Mirages (Renée de Brimont)/À l’amour

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MiragesEmile-Paul Frères (p. 89-90).

À L’AMOUR

Et tu nous quitteras dès l’aube encore sombre.
Tu t’enfuiras, muet, ombre parmi les ombres,
Amour qui nous charmais, Amour qui nous trahis !
Je sais — tu t’enfuiras vers de nouveaux pays,
vers des palais dormants, vers des lacs taciturnes,
du vol harmonieux de tes minces cothurnes…
hélas ! — Pensive et seule au fond de mon passé,
il ne me restera que d’avoir caressé
les plaisirs inconstants, la chimère et la joie,
la langueur et le songe, avec des mains de proie.
Il ne me restera que de t’avoir connu,
cher Amour né de nous, Amour superbe et nu,
qui, sur des lits défaits par un tendre carnage,
sommeilles, les cheveux à travers le visage !…
Il ne me restera que de t’avoir aimé
à l’heure où tu rôdais dans un jardin fermé,
dépouillant en chemin les branches importunes…
Amour, Amour nimbé d’or et de clair de lune
qui cours, la tige d’une rose entre les dents ;
Amour sournois, Amour aux gestes imprudents,
il ne me restera de toi que la faiblesse !
Ta douceur nous désarme à la fois et nous blesse

d’un mal impitoyable et pourtant merveilleux,
et nous demeurons pris aux fièvres de tes yeux,
et nous cherchons en toi l’image de nos rêves…
Mais tu nous quitteras. Je sais — l’étreinte est brève,
et le jour point, le jour mauvais comme un danger
où tu nous deviendras ce banal étranger
dont nul ne reconnaît la silhouette blême…
Cher Amour né de nous, faible plus que nous-mêmes !