Midraschim et fabliaux/Les Plaintes du roi Lear

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Imprimerie Vve P. Larousse et Cie (p. 27-28).

Tous ceux qui m’ont aimé sont couchés sous la terre ;
Bien d’autres sont pleurés, par moi, quoique vivants ;
Mon cœur, rempli d’amour, vit triste et solitaire,
Je suis mari sans femme, et père sans enfants.

Dieu jaloux ! tu pouvais me laisser mes tendresses ;
En elles je t’aimais, je les aimais en toi.
Mais puisque tes rigueurs ne sont que des caresses,
Fût-ce pour les reprendre, un instant, rends-les-moi.

Car tu ne donnes pas tes faveurs, tu les prêtes ;
Redoutant de les perdre, on ne peut en jouir,
Et l’on dirait, vraiment, Seigneur, que tu regrettes
D’avoir, pour quelques jours, daigné t’en dessaisir.

(Un silence.)

Allons, Roi, c’est assez d’un moment de faiblesse.
Que ton âme soit ferme et grande en sa douleur ;
Pour ne pas être plaint, déguise ta tristesse,
Aux coups qui t’ont frappé parais supérieur.

Contemple désormais du haut de ta misère
Toutes les vanités des heureux de la terre,
Tout ce qu’ils ont à perdre avant que de mourir,
Toutes les trahisons qu’il leur faudra subir.

Oui, mais les cruautés de mes parents cupides,
Mais les feintes douceurs de leurs propos perfides !
Méchants et malfaisants, je vous démasquerai…
Eh bien ! non, Dieu punit, moi je mépriserai.

(Cordélia accourt auprès de lui.)

Ah ! je suis un ingrat ; Cordélia, ma fille,
En te donnant à moi, Dieu m’avait tout donné ;
L’amie et le soutien, l’honneur et la famille !
La raison me revient et Dieu m’a pardonné.