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Minerve ou De la sagesse/Avant-Propos

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Paul Hartmann (p. 5-6).

AVANT-PROPOS

Comme je relisais les Propos, non encore parus en recueils, qui étaient capables de rendre l’équilibre à l’esprit effarouché par les thèses et les discussions, j’apercevais une sorte d’ordre dans les difficultés comme dans les solutions. Car les difficultés de l’esprit viennent communément de la contrariété qui se trouve entre les idées. Il importe donc premièrement d’être familier avec les inconvénients de penser. C’est un air qu’il faut respirer. C’est l’air platonicien. Mais tout n’est pas fini lorsque l’on a formé un système d’idées cohérent, car il arrive qu’on ne trouve point alors l’objet qui s’y conforme ; et ici il faut faire mieux que s’y résigner ; car c’est la règle et c’est un bienfait. Le secours que nous apportent les choses est qu’elles ne sont point raisonnables. On se plaît à la fin aux résistances de l’objet qui rendent ingénieux et nous somment de compléter nos idées.

Cette adaptation de la pensée à l’action est un univers qu’il faut parcourir ; il faut savoir s’étonner, et quelquefois découvrir le pourquoi de l’étonnement. On gagne beaucoup si l’on découvre qu’une idée qui semblait facile à ruiner se justifie finalement.

Par ces lectures, qui sont des exercices, on se donnera la part de doute qui convient à l’homme libre. C’est seulement ainsi qu’on trouvera prise pour les idées à force de les avoir ajustées aux étroits passages que laisse l’univers.

Dès lors, les problèmes de l’action, qui sont l’épreuve de l’apprenti, s’éloignent comme dans un brouillard. Chacun s’aperçoit qu’il est dans l’action et qu’il n’a qu’à continuer. Telles sont les contradictions qui s’offriront ici à l’homme accoutumé à croire qu’il a assez étudié les préliminaires de l’art humain fondamental, qui propose à chacun d’être un homme. En gros je veux dire qu’il n’y a rien à changer aux conclusions, mais plutôt aux commencements, comme les difficultés très ardues du genre Einstein en donneront des exemples. Étant quelquefois bien fâché de n’être plus donneur de conseils, je n’ai pu me priver de recommencer l’ancien métier, pour l’élève qui a vieilli et qui a juré de se passer de conseils. Très bien de jurer, mais un livre n’est pas un donneur de conseils, puisqu’il n’entend pas les questions. Courage donc ; car je remarque une prodigieuse somme d’intelligence et de courage, et un étrange arrêt des esprits, comme à un encombrement.

Alain.

Le 6 novembre 1938.