Mirabeau aux Champs-Elisées/08

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Garnery (Comédie en un actep. 39-46).

Scène VIII

LE DESTIN, SOLON, LE CARDINAL D’AMBOISE, les acteurs précédens, avec pluſieurs des quatre parties du monde, comme des Chinois, des Turcs, des Eſpagnols, des Romains, &c.
Le Destin.

Ombres paiſibles, l’heure est venue de rendre à la terre un grand homme qui remplace celui qu’elle vient de perdre ; & voici celui que j’ai choiſi.

Toutes les Ombres.

Solon, Solon va renaître.

Henri IV.

C’est le cardinal d’Amboiſe que le Deſtin a choiſi ; c’eſt un miniſtre ſage, bienfaiſant qui doit renaître en France.

Toutes les Ombres Françaises.

Oui, nous opinons pour le cardinal d’Amboiſe.

Le Destin.

Oui, je veux vous ſatisfaire. Ce grand ministre va renaître auſſi.

D’Amboise.

Serai-je encore élu évêque de Montauban ?

Mirabeau.

Que n’as-tu pu devancer ton époque ! cette ville n’auroit pas été de nouveau le théâtre des fureurs ſacerdotales. Les fanatiques ce ſont efforcés d’égarer la conſcience du peuple ; ainſi on n’a pu briſer les chaînes du deſpotiſme, ſans ſecouer le joug de la foi. Quelle impoſture groſſière ! non, la liberté loin de nous avoir preſcrit un ſi impraticable ſacrifice, nous a rendus tous freres : que tous bons citoyens regardent cette égliſe de France dont les fondemens s’élancent & ſe perdent dans ceux de l’empire lui-même. Qu’ils voient comme elle ſe régénère avec lui, & comme la liberté, qui vient du ciel, auſſi bien que notre foi, ſemble montrer en elle la compagne de ſon éternité & de ſa divinité.

D’Amboise.

La province de Normandie, a-t-elle été agitée & perſécutée par la nobleſſe ? ma préférence y ſeroit-elle néceſſaire ?

Mirabeau.

La nobleſſe eſt fort paiſible en Normandie, & ſes habitans ſont trop éclairés aujourd’hui.

D’Amboise.

Serois-je aſſez heureux pour travailler à la réforme de ces ordres religieux qui obèrent l’état, & qui propagent la maſſe des pareſſeux.

Le Destin.

Tu n’auras pas à cet égard de réforme à faire. Sois bon miniſtre, rends-toi digne toujours de la confiance de ton roi, concilie-toi l’amour de la nation, & travaille ſans relâche aux intérêts du peuple. Sois laborieux, doux, honnête, aie de la fermeté, du bons ſens, & ſur-tout ton expérience précieuſe, je te rends ton caractere primitif.

D’Amboise.

Reparoîtrai-je en France avec ce même coſtume ?

Le Destin.

Oui, & s’il étoit néceſſaire, je te donnerois la thyare pour réformer tous les abus.

Le C. d’Amboise.

Je ne la défirerois qu’à ce prix.

Le Destin.

J’aime les Français, je veux les combler de mes bienfaits ; pour toi, Solon, tu va renaître à la place de ce légiſlateur.

Solon, au Destin.

Divinité, dont la domination eſt ſi favorable, ou ſi fatale aux mortels, ne pouvant m’y ſoustraire, vous voulez que je retourne ſur terre, & je ne réſiſte point à vos décrets ; mais dans quelle contrée prétendez-vous me placer ? vais-je revoir Athènes ? m’enverrez-vous à Rome ?

Le Destin.

La ville de Rome, mon fils, a un peu changé de face depuis Titus ; & ce théâtre aujourd’hui. conviendroit peu à ton caractère. Qui ſerois-tu ? toi qui ne peut ſupporter l’hypocriſie, les complots des factieux ; mais il eſt une autre contrée qui, à l’opulence près, te retracera Rome & Athènes. C’eſt dans la capitale de France.

Solon.

En France ! c’eſt pour la France que vous me deſtinez. Que la porte s’ouvre ; je ſuis prêt à partir.

Le Destin.

Va, Solon, va prêcher ta douce morale ſous le règne du meilleur des rois. Soutiens la cauſe du peuple. Va te couvrir d’une nouvelle gloire. Là, tu trouveras des âmes qui ſimpathiſeront avec la tienne ; ſois prompt, ſois vigilant. Que toutes tes vertus reprennent leur première énergie, ou plutôt je te donne les vertus & les talens de cette ombre fière dont nous célébrons aujourd’hui l’arrivée. Si jamais ton antique Athènes renaît de ſa cendre, je l’enverrai à ſon tour y prendre ta place.

Mirabeau.

L’exemptez-vous des foibleſſes humaines ?

Le Destin.

Je ne prétend l’exempter de rien. Ces erreurs tiennent peut-être, plus qu’on ne croit aux vertus que je lui donne en partage. Qu’il ſoit bon patriote, courageux, protecteur de la liberté, ami sûr, publiciſte éclairé. Je jette un voile ſur le reſte.

Ninon de L’Enclos, à Mirabeau.

Apprends-nous donc…

Desilles.

Et ton Traité d’Éducation Nationale.

Toutes les Ombres, à la fois.

Nous brûlons de l’entendre.

Henri IV.

Ceſſe de t’affliger ; voilà deux ſucceſſeurs pour un…

Mirabeau.

C’en eſt trop pour me remplacer ; je voudrois vous ſatisfaire ; mais mon cœur eſt encore ſi plein, que je ne puis en ce moment que vous expoſer le réſultat de tous mes principes, & de tous mes écrits.

Le Destin.

Que la fête commence : qu’on lui élève un trône.

Henri IV.

Viens, digne ſoutien de l’empire français ; cette place eſt réſervée à ton génie, à ton amour pour la patrie ; & toutes les ombres vont t’entourer pour t’entendre.

Mirabeau.

Quoi ! voudriez-vous me faire monter ici à la tribune.

Louis XIV.

La tribune ! mais c’eſt un trône.

Mirabeau, ſur le trône.

Elle fut de mon vivant plus qu’un trône à mes yeux.

Ombres, qui m’écoutez, & qui vous intéreſſez au bonheur de la France, qui désirez connoître & mes travaux & mes opinions ſur l’état actuel & futur de ce beau royaume, je vais en deux mots vous en inſtruire :

J’ai paſſé ma vie à étudier l’eſprit de différens gouvernemens. J’ai parcouru l’immenſité de notre antique hiſtoire. Plein des grands exemples qu’elle nous offre, je me ſuis armé contre le deſpotiſme ; mais j’ai vu d’ailleurs le vice des formes républicaines, & j’ai cherché à en préſerver ma patrie régénérée. Tel a été le but principal de tous mes écrits. Puiſſe la France n’oublier jamais que la ſeule forme de gouvernement qui lui convienne, eſt une monarchie ſagement limitée.

Le Destin.

Qu’on ceigne ſon front de la couronne civique.

Deux ombres portent la couronne.
Madame de Sévigné, prend la couronne & la dépoſe ſur la tête.

Tu l’as méritée.

Ici le chœur commence,
On enlève Mirabeau ſur le trône, & on lui fait faire le tour du théâtre ; une musique douce & tendre termine, piano, piano la marche.
Fin de la pièce.







Se vend,


Chez la veuve Ducheſne, rue Saint-Jacques.
Chez la veuve Leſclapart, rue du Roule.
Et chez Girardin, au palais-royal.