Mirages (Renée de Brimont)/Ombres

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MiragesEmile-Paul Frères (p. 107-108).

OMBRES

Fantômes dansants, fols et fluides corps
devinés à peine,
vous qui me parlez avec la voix des morts,
cette voix lointaine…
lorsque vient la nuit, la donneuse de paix
et de solitude,
vous m’apparaissez — et je vous reconnais
avec certitude.
Je vous vois surgir comme à pas de velours
de l’alcôve sombre,
ou d’un vol furtif chassant un rêve lourd,
ô légères ombres !
Vous touchez mon front, mes cheveux dévoilés,
mes paupières closes,
et je vous écoute, et vous me rappelez
de très vieilles choses ;
car c’est du passé, des souvenirs secrets,
des lèvres fanées,
c’est de mes loisirs et c’est de mes regrets
que vous êtes nées.
C’est ainsi qu’en vous mes meilleures amours
ont jeté l’amarre ;

que la cendre gît encore de mes jours
dans vos doigts avares ;
qu’un reflet encore, émouvant et vivant,
dans mes yeux persiste
du visage étroit où mon regard d’enfant
brûlait, déjà triste…
Vous rythmez mon cœur, visiteuses de nuit,
et je vous redoute,
et sans vous pourtant je n’aurais nul appui
sur l’hostile route ;
j’irais pas à pas vers l’avenir diffus,
sans but et sans bible,
si vous n’attachiez à tout ce que je fus
des fils invisibles.
Guidez, guidez-moi hors des brumeux chemins,
loin de ces dédales
pleins d’obscurs dangers !.. Ombres, voici mes mains,
mes mains sororales.
… Votre voix ressemble à cette voix des morts
lointaine et diverse…
Fantômes dansants, fols et fluides corps
qu’une voix disperse !