Chercheras-tu jamais, à l’heure trouble et sombre,
chercheras-tu son ombre au seuil mouvant de l’Ombre ?
Peut-être diras-tu de cette ombre ingénue :
« C’est par un même soir de deuil qu’elle est venue.
« Elle était une sœur des branches inclinées,
« des étangs nébuleux, des pâles destinées ;
« elle craignait l’aurore et ses fantômes ; nulle
« mieux qu’elle n’a senti la paix des crépuscules ;
« ses mains que poursuivaient un bleu reflet de l’âtre
« ressemblaient à deux fleurs de lumière et d’albâtre,
« et l’on voyait courir emmêlant leurs méandres
« les bleus réseaux autour de ses deux poignets tendres ;
« ses doigts ne portaient point de bagues inutiles,
« mais se pliaient au jeu des caresses subtiles ;
« ses gestes déliés avaient de souples grâces
« qui s’épanouissaient librement dans l’espace ;
« sereine était sa voix dont les notes égales
« multipliaient l’écho des choses musicales ;
« fluide était son rire et chantant comme une onde ;
« dans la nuit de ses yeux dormaient les nuits du monde ;
« ses voiles bruissaient au milieu des feuillages,
« et son esprit léger savait de longs voyages !…
« C’est par un soir pareil, un pâle soir de lune,
« que je la vis entrer, pâle, fragile et brune ;
« ce n’était qu’une enfant, une enfant brune et douce…
« Il fallait à ses pieds du sable et de la mousse ;
« il fallait à son front des oreillers de soie,
« à son oisiveté des fleurs et de la joie ;
« il fallait à ses bras des étreintes moins brèves,
« à son âme il fallait plus d’espoirs, plus de rêves !
« Or moi je déchirais sa robe parfumée…
« Et je sais à présent que je l’ai mal aimée. »
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