Mirabeau et Mme de Nehra

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MIRABEAU
ET
Mme DE NEHRA



Tout le monde connaît la liaison de Mirabeau avec la marquise de Monnier. Les Lettres à Sophie ont fait depuis longtemps entrer dans le domaine public cet incident de la vie très incorrecte de l’éloquent orateur. Les romanciers s’en sont emparés et y ont ajouté toute sorte d’inventions. Les historiens eux-mêmes n’ont pas dédaigné de tirer parti de cet épisode en le défigurant parfois assez notablement. C’est ainsi que M. de Lacretelle, dans son Histoire de France pendant le dix-huitième siècle, termine un tableau des amours de Mirabeau et de Sophie par cette phrase : « Mirabeau oublia cette Sophie, dont la pensée avait paru remplir toute son âme, et Mme Le Monnier, restée seule dans l’univers, se donna la mort. » L’historien aurait dû s’enquérir plus scrupuleusement de l’exactitude des faits et même des noms. Mme de Monnier, et non Le Monnier, après sa rupture avec Mirabeau, ne resta point seule dans l’univers, et ce n’est point à cause de lui qu’elle se donna la mort. M. Lucas, de Montigny, dans l’ouvrage si consciencieux et si riche en documens qu’il a consacré à la vie de Mirabeau, son père adoptif, a mis hors de toute contestation possible ce point de détail dont l’éclaircissement allège d’autant la responsabilité du premier amant de Sophie[1]. Il est aujourd’hui parfaitement démontré qu’après sa rupture avec Mirabeau, Mme de Monnier se lia d’abord avec un officier de maréchaussée, homme très brutal, qui la battait ; qu’elle s’attacha ensuite à un officier de cavalerie, beaucoup mieux élevé, qui ne la battait point, mais qui était atteint d’une affection de poitrine, et qu’elle perdit au moment où elle espérait le décider à légitimer leurs rapports par un mariage. C’est sous l’impression de cette perte que Mme de Monnier, qui avait alors trente-six ans, et qui était définitivement séparée de Mirabeau depuis neuf ans, se résolut au suicide et s’asphyxia.

Le motif qui poussa Sophie à cet acte de désespoir est donc étranger à Mirabeau ; mais quoique sa responsabilité morale en soit diminuée, elle subsiste néanmoins, puisque ce fut lui qui le premier entraîna Mme de Monnier hors du droit chemin. Dans son pieux désir de défendre autant que possible la mémoire de son père adoptif, M. Lucas de Montigny s’attache à démontrer que, quand même Mirabeau n’eût jamais rencontré Sophie, le mariage immoral que les parens de celle-ci lui avaient fait contracter avec un septuagénaire morose, avare et jaloux, et l’extrême sensibilité de son organisation l’auraient fatalement conduite au désordre. À l’appui de sa thèse M. Lucas de Montigny possédait des documens dont sa délicatesse l’a empêché de se servir. Il avait dans les mains un grand nombre de lettres de Mme de Monnier à Mirabeau, dont il n’a cité que les passages les plus favorables à celle-ci, ne voulant pas que la défense de l’un fût présentée aux dépens de l’autre. Aujourd’hui que l’estimable biographe de Mirabeau n’est plus, je puis dire avec plus de précision ce qu’il m’avait permis seulement d’indiquer de son vivant : c’est que dans leur ensemble les lettres de Mme de Monnier, que j’ai lues, donnent d’elle une assez pauvre idée, et portent à croire que l’imagination du prisonnier de Vincennes a beaucoup poétisé le caractère de Sophie[2]. Le ton licencieux qui choque de temps en temps dans les lettres, d’ailleurs si remarquables, de Mirabeau est souvent dépassé dans les réponses de Mme de Monnier, où se trouvent de véritables obscénités écrites d’un style vulgaire et plat. Un esprit court, une certaine force de volonté, mais peu d’élévation dans les idées et un tempérament très ardent, voilà ce qui nous a paru dominer dans les lettres de Sophie, et voilà ce qui peut contribuer à expliquer les passions successives qui ont troublé sa vie et la catastrophe qui l’a terminée.

C’est en lisant chez M. Lucas de Montigny les lettres de Sophie que j’ai été amené à m’occuper d’une autre femme qui a eu aussi sa part d’influence dans la vie de Mirabeau, influence plus cachée, étrangère à tout scandale, et par conséquent plus ignorée que celle de Sophie, mais aussi salutaire pour le fougueux tribun qu’elle pouvait l’être dans les conditions irrégulières où elle se produisait ; cette liaison m’a paru digne d’intéresser le public, comme la contre-partie de l’autre attachement, plus romanesque, plus orageux, mais moins solide, et relativement moins élevé et moins pur.

Tous ceux qui ont connu personnellement M. Lucas de Montigny savent le culte filial que cet aimable et excellent homme avait voué à la mémoire de Mirabeau, quelle riche collection de souvenirs en tout genre relatifs au grand orateur, à ses ancêtres et à ses amis, portraits, bustes, gravures et autographes, il avait réunie dans sa maison, et combien il se plaisait à montrer ses richesses à ceux qui lui paraissaient capables de les apprécier. Un jour qu’il faisait passer devant mes yeux une série de miniatures peintes sur des boîtes, je remarquai particulièrement la charmante figure d’une femme qui paraissait âgée de dix-huit à vingt ans, et dont la physionomie annonçait à la fois beaucoup d’esprit, beaucoup de délicatesse et beaucoup de douceur. Je lui demandai le nom de cette gracieuse personne. Il me répondit : « C’est Mme de Nehra. De toutes les femmes qui ont aimé Mirabeau ou que Mirabeau a aimées, c’est celle qui lui a été le plus absolument dévouée ; orpheline et non mariée, elle s’est attachée à lui sans avoir à violer aucun engagement antérieur. Durant plus de cinq ans, elle n’a vécu que pour lui ; tous les amis de Mirabeau, qui l’ont vue se consacrer tout entière aux intérêts, au bonheur, à la gloire de l’homme qu’elle aimait, ont parlé d’elle avec estime et respect. À force de blesser sa fierté, l’incurable fragilité de Mirabeau a fini par l’éloigner de lui ; mais en le quittant elle n’a pas cessé de l’aimer. Elle lui a survécu longtemps, et je ne lui ai pas connu d’autre attachement. Quoique je ne fusse point son fils, elle a été pour moi dans ma première enfance la mère la plus tendre, et sa mémoire me sera toujours très chère. Elle a écrit sur ses rapports avec Mirabeau deux notices inédites dont je n’ai cité que quelques courts extraits dans mon ouvrage. L’ensemble de son récit me paraissant de nature à produire peut-être une impression plus favorable à elle qu’à Mirabeau, je n’ai pu me décider à le publier moi-même dans son entier. Cependant il est curieux, et je ne serais pas fâché qu’il fût publié. Si vous voulez vous en charger, je vous le confierai volontiers. » Je lus ces fragmens de mémoires : ils m’intéressèrent, et je me promis de les mettre un jour en lumière. Depuis la mort de M. Lucas de Montigny, ils m’ont été confiés de nouveau par son fils parmi d’autres documens destinés à faire l’objet d’une étude plus étendue et plus grave. Je me suis demandé assez longtemps sous quelle forme il convenait de présenter au public ces confidences de Mme de Nehra sur Mirabeau. J’aurais pu essayer de les transformer en un petit roman, mais je n’ai aucun goût pour le mélange de la fiction et de la vérité. Je ne pense pas non plus qu’il soit possible d’intercaler avantageusement ce tableau de mœurs dans un travail sur les Mirabeau. Je me décide donc à le publier tout simplement à part, en le faisant précéder des quelques informations que j’ai pu recueillir auprès de M. Lucas de Montigny et ailleurs sur Mme de Nehra.

Henriette-Amélie, connue sous le nom de Mme de Nehra, était la fille naturelle d’un homme qui figure parmi les illustrations politiques et littéraires de la Hollande au XVIIIe siècle. Son père, Onno Zvier van Haren, après avoir joué un rôle assez important dans les affaires, se fit surtout remarquer par un poème épique en vingt-quatre chants intitulé les Gueux, dans lequel, adoptant la qualification injurieuse dont les libérateurs de la Hollande s’étaient fait un titre d’honneur il célèbre avec une grande verve de patriotisme les héros qui ont affranchi son pays du joug espagnol. La jeune Henriette avait quatorze ans lorsqu’elle perdit son père, qui, d’après les quelques mots qu’elle en dit elle-même et d’après les renseignemens fournis par M. Lucas de Montigny, paraît l’avoir fait élever avec beaucoup de soin jusqu’à sa mort ; mais comme il avait d’autres enfans nés d’un légitime mariage, il ne put lui laisser qu’une modique pension viagère. L’orpheline, n’ayant pas le droit de porter le nom de l’homme qui lui avait donné le jour, prit celui de Nehra, anagramme de Haren, et, à la suite de circonstances que j’ignore, elle fut envoyée en France et placée comme pensionnaire libre dans un couvent de Paris. C’est là qu’elle connut Mirabeau au commencement de 1784. Elle n’avait pas encore dix-neuf ans, étant née le 15 mai 1765, et, à en juger par le portrait dont j’ai parlé plus haut, qui doit dater de cette époque, elle était ravissante de beauté, de fraîcheur et de grâce.

Avant de la laisser raconter elle-même comment elle fut entraînée à lier sa destinée à celle de Mirabeau, je crois devoir la faire connaître par le témoignage d’un homme qui l’a vue fréquemment lorsqu’elle vivait encore avec le fougueux tribun, et qui parle d’elle avec un accent d’estime d’autant moins suspect qu’il ne le prodigue pas en pareille circonstance, car cet homme est un juge souvent très sévère de la conduite et des relations de Mirabeau. C’est Etienne Dumont (de Genève) qui, dans ses Souvenirs, a écrit quelques lignes sur Mme de Nehra. Quoique le passage qu’il lui consacre débute par une inexactitude de détail et une peinture forcée (on le verra tout à l’heure) du genre de sentiment qui attachait Mme de Nehra à Mirabeau, il conserve toute sa valeur comme appréciation de cette charmante et douce créature : « Mirabeau, dit Etienne Dumont, s’était attaché en Hollande à une femme aimable, qui tenait à une famille respectée, et qui avait uni son sort au sien par l’effet d’une passion qui l’avait emporté sur toutes les considérations du monde. Elle n’était pas mariée. Jeune, belle, remplie de décence et de grâce, elle était faite pour orner la vertu et pour mériter de l’indulgence à l’amour : ceux qui l’ont connue n’ont jamais pardonné à Mirabeau d’avoir sacrifié cette femme intéressante pour une mégère qui avait l’insolence du vice et se pavanait de ses désordres. Mme Lejay avait de l’intrigue, de l’artifice, de la méchanceté ; elle était flatteuse et passionnée ; elle n’a profité de son ascendant sur Mirabeau que pour exciter sa violence naturelle et servir son propre intérêt ; ses amis rougissaient pour lui en le voyant livré à une femme qui n’avait aucune qualité pour racheter ses égaremens[3]. » Cette Mme Lejay, qui fut en effet la cause de la rupture de Mirabeau et de Mme de Nehra, et dont celle-ci parlera tout à l’heure à son tour sans la nommer, était la femme d’un libraire de Paris. Son influence fut, comme le dit Dumont, très funeste à Mirabeau, car c’est principalement pour lui fournir de l’argent que l’éloquent orateur commit une des actions les plus inexcusables de sa vie, en laissant publier sous l’anonyme les lettres trop souvent diffamatoires et calomnieuses qu’il avait écrites durant sa mission secrète à Berlin, lettres qu’il fut obligé de désavouer honteusement, attendu que ce désaveu ne trompait personne. Mme de Nehra au contraire ne lui donna jamais que des conseils salutaires.

Mirabeau d’ailleurs nous a lui-même laissé de Mme de Nehra un portrait tout à fait conforme à celui qu’en a tracé Dumont. Voici comment dans divers passages de ses lettres à Champfort il peint sa jeune et intéressante amie : « J’ai une compagne de mon sort, une compagne aimable, douce, bonne, que sa beauté aurait infailliblement rendue riche, si ses excellentes qualités morales ne s’y étaient pas opposées Ma compagne est ce que vous l’avez vue, belle, douce, bonne, égale, courageuse, pénétrée de ce charme de la sensibilité qui fait tout supporter, même les maux qu’elle produit Vous verrez sa physionomie angélique, sa pénétrante douceur, la séduction magique qui l’entoure… Je vous jure, mon ami, je vous jure dans toute la sincérité de mon âme que je ne la vaux pas, et que cette âme est d’un ordre supérieur par la tendresse, la délicatesse et la bonté. »

On est tenté de sourire de ce grand effort de modestie que fait Mirabeau en déclarant comme une chose très invraisemblable, quoique vraie, qu’une femme douée de toutes les qualités qu’il reconnaît chez Mme de Nehra vaut moralement mieux que lui. Il est certain que, sous le rapport moral, il était inférieur à sa jeune compagne. Et cependant, quoique les renseignemens que nous avons sur Mme de Nehra s’accordent à la présenter comme une personne dont le caractère était en parfaite harmonie avec l’expression de décence, de modestie, de délicatesse, qui frappe dans son portrait, où elle paraît vraiment douée de cette physionomie angélique dont parle Mirabeau, je ne me dissimule pas que les pages qu’on va lire sont quelquefois d’un ton dont la légèreté contraste un peu avec l’idée qu’on se fait d’elle d’après le témoignage de ceux qui l’ont connue. On y remarquera notamment la tolérance un peu singulière qu’elle professe pour les désordres de Mirabeau, tant que le cœur de celui-ci ne lui paraît point engagé ; mais si cette tolérance peut être interprétée désavantageusement pour Mme de Nehra, elle peut aussi être l’objet d’une interprétation favorable, car elle prouve que son attachement pour cet être à la fois si supérieur par l’esprit et si inférieur par les instincts tenait avant tout à ce qu’il y avait de plus noble en lui. Du reste, il nous paraît évident, comme elle le déclare elle-même, qu’elle n’a jamais éprouvé pour Mirabeau ce sentiment passionné qu’on appelle amour, et peut-être, en y regardant bien, trouvera-t-on dans ce fait même un témoignage en sa faveur. Le mélange d’admiration, d’affection et de compassion que lui inspirent les hautes facultés, les bonnes qualités, la vie pénible et les humiliantes faiblesses de cet homme, à propos duquel elle s’écrie si naïvement : « Pauvre malheureux ! » nous semble indiquer une âme qui n’est pas vulgaire. À la vérité, pour apprécier ce qu’il y a de distingué dans les sentimens de Mme de Nehra, il faut écarter ce qui, dans son langage, dans sa manière de comprendre et d’apprécier certaines infractions au devoir, trahit l’influence de sa position et de son temps. Ce n’est pas impunément qu’une personne bien douée, née, comme l’était, je crois, Mme de Nehra, pour faire une épouse et une mère de famille accomplie, se trouve, dès sa plus tendre jeunesse, abandonnée à elle-même, sans guide, sans appui, engagée dans une vie irrégulière, n’ayant d’autre professeur de morale que Mirabeau, et respirant l’air du XVIIIe siècle. Si quelque chose peut étonner, c’est que, dans une telle situation, une jeune femme conserve tous les sentimens bons, honnêtes, délicats, qu’il nous semble impossible de méconnaître sous la forme parfois légère de ses confidences. Les deux notices que Mme de Nehra a écrites sur ses rapports avec Mirabeau ont été rédigées par elle à deux époques différentes. Elle écrivit la première en mai 1791, très peu de temps après la mort de Mirabeau. Celle-ci est la plus détaillée ; l’auteur n’avait encore que vingt-huit ans. Plus tard, en 1806, Mme de Nehra, qui avait quarante ans, adressa au médecin Cabanis une nouvelle notice sur le même sujet. Celle-là est beaucoup plus courte que la première, mais le ton en est plus grave. Nous donnerons d’abord le premier de ces fragmens, en ne supprimant que quelques détails sans intérêt pour le lecteur.


« Au commencement de 1784, M. de Mirabeau, que je ne connaissais pas encore, reçut une lettre d’une ancienne amie qu’il n’avait pas vue depuis quinze ans, et qui l’invitait à la venir trouver dans une terre qu’elle avait héritée de sa sœur. La tête ardente de Mirabeau s’échauffe, il se retrace des souvenirs agréables, répond avec transport, et après une lettre ou deux, écrites de part et d’autre, il prend la poste, et, dans un moment où sa présence était nécessaire à Paris, il court s’enfermer un mois tête à tête avec la marquise de Saint-O.

« Je connaissais cette dame depuis quelques années, j’avais été assez heureuse pour lui rendre un service essentiel, et, dans le projet qu’elle avait de suivre son ami à Paris, elle crut que j’étais la personne la plus propre à la recevoir et à calmer l’humeur de son mari, à supposer qu’il en prît de n’avoir pas été consulté sur ce départ.

« Un beau matin, la marquise arriva chez moi, où par hasard je ne me trouvais pas, ayant été déjeuner chez une amie. Elle s’installa dans mon appartement, et je fus toute surprise, en arrivant, de l’y trouver établie. Je n’étais plus que pour quelques jours aux Petites-Orphelines, mon appartement se préparait au couvent de la Conception, et il m’était de toute impossibilité de loger Mme de Saint-O., sa fille de chambre et son laquais, surtout dans une communauté d’où les hommes se retirent à neuf heures. Mme de Saint-O. était seule descendue de voiture avec ses gens. Mirabeau avait voulu faire une toilette ayant de m’être présenté ; elle lui écrivit un billet pour le prévenir que je m’étais excusée de la loger. Je crois que mes excuses l’avaient piquée. Pour Mirabeau, il m’a avoué depuis que mon refus l’avait mis dans un emportement affreux. Ainsi le premier sentiment que je lui inspirai a été celui de la colère.

« L’après-dîner du même jour, je le vis pour la première fois. Sa figure me déplut à un point inconcevable : je reculai d’effroi… J’ai remarqué depuis que je ne suis pas la seule qui, après avoir reçu cette impression défavorable, se soit non-seulement accoutumée à son visage, mais ait fini par trouver que ses traits convenaient à la tournure de son esprit. Sa physionomie était expressive, sa bouche charmante, et son sourire plein de grâce.

« Nous contestâmes longtemps ; il déploya toute son éloquence pour m’engager à loger sa dame, et comme je tins bon, tout ce qu’il put gagner fut que je demeurerais avec elle dans un hôtel garni jusqu’à l’arrivée du mari, auquel j’écrivis je ne sais quoi, pour l’engager à nous rejoindre à Paris ou à nous laisser sa femme.

« Mirabeau passait ses journées avec nous. Il était très aimable. Nous ne parlions pas toujours colifichets ; nos conversations roulaient sur la littérature et la morale. Nous n’étions pas à sa portée, mais il se mettait à la nôtre : ses idées se rencontraient toujours avec les miennes. Je l’écoutais avec avidité : il disait ce que je sentais, ce que je pensais, ce que j’aurais dit, si j’avais eu la même facilité d’expression, et lui voyait bien que je l’entendais, il devinait ce que je n’avais pas le talent d’énoncer. Nous parlions aussi quelquefois d’un grand homme qui avait été mon bienfaiteur[4]. Je pleurais sa perte, et Mirabeau, qui l’avait beaucoup connu[5], mêlait ses larmes à celles dont j’arrosais sa tombe, et me savait gré de ma sensibilité. À mesure que l’amitié de M. de Mirabeau se manifestait, celle de Mme de Saint-O. se refroidissait. Il ne m’avait jamais dit un mot d’amour, et j’en aurais été furieusement offensée. Je le croyais engagé à mon amie, et toute prétention sur son cœur m’aurait paru un crime. J’ai bien des défauts, mais je n’ai jamais eu la vanité barbare d’enlever l’amant d’une autre femme. Je sais que notre sexe se fait un jeu cruel, quelquefois un triomphe, de faire faire une infidélité ; cette espèce de coquetterie me paraît la plus méprisable de toutes. Je suis née avec des passions, je connais la jalousie, elle est le plus cruel de tous les tourmens ; j’aimerais mieux que l’on m’enfonçât un poignard dans le sein que de m’en faire ressentir les effets. L’amant de mon amie était sacré pour moi ; il était mon frère, mon ami ; tout autre sentiment que celui de l’amitié m’aurait paru un sacrilège. Ce que j’avance ici est si véritable, qu’après que sa liaison avec Mme de Saint-O. fut rompue, je n’ai pu, malgré la passion brûlante qu’il a eue pour moi si longtemps, changer la nature de mon attachement. Je l’ai aimé depuis plus tendrement, je le préférais à tous les autres hommes, mais je n’étais pas amoureuse. En rendant justice aux qualités excellentes de son cœur, je suis donc plus croyable que si la passion m’aveuglait. La froideur de Mme de Saint-O. me surprit ; je n’en pénétrai pas les motifs, je remarquai seulement qu’elle ne me voyait plus qu’avec répugnance, et sans lui faire de reproches, sans lui demander d’explication, je prétextai l’embarras du changement de couvent pour quitter une maison où je m’apercevais que je devenais importune. Je ne revis plus Mme de Saint-O. que très rarement, et je cessai de la voir lorsqu’elle eut un procédé plus qu’étrange envers M. de Mirabeau. Elle oublia bientôt mes services, nous suscita mille tracasseries. Nous pouvions nous en venger ; nous ne le fîmes cependant pas : jamais M. de Mirabeau n’a perdu une femme de gaieté de cœur, pas même celles dont il avait à se plaindre ; il en a compromis quelques-unes, parce qu’il était passionné, parce qu’il ne pouvait cacher ce qu’il sentait vivement ; mais tout ce que les hommes à bonnes fortunes appellent rouerie était fort éloigné de son caractère.

« M. de Mirabeau fit peu après imprimer un mémoire en réponse à un libelle que les avocats de sa femme avaient distribué en grand nombre à ses juges et à tous ceux qui pouvaient influer dans son procès[6]. Ce mémoire, écrit avec dignité et modération, devait avoir le plus grand succès ; mais le garde des sceaux, qui avait toléré le libelle, ne manqua pas de supprimer le mémoire, de faire saisir tous les exemplaires, et de montrer une partialité qui ne lui fit pas honneur. Mirabeau, furieux, courut chez M. de Miromesnil. L’on connaît la conversation qu’ils eurent ensemble à ce sujet ; Mirabeau trouva plaisant de la faire imprimer à la tête du mémoire que l’on voulait anéantir. Il y avait trois mois alors que je le voyais tous les jours ; il passait quelquefois quatre ou cinq heures à ma grille, ce qui lui faisait perdre un temps précieux. « Mon amie, me dit-il en revenant de chez le garde des sceaux, je pars demain ; si vous avez de l’amitié pour moi, vous m’accompagnerez. Vous m’avez dit que vous pensiez qu’une sœur de votre mère vous avait laissé quelque chose, voici l’occasion de vous en éclaircir. Pour moi, je ne puis plus me passer de vous, mon sort est attaché au vôtre pour la vie ; voyez si vous voulez avoir cette condescendance pour un ami malheureux et persécuté qui vous en tiendra compte tant qu’il respirera. » Le projet d’accompagner Mirabeau me parut une folie, je le lui dis franchement ; mais il me sollicita si vivement, que ses prières l’emportèrent sur ma répugnance. Je partis, et ne m’en repentis jamais. Ce fut à la fin de ce voyage que notre intimité commença. Je m’aperçus alors combien le refus constant de m’attacher à lui le rendait malheureux, j’osais croire que j’étais la femme qui convenait à son cœur, j’espérais calmer quelquefois les écarts d’une imagination trop ardente ; mais ce qui me détermina surtout, ce furent ses malheurs. Dans ce moment-là, tout était réuni contre lui : parens, amis, fortune, tout l’avait abandonné, je lui restai seule, et je voulus lui tenir lieu de tout. Je lui sacrifiai donc tout projet incompatible avec nos liaisons ; je lui sacrifiai une vie tranquille pour m’associer aux périls qui environnaient sa carrière orageuse. Dès lors je fis le serment de n’exister que pour lui, de le suivre partout, de m’exposer à tout pour lui rendre service dans la bonne ou la mauvaise fortune. Je laisse aux amis de Mirabeau à juger si j’ai rempli fidèlement cet engagement sacré.

« Notre voyage se passa assez gaiement ; nous allâmes d’abord à Bruxelles, ensuite on nous renvoya à Maëstricht, où le mémoire fut enfin imprimé, et malgré les contre-temps qui naissaient de la situation pécuniaire de Mirabeau, nous revînmes triomphans en France. Nous avions déposé l’édition à la porte de Paris, chez une parente de Mirabeau ; nous y laissâmes la voiture, et le lendemain nous entrâmes en fiacre dans la ville, sans paquets apparens. Il m’avait sévèrement défendu de me charger d’aucun exemplaire ; nous étions observés, et les précautions étaient nécessaires. Les barrières franchies : « Mon Dieu ! me dit-il, que je suis fâché d’avoir contrarié vos projets ! Nous eussions passé au moins une douzaine de mémoires sur nous. Dieu sait quand je pourrai faire entrer le ballot, et la distribution devient instante. — Consolez-vous, mon cher, lui dis-je ; il y en a deux cents dans Paris à l’heure qu’il est. — Comment donc ? s’écria-t-il, comment, et par quel enchantement ? — Comment ? lui dis-je ; sur moi, autour de moi, dans les coffres, sous les coussins du fiacre. Je n’ai pas voulu vous donner de l’inquiétude ni vous causer de l’humeur en vous contrariant ; mais, tandis que vous faisiez des phrases avec la belle dame, j’allais, je venais, et j’entassais les ballots dans le fiacre. J’ai fait travailler les filles des commis de cette barrière : j’étais sûre que l’on ne fouillerait pas, et que, dans tous les cas, six francs me tireraient d’affaire. » Jamais je n’ai vu un homme aussi content, une bagatelle le mettait aux anges. Il me remercia mille fois, et pendant plusieurs jours il ne fut question que du mémoire passé à la barbe des espions de police.

« Je commençai à cette époque mes fonctions de femme de ménage. Je fis vendre les chevaux, j’engageai Mirabeau à se passer de carrosse et à ne garder qu’une personne pour nous servir. Je ne dédaignai pas de me faire rendre compte de son linge et de l’entretenir de mes propres mains ; je me fis aussi remettre tous les soirs le mémoire de la dépense. Mirabeau, alors très gêné, ne savait pas compter : il me donnait tout son argent à garder, et dans des temps moins malheureux il en a toujours été de même, jusqu’au moment où, par une erreur funeste, il obligea sa meilleure amie de l’abandonner. Si parfois on lui voyait de l’or dans sa bourse, il n’y était que pour la parade ; s’il lui arrivait de changer un louis, il m’en prévenait aussitôt, comme si cet argent m’eût appartenu. Son grand plaisir était de me faire des présens : il m’apportait sans cesse des cadeaux, et, bien qu’ils fussent à mon usage, il avait si grande peur que je ne le grondasse, que de ce qui lui coûtait trois louis il n’accusait que trente-six livres ; mais, comme il prenait à crédit et que c’était moi qui payais les mémoires, la supercherie était bientôt découverte. Lorsque c’étaient des bijoux, après m’en être parée deux ou trois jours pour lui faire plaisir, je composais avec le marchand pour les lui faire reprendre ; lorsque c’était un bonnet ou un chapeau, le mal était sans remède, mais je n’avais pas le courage de lui faire une querelle de son aimable générosité.

« La vie que nous menâmes pendant les deux mois et demi qui précédèrent notre voyage à Londres fut très simple : Mirabeau écrivait toute la matinée, nous dînions presque toujours ensemble ; ensuite il allait voir quelques amis, et tous les soirs il soupait régulièrement chez Mlle Julie[7], rue Chantereine, où se trouvait en hommes la meilleure compagnie de Paris.

« L’ouvrage qui occupait alors Mirabeau était celui sur l’ordre de Cincinnatus, dont on craignait en Amérique des conséquences fâcheuses pour la liberté. Franklin lui avait communiqué un petit pamphlet dont il désirait une traduction : au lieu d’une traduction, Mirabeau en fit une imitation ; il y ajouta ses propres idées sur la noblesse héréditaire sur les ordres en général, et fit de cette bagatelle un livre excellent. Son procès[8] s’instruisait pendant ce temps-là ; il s’en occupait peu, à peine allait-il chez ses juges, et il ne marqua aucune surprise lorsqu’il apprit l’avoir perdu. Quelques jours après, il reçut avis que le garde des sceaux cherchait à se venger, et qu’il avait obtenu une lettre de cachet. Cet avis, vrai ou faux, — jamais nous n’avons su la vérité à cet égard, — était assez important pour chercher à se mettre à l’abri du pouvoir despotique d’un ministre offensé. Notre voyage en Angleterre fut donc résolu, et en vingt-quatre heures nous partîmes, emportant le manuscrit, que Mirabeau enrichit encore et fit imprimer à Londres.

« Les Anglais virent Mirabeau avec plaisir ; cependant il ne fréquenta pas la grande compagnie, il s’en tint à quelques amis. Sir Gilbert Elliot, avec lequel il avait été élevé en France, B. Vaughan, MM. Romilly et Bayens furent ceux qu’il vit journellement et qui restèrent toujours ses amis. Il vit aussi très souvent lord Shelburne, aujourd’hui lord Lansdowne, le docteur Price et M. Burke, peu de Français, si ce n’est un certain La Rochette, homme de mérite, quoique un peu singulier. Mirabeau l’aima tendrement ; ils se brouillèrent ensuite, mais Mirabeau conserva toujours pour lui un sentiment distingué. Il me disait souvent : « C’est au moment où je pourrai faire quelque chose de considérable pour La Rochette que je lui écrirai ; il connaîtra alors si j’étais son ami ! »

« Mirabeau avait commencé à Londres une histoire de Genève qui n’a jamais vu le jour, et qui doit se trouver parmi ses papiers ; il fit aussi ses Doutes sur l’Escaut ; il faisait des notes sur le Compte-Rendu de M. Necker, qui lui servirent de matériaux lorsqu’il fit sa réponse à cet ouvrage… Bientôt Mirabeau jugea à propos de m’envoyer à Paris pour faire parler au ministre, traiter de son retour et voir ses gens d’affaires pour en tirer quelques ressources pécuniaires. Mes premières démarches ne furent point heureuses : les amis de Mirabeau n’obtinrent que des réponses vagues ; les miens craignirent que mon attachement ne me fût nuisible. Ils m’avertirent que je courais des risques, et firent leur possible pour m’engager à rompre une liaison qu’ils traitaient d’extravagance. Il y avait longtemps que mon parti était pris, leurs raisons ne m’ébranlèrent pas. Il me semblait toujours que les autres ne mettaient pas la même chaleur, le même empressement que moi lorsqu’il s’agissait de mon ami. Je pris donc la résolution de solliciter moi-même, et j’allai à Versailles, déterminée à n’en revenir que satisfaite. Je vis le baron de Breteuil, que je ne connaissais pas ; je causai longtemps avec lui, j’en fus parfaitement contente. Il me dit de revenir bientôt, qu’il prendrait des informations, et peu de jours après j’eus la satisfaction d’apprendre que Mirabeau pouvait rentrer librement en France. Il ne faut pas demander s’il arriva bientôt : c’était la première fois que nous étions séparés ; il m’avait écrit des lettres passionnées ; il vola dans mes bras à l’instant où il crut pouvoir le faire sans danger. Je lui avais communiqué un projet dont la perspective le transportait. Je croyais que, dans la position où se trouvaient ses affaires, un ou deux ans de retraite lui feraient un bien considérable. Je lui conseillai de s’enfermer, soit à Mirabeau, soit ailleurs, mais à la campagne, d’y demeurer tranquille avec moi, de s’occuper d’un grand ouvrage, de le soigner, et, lorsqu’il serait à sa perfection, de reparaître tout d’un coup avec lui. Nous étions convenus de partir au plus tôt ; nos malles étaient prêtes, quand un intérêt bien cher nous fit différer notre départ. Coco[9], que nous avions pris avec nous, bien qu’il ne sût ni parler ni marcher encore, Coco avait fréquemment des maladies violentes et continuellement une humeur sur les yeux. J’imaginai que l’inoculation, en le préservant pour l’avenir d’une maladie toujours dangereuse, quelquefois mortelle, pourrait purger cette humeur qui m’inquiétait. Il fut décidé que l’opération se ferait tout de suite, et que nous attendrions son rétablissement pour partir. Rien dans le monde n’aurait pu me faire consentir à abandonner cette aimable créature, ni à permettre qu’un autre que moi le soignât pendant sa petite vérole. Dans cet intervalle, M. Etienne Clavière faisait tous ses efforts pour engager Mirabeau à rester à Paris. Ils parlaient toujours finances. Clavière l’exhortait à écrire sur cette matière, et c’est à ces exhortations que la France doit l’ouvrage sur la Caisse d’escompte, la banque de Saint-Charles, etc. Il est à peine croyable tout ce que le fécond génie de Mirabeau produisit dans l’été et l’automne de 1785. Il n’était plus question d’aller à la campagne ; il passait sa vie chez Panchaud, dont il avait fait la connaissance au mois de mai. Ce fut dans cette maison qu’il se lia plus étroitement avec l’abbé de Périgord, qu’il connaissait un peu précédemment, et avec le duc de Lauzun, qui lui rendirent l’un et l’autre plusieurs services. Nous avions fait un voyage de quatre semaines à Bouillon pour l’impression de la Caisse d’escompte. MM. de Rohan et de Guémenée y étaient exilés. Ils nous virent tous les jours. M. de Guémenée se plaignait d’avoir été trompé par son homme d’affaires, et d’être accusé d’avoir voulu tromper tout le monde. Il donna quelques papiers à Mirabeau, qui lui avait promis d’écrire sur ce sujet, et de révéler plusieurs mystères d’iniquité ; mais il en fut détourné par les amis de M. de Guémenée, qui craignirent que la chaleur que Mirabeau mettait toujours dans tout ce qu’il écrivait ne retardât le rappel des deux princes, qui restèrent encore assez longtemps après nous à Bouillon pour s’ennuyer tout à leur aise. Ils étaient cependant extrêmement chéris de tout le monde dans cette petite ville, où, malgré le peu qui leur restait, ils faisaient beaucoup de charités. « Mirabeau m’aimait toujours également, même chaque jour plus tendrement, mais il me faisait de fréquentes infidélités : voyait-il un joli minois, une femme lui faisait-elle des agaceries, aussitôt il prenait feu. Ses intrigues ne duraient pas ; il en était quelquefois si ennuyé, qu’il me demandait conseil pour se débarrasser avec décence. Il ne prenait aucune peine pour me cacher ce qui ne me faisait aucun chagrin ; cet homme que l’on a dépeint si faux était au contraire si peu dissimulé et je savais si bien lire dans son âme, que toute contrainte aurait été inutile : j’étais tranquille sur ses liaisons parce que j’étais sûre de son cœur. Il eut cependant dans l’été de 1785 une intrigue qui me désola et pensa troubler notre intimité. Mirabeau s’attacha à une femme haute et vaine qui méprisait tout ce qui n’avait pas 100,000 livres de rente. Il avait augmenté sa maison d’un laquais, qui lui était nécessaire pour porter ses billets et se donner un air de magnificence ; il y ajouta un valet de chambre, et malgré mes représentations il prit un carrosse. Mme de *** voyait avec envie notre bonne intelligence. N’osant attaquer l’essentiel, Mirabeau ne l’aurait souffert de personne, elle me chercha des ridicules ; elle trouvait absurde qu’une personne de mon âge n’eût pas de loge à tous les spectacles, ni de mémoire de 20,000 francs chez Mlle Bertin. Un de mes goûts cependant était celui de la toilette. Je déteste autant la magnificence que j’aime une noble élégance dans la mise ; je crois que la parure est nécessaire à une femme, elle tient aux grâces et annonce du goût, le goût annonce de la délicatesse ; je ne sais moi-même comment j’arrange tout cela, mais du physique il me semble que cela s’étend sur le moral ; enfin si j’étais homme, j’aurais des idées très bizarres sur la manière dont ma maîtresse s’habillerait habituellement. Mme de *** touchait donc un endroit sensible : je ne désirais ni diamans ni dentelles, j’aurais voulu peut-être augmenter le nombre de mes robes blanches et renouveler plus souvent mes gazes ; mais je sentais combien l’économie était nécessaire dans nos circonstances, et, puisqu’il faut avouer mes faiblesses, j’eus celle de prendre en aversion la femme qui s’égayait de mes privations, quoiqu’elles fussent assurément bien volontaires. Mirabeau ne m’a jamais rien refusé ; au contraire, il ne trouvait jamais rien d’assez beau pour moi. Des raisons essentielles empêchaient mon ami de rompre son commerce avec elle : je le tracassais, il s’emporta, et nous eûmes quelques disputes, qui se terminaient toujours dans la journée ; il avouait ses torts de si bonne foi, il mettait tant de sensibilité dans le pardon qu’il demandait, que je n’avais pas le courage de bouder longtemps. C’est à l’occasion de cette dame que j’eus un matin un quart d’heure que je n’oublierai de ma vie : nous en avons ri bien souvent après ; mais je souffris un moment tout ce que l’on peut souffrir dans la nature. Mirabeau venait de recevoir une lettre fort significative ; l’écriture de la dame et son cachet étaient très apparens, la lettre était sur la table, le mari entre sans être annoncé. Après un moment de conversation animée sur les affaires publiques, il prend la lettre, la tourne dans tous les sens, la plie en deux et la remet sur la table. Mirabeau s’en saisit à son tour, je crois que c’est pour la mettre dans sa poche, mais point du tout, sa tête n’y était plus ; il était dans les calculs, il ne songeait ni à femme, ni à billet doux : il fait un second pli dans le poulet et le repose de sang-froid à la même place. J’étends le bras pour le prendre, il n’était plus temps, M. de *** s’en était emparé ; il le roulait dans ses doigts. Enfin cette lettre passa alternativement des mains du mari dans celles de l’amant, et de celles de l’amant dans celles du mari, et cela pendant plus de dix minutes, jusqu’au moment où, tremblante, je trouvai le moyen de m’en saisir et de la faire disparaître.

« Mirabeau s’ennuya enfin des calculs et des chiffres ; il désira s’occuper de politique et parcourir les cours étrangères ; il voulut commencer par le Nord, et ses amis lui conseillèrent d’aller à Berlin, où le grand roi régnait encore. Il partit avec sa horde : c’est ainsi qu’il appelait son amie, Coco et un petit chien qu’il m’avait donné et qu’il aimait beaucoup. C’était dans les derniers jours de décembre, il faisait un très grand froid ; mais les saisons ne nous arrêtèrent jamais. Entre Toul et Verdun, on s’avisa de nous tirer plusieurs coups de pistolet dans la voiture. Nous n’avons jamais su si c’étaient des assassins ou des personnes qui voulaient nous effrayer ; ce n’étaient sûrement pas des voleurs. Je ne me permets aucune réflexion sur cet événement ; je le raconte simplement. Il était dix heures du soir. Mirabeau voulut faire une plainte et parler à la maréchaussée ; mais les portes de la ville étaient closes, la maréchaussée, qui doit veiller à la sûreté publique, était enfermée, et les pauvres voyageurs restèrent exposés à l’attaque des brigands. Mirabeau s’arrêta quelques jours à Nancy, à Francfort-sur-Mein, à Leipzig. À Francfort, il eut une intrigue de galanterie ; à Leipzig, il fréquenta des savans, et il fit des connaissances agréables. Cette fois Mirabeau ne voyageait pas en fugitif ; il avait un passeport et des lettres du ministre des affaires étrangères : il fut présenté, suivant l’usage, à la famille royale. Le roi de Prusse, qui ne recevait plus d’étrangers à cette époque, répondit de sa propre main à une lettre que lui écrivit Mirabeau, et lui indiqua un rendez-vous à Potsdam, ce qui surprit toute la cour, et causa beaucoup de jalousie aux Français alors à Berlin.

« Dans ce premier voyage, Mirabeau ne fit rien de remarquable que cette lettre sur Cagliostro et Lavater, qui n’eut pas en France le même succès que ses autres ouvrages, parce que l’on n’y connaît pas autant la secte des illuminés ; il passait une partie de son temps dans des repas d’étiquette ennuyeux. Le matin et le soir, il voyait les personnes qui lui convenaient le plus, entre autres M. Ewald, aujourd’hui ministre d’Angleterre, M. Dohm, dont il estimait le talent et chérissait la personne ; il voyait aussi avec plaisir sir James Murray, dont il est question dans un passage de sa Correspondance.

« Nous ne recevions pas exactement nos lettres de Paris ; les amis de Mirabeau lui avaient mandé plusieurs particularités, entre autres une aventure assez plaisante. L’on avait proposé,.et il était question d’établir une compagnie pour faire les commissions. Les Savoyards mécontens s’étaient rassemblés. L’un d’eux monte sur un tonneau (notez que la manie de faire des motions n’était pas encore à la mode), et il dit à ses compagnons : « Mes amis, on veut nous faire une injustice ; mais, ne nous désolons pas, il y a à Paris un homme qui nous soutiendra : c’est le comte de Mirabeau. Il prend toujours le parti du plus faible contre le plus fort. Depuis peu, il a empêché que l’on ne fît mourir de faim les porteurs d’eau[10]. Il ne fera pas moins pour nous. Allons le trouver tous ensemble. » Effectivement ils se portent tous à l’hôtel de La Feuillade ; ils demandent Mirabeau. L’hôte et l’hôtesse ont beau leur assurer que Mirabeau est parti la veille ; ils ne veulent pas les croire, et on est obligé d’ouvrir toutes les portes pour les contenter. Cette lettre et d’autres plus importantes furent interceptées. Mirabeau, ne recevant point les réponses qu’il attendait, résolut de faire un tour à Paris pour voir ses amis et conférer de ses affaires. C’est alors qu’il se chargea de la mission secrète dont on lui avait déjà fait la proposition dans une dépêche qu’il ne reçut pas[11].

« Il ne m’est pas permis de parler de sa vie extérieure à Berlin. Il dit tout et mieux que je ne pourrais le faire dans sa Correspondance. Nous n’étions pas cependant toujours d’accord sur ses récits ; mais, je lui dois cette justice, il parla toujours d’après sa persuasion. Quelque temps avant sa mort, je me permis, dans un moment où il me parlait avec cet épanchement et cette confiance qu’il ne m’a jamais refusés, de lui faire observer combien j’étais affligée de la publication de ce livre, qui fut imprimé pendant mon absence, et sans lui demander par quel hasard il avait paru après la promesse solennelle qu’il avait exigée de moi de brûler, en cas de mort, le manuscrit[12], je lui parlai avec force d’une anecdote sur une grande princesse que j’avais tout lieu de croire fausse. Il fut frappé de mes raisons, et me promit de réparer sa faute par un désaveu formel. Je suis sûre qu’il m’aurait tenu parole. Il avait été trompé, il n’aurait pas été humilié de l’avouer ; son génie était trop élevé et son âme trop belle pour n’être pas au-dessus d’un amour-propre déplacé. Le parti qu’il tirait du temps est inconcevable. Souvent il se couchait à une heure, et dès cinq heures du matin, au milieu de l’hiver, dans un climat aussi froid, sans autre vêtement qu’une simple robe de chambre piquée, sans bas, sans gilet, il éveillait tout le monde et se mettait le premier à l’ouvrage. Outre sa correspondance chiffrée, qui l’occupait prodigieusement, il travaillait beaucoup à son ouvrage De la Monarchie prussienne, qui parut en 1788. Le soir, lorsqu’il n’allait pas en société, il s’amusait comme un enfant avec Noldé et son secrétaire. C’était à qui se ferait le plus de niches. Mirabeau était le plus épargné, non par respect pour le patron du logis, mais parce que, étant le plus fort, chacun craignait les gourmades. Il av »ait un valet de chambre nommé Boyer, bon enfant, quoique un peu libertin. Celui-ci avait imaginé une manière d’ombres chinoises et de comédie. Coco et moi ne leur faisions pas toujours l’honneur d’assister aux représentations. Lorsque cela arrivait, j’avertissais le matin ; alors on arrangeait les scènes et on retranchait ce qu’il y avait de trop libre. Boyer était fort mécontent, il se plaignait de ce qu’on ôtait le fion de sa pièce ; mais quand Mirabeau avait dit : Gare les oreilles, si madame n’est pas contente ! il fallait bien obéir. Je dois rendre cette justice à MM. de Noldé et Sambat, jamais je n’ai vu de jeunes gens plus sobres, plus rangés, plus assidus au travail, plus complaisans. Il est arrivé quelquefois que nos fonds furent un peu bas ; alors la table s’en ressentait. Jamais ils n’eurent d’humeur, jamais ils ne se plaignirent. Des rapports différens éloignèrent M. Sambat de M. de Mirabeau. Pour M. de Noldé, il resta toujours son ami.

« Mirabeau voulut se trouver à l’assemblée des notables ; il voulait aussi parler à MM. Treillard, Gérard de Melcy et Vignon, ses avocats, procureurs et curateurs. Il était question de faire rendre son compte de tutelle d’une manière raisonnable. M. le marquis de Mirabeau l’avait arrangé a sa guise ; il comptait 30,000 livres de frais de capture, c’est-à-dire 30,000 livres pour avoir eu le plaisir de le tenir aux châteaux de Joux, de Vincennes, etc. Le reste du compte répondait à ce début. Cette manière de calculer n’était pas celle de son fils ; il fallait entrer en procès, et, bien que ce fût au grand regret de Mirabeau, ces circonstances l’obligeaient à veiller à ses intérêts. Il me quitta une seconde fois, et fit le voyage de Paris avec son ami le marquis de Luchet, connu par l’amabilité de son caractère et par de très jolis ouvrages.

« J’étais inquiète sur des mots vagues qui se trouvaient dans une lettre qu’il m’écrivit de Paris. J’en reçus une de M. Jeanneret, qui m’envoyait de l’argent, et qui m’annonçait la catastrophe au milieu des éloges que l’on donnait à la dénonciation de l’agiotage. On lança une dix-septième lettre de cachet contre son auteur, qui, averti à temps, était parti pour Tongres, où il me faisait prier de l’aller joindre le plus tôt possible. Je volai auprès de mon ami. Les chemins étaient mauvais, bien que ce fût dans les premiers jours d’avril ; il tombait beaucoup de neige ; nous ne trouvions pas toujours des chevaux aux postes, et nous ne faisions quelquefois pas plus de quatre lieues d’Allemagne par jour. Je brûlais d’impatience ; mais que pouvaient faire deux femmes ? Je n’avais avec moi que Mme Argus, ma femme de chambre, dans un pays dont je ne savais pas la langue. Nous allions nuit et jour depuis Berlin jusqu’à Liège, où nous rejoignîmes M. de Mirabeau ; nous ne couchâmes qu’une seule nuit, et ce fut à Cologne ; je devais parler à M. Dohm, alors ministre de Prusse chez l’électeur : il ne s’y trouva pas, et je n’eus la patience de l’attendre que jusqu’au lendemain. Je ne m’étais également arrêtée que quelques heures à Brunswick, où nécessairement j’avais voulu voir M. le major de Mauvillon[13], qui me remit un paquet. Je ne permettais pas à ma femme de chambre de sortir de la voiture ; nous y dormions, et nous y prenions tous nos repas. Coco était charmant pour son âge ; il ne donnait pas le moindre embarras ; il n’avait jamais été dans les mains des domestiques ; toujours auprès de moi, il était ma compagnie dans ma solitude, il fut ma consolation durant toute la route.

«… Quand j’arrivai à Liège, Mirabeau me reprocha tendrement de n’avoir pris aucun repos, et de m’être exposée ainsi aux inconvéniens d’un grand voyage ; il m’avait recommandé de prendre un homme sûr avec moi ; le choix m’avait paru difficile, et la dépense inutile. Je le grondai à mon tour ; je n’avais pas lu son excellent livre sur l’agiotage ; je ne pus m’empêcher de blâmer quelques personnalités qui me parurent hasardées. Le moment du malheur ne doit pas être celui des reproches ; je n’eus pas le courage de lui en faire beaucoup ; nous concertâmes ensemble les moyens de faire lever cette lettre de cachet, qui était un fardeau incommode. L’on n’a point d’ami plus sûr et plus actif que sa femme ou sa maîtresse lorsqu’elle est honnête. Mirabeau était convaincu de cette vérité ; il s’en rapportait toujours à moi dans les occasions épineuses : il fut décidé que j’irais à Paris réchauffer le zèle de nos amis et harceler encore les ministres.

« J’ai déjà dit que Mirabeau ne savait pas compter, mais il est incroyable à quel point il était négligent sur ses affaires pécuniaires. Après avoir parlé des dangers, je voulus lui faire quelques questions sur son procès[14]. — Oui. À propos, me dit-il, je voulais vous demander où j’en suis ? — Comment ! lui dis-je, ce voyage a été entrepris en partie pour vous en occuper ; vous avez vu MM. Treillard et Gérard de Melcy ? — Moi, dit-il, non, en vérité : j’ai vu à peine Vignon, mon curateur. J’ai eu bien autre chose à faire que de penser à toutes ces bagatelles. Savez-vous dans quelle crise nous sommes ? savez-vous que l’affreux agiotage est à son comble ? savez-vous que nous sommes au moment où il n’y aura peut-être pas un sou dans le trésor public ? — Je souriais de voir un homme dont la bourse était si mal garnie y songer si peu et s’affliger si fort de la détresse publique. Il s’en aperçut. — Enfin, mon amie, me dit-il, te voilà ; arrange tout cela comme tu voudras : tu sais bien que tu es la maîtresse. J’approuve d’avance tout ce que tu feras ; ces détails ne me regardent plus.

« Lorsque je voulus partir, ce fut une autre comédie : Mirabeau s’était mis en tête de m’accompagner. J’eus beau combattre sa résolution, il ne m’avait pas vue depuis trois mois, il ne pouvait se résoudre à me quitter. Il me promettait toute la prudence que j’exigerais, mais je savais bien qu’il lui était impossible de me tenir parole. Il n’entra pas pourtant tout d’un coup à Paris ; il s’arrêta à Saint-Denis, où il avait donné rendez-vous à M. de Luchet et à un autre ami, qui s’y rendirent. Moi, j’allai à l’hôtel de Gênes, d’où j’écrivis au baron de Breteuil pour commencer mes sollicitations. Je croyais avoir cinq ou six jours pour concerter mes démarches ; mais Mirabeau s’ennuyait à Saint-Denis : il arriva à l’improviste chez moi. Je me mourais de peur ; j’avais beau prendre des précautions, il les rendait inutiles par son imprudence. Les gens de Pahchaud disaient dans l’antichambre à Mme Argus : — Vous avez beau dire que M. de Mirabeau est à Liège ; nous connaissons trop sa voix. Tenez, c’est lui qui lit dans ce moment-ci : personne n’a cette véhémence. — On me rapportait ces propos. J’étais dans des transes mortelles, je ne cessais d’employer tous mes amis. Le baron de Breteuil m’avait dit que le roi était très irrité ; je savais combien Mirabeau avait d’ennemis, mes alarmes étaient fondées. Je pris enfin le parti de confier au baron que Mirabeau était chez moi, et que je m’en rapportais à sa générosité. Je dois en convenir, il n’abusa pas de ma confiance. La lettre de cachet ne fut pas levée, mais elle ne fut pas mise en exécution. Mirabeau se montra partout, et le ministère ferma les yeux.

L’ouvrage sur la Monarchie prussienne allait toujours son train. Mirabeau ne pouvait l’achever qu’avec le major de Mauvillon, son coopérateur ; Mauvillon ne voulait et ne pouvait pas se déplacer. Mirabeau, moins gêné, laissa sa horde à Paris et partit pour Brunswick. Son voyage dura trois mois. À son retour, il s’intéressa vivement au sort des braves patriotes hollandais que le ministère français avait flattés jusqu’au dernier instant. De Brunswick il m’avait écrit que certainement les troupes prussiennes marchaient en Hollande, il me chargeait d’en donner avis au gouvernement. Je trouvai partout des incrédules ou des gens qui avaient intérêt à le paraître. Lorsqu’il fut lui-même en France, le malheur des Hollandais était consommé ; mais son zèle ne s’était pas refroidi. Un patriote lui écrivit une lettre anonyme pour le prier d’écrire en faveur de leur cause ; malgré les occupations que lui donnaient déjà les affaires de son propre pays, Mirabeau s’y engagea. Il fit son livre sur le Stadhoudérat. Cet ouvrage, qui parut au commencement de juin 1788, respire le patriotisme le plus pur ; il est d’ailleurs rempli de citations des meilleurs auteurs hollandais. À la fin de janvier de la même année, à la suite de quelque imprudence et de deux nuits d’insomnie, il avait fait cette première maladie dont les symptômes furent si semblables à celle qui l’enleva à ses amis. Il voulait m’avoir sans cesse à ses côtés. Je le soignais tout le jour, sans relâche, et une partie des nuits. Il fut enfin rendu à mes vœux ; mais Mirabeau, qui était plein de force, et qui, depuis que je l’avais connu, n’avait jamais eu la plus légère incommodité, ne cessa de souffrir depuis cette époque, et sa santé dépérit visiblement…

« Ici je tremble et j’hésite ; comment soulever le voile dont je voudrais à tout jamais couvrir les erreurs de mon ami ? Il le faut cependant ; il faut, en avouant ses faiblesses, le mettre à l’abri du reproche d’ingratitude que ceux qui ne sont pas au courant de tout ce qui a précédé notre rupture n’ont cessé de lui faire. S’il commit une faute, elle était involontaire. Toujours entraîné par la passion du moment, il ne jeta pas un regard sur l’avenir ; s’il déchira mon cœur dans l’endroit le plus tendre, le sien n’eut pas de part, j’en suis sûre, aux injures que j’ai reçues. Il m’aimait chèrement et certainement il ne voulait pas me perdre, mais il ne fit pas assez pour me conserver. Je suis fière et délicate, j’exigeai un sacrifice : il était nécessaire à sa gloire, et mon bonheur y était attaché ; il me le promit souvent et manqua toujours à sa parole[15]. Excepté quelques nuages en 1785, nous n’avions jamais eu la moindre altercation ; tout changea en un instant : il sentait ses torts, il m’en voyait irritée, mais, au lieu de les réparer, il les aggrava en soupçonnant un sentiment unique. Il crut que je ne l’aimais plus. Le démon de la jalousie soufflait de part et d’autre ; les méchans enflammaient ce caractère bouillant. Jusque-là il s’était contenté de l’espèce d’attachement que j’avais pour lui ; on lui fit remarquer qu’il n’approchait pas de la passion que l’on avait ou que l’on feignait d’avoir : c’était assez pour alarmer sa délicatesse. Sans doute il ne pouvait m’accuser de la moindre imprudence : je le connaissais jaloux, et j’avais pris toujours les plus grandes précautions pour écarter de son esprit le plus léger soupçon, au point même que pendant ses absences je ne sortais que pour ses affaires, et ne recevais que les personnes auxquelles j’avais à parler de sa part. Heureuse dans mon intérieur, mes livres étaient mon amusement ; l’estime des honnêtes gens, les progrès et les caresses de l’aimable enfant qu’il m’avait confié, la récompense de tous mes sacrifices. Aussi Mirabeau ne me fit-il jamais un reproche positif ; mais le temps du bonheur était passé. J’essayai d’aller à Passy pour faire diversion. Il m’y fit meubler un petit appartement avec beaucoup d’élégance ; il venait m’y voir souvent, et c’étaient toujours des scènes orageuses. Il passait une partie de sa vie dans des accès de fureur difficiles à exprimer, le reste à pleurer à mes genoux et à maudire la personne qui mettait le trouble dans nôtre ménage, et chez laquelle il avait la faiblesse, de retourner toujours. Cet état était trop violent ; il était au-dessus de mes forces, je me sentais mourir. Je pris un parti, et je le pris extrême : je quittai la maison de M. de Mirabeau le 18 août, et le lendemain le royaume. J’en eus longtemps, du regret, j’en ai aujourd’hui du remords. Je ne partis point de sang-froid ; je fus trois fois au lit de l’enfant, qui dormait. — Pauvre petit ! je prévoyais le désespoir qu’il fit éclater lorsqu’à son réveil il ne me retrouva plus. Je l’embrassai en mouillant de mes larmes son visage enfantin : ce moment fut le plus cruel de tous ; je ne sais encore comment j’en la force de l’abandonner.

« Je ne m’étendrai pas davantage sur ces événemens Mirabeau a tout réparé, ce qu’il a dit de moi dans sa dernière maladie, ce qu’il a fait pour moi en mourant, mettent nos torts réciproques tous de mon côté[16].

« Je laisse à l’Europe entière à pleurer le grand homme, moi je pleure mon ami, je me reprocherai sans cesse d’avoir mis de la fierté où j’aurais dû mettre de la douceur. J’avais toujours conservé un grand pouvoir sur son cœur, j’avais son estime et son entière confiance j’aurais dû patienter, j’aurais tout obtenu du temps et de ma complaisance. Si j’étais restée, mon ami aurait écouté mes représentations ; il aurait soigné davantage sa santé ; il ne se serait pas livré à tant d’excès, qui, joints a son travail immense, altérèrent son tempérament… Enfin, que sais-je peut-être si je ne l’avais pas quitté, il existerait encore, il serait encore la gloire de son pays et le soutien de la liberté Et moi, son amie, la compagne de ses malheurs et de ses dangers, je ne serais pas livrée à la douleur la plus amère à des regrets qui ne finiront qu’avec ma vie. »


Quand Mme de Nehra écrivit sa seconde notice sur Mirabeau, adressée à Cabanis en 1806, elle vivait retirée à Amsterdam, ou elle mourut en 1818. « Je suis à Amsterdam, écrit-elle à Cabanis, dans une retraite où je passe une vie assez douce ; mais j’ai été mieux accoutumée, et je voudrais bien retrouver des amis qui m’entendissent. Je ne regrette pas Paris et ses séductions, mais je serais bien heureuse si je pouvais transporter ma petite maison dans quelque village de France, et passer ma vie avec mes amis d’Auteuil, et de La Grange[17] » Le souvenir de Mirabeau est toujours vivant au cœur de Mme de Nehra, mais on dirait que, sous l’influence des années, ce souvenir s’est un peu assombri. Les faits, racontés en détail dans la première notice, ne sont ici que résumés. Ce qui domine, c’est l’analyse des sentimens Nous ne citerons de ce second récit que les passages qui ajoutent quelque chose aux indications contenues dans le premier :


« J’ai été la personne du monde qui a vécu le plus longtemps dans l’intimité de M de Mirabeau, je suis aussi celle qui a eu le plus à se louer et à souffrir des deux caractères contradictoires qui se trouvaient en lui, et que l’on a souvent remarqués. On eût dit qu’Oromaze et Arimane s’étaient réunis pour former cet être extraordinaire, si différent des autres hommes, et qu’ils se fussent plu à le douer à l’envi d’une partie de leur essence Je dois rendre cette justice à la vérité : certainement ses bonnes qualités l’emportaient de beaucoup sur ses défauts. Son éducation pas été celle qu’il fallait à cette âme de feu, elle n’avait rien corrigé, rien réglé au contraire, trop de sévérité avait irrité un caractère déjà si irritable, et les dissensions de ses parens, dont il fut témoin dans sa première enfance, furent pour lui d’un exemple dangereux pour tout le reste de sa vie.

« J’ai connu M. de Mirabeau au commencement de 1784 ; tous les dangers de la persécution, tous les malheurs de l’indigence étaient sur lui ; il était brouillé avec toute sa famille, pas un être ne lui offrait le moindre secours, pas un ami la plus légère consolation Il s’attacha alors à moi avec toute l’ardeur qui le caractérisait, et quoique je sentisse bien qu’il n’était pas précisément l’homme qu’il fallait à mon cœur, ses malheurs m’intéressèrent, j’ai cru qu’il était fait pour une autre destinée, et qu’avec le pouvoir que j’avais sur son cœur je pourrais parvenir à calmer la violence de ses passions. J’aurais voulu rester simplement son amie ; longtemps on nous a cru unis que j’hésitais encore ; l’amitié et l’attendrissement de la compassion me déterminèrent. Ces sentimens me tinrent lieu d’amour ; souvent il m’en savait gré, mais malheureusement les affections douces ne le satisfaisaient pas toujours, et voilà pourquoi j’ai été si malheureuse deux fois, lorsqu’il s’est lié avec des femmes passionnées. Alors il établissait des comparaisons qui le rendaient furieux, et il n’a pas été difficile à une femme qui avait un grand intérêt à nous brouiller de troubler notre intérieur, d’exalter une tête déjà échauffée, et de me rendre la plus infortunée de toutes les créatures.

« Après avoir passé les cinq plus belles années de ma vie errante d’un pays à l’autre, sans jouir d’autre plaisir que celui d’élever le jeune Lucas, tâchant de réparer sans cesse les brèches qu’une dépense excédant toujours l’agent qu’il recevait laissait dans notre ménage, calmant par de bonnes paroles, et aussi par un peu d’argent que j’épargnais sur ma dépense personnelle, les créanciers qu’il renvoyait toujours à moi, on sera surpris que j’aie pu quitter ou plutôt fuir M. de Mirabeau ; bien des gens ont demandé pourquoi je ne m’en étais pas séparée amicalement. Je l’ai voulu souvent, je l’ai proposé vingt fois : j’étais exposée alors aux plus violens orages, la mort même était présentée à mes yeux. Je sais bien qu’il n’en serait pas venu facilement à cette extrémité ; mais enfin quand, étendue sur mon canapé, suffoquée dans mes larmes, je le voyais, ne se possédant plus, le pistolet à la main, dans un accès de rage une secousse, un mouvement involontaire, pouvaient faire partir le coup, et le faire mourir après de remords et de regrets. J’ai vécu ainsi près de six mois. Je m’étais retirée à Passy ; les mêmes horreurs m’y suivirent, jointes à la jalousie la plus effrénée, sur des rapports vagues et mensongers, sans avoir un objet déterminé, sans pouvoir m’accuser d’une démarche inconsidérée. Ces scènes finissaient toujours par d’autres scènes de repentir : il avouait tout, il implorait à genoux son pardon, il me nommait la personne qui l’excitait contre moi, promettait de ne la revoir jamais, et dès le lendemain c’était à recommencer à nouveaux frais.

« Dans cet état de choses, j’exigeai (et je crois que j’en avais bien le droit) qu’il me fît le sacrifice entier d’une personne qui brouillait notre ménage, et l’abandon d’un certain commérage de billets. C’eût été, à cette époque, une centaine de louis de risqués, dont tout n’eût pas été perdu en traitant avec le mari[18]. (Il en a coûté après bien davantage, et sans la mort du père de notre ami et d’autres événemens, je ne sais en vérité ce qui en serait résulté). Tout cela me fut promis, et toutes les promesses furent violées. Je résolus enfin, quoi qu’il m’en coûtât, de me soustraire à mon horrible situation, et, seule, sans autre argent que celui que je pus avoir sur mes bijoux, je fus en Angleterre, où du moins je n’eus que le malheur de l’indigence à supporter… Vous savez le reste, monsieur : avec les secours de mylord Lansdowne et de M. B. Vaugham, je revins à Paris plus d’un an après mon départ. Je n’avais pas demandé à revoir M. de Mirabeau ; il me fit chercher, une nuit que quelque chose d’extraordinaire l’agitait. Je m’aperçus d’abord de l’altération de sa santé, j’en fus effrayée. Il me parla de ses affaires avec l’ancienne confiance ; il me communiqua le projet d’une ambassade et le désir qu’il avait que je l’accompagnasse. J’aurais pu à cette époque réveiller d’anciens sentimens ; mais le sacrifice que je continuais d’exiger était devenu pour le moment impossible[19]. D’ailleurs nous n’eussions plus retrouvé le bonheur : il avait été profondément blessé de mon départ, et moi, je n’aurais pu lui pardonner peut-être de m’y avoir forcée. L’espèce de sentiment qui nous unissait était comme le duvet de la pêche : une fois effacé, il ne pouvait revenir. Je ne revis plus M. de Mirabeau que deux ou trois fois ; après, il cessa de me demander. Je sais qu’il a, dans les derniers temps, désiré et craint de me rencontrer. S’il eût vécu, j’ignore ce qui serait arrivé… Pauvre malheureux ! il lui en a coûté sa meilleure, je dirai sa seule amie… Je l’aimais et ne le flattais pas. Les vérités désagréables présentées par moi étaient mieux reçues et avaient plus de poids que présentées par d’autres ; il lui en a coûté aussi sa santé et peut-être la vie, car j’étais un grand frein pour lui… Mais si, pour défendre ma cause et mes principes, je dois parler des torts de celui que nous avons aimé, il ne faut jamais confondre M. de Mirabeau avec les hommes ordinaires ; de la fougue de ses passions naissait aussi cette énergie qui produisait de si belles et de si grandes choses. J’ose affirmer que son cœur était bon, qu’il appréciait plus que personne la vertu, et qu’il aimait tout ce qui était grand et beau avec enthousiasme. »


Je ne sais si je me trompe, mais il me semble que les documens intimes qu’on vient de lire ne sont pas sans utilité pour l’appréciation exacte du caractère de Mirabeau. S’il n’y avait en lui que ce gros homme fougueux, sensuel et éloquent, dont l’image est présente à tous les esprits, le genre d’attachement qu’il a inspiré à une personne telle que Mme de Nehra serait, à mon avis, assez inexplicable. Que Mirabeau, à vingt-cinq ans, relégué dans une très petite ville de province, s’introduise auprès d’une jeune femme avec l’agrément d’un vieux mari grondeur et jaloux, qui l’admet, rassuré sans doute par sa laideur ; qu’il séduise cette jeune femme, qu’il l’enlève, que les deux amans, arrêtés, séparés et emprisonnés, s’obstinent dans leur passion à cause des obstacles qu’on lui oppose, et que cette passion s’éteigne ensuite dès qu’elle cesse d’être contrariée, il n’y a rien là qui ne puisse s’expliquer par l’entraînement de la jeunesse et des sens.

Mais que Mirabeau, à l’âge de trente-six ans, avec cette laideur dont la première impression est si vivement constatée par Mme de Nehra, ait pu inspirer à une charmante jeune fille de dix-neuf ans, complètement libre de faire un autre choix, une affection calme, sincère, sérieuse, dans laquelle il n’entre ni sensualité, ni vanité, ni intérêt, car l’affection de Mme de Nehra, trop indulgente dans certains cas, n’est rien moins que servile et cupide, puisqu’on voit cette jeune femme, après avoir partagé cinq ans la vie besoigneuse et tourmentée de celui qu’elle aime, choisir pour le quitter, par un sentiment de fierté blessée, l’époque même où il arrive à la gloire, et par suite à l’opulence ; que Mirabeau ait pu être aimé ainsi, n’est-ce pas là une preuve que la violence de son caractère et de ses passions était en quelque sorte compensée par un grand fonds de bonté, de sensibilité, de délicatesse, et que, pour employer la métaphore philosophique de Mme de Nehra, Oromaze avait en effet, autant qu’Arimane, contribué à le former ?

Il n’est pas moins vrai que le témoignage de Mme de Nehra, en nous aidant à nous rendre compte des bonnes qualités de Mirabeau, contribue également à nous éclairer sur l’intensité et les conséquences funestes d’un vice qui chez lui avait presque le caractère d’une infirmité.

Montesquieu fait une distinction plus spécieuse que juste lorsque, pour expliquer la fortune de César, il dit : « Cet homme extraordinaire n’avait pas un défaut, quoiqu’il eût bien des vices, » entendant par défaut ce qui nuit au succès, et par vice ce qui dégrade l’être moral. Après avoir risqué cette distinction par un entraînement de subtilité qui l’égare quelquefois, Montesquieu la détruit lui-même deux pages plus loin, car il signale les fâcheux résultats de la passion de César pour Cléopâtre, qui le retint en Égypte et l’empêcha de profiter de sa victoire de Pharsale, et il conclut en ces termes : « Ainsi un fol amour lui fit essuyer quatre guerres, et en ne prévenant pas les deux dernières, il remit en question ce qui avait été décidé à Pharsale[20]. » Le vice de César avait donc ici toutes les conséquences d’un défaut, ou plutôt vice et défaut ne faisaient qu’un ; mais si cela était déjà incontestable du temps de César, à une époque où il est assez difficile de déterminer en quoi consistait pour un homme public ce qu’on appelle aujourd’hui la considération, combien cela n’est-il pas plus évident de nos jours, où nul n’acquiert par lui-même sur ses semblables un ascendant solide et durable qu’à la condition de leur inspirer une certaine estime, incompatible avec certains désordres ? Chacun sait que ce défaut de considération est l’écueil contre lequel luttait vainement le génie de Mirabeau et contre lequel le grand orateur, le grand homme d’état de la constituante se serait probablement brisé, s’il eût vécu. Etienne Dumont nous raconte qu’il l’a vu pleurer, à demi suffoqué de douleur, en disant avec amertume : « J’expie bien cruellement les erreurs de ma jeunesse. » Mais les confidences de Mme de Nehra nous confirment ce qu’on savait déjà : c’est que les erreurs de sa jeunesse continuaient à être les erreurs de son âge mûr. De son vice dominant naissait un enchaînement de faiblesses dont il était comme enlacé et paralysé. La passion effrénée des femmes engendrait les besoins d’argent et le goût du faste, la facilité à donner entraînait pour lui la facilité à recevoir de toutes mains, à plaider d’abord à peu près indifféremment toutes les causes, et le condamnait enfin à n’aborder même sincèrement ce grand et beau rôle de modérateur de la révolution qu’avec les apparences et les inconvéniens de la vénalité. Ajoutons que Mirabeau ne parvenait pas même, comme d’autres vicieux, en faisant à ses sens une grande part, à préserver de leur tyrannie son intelligence et sa volonté. On voit, par les confidences de Mme de Nehra, à quel point il laissait troubler son âme par le dérèglement de ses instincts. Non-seulement il n’avait pas le courage de sacrifier à une femme qu’il estimait une femme qu’il n’estimait pas, mais, tout en exigeant de Mme de Nehra qu’elle fermât les yeux sur ses désordres, il souffrait dans son amour-propre de ne pas lui inspirer ce sentiment passionné et exclusif qui ne comporte point de tolérance. Il vient de nous apparaître tout à la fois dissolu et jaloux, partageant son cœur entre deux femmes, tandis que sa personne appartient à toutes celles qu’il rencontre sur son chemin, aussi agité, aussi furieux qu’un Othello, le pistolet à la main comme un héros de mélodrame, et cela dans un temps où il était déjà une puissance politique. Comment un homme aussi incapable de se gouverner lui-même aurait-il pu, malgré tout son génie, réussir à gouverner une révolution ?

Et cependant ce génie était admirable. Aujourd’hui que la correspondance secrète de Mirabeau avec la cour est publiée, on peut apprécier non plus seulement ses qualités oratoires, mais aussi la profonde sagacité de ses vues, la justesse de ses conseils, et en somme l’honnêteté de ses intentions comme conciliateur de la monarchie, de la liberté et de la démocratie. Dès lors comment ne pas regretter qu’une mort prématurée l’ait empêché de tenter la solution de ce problème qui continue à peser sur nous, et de remplir toute sa destinée ?

Qui sait s’il n’y a pas quelque chose de fondé dans la conviction qu’exprime Mme de Nehra, qu’elle l’aurait sauvé s’il ne l’eût point forcée de s’éloigner de lui. Il est certain que ce sont des excès plus encore que des travaux qui l’ont tué, et que ces excès se multiplièrent à partir du jour où il eut perdu la compagne aimable, douce et dévouée, qui réglait un peu sa vie et tempérait ses passions. L’idée que cette jeune femme aurait peut-être, en prolongeant l’existence de Mirabeau, contribué à changer le cours des événemens accomplis dans notre pays depuis 4789 ajoute une nuance de gravité à l’intérêt qu’elle inspire, et nous encourage à disputer à l’oubli son nom obscur et gracieux.


LOUIS DE LOMENIE.

  1. Voyez l’ouvrage intitulé Mémoires de Mirabeau, écrits par lui-même, par son père, son oncle et son fils adoptif, t. III, p. 285 et suivantes. Nous devons dire que le passage de M. de Lacretelle, que nous empruntons à M. Lucas de Montigny, figurait sans doute dans la première édition de l’Histoire de France pendant le dix-huitième siècle, mais qu’il n’a pas été retrouvé par nous dans les dernières éditions de cet ouvrage.
  2. C’est ce que M. Lucas de Montigny est obligé de reconnaître lui-même, lorsque, s’expliquant sur ce point avec sa réserve ordinaire, il avoue « que, quoi qu’en ait dit Mirabeau dans la bonne foi de sa passion, les lettres de Sophie ne présentent le plus souvent qu’un médiocre intérêt, quand elles ne sont pas élevées par un sentiment très énergique. » T. II, p. 277.
  3. Souvenirs sur Mirabeau, par Etienne Dumont, de Genève ; ch. XIV, p. 273, 274.
  4. Allusion à Onno Zvier van Haren, père de Mme de Nehra.
  5. Pendant le séjour de Mirabeau en Hollande (1776).
  6. Il s’agit du procès en appel devant le grand conseil de la sentence du parlement de Provence qui avait prononcé la séparation de. Mirabeau d’avec sa femme.
  7. Julie Carreau, depuis femme de Talma. (Note de M. Lucas de Montigny.)
  8. C’est-à-dire son appel au grand conseil déjà mentionné plus haut.
  9. M. Lucas de Montigny dit à ce sujet dans une note jointe au récit de Mme de Nehra : C’est moi qu’indique ce sobriquet de Coco, adapté depuis à mon nom dans le testament de Mirabeau. En voici le texte : « Je donne et lègue au fils du sieur Lucas de Montigny, sculpteur, connu sous le nom du petit Coco, la somme de 24,000 livres, qui sera placée en viager, sur sa tête et à son profit, par les soins de mon ami La Marck. Je veux que les arrérages de la rente soient touchés par M. de La Marck, sur ses simples quittances, pour les employer aux besoins du légataire, jusqu’à ce qu’il ait atteint l’âge de vingt ans accomplis, à laquelle époque ce légataire pourra les toucher par lui-même, et sur ses simples quittances ; le tout sans que M. de La Marck soit tenu d’aucun compte au sujet des arrérages qu’il percevra et de l’usage qu’il en fera. »
  10. Allusion au pamphlet écrit par Mirabeau contre la compagnie des eaux de Paris, qui, en rendant plus facile la distribution de l’eau, diminuait le nombre et le salaire des porteurs d’eau.
  11. Il s’agit de la mission d’observateur secret qui le fit retourner une seconde fois à Berlin.
  12. Il est évident ici que Mme de Nehra ou ne connaît pas, ou ne veut pas dire le motif qui détermina Mirabeau à cette publication. Nous avons, indiqué plus haut ce motif d’un des actes les plus fâcheux de la vie de Mirabeau, d’un acte sur lequel M. Lucas de Montigny lui-même est obligé de passer condamnation.
  13. Le collaborateur de Mirabeau dans l’ouvrage sur la Monarchie prussienne.
  14. Le procès pour obtenir de son père la reddition de son compte de tutelle.
  15. Il s’agit ici de la liaison de Mirabeau avec Mme Lejay dont nous a parlé Dumont et dont Mme de Nehra exige la rupture.
  16. « Allusion au testament de Mirabeau, dont voici le texte : « Je donne et lègue à Mme de Haren de Nehra la somme de 20,000 livres une fois payée, qui sera placée à profit et sur sa tête par M. de La Marck, pour en toucher par les arrérages, sur ses simples quittances, sans avoir besoin de l’autorisation de qui que ce soit, et sans que cette rente puisse être saisie par aucun créancier. » (Note de M. Lucas de Montigny).
  17. Je vois dans cette lettre que Mme Nehra était en correspondance avec le général Lafayette.
  18. Ce que Mme de Nehra appelle un certain commérage de billets s’applique sans doute à des obligations souscrites par Mirabeau au libraire Lejay, qui était l’éditeur du Courrier de Provence. Voyez sur ce point le chapitre VI des souvenirs d’Etienne Dumont.
  19. Cette impossibilité dont Mme de Nehra ne spécifie pas la cause est expliquée par Etienne Dumont quand il dit dans ses Souvenirs : « Les liaisons de Mirabeau avec cette femme adroite et décidée (Mme Lejay) ne lui permettaient pas de le prendre avec elle sur un ton bien haut. Elle possédait trop tous ses secrets, elle avait trop d’anecdotes par devers elle, elle était trop dangereuse et trop méchante pour qu’il osât se brouiller avec elle, quoiqu’il en fût bien rassasié, et que dans la haute sphère où il était alors il sentit souvent que cette association l’avilissait. » (Souvenirs d Etienne Dumont, p. 122.)
  20. Grandeur et Décadence des Romains, chap. XI.