec les miens.

De V. S.

La fille très affectueuse,

Cornelia Colonelli de Amatorij.0000

0000(Arch. Buonarroti.)



LXIX

De la même au même.
Castel-Durante, le 4 octobre 1558.0000


0000Très magnifique et compère excellent,

La courtoise affection que V. S. a toujours témoignée à mes enfants et à moi a été telle, que je peux vraiment dire qu’elle a été la plus grande et a dépassé de beaucoup celle de mon père, de ma mère et de tout autre de mes parents. Connaissant ainsi la vérité, je vous ai toujours aimé, obéi et révéré comme un père et un maître très aimé, et j’aurai toujours l’âme prête à vous obéir, à vous servir et à vous écouter ; et je ne me résoudrai jamais à rien faire avant d’avoir connu votre volonté et pris votre conseil.

Si V. S. se le rappelle, ces jours passés, je vous écrivis pour vous apprendre le grand désir qu’avaient mon père et ma mère de me remarier ; et qu’entre autres partis, ils préféraient un jeune homme de San-Agnollo in Vado, cousin germain de l’abbé de ce lieu. Encore qu’il ne fût pas à mon goût, comme il plaisait à tous et à mon père et à ma mère dont V. S. m’avait conseillé d’accomplir la volonté, je me résolus à obéir et à faire ce qu’ils me commandaient, comme il convenait à une fille obéissante. Je consentis donc à accepter pour mari celui qui leur plaisait tant, bien qu’il ne répondit pas à ma pensée. Pour mon malheur, j’ai trébuché à une paille, comme on dit, et je me suis cassé le cou par amour pour mon père qui a fait la plus grande erreur qu’un homme puisse commettre en se laissant persuader par des personnes peu dignes de son affection à lui et de celle de mes sœurs, de mes neveux et de moi-même, de faire ce qui n’aurait jamais dû être, ni fait, ni pensé même, par persuasion de cet abbé et du père de celui dont je devais devenir l’épouse et la femme. Sitôt faits les contrats (lesquels furent faits publiquement, en présence de tous les maris de mes sœurs et de nos autres parents et amis affectionnés), mon père, secrètement, à mon insu, contre toute raison et seulement pour favoriser l’abbé, me fit donation de tout son bien, privant ainsi sans aucun motif tous ses autres enfants et neveux. Cette action, aussi peu honnête que raisonnable, m’a tant affligée et troublée, que je me trouve depuis sans sentiment aucun quand je considère qu’il ne convenait pas à mon père de déposséder ses filles légitimes chargées de seize enfants, tant mâles que femelles, pour me faire sa seule légataire, moi qu’il avait déjà favorisée d’une dot beaucoup plus grande que celle de mes sœurs, ma dot s’étant élevée à 1.000 florins, et celle de mes sœurs à 200 seulement pour chacune. V. S. peut estimer quel dommage cette donation porte à mes pauvres sœurs, qui sont pourtant aussi filles légitimes que moi de notre père.

Mais Dieu, à qui la fraude et le mensonge déplaisent, n’a pas voulu permettre une telle iniquité. Avant que l’époux vînt à moi, la Providence a fait découvrir à mes sœurs et à moi cette donation. Comme elle me déplaît outre mesure, voulant montrer mon affection à mes sœurs et à mes chers neveux, et prouver au monde que je n’avais pas connu de telles embûches et tromperies, j’ai cherché, du mieux que je l’ai su et pu, à découvrir ce méfait consommé avec le consentement du père de l’époux et celui de l’abbé. J’ai voulu rétrocéder et donner à mes sœurs tout ce que mon père m’avait donné à moi, me contentant de ma première dot et voulant, comme c’est convenable, que mes sœurs en aient autant que j’en ai eu. Mais eux, les parents du futur, manquant de cette charité qui convient aux chrétiens, ils n’ont pas voulu y consentir. Bien mieux, ils ont fait et font plus de compte de ma dot que de mon corps ; et moi, d’une âme plus généreuse, j’ai pris et tiens la ferme proposition de faire plus de compte de mes sœurs et de leurs maris et enfants que de tout ce qu’a pu me léguer mon père ; étant bien assurée qu’en ne faisant point ainsi, je serais perpétuellement en inimitié continuelle avec mes sœurs, leurs maris et enfants. C’est pourquoi je me résolus à m’adresser au père de mon mari ; et je lui dis, toute anxieuse et dégoûtée, ce qui me paraissait raisonnable, en le suppliant de vouloir bien se contenter de ma première dot et de ne vouloir pas être cause, pour son fils et pour moi, de perpétuelles inimitiés entre mes sœurs, leurs maris et leurs fils. Je ne tirai de lui aucune résolution ; aussi j’envoyai ma mère chez l’abbé pour lui faire la même protestation que j’avais faite au père de mon futur ; je le priai de la même manière. Mais lui, aussi peu raisonnable, dit qu’il ne voulait consentir à aucune rétrocession ni remise ; bien plus, il signifia a ma mère que, si j’étais mécontente et peu satisfaite de la donation et des conséquences qui s’ensuivraient, je n’avais plus qu’à agir à ma guise, et ils agiraient à la leur. C’est pourquoi ceux-ci, ne voulant pas consentir à ma proposition raisonnable, et, de mon côté, ayant eu de mauvais et de nombreux renseignements sur le compte de mon promis, qui est avarié du mal français, — jeune homme peu courtois et rien moins que vertueux, ajoutant à cela bien d’autres défauts de sa personne et un si petit avoir qu’il ne compte pour presque rien, — j’ai rendu public que je ne voulais d’aucune sorte être la femme de ce dernier, et j’ai fait savoir aux siens qu’ils agissent à leur guise, car j’agirais à la mienne.

À la suite de tout cela, je me trouve bien mal contente et peu satisfaite, d’autant plus que je vois mon père peu affectueux envers mes autres sœurs, tenir ferme sa première proposition de me vouloir faire prendre cet homme pour époux, sans tenir compte des plaintes, des cris et du tapage de ses filles, de ses gendres et de ses neveux, auxquels je ne peux souffrir ni ne voudrais jamais supporter qu’il soit fait un si grand dommage et un tort si exprès, parce qu’ils sont très pauvres.

Comme vous venez de l’apprendre, magnifique Maître que j’honore comme un père, je suis dans les tourments et l’angoisse ; et je ne sais comment en sortir, par la faute de mon obstiné père, qui, encore qu’il en ait été prié par maints hommes de bien, ne veut pas confesser son erreur ni se repentir du tort qu’il a fait à ses filles. Si V. S. ne vient pas à mon aide par une de ses lettres affectueuses, je reste toute à mon désespoir. Loin de moi cette parenté nouvelle où je ne reconnais plus aucun ordre, tant pour la vilenie employée que pour les mauvaises qualités du sujet et parce que, ces mauvais rapports étant survenus entre nous, je suis bien sûre que je n’aurais plus une heure de bonheur. C’est pourquoi je me suis résolue de mon mieux à ne pas contracter cette parenté-là. Et pour donner suite à mon ferme propos, je vous prie, autant que je le dois et le puis, de me donner aide et conseil pour ramener mon père de sa dure obstination. Pour si ferme qu’elle soit, il la modifiera si V. S. l’en persuade ; car il est plein de considération pour vous, et personne ne lui en imposera davantage. J’attendrai que V. S. me donne quelques conseils et qu’elle persuade mon père à ne point passer pour cruel et sans pitié, en portant un si grave dommage à ses filles, en même temps qu’il me mécontente. Et si, en retour, je peux faire quelque chose pour vous, commandez-moi comme votre fille toujours prête à vous servir.

Pardonnez-moi si je ne vous écris pas plus souvent, car les soucis occupent tellement mon esprit que je ne sais parfois si je suis encore de ce monde. Michelagnolo se recommande à vous, de même que son frère Francesco, mon père et ma mère. Je vous baise la main.

De V. S.

La fille affectueuse,

Cornelia Amatori da Colonello.0000

LXX

À Messer Bartolomeo Ammannati, Florence.
Rome, 15 janvier 1559. 0000


Je vous ai écrit que j’avais fait un petit modèle, en terre, de l’escalier de la Libreria. Je vous l’envoie dans une boite. En si petite dimension, je ne puis vous adresser que l’idée, me rappelant que ce que je vous avais déjà donné était isolé et ne s’appuyait qu’à la porte de la Bibliothèque. Je m’en suis tenu au même modèle. Je ne voudrais pas que les escaliers qui laissent le principal au milieu aient, aux extrémités, des balustrades comme il s’en trouve au principal ; mais il faudrait, entre chaque degré, un siège comme je l’ai indiqué dans les ornements. Je n’ai à vous parler ni de bases, ni de cimaises, ni de corniches, parce que vous êtes un vaillant artiste et que, sur place, vous en verrez mieux la nécessité que je ne le fais moi-même. Gênez le moins que vous pourrez la hauteur et la largeur de l’escalier, en restreignant et en élargissant ce qui vous paraîtra nécessaire. Mon avis est que si cet escalier se faisait en bois, c’est-à-dire en beau noyer, il viendrait mieux qu’en pierre et s’harmoniserait mieux avec les bancs, le balcon et la porte. Rien de plus. Je suis tout vôtre, vieux, aveugle, sourd et mal d’accord avec mes mains et toute ma personne.

0000(Arch. Buonarroti.)



LXXI

À Giorgio Vasari.
Avril 1559.0000

Giorgio, mon cher ami, j’ai pris un très grand plaisir à lire votre lettre, ayant vu que vous vous souveniez du pauvre vieux. Vous avez assisté à la fête qu’on a donnée pour la naissance d’un nouveau Buonarroti [48]. Je vous rends grâce de ces détails autant qu’il est en mon pouvoir ; mais une telle pompe me déplaît, parce que l’homme ne doit pas rire lorsque tout le monde pleure. Il me semble que Lionardo ne devrait pas faire tant de réjouissances pour un enfant qui vient de naître : on doit conserver cette allégresse pour la mort de celui qui a bien vécu.

(Arch. Buonarroti.)0000



LXXII

Aux Surintendants de la Fabrique de Saint-Pierre.
Rome, 1560.0000

Vous savez que j’ai dit à Balduccio qu’il n’envoyât pas sa chaux, si elle n’était pas bonne. Maintenant, comme il l’a envoyée mauvaise, sans douter qu’il aurait à la reprendre, on peut croire qu’il a pactisé avec qui l’a reçue. C’est une grande faveur faite à ceux que j’ai chassés de la fabrique pour un tel compte ; car qui accepte les mauvais matériaux nécessaires à la construction, quand je les ai prohibés, ne fait autre que de se chercher des amis parmi ceux dont je me suis fait des ennemis. Je crois que ce sera motif d’une ligue nouvelle. Les promesses, les pourboires, les présents, corrompent la justice. Aussi je vous prie dorénavant, au nom de l’autorité que je tiens du pape, de n’accepter aucun matériel qui ne soit acceptable, quand même il viendrait du ciel, afin que je ne passe pas pour l’homme partial que je ne saurais être.

(Arch. Vaticanes.) 0000



LXXIII

Giorgio Vasari à Cosme Ier.
Rome, 9 avril 1560.0000

0000Illustrissime et Excellentissime, etc.

Je suis arrive à Rome, et, aussitôt que le Révsime et Illustrsime Médicis eut fait son entrée et reçut le chapeau de notre seigneur le pape Jules II, je suis allé immédiatement trouver mon grand Michel-Ange. Comme il n’était pas informé de ma venue, il se suspendit à mon cou pour m’embrasser mille fois, pleurant avec cette tendresse que montrent les vieillards quand ils retrouvent des enfants perdus sans espoir. Nous nous sommes revus, lui et moi, si volontiers que je n’ai jamais eu de plus grande joie depuis que je suis à votre service, encore que Votre Excellence m’en ait fait éprouver tant de fois. Nous raisonnâmes longuement sur le gouvernement et les miracles dont Dieu a fait et fait journellement preuve, à votre égard. Il s’est plaint seulement de n’avoir plus les forces égales à son âme pour vous obéir au moindre signe ; et il ajoutait que, n’ayant pas été digne de vous servir en des années meilleures, il remerciait Dieu que j’y sois employé, et il a confiance en cet échange parce qu’il m’aime et me considère comme un fils. Il s’est plaint de ne pouvoir aller rendre visite au Révsime et Illustrsime Médicis, parce qu’il peut à peine se remuer. Malgré son extrême vieillesse, il n’a pas grand repos. Il se dit si faible, qu’il doute d’avoir encore longtemps à vivre si la bonté de Dieu ne le maintient pour l’achèvement de Saint-Pierre, qui en a, certes, bien besoin. Je reste stupéfait en constatant que les Antiques sont surpassés en beauté et en grâce par ce qu’a su faire ce génie divin. Jusqu’à présent, je suis resté chaque jour auprès de lui, et nous avons avisé aux dessins du pont Santa-Trinita, sur lesquels le maitre a longuement raisonné. Répondant à sa pensée, je vous apporterai un mémoire des écrits et des dessins avec les mesures contenues selon le site. J’y ajouterai de nombreux raisonnements faits sur les choses de l’art et qui permettront de finir ce Dialogue que je vous ai déjà lu, dans lequel Michel-Ange et moi nous argumentons ensemble.

Une fois, de compagnie, nous avons chevauché vers Saint-Pierre, où il m’a montré bien des difficultés et aussi le modèle de liège qu’il fait faire de la coupole et de sa lanterne, et ce très bizarre modèle est chose vraiment extraordinaire. J’avais, en vérité, besoin de ce spectacle pour rafraîchir mes yeux, tant mon esprit était intrigué par l’importance des choses que je vois ici…



LXXIV

Au cardinal Di Carpi.
Rome, 13 sept. 1560.0000

Messer Francesco Bandini m’a rapporté, hier, que Votre Seigneurie Illustrissime et Revérendissime lui avait dit que la construction de Saint-Pierre ne pouvait aller plus mal. Ce propos m’a vraiment peiné, soit parce que vous avez été mal informé, soit parce que, comme c’est mon devoir, je désire, plus que tout autreau monde, que ces travaux marchent bien. Je crois, si je ne me leurre, pouvoir vous assurer que l’on ne saurait mieux y travailler qu’on ne le fait à cette heure. Mais il se peut que mes propres intérêts et la vieillesse me trompent facilement. Aussi, pour affirmer mes intentions les meilleures de ne pas porter dommage et préjudice à cette construction, j’entends, le plus tôt que je le pourrai, demander mon congé au Saint-Père. Et même, pour gagner du temps, je veux supplier Votre Seigneurie Illustrissime et Revérendissime de se donner la satisfaction de m’enlever cette responsabilité que, par ordre des papes, comme vous le savez, j’ai volontiers et gratuitement assumée, depuis dix-sept ans. Au cours de ce temps, on peut aisément voir quelle fut la part de mon œuvre dans cette construction. En lui redemandant la grâce de mon congé, je vous prie de croire que, pour une fois, vous ne sauriez me faire une plus singulière faveur. En toute révérence je baise humblement la main de Votre Seigneurie Illustrissime et Revérendissime.

0000(Arch. Buonarroti.)


LXXV

Catherine, Reine de France, à Messer Michel-Ange.
Orléans, 30 oct. 1560.0000

Voulant vous prouver par des effets combien je désire que la statue équestre du Roi mon seigneur soit faite par vos soins et en due perfection, et que vous n’ayez point de raison de douter (comme votre lettre le montre) que cette œuvre, qui me tient à cœur plus que toute autre chose, me puisse sortir de l’esprit, j’ai fait déposer ici entre les mains de Messer Jean-Baptiste Gondi jusqu’à la somme de 6.000 écus d’or. Celui-ci, selon la convention faite par le seigneur Robert, mon cousin, et le sculpteur que vous lui avez proposé, lui fournir à Rome, en temps voulu, les provisions nécessaires qui seront prises sur cette somme. Ainsi de mon côté, n’ayant plus autre chose à faire, je vous prie, pour l’amour que vous avez toujours porté à ma maison, à la patrie et finalement à la vertu, de vouloir faire, avec toute la diligence et l’assiduité que permettra votre âge, qu’une œuvre aussi digne représente à la fois mon seigneur dans sa vive ressemblance et l’habituelle supériorité de votre art sans rival. Si, avec cette œuvre, vous ne pouvez agrandir votre renom, du moins pourrez-vous augmenter celui de votre très affectueuse gratitude envers moi et mes ancêtres. Par elle, vous conserverez longuement la mémoire de mon unique et légitime amour, et je vous en serai aussitôt et très largement reconnaissante. Sans autre, je prie Dieu, Michel-Ange, qu’il vous conserve en longue vie et heureuse santé. Votre bonne patronne.

Catherine.0000

0000(Arch. Buonarroti.)



LXXVI

Aux Membres de la Fabrique de Saint-Pierre.
Rome, nov. 1561.0000

0000Messieurs,

Étant vieux et voyant que César [49], un des surintendants de la Fabrique de Saint-Pierre, est aussi occupé à ses fonctions et aux choses de la Fabrique, que les hommes qui restent le plus souvent sans tête, il m’a paru nécessaire de lui donner comme aide Luigi de Gaëta, dont je reconnais la personne honorablement utile à la construction. Coutumier de la bâtisse et attaché à ma maison, il pourra m’aviser, chaque soir, de ce qui aura été fait pendant le jour. Vos Seigneuries voudront bien lui faire ordonnancer son mandat, pour sa provision commencée le 1er de ce mois, et l’augmenter du traitement de César. Autrement, je le payerai de mon argent. Car j’ai résolu qu’il en soit ainsi, reconnaissant le besoin et l’utilité de ce secours pour la Fabrique de Saint-Pierre.

0000(Arch. Vacicanes.)



LXXVII

Leone Leoni [50] à Michel-Ange.
Milan, le 14 mars 1561.0000

Mon très magnifique seigneur et toujours très révéré, Par le sieur Carlo Visconte, grand homme de cette ville de Milan et aimé de Sa Sainteté, j’envoie à V. S. quatre médailles à votre effigie, deux d’argent et deux de bronze. J’aurais été plus prompt à vous les envoyer si le travail que V. S. m’a fait avoir de Sa Sainteté ne me tenait à ce point occupé. Je voudrais espérer du moins que V. S. me pardonnera l’erreur de ce retard ; je n’ose pas dire le péché de l’ingratitude. La médaille qui est dans son écrin est toute repolie ; je vous prie de l’accepter et de la conserver en souvenir de moi. Des trois autres vous ferez ce qu’il vous plaira. Ainsi en ayant envoyé par ambition plusieurs exemplaires en Espagne et en Flandre, je me plais à en envoyer aussi par amour à Rome et en autres lieux. J’ai dit par ambition, parce que je crois avoir trop acquis défaveurs en obtenant la grâce de V. S. que j’estime beaucoup. Et comment en serait-il autrement lorsque, en moins de trois mois, j’ai eu deux lettres écrites par vous, homme divin, non comme un serviteur de cœur et de volonté, mais comme un fils ? Eh bien ! je ne donnerai à V. S. plus d’autre ennui pour l’instant, si ce n’est en la priant de continuer à m’aimer et, selon les circonstances, à me favoriser. Veuillez dire au sieur Tomao dei Cavalieri que je ne l’oublie pas. Que le Seigneur comble vos vœux, et qu’il satisfasse ainsi tous les miens.

De V. S. le serviteur obligé,

Le chevalier Leone.0000

0000(Arch. Buonarroti.)



LXXVIII

Leone Leoni à Michel-Ange.
Mantoue, le 12 avril 1551.0000

0000Très magnifique seigneur toujours très révéré,

Je n’écrirai pas trop longuement à V. S., parce que je suis occupé au plus grand apparat qui ait jamais été fait, depuis cent ans [51]. Il y entre des monts, des îles, des eaux vraies, des combats de terre et de mer, avec ciel et enfer et de nombreux édifices en perspective. À ce labeur, j’expie mes péchés avec trois cents hommes employés à cette œuvre. Cette ville (de Mantoue) paraît un vrai chaos, et il semble que j’y sois venu pour la détruire. On n’y trouve plus travée, ni ais, ni clou, ni toile, rien plus, tant j’emploie de matériaux au fracas de cette œuvre. J’en aviserai mieux V. S. quand il en sera temps. En attendant, je supplie V. S. de me conserver dans son souvenir et dans son affection ordinaire. J’aurai un extrême plaisir à apprendre que vous avez reçu quatre médailles à votre effigie, deux d’argent et deux de bronze, que j’avais confiées au sieur Charles Visconte. Rien de plus. Que V. S. se conserve en bonne santé et me tienne à toute heure à ses ordres. Que le Seigneur soit avec vous.

Votre obligé serviteur,

Le chevalier Leone.0000

0000(Arch. Buonarroti.)


LXXIX

Leone Leoni à Leonardo Buonarroti, neveu de Michel-Ange.
Rome, 15 février 1564, vers 3 h. de nuit.0000

J’ai pris soin de vous envoyer la lettre ci-jointe, écrite par messer Daniel Ricciarelli de Volterra et soussignée par messer Michel-Ange votre oncle, par laquelle vous apprendrez l’indisposition dont celui-ci souffre, depuis hier matin, et sa volonté de vous voir venir à Rome. Je vous engage à y déférer aussitôt, non pourtant jusqu’à vous mettre en péril de vouloir courir la poste, par de si mauvais chemins et en dehors de vos habitudes ; car cette manière de voyager, pour qui n’y est pas habitué, est non seulement pénible, mais dangereuse. Mettez-vous en route de saine et mesurée manière, d’autant mieux que vous pouvez tenir pour certain qu’en votre absence messer Thomas del Cavalieri, messer Daniel et moi, nous ne laissons pas de vous remplacer en tout honneur et utilité. En outre, Antonio, le vieux et fidèle serviteur de messire, est là pour vous rendre compte par lui-même de ce qu’il plaise à Dieu de réserver. Ce même Antonio voulait vous envoyer cette lettre par courrier exprès ; mais, pensant que ce message pressé vous donnerait plus de soucis qu’un autre, je l’en ai dissuadé et lui ai conseillé de vous l’envoyer par la voie ordinaire, que j’estime être aussi sûre et aussi rapide que l’autre.

De nouveau, je vous engage à ne pas user d’une diligence exceptionnelle en ce voyage, encore qu’il faille sur-le-champ vous mettre en route. Car, si le mal dont votre oncle souffre le met en péril, — ce qu’à Dieu ne plaise, — vous n’arriveriez pas à temps pour le retrouver vivant, quand même vous mettriez à venir la plus extrême diligence. Le genre de ce mal et l’extrême vieillesse du malade pourraient bien ne pas le faire trainer en longueur. (Quelques mots effacés.)

Pour vous rendre un peu compte de l’état de messire jusqu’à cette heure, qui est la 3 e de la nuit, je vous dirai que, quelques instants avant, je l’avais laissé levé et en bonne impression et connaissance, mais très fatigué par une continuelle insomnie. Pour la chasser il avait voulu, aujourd’hui, entre la 22e et la 23e heure, essayer de monter à cheval comme il en a l’habitude chaque soir, quand le temps le permet. Mais le froid de la saison et la faiblesse de sa tête et de ses jambes l’en ont empêché. Il s’en est alors revenu devant son feu, s’asseoir sur une chaise où il se plaît beaucoup mieux qu’au lit. Nous prions tous que Dieu nous le conserve, quelques années encore.

En me recommandant très étroitement à vous, je souhaite que vous vous portiez bien.

Tout prêt à vous servir toujours,

Diomède Leoni.0000

0000(Arch. Buonarroti.)



LXXX

Daniel de Volterre à Georges Vasari.
Rome, le 17 mars 1564.0000

0000Magnifique et très cher seigneur,

J’ai reçu votre lettre qui m’est très chère, alors que je me trouve si éprouvé et privé, à la fois, de conseil et de consolation. Certes, j’avais à plaindre la mort d’un tel maître et père ; mais la blessure en est d’autant plus vive qu’elle est plus imprévue.

Vous voulez que je vous avise des œuvres qu’il a laissées. Combien vous fîtes mal de ne pas accepter ce Christ disant adieu à sa Mère, quand il voulut vous le donner ! Car il n’a guère plus rien fait d’autre, à ma connaissance, et vous comprendrez pourquoi. Quand il tomba malade, — et ce fut le lundi du carnaval, — il m’envoya chercher, comme il faisait chaque fois qu’il se sentait mal ; et j’en avisai messer Frédéric de Carpi (le médecin Donati), qui vint aussitôt, feignant une visite de hasard. Ainsi je fis. Quand il me vit entrer, le malade me dit : « Mon cher Daniel, je me sens brisé. Je me recommande à toi. Ne m’abandonne pas. » Il me fit alors écrire une lettre au sieur Léonard pour qu’il vînt, et il me dit que j’aurais à attendre l’arrivée de son neveu à la maison, d’où, pour aucun motif, je n’aurais à m’éloigner. Ainsi fis-je, encore que je me sentisse plus mal que bien. Mais assez de moi. Son mal dura cinq jours ; il en passa deux levé, devant son feu, et trois au lit. Le soir du vendredi, il expira dans la paix qu’on peut croire.

Le samedi matin, comme nous mettions ordre à la maison et au reste, le juge vint avec un notaire du gouverneur, de la part du pape, qui voulait un inventaire de ce qu’il y avait céans. Nous ne pûmes nous y opposer, et ainsi tout fut écrit. Il s’y trouva quatre fragments de carton. Dans ce nombre figure le Christ et sa Mère ; et un autre dessin que peignait Ascanio (Condivi) si vous vous le rappelez ; et puis, un Apôtre que le maître dessinait pour l’exécuter en marbre à San-Pietro ; enfin une Pietà qu’il avait commencée et où l’on ne distingue bien que la pose des figures, tant sommaire en est l’ébauche. En résumé, le carton du Christ est le meilleur. Mais tous sont allés en tel endroit où il sera bien difficile de les revoir, je n’ose dire de les reavoir, encore que j’aie fait observer au cardinal Morone que ce carton (du Christ) fut commencé dans la chambre du maître ; je lui ai même offert de lui en faire une copie, s’il peut l’y faire revenir.

Certains autres dessins de l’Annonciation et du Christ priant au Jardin des Oliviers, il les avait donnés, si vous vous en souvenez, à Jacopo, son ami et le compagnon de Michel ; mais le neveu les leur enlèvera pour donner au duc (de Florence) quelque chose. On a aussi trouvé, commencées, trois statues de marbre : un saint Pierre en vêtements pontificaux (lacune), un Christ mort dans les bras de Notre-Dame, et un Christ tenant sa croix, dans le genre de celui de la Minerve, mais petit et différent de celui-ci. On n’a pas trouvé d’autres dessins.

Le neveu est arrivé, trois jours après la mort (de son oncle), et il a aussitôt ordonné que le corps fût porte à Florence, selon les recommandations réitérées que le défunt nous avait faites, deux jours encore avant sa mort. Ensuite il est allé chez le gouverneur pour reavoir lesdits cartons et une caisse contenant dix mille ducats, — tant en ducats neufs, de Caméra, qu’en vieux ducats du Sole, — et encore pour environ cent autres ducats de monnaie courante : ils avaient été comptés, le samedi où fut fait l’inventaire, avant que le corps fût porté à l’église paroissiale des Saints-Apôtres. Le coffre a été aussitôt restitué avec l’argent dedans, le tout avant été scellé. Mais les dessins ne lui ont pas été rendus encore ; et quand il les demande, on lui répond qu’il doit se tenir pour satisfait de la remise des ducats. Si bien, que j’ignore ce qu’il en adviendra.

Je crains de vous écrire une trop longue lettre. Je n’ai pas voulu, en cette circonstance, vous en envoyer une trop sèche. C’est par Michel que je vous ferai écrire la prochaine. Veuillez faire part de celle-ci à notre sieur Jean-Baptiste Tassi, qui me connaît trop pour croire que j’aie pu l’oublier, encore que je ne lui aie pas écrit. Pardonnez-moi pour l’extrême fatigue que je prends à écrire, comme je l’éprouve pour toute chose. Adieu.

De V. S. le très atfectionné,

Daniel Ricciarelli [52].0000

0000(Bibl. Nat. de Florence.)



LXXXI

Georges Vasari à Léonard Bnonarroti.
Florence, le 4 mars 1564.0000

0000Très magnifique messer Léonard,

Avec quel déplaisir j’ai appris la nouvelle de la mort de messer Michel-Ange, qui fut autant mon père par affection, que votre oncle par parenté ! J’ai encore plus regretté que vous ne l’ayez pas trouvé vivant. Il est clair pour moi que le grand Dieu qui l’avait concédé par miracle à ce siècle, tant pour son rare talent que pour la sainteté de ses mœurs, l’aura recueilli à ses pieds afin qu’après avoir fait, de ces mains, l’ornement du monde, il fasse de cette âme l’ornement du paradis.

Nous avons appris certains détails de son testament ; mais, encore que je croie que celui qui m’en a écrit ait dit vrai, je ne me réjouirai ni ne m’attristerai d’aucune chose entendue jusqu’à ce que je l’aie apprise par vous-même. Je vous dirai qu’après votre départ, j’ai envoyé chez vous, auprès de dame Cassandre, votre épouse, pour lui offrir mes meilleurs services. Elle, qui est si courtoise et pleine d’affection pour vos amis et ceux de Michel-Ange, m’a fait porter à la maison la lettre annonçant la mort et les honneurs rendus au défunt, déposé aux Saints-Apôtres, jusqu’à ce qu’il soit ramené à Florence. C’est ce qui, en une telle perte et tristesse de notre cité, a ranimé et fortifié les esprits amateurs de vertus. Ainsi, n’ayant pu nous réjouir de le posséder vivant, nous pensons que, mort, il fera, de son souvenir, l’ornement de sa patrie où sa noble et désormais illustre maison conservera la gloire de ses rares vertus.

Je vous dirai aussi que notre Illsime prince tient à cœur — comme S. E. I. nous en a écrit de Pise — que la dépouille funèbre vienne à Florence, ou, pour mieux dire, les ossements. Aussi, il ne me semble pas hors de propos, cher messer Léonard, si votre retour doit tarder encore, de vous exhorter à écrire à S. E. I. une lettre où, après avoir déploré la perte que cette mort a causée à la ville et au duc, vous exprimerez votre regret que le défunt n’ait laissé ni dessins, ni cartons, ni modèles, comme je l’ai appris par votre lettre, car vous aviez formé le projet de lui en faire part. Vous ajouterez que, puisque le maître s’en est allé en ne laissant que vous, en toute foi et servitude vous resterez le même que fut votre oncle, et enfin, puisqu’il n’y a que ce qu’il a laissé de lui, rue Mozza, que le duc en pourra disposer à son gré. Vous terminerez en le priant de vous assurer, pendant votre vie, la même protection dont avait joui Michel-Ange, avant de passer de vie à trépas. Ainsi rédigée en peu de mots, cette lettre, je le sais, lui plaira beaucoup. Si vous me l’envoyez, je l’accompagnerai d’une autre de moi, et je ferai pour vous ce que vous savez que j’ai toujours fait ; parce que l’amour que je portais à deux, c’est-à-dire à vous et à Michel-Ange, redouble aujourd’hui et s’accroît en votre intention.

Il me reste à vous dire qu’ici notre Académie du Dessin a ordonné, pour après Pâques, de faire à Michel-Ange les plus honorables funérailles, avec apparat de statues et d’ornements de circonstance. Elle a demandé l’oraison funèbre au Varchi, par ordre de S. E. président de l’Académie. Quatre ordonnateurs ont été désignés avec autorisation de commander tout ce qui concerne l’art, tant en travaux qu’en dépenses. Les deux premiers sont les sculpteurs Benvenuto (Cellini) et l’Ammannato ; les deux autres sont les peintres Bronzino et votre serviteur Georges Vasari. Chacun s’efforcera de vous faire honneur, à vous ; car, d’honneurs, Michel-Ange les a tous emportés avec lui.

Il me sera bien cher de savoir quelque chose de vous et de recevoir en notes, sous forme de souvenirs, quelques faits particuliers, de 1550 à ce jour, tant sur la construction (du dôme) de Saint-Pierre que sur les actes de votre oncle. Je vais, dans trois mois, faire une réédition de mes Vies des Peintres et Sculpteurs, et je voudrais y faire honneur aux dernières années qu’a vécues Michel-Ange. Ne manquez pas de vous réserver les sonnets, canzones et autres poésies composées par lui, comme aussi les lettres des princes et grands hommes, qui serviront à le mieux honorer.

Tout ceci pour avis. Si votre faveur veut m’accorder quelque chose qui ait appartenu au défunt et qui, me tenant à cœur, me rappellera mieux sa mémoire et votre affectueuse estime, ce souvenir me sera plus cher qu’une cité entière. Et pour ne pas m’étendre davantage, je m’arrête sur cette finale en vous assurant que je vous appartiens dans la mesure qu’il vous plaira, et que je vous prie de me tenir à vos ordres.

De V. S. l’ami très affectionné,

Georges Vasari.0000

0000(Arch. Buonarroti.)



LXXXII

Du même au même.

0000Très magnifique messer Léonard,

En réponse à la lettre que je vous écrivis, il y a huit jours, je reçois aujourd’hui celle que vous m’envoyez en même temps que le corps de ce sanctissime vieillard, splendeur de nos arts. J’ai eu raison de vous dire que, si vous aviez envoyé à Florence un grand trésor, il n’eût pas été autant apprécié que ces restes si vénérables et si honorés. Ils seront portés sur les épaules de tous les Académiciens, de l’endroit où ils sont déposés jusqu’à Santa-Croce où ils reposeront, selon votre avis. Je n’ai voulu ni qu’on les sorte du cercueil, ni qu’on les touche ; c’est pourquoi j’ai fait sceller la bière, dès son arrivée en douane. J’ai avisé de tout cela S. E. I. et j’attends la réponse que je l’ai prié de m’écrire, pour que je puisse vous en faire part plus clairement ; car j’ai l’assurance que S. E. vous aime et vous rendra toute sorte de services.

Il me plaît d’être chargé du monument funèbre. Messer Daniel m’écrit, à propos des statues et marbres qui sont rue Mozza. De tout ceci je donne avis à S. E. I., etc. Veuillez vous rappeler ma dernière demande et vous informer de ce que Michel-Ange a fait à Saint-Pierre, depuis 1550 ; car je voudrais, comme je vous l’ai écrit, ajouter à sa Vie ce qui y manque, pour défendre sa mémoire contre beaucoup d’envieux.

Georges Vasari.0000

0000(Arch. Buonarroti.)



LXXXIII

Benvenuto Cellini [53] au Secrétaire de l’Académie de Florence
(Sans date.) 0000

0000Révérend prieur et supérieur très honoré,

Élu par V. S. et par la très digne Académie un des quatre hommes choisis pour honorer les funérailles du grand Michel-Ange, dès que j’ai pris congé de V. S. et de vos très vénérés collègues, j’ai pensé à ce que je pourrais faire pour célébrer un si admirable maître.

Quant au lieu à choisir pour les obsèques, il semble que la Libreria (de San-Lorenzo) conviendrait mieux que la sacristie de l’église, dont l’espace est trop restreint pour y installer l’ornementation qui convient pour un tel office funèbre. Quant à l’église même, elle serait trop grande, et ces apparats mortuaires y attristeraient les offices sacrés, en voisinant de si près avec les fêtes pascales de la Résurrection. Un autre endroit qui me paraîtrait convenir serait aussi le bas du Capitole où nous tenons quelquefois nos séances. D’un de ces deux locaux, V. S., qui a meilleur jugement que nous, pourra choisir le plus approprié.

J’avais pensé qu’autour du catafalque, nous sculpteurs, messer Bartholomeo (Ammannati) et moi, par égard pour la gloire du grand Michel-Ange et pour l’honneur de nous tous, ses élèves, nous devrions faire six statues, de quatre brasses chacune, qui seraient les suivantes. Sur les quatre côtés, la première statue représenterait la Sculpture pleurant le maître, la deuxième figurerait la Peinture dans la même attitude, la troisième serait l’Architecture également en pleurs, et enfin la quatrième la grande mère Philosophie de qui naissent toutes les sciences, comme V. S. le sait mieux que moi. Cette dernière serait représentée sous les traits d’une vieille qui, elle aussi, exprimerait sa douleur ; et, pour mieux désigner la Philosophie, ses symboles d’atour seraient : une salamandre pour le feu, un caméléon pour l’air, un dauphin pour l’eau et une taupe pour la terre.

La statue qui me semblerait devoir figurer en tête du catafalque serait une Mort représentée avec son squelette, comme l’art nous l’enseigne. Son attitude serait plutôt hardie et fière que langoureuse et affligée. Pour ornement et escorte de cette Mort, j’aimerais voir une Vie richement vêtue et parée de cette grâce que nous enseigne aussi l’art, selon le goût du maître. Et cette Vie signifierait que ce grand homme, avec des vertus admirables, a donné plus de vie à sa mort qu’il n’en reçut de son vivant ; car ayant vécu quatre-vingt-neuf ans, Michel-Ange se survivra plus de nonante fois nonante.

Enfin, aux pieds du catafalque je représenterais un fleuve, figurant le bel Arno aux bords duquel le maître est né et qu’il a orné et embelli du nombre infini de ses vertus.

Voilà ce qu’il m’est permis de vous dire, pour ce qui me regarde. Il me semble que V. S. ferait bien de demander à chacun des autres trois (artistes) leur manière de voir, en les invitant à voir répondre comme je l’ai fait ici. Surtout, ne faites pas voir ma lettre avant que ceux-ci ne vous aient envoyé les leurs, parce qu’ils gâteraient leurs bonnes idées et qu’il y aurait confusion. V. S. se verrait dans le cas de ne pouvoir conclure, selon le but qu’Elle se propose. Pour tout au monde et au nom de votre bonne vertu, je prie V. S. de ne communiquer ce caprice de ma fantaisie à aucun artiste et, moins qu’à tout autre, à messer Georges (Vasari), votre collègue, dont l’esprit est si riche et si valeureux qu’en voyant mon projet il pourrait troubler ses belles conceptions et me ferait, ainsi, le plus grand déplaisir…

Benvenuto Cellini.0000

0000(Bibl. Nat. de Florence.)

  1. Pier Francesco, cousin de Pierre II fils aîné de Laurent de Médicis.
  2. Le cardinal Riano Raffaello, du titre de Saint-Georges, qui avait acheté une première œuvre de Michel-Ange, comme œuvre d’un antique.
  3. La lettre porte l’adresse de Sandro Botticello in Frinze, chargé de la remettre par précaution à son destinataire.
  4. Jean de la Groslaye de Villers, abbé de Saint-Denis et alors ambassadeur de Charles VIII à Rome. Cette Pietà devait être placée à Saint-Pierre, dans la chapelle des rois de France, dédiée à sainte Pétronille.
  5. Architecte florentin chargé, par Léon X, d’assister Raphaël dans la direction des travaux de Saint-Pierre de Rome (1445-1516). Ne pas confondre avec son neveu Antoine, architecte du palais Farnèse à Rome (1455-1546).
  6. Sculpteur né en 1477, à Florence, via Santa Maria, voisine de la via Ghibellina où habitait Michel-Ange. Sa mère Francesca Tatti, jalouse de la gloire naissante de ce dernier, confia son fils Iacopo au sculpteur Andréa Contucci de Monte Sansovino, qui aima son élève au point de lui donner aussi son nom. Mort à Venise, en 1570, chargé d’œuvres et d’années.
  7. Luca Signorelli, de Cortone, né vers 1441, mort après 1524. Peintre et élève de Fra Angelico, il composa, entre autres œuvres remarquables, un Jugement dernier, à la cathédrale d’Orvieto.
  8. Un des Esclaves qui devaient figurer au tombeau de Jules II, et que possède aujourd’hui le Musée du Louvre.
  9. Sébastien, né à Venise en 1485, mort à Rome en 1547, fut d’abord musicien, ensuite peintre, enfin frère attaché à la Chancellerie du Vatican pour les sceaux ou plombs qu’il fixait aux Bulles : d’où son surnom de Sebastiano del Piombo. Ses lettres à Michel-Ange, dont le texte italien a été publié en 1875 par Gaetano Milanesi, ont été traduites en français par M. Le Pilleur, à qui nous sommes redevables des emprunts que nous en faisons ici et que nous continuerons à l’Appendice de ce présent ouvrage.
  10. Baccio Bandinelli, sculpteur florentin, né en 1487, de Michelagnolo di Viviano da Gajuole, orfèvre de la maison des Médicis. Ami de Léonard de Vinci et rival de Michel-Ange, il copia et lacéra ensuite le carton original de la Guerre de Pise que Buonarroti avait composé pour la salle du Conseil de la Signoria où, de son côté, le Vinci avait fait le carton moins renommé de la Bataille d’Anghiari. Cet artiste de valeur porta, toute sa vie, la lourde responsabilité ou tout au moins le soupçon persistant de cette faute, jusqu’à sa mort, qui arriva en 1559.
  11. Dovizi da Bibbiena, ancien secrétaire de Laurent le Magnifique, chez qui Michel-ange l’avait connu dans sa première jeunesse, fut l’auteur de la Calandra, une des célèbres comédies italiennes de ce temps. Ensuite, secrétaire de Léon X, il fut créé cardinal du titre de Sainte-Marie-in-Portico.
  12. Cette copie de bronze, que le cardinal Bibbiena faisait exécuter pour l’offrir à François Ier, est conservée depuis au Musée du Louvre.
  13. Confident de Michel-Ange dans ses rapports avec Vittoria Colonna.
  14. Le cardinal Jules Médicis, neveu de Léon X, élu pape le 9 novembre 1523, sous le nom de Clément VII.
  15. Le carton dit de la Guerre de Pise, ou mieux de la Bataille de Cascine.
  16. Quai du Tibre, à Rome, appelé aussi la Marmorata, depuis qu’on y déchargeait les marbres d’art et de construction.
  17. Léonard de la Rovère, neveu de Jules II, avait succédé à Galeas de la Rovère sur le siège d’Agen, dont celui-ci avait été évêque, de 1478 à 1487. Léonard occupa le siège d Agen, de 1487 à 1519, avec le titre cardinalice. Il érigea magnifiquement aux environs de la ville, à Hautefage, la tour octogonale qu’on y voit encore aujourd’hui, et il se fit inhumer à Saint-Just en Agénois, non loin de sa villégiature d’Hautefage. Son neveu Antoine de la Rovère lui succéda sur le siège épiscopal d’Agen, en 1519, et mourut prévôt de Turin dans cette ville, en 1538.
  18. Ce deuxième contrat fut rédigé le 8 juillet 1516, et signé par Léonard Grosso, cardinal d’Agen, neveu du pape Jules, et Laurent Pucci, cardinal du titre des Quatre-Saints, exécuteurs testamentaires de Jules II, d’une part ; et Michel-Ange de l’autre. Au terme de 9 ans et pour le prix de 6.500 ducats, — y compris les 3.500 déjà reçus, — le dit tombeau serait exécuté.
  19. Le portrait d’Anton Francesco degli Albizzi, au sujet duquel Sebastiano avait écrit à Michel-Ange, le 22 avril : « J’ai reçu votre lettre, qui m’est très chère, pour la sympathie et L’affection que vous continuez à me conserver et que je ne mérite pas. Je regrette que vous vous mettiez ainsi en peine, pour que je finisse vite le portrait de messer Anton Francesco degli Albizzi. Il ne faut pas vous inquiéter pour si petite chose ; car peut-être auriez-vous eu moins d’ennui à peindre une figure qu’à écrire la lettre que vous avez faite pour moi. Il me semble être assez bien placé pour connaître l’humeur des gens, en telle chose. Il suffirait de la foi privée et de la promesse que j’avais faite à messer Anton Francesco ; et, bien que j’eusse manqué de parole, cinq ou six jours, ce n’était pas la peine de le manifester à ce point. Je vous en demande pardon. Pour mon compte, j’éprouve plus de fatigue dans notre art à faire une main ou un pli de vêtement, qu’à monter tous les escaliers du monde. Excusez-moi si je vous écris de la sorte ; c’est parce que j’écris a un maître qui me comprend… » (Arch. Buonarroti.)
  20. De toutes ces statues, la sacristie de la chapelle Saint-Laurent, de Florence, ne contient que celle des deux tombeaux de Julien de Médicis, duc de Nemours, frère de Léon X, et de Laurent de Médicis, duc d’Urbin, neveu du même pape.
  21. Baptiste della Palla, correspondant artistique de François Ier, en Italie.
  22. Sebastiano del Piombo composait alors son tableau de la Résurrection de Lazare, qui devait subir un concours avec un autre tableau de Raphaël. Pour cette œuvre, Michel-Ange faisait secrètement les dessine de son élève et ami.
  23. On ne connaît que celui du 8 juillet 1506.
  24. Le premier des trois contrats passés avec Michel-Ange, pour le tombeau de Jules II, qui ne fut jamais exécuté, porte la date de la 1re année du pontificat de ce pape. — Le deuxième, passé avec le neveu de Jules II, Léonard de la Rovère, cardinal d’Agen, fut rédigé le 8 juillet 1516. — Le troisième enfin, que Michel-Ange passa avec Giovan Maria Della Porta et Girolamo Staccoli représentant le duc d’Urbin, autre neveu du pape La Rovère, est du 29 avril 1532. Cette date est aussi, à peu près, celle de la présente lettre, que Michel-Ange écrit ici à ce sujet.
  25. Pierre l’Arétin avait écrit à Michel-Ange la lettre qu’on vient de lire, à propos du Jugement dernier que celui-ci peignait alors à la Chapelle Sixtine. Une deuxième lettre de l’Arétin, qu’on lira à la date de 1545 et qui fut inutilement injurieuse pour Michel-Ange, prouve que le pinceau du peintre avait fait autre chose que suivre les conseils dus à la plume de cet écrivain.
  26. Un des quatre amis que Michel-Ange fréquentait intimement à Rome, et qui s’appelaient Sebastiano del Piombo, Donato Giannotti, Tommaso dei Cavalieri et ce même Luigi del Riccio qui devait mourir à Lyon, pendant un voyage qu’il fit en France, vers le mois de novembre 1546.
  27. La marquise de Pescara, Vittoria Colonna, veuve de Francesco d’Avalos.
  28. Francisco, fils de l’enlumineur portugais Antonio de Hollanda, né en 1517, apprit à peindre chez son père, et fut envoyé par la Cour à Rome, où il connut Michel-Ange, vers 1537. Les Quatre Dialogues qu’il écrivit en 1548, furent publiés par Joachim de Vasconsellos. Le comte Raczynski les a traduits, en 1846, dans les Arts en Portugal. En 1910, M. Rouanet en a publié une traduction nouvelle (Honoré Champion édit.).
  29. Francesco Amadore, dit Urbino, de Castel Durante, le fidèle serviteur que Michel-Ange affectionna particulièrement.
  30. Compositeur flamand, rival de Festa et de Concilion, qui avaient mis en musique certains madrigaux de Michel-Ange.
  31. Pier Giovanni Alliotti, évéque de Forli, garde-robe du pape Paul III.
  32. Les fresques de la chapelle Pauline furent les dernières peintes par Michel-Ange
  33. Federigo Ceci, cardinal du titre de Saint-Pancrace
  34. Tommaso de Cavalieri, beau jeune homme de la noblesse romaine, ami de la marquise et de Michel-Ange.
  35. L’Arétin avait demandé à Michel-Ange des dessins, que celui-ci n’avait pas cru devoir lui envoyer.
  36. Peut-être le Jugement dernier de Michel-Ange, que Enea Vico venait de graver.
  37. La Picta de Saint-Pierre de Rome.
  38. Membre de l’Académie de Florence, qui avait commenté, en une de ses plus éloquentes leçons, le sonnet de Michel-Ange : Non ha l’ottimo artista. Il fut chargé par la même Académie de prononcer l’éloge funèbre aux obsèques de Michel-Ange.
  39. Le commentaire de Varchi sur le sonnet de Michel-Ange : Non ha l’ottimo artista…
  40. Donato Giannotti, un des plus nobles exilés de Florence, à la chute des Médicis. Il acheva son exil à Rome, où Paul III lui confia la charge de secrétaire des Brefs. Grand ami de Michel-Ange, il composa en la compagnie du maître les deux Dialogues sur Dante, dont on connaît la profonde philosophie.
  41. Le pape Jules III (1550-1555).
  42. Peintre et érudit, né à Arezzo en 1511 et mort à Florence en 1574. Plus célèbre par ses Vies des Peintres, etc., qu’il aurait écrites lui-même, croit-on, que par les trop nombreuses peintures dont il encombra trop de monuments italiens, en exagérant les défauts de l’école de Michel-Ange dont il fut l’ami et l’élève.
  43. Le tombeau de San-Pietro-in-Montorio, dont Bartolomeo Ammannati fut l’architecte et où Vasari allait peindre un épisode de la vie de saint Paul.
  44. Sculpteur et architecte florentin à qui iMichel-Ange confia la construction de l’escalier de la Bibliothèque Laurentienne de Florence (1511-1592).
  45. Difesa della lingua florentina e di Dante, con le regole di far bella e numerosa la prosa (Firenze, 1566). Carlo Lenzoni avait laissé incomplet ce livre. Giambullari le termina. Bartoli, à sa mort, l’imprima et le dédia au duc Cosimo.
  46. Son petit filleul.
  47. Centina, cintre en bois avec lequel on bâtit les arcs et les voûtes de maçonnerie.
  48. Un fils de Léonard Buonarroti, neveu de Michel-Ange.
  49. Deux ans plus tard, ce même surintendant, originaire de Castel-Durante, étant à Saint-Pierre en tournée d’inspection, y reçut trois coups de poignard dont il mourut.
  50. Leone Leoni, plus communément appelé le chevalier Leone Leoni, serait né à Arezzo selon son compatriote Vasari, ou à Menaggio selon d’autres, à une date incertaine. On ne sait pas davantage celle de sa mort, qui était déjà arrivée en 1590, non sans que cet orfèvre-sculpteur, rival en talent de Benvenuto Cellini, ait laissé de ses belles œuvres dans les cours d’Espagne, de France et d’Italie, où cet homme irascible laissa aussi la réputation la plus suspecte. Qu’il suffise de dire que, condamné une première fois, à Rome, en 1540, à avoir la main droite coupée, après une tentative de meurtre sur la personne de l’Allemand Leut, joaillier du pape, il n’en fut sauvé par Paul III que pour aller commettre d’autres méfaits semblables à Venise et à Ferrare, où les tribunaux durent prononcer contre lui la peine du bannissement. On sait aussi qu’à Milan, en 1557, il assassina Horace, fils du Titien, son propre bienfaiteur, pour se venger d’un portrait du gouverneur de cette ville que Leone Leoni voulait faire et que le fils de son maître devait exécuter.
  51. Pour les fêtes données par Gonzague, duc de Mantoue, à propos du chapeau de cardinal donné au frère du duc, Louis d’Esté, évêque de Ferrare.
  52. Né à Volterra en 1509, élève de Giovantonio Sodoma et, plus tard, ami de Michel-Ange, qui accepta qu’il revêtît les parties du Jugement dernier reconnues trop nues par les papes Paul IV et Pie IV. Ayant ainsi servi de culottier à l’art, il porta le surnom de braghettone. Il mourut à Rome, en 1566, pendant qu’il travaillait à la statue équestre de Henri II, commandée par Catherine de Médicis à Michel-Ange, qui, trop vieux, en avait confié l’exécution à Daniel de Volterre.
  53. Né à Florence, le 3 novembre 1500, mort dans la même ville, le 13 février 1571, après avoir laissé en orfèvrerie et en statuaire les chefs-d’œuvre que l’on sait. Dans sa Vita, écrite, dit-on, par lui-même, il raconte fort pittoresquement comment il fut au service de Clément VII à Rome, à la cour de France et à celle des Médicis.