Minette et minou

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paru dans Mon Magazine de juillet 1926
Mon Magazine.



Minette
et
Minou



Séparateur


par Gaëtane de Montreuil
Illustrations de ROGER GILL



Mon Magazine — Montréal
(publié dans le numéro de juillet 1926.)




DE tous les animaux domestiques, le plus cajolé, le plus dorloté, c’est, sans contredit, le chat, le chat dont la grâce onduleuse et câline appelle la caresse. Voyez plutôt : Minet saute sur vos genoux et presqu’inconsciemment votre main se promène dans la soie de son pelage, tandis que le gracieux animal ronronne l’expression de son contentement. Si vous sembler l’oublier, il se frôle à vous, et ses yeux mystérieux et profonds vous reprochent votre inattention : discrètement il se glisse sur vos pas et vous suit partout dans la maison. Pour se reposer, il viendra de préférence s’étendre auprès de vous, sur le fauteuil où vous avez l’habitude de vous asseoir, ou même sur la table, à portée de votre main, car sans cesse, il semble attendre et mendier une caresse.

Cependant, ce fidèle ami de nos foyers a eu ses détracteurs, il a ses ennemis. On l’a accusé d’égoïsme, et de s’attacher aux lieux plus qu’aux personnes : ce qui tout de suite le représente comme un être ingrat, cherchant avant tout son bien-être, d’où qu’il vienne, et se souciant peu de la main qui le nourrit, pourvu qu’elle soit généreuse.

Ceux qui ont fait au chat une si mauvaise réputation n’étaient certainement pas de fins observateurs ; ils ne s’étaient jamais donné la peine d’étudier le caractère et les habitudes du brave félin, et pour un mauvais sujet qu’ils avaient peut-être rencontré dans sa famille, ils condamnaient illogiquement toute sa race. En ceci le pauvret est traité comme beaucoup d’humains. Et lui qui n’a que ses griffes pour se défendre contre les hommes méchants, s’il a le malheur de s’en servir, on lui en fait un crime, punissable de mort, et tous ceux de son espèce portent le poids d’une réprobation imméritée.

Pourtant, si le fier animal savait tirer quelque vanité de l’amitié des hommes, il pourrait jeter à la face de ses détracteurs des noms célèbres : Théophile Gautier a conté l’histoire de ses nombreux chats, dans « Ménagerie en intime » il nous les nomme tous, comme des personnages dignes de passer à la postérité : Mme Théophile, une chatte coquette, qui aimait les parfums et la musique, Don Pierrot de Navarre, un matou blanc, qui préférait les livres — à la manière de quelqu’un qui ne sait pas lire, cela va sans dire — : Séraphita, la chatte philosophe ; puis Éponine, si sage et bien élevée, que son maître voulait qu’elle mangeât à table avec lui.


Beaudelaire, comparant le chat au sphynx, a chanté :

« Les nobles attitudes
Des grands sphynx allongés au fond des solitudes,
Qui semblent s’endormir dans un rêve sans fin. »

Puis, c’est la chatte de Barbey d’Aurevilly, qui mange à côté de son maître, à table, et qui répond par un miaou attendri, lorsqu’il lui demande : « M’aimes-tu, Démonette ? » Cette petite bête intelligente et délicate manifesta un profond désespoir à la mort du génial écrivain. Elle ne voulait plus quitter le lit mortuaire et gardait dans ses yeux d’or une impressionnante expression de terreur et de tristesse.

Le chat d’Henri Rochefort, Kroumir, mourut de chagrin, dix jours après la mort de son maître.

Enfin, Renan, Coppée Anatole France, Catulle Mendès, Pierre Loti, Mérimée, Heine, Rollinat, Michelet, Hugo, Sainte-Beuve, Péladan, Dumas père, Maupassant, Flaubert, George Olinet, Huysman, Malarmée ont tous été des amis des chats, et plusieurs d’entre eux ont chanté le fidèle compagnon de nos foyers dans des pages qui sont comptées parmi les plus belles.

Ces noms distingués suffiraient à prouver que le chat est incontestablement un animal de bonne compagnie. Mais il a des titres de noblesse plus anciens encore : Chez les peuples de l’Égypte et de la Grèce antiques, le chat était considéré un animal sacré et c’était un crime de le tuer. À Thébes, la chatte était adorée sous le nom de Dame du Ciel, et la déesse Bubastis était une chatte autant qu’un léopard. Dans le Temple de Phylae, Pierre Loti nous a fait une description émouvante des nombreuses statues à têtes de chats, qui défiant la science des égyptologues, cachent dans la diversité de leurs attitudes le secret des religions disparues.

Pourquoi les hommes à cette époque d’une civilisation qui nous étonne encore, avaient-ils choisi le chat comme un symbole religieux ? Cet honneur lui vint, sans doute, de ce que les anciens plus observateurs que nous ou moins distraits par le ronflement continuel du modernisme progressiste et tapageur, prenaient plus généralement la peine d’étudier ces amis inférieurs et leur rendaient plus volontiers justice.

Le chat a une incontestable intelligence, sa patience est indéniable et il possède un sens de l’orientation qu’on ne songe plus à discuter. Quant à son affection, il la donne à bon escient. Plus fier que le chien, il ne subit pas sans rancœur les mauvais traitements. C’est ce qui a fait mettre en doute sa fidélité. Le chat s’éloigne avec ressentiment d’un mauvais maître, mais il s’attache sincèrement à celui qui le traite avec bonté.

Étant plus subtil et souple que le chien, étant doué par la nature de plus de moyens de se tirer d’affaires seul et sans protection de la part des hommes il est plus indépendant et ne manque pas de le prouver, si on lui inflige une punition. Ce brave animal, défiant par nature, ne se livre pas immédiatement, il réserve ses effusions, et ce n’est qu’après une longue observation, quand son instinct l’a rassuré sur la sincérité de votre affection, qu’il répond à vos démonstrations d’amitié. Ne fait-il pas en cela preuve d’une sagesse que pourraient lui envier beaucoup d’humains ?

D’ailleurs, Taine n’a-t-il pas écrit : « J’ai étudié beaucoup de philosophes et plusieurs chats : la sagesse des chats est infiniment supérieure. »

Mais quelle est l’origine du chat domestique ? Il est assez probable que plusieurs espèces sauvages contribuèrent à la formation des races domestiques. Le chat tigré par exemple ne doit-il pas avoir une ascendance sauvage ?

On a la certitude que cet animal fut domestiqué en Égypte dès la plus haute antiquité. Chez les Grecs, cependant, Hérodote est le premier historien qui parle du chat, et dans l’Europe occidentale, il ne fut pas généralement connu avant le deuxième siècle de notre ère, ce qui prouve qu’il se répandit fort lentement. Cependant, à notre époque, il n’est probablement pas un pays dans l’univers où le chat ne soit connu et choyé.

Dans la plupart des grandes villes, et notamment à Montréal, il existe des associations qui s’occupent particulièrement de faire connaître et aimer les chats. Chaque année, on tient des expositions où l’on peut voir représentées toutes les races félines, depuis l’aristocrate angora habitué à dormir sur des coussins de velours, le cou emprisonné dans des rubans, jusqu’au beau matou de ruelle, à qui son maître fait une occasionnelle toilette pour le faire comparaître devant des juges, qu’il impressionne parfois de sa belle prestance, au point de décrocher des rubans bleus ou blancs, qui sont une consécration de sa beauté, ses quartiers de noblesse.

Le « Montreal Cat Club & Human Society » a contribué au bonheur des chats et à l’amélioration des races, en intéressant beaucoup de dames au sort de ces gentils animaux. Il existe en ce sens une louable émulation, on montre avec orgueil les prix remportés par les plus beaux spécimens et l’on tient compte soigneusement des croisements et des lignées.

C’est de cette manière que le chat argenté, jusque-là inexistant comme race, put être classifié, en 1894, pour la première fois, en Angleterre. Le seul chat argenté connu était le chat tigré. Mais des croisements judicieux produisirent une race distincte de chats argentés.

L’ambition des éleveurs, aujourd’hui, est d’obtenir une couleur uniforme, sans moucheture et aussi pâle que possible. Le poil doit être presque blanc à la racine. Le chat bleu ou chinchilla de type parfait possède un pelage bien fourni, des yeux verts, une tête large et des membres robustes, et, pour les mâles, peser à peu près 10 livres.

Cependant, — cela est-il dû aux nombreux croisements dont il est issu ? — le chat chinchilla ou bleu est généralement d’une santé plus délicate que ceux des autres races, dans les premiers mois de sa vie. Quoique d’un caractère affectueux et doux avec ses maîtres, quand son honneur de chat est en jeu, il devient terrible. Les autres matous de toutes couleurs pourraient confirmer ce témoignage, qui par une oreille effrangée, qui par un museau déchiqueté ou une ineffaçable balafre, qui le rend à jamais impopulaire parmi les chattes de son district.

Nos lecteurs pourront admirer dans cette page quelques-uns des sujets qui ont remporté des honneurs aux diverses expositions du Cat Club. D’abord, Mickey et Bubbles, deux chattes tigrées, la mère et la fille, considérées comme les deux plus belles de leur classe. Toutes deux ont remporté des premiers prix dans chaque exposition où elles ont paru. Ces gentilles bêtes sont la propriété de Mme S. Carpenter, de Notre-Dame de Grâce, Montréal.


« Mickey » et « Bubbles », propriété de Marc S. Carpenter, Montréal.

Blue Cloud est un magnifique chat bleu, de nuance pâle, appartenant à l’Oxfod Kennels Registered, de Montréal. Il a remporté de nombreux honneurs, mais n’en semble pas plus fier ; Aryon Pasha, un angora bleu, remporta un championnat de beauté à 14 mois et depuis lors, il a continué une carrière de triomphes ininterrompus, dans les expositions où il a daigné paraître. Musette et Pimpant sont deux petits qui vont encore à l’école. Le frère et la sœur ont un goût marqué pour les livres fermés. Pimpant trouve que c’est un bon endroit pour faire la sieste et Musette s’y appuie confortablement en attendant, patiente, qu’il s’éveille pour recommencer à jouer.


« Blue Cloud ».


« Aryon Pascha ».


« Musette et Pimpant ».

Plusieurs autres lauréats devraient figurer ici, entre autres, Snob, un splendide matou bleu, propriété de Mme Chs Gill, qui a remporté à la dernière exposition du Cat Club à Montréal, trois premiers prix et une coupe d’argent. Mais toutes ces distinctions qui l’ont récemment anobli, n’ont pas su corriger en lui les tendances roturières qu’il a héritées de son père, un robuste matou de grange, ni les habitudes galantes, qu’il tient de sa mère, une petite chatte noire à la réputation très quelconque. Snob pousse ses idées démocratiques jusqu’au mépris de la notoriété, et il a obstinément refusé de se laisser photographier pour « Mon Magazine », sans aucun souci de sa beauté parfaite.

Ne nous défendons pas d’aimer les bêtes, c’est un heureux indice et la marque d’un bon cœur. D’ailleurs, la pitié affectueuse qui nous incline vers ces amis inférieurs est largement récompensée par la sincérité de leur gratitude, ce sentiment d’élite, qui semble ne pouvoir plus s’acclimater dans l’âme des humains.

Faut-il ajouter que les bêtes, ne sachant point mentir, peuvent souvent donner à l’homme l’occasion de rougir de soi.

Le « Montreal Cat Club and Human Society » fait certainement une œuvre digne de sympathie et d’admiration. La grande affluence des visiteurs aux diverses expositions organisées par cette société est un témoignage suffisant de la plus haute appréciation.

L’exhibition de l’automne dernier, tenue à l’hôtel Windsor, sous la direction de Mme Germain Beaulieu, 2ème vice-présidente, a été un succès sans précédent.

Nous suivons avec un intérêt attendri les progrès grandissants de cette Association, dont tous les efforts sont consacrés à la bienfaisance envers les plus humbles et les meilleurs de nos amis, parce que chacun de ses pas en avant marque une bonté grandissante dans le cœur des humains.

Gaëtane de Montreuil.