Mirages (Renée de Brimont)/La danseuse d’utique

La bibliothèque libre.

MiragesEmile-Paul Frères (p. 43-44).

LA DANSEUSE D’UTIQUE

Elle dansa. J’ignore son nom, son âge…
Dans la nécropole, son sarcophage
était le plus étroit, le plus léger.
Jadis, chaque soir au clair de la lune
elle dansa, dansa, petite idole brune,
sous les plis transparents d’un voile orangé.

Ses hanches, selon des cadences lentes
auront ondoyé voluptueusement,
et ses pieds minces en mouvement
auront mimé le plaisir et l’attente,
tour à tour, et mille langueurs hésitantes…

Sur l’épaule ayant incliné son front,
faisant tinter ses bracelets ronds
et chassant d’un coup d’éventail ses eunuques,
devant la fontaine où baigna Salammbô
peut-être dansa-t-elle, nue, au bord de l’eau,
pour les grands palmiers, les palmiers aux feuilles caduques ?…

Ou bien, rejetant en arrière la nuque,
seins érigés, souffle haletant,
fermant à demi ses yeux de gazelle,

pour des yeux de désir peut-être dansa-t-elle,
pressant le rythme et se hâtant,
hors de ce monde — hors du temps !

Elle dansa, dansa, brune petite idole alerte,
dansa, dansa, paumes offertes…
Et puis voilà qu’un soir elle n’a plus dansé.
Rigide, gisait son frêle corps glacé…
Et puis… Et puis les siècles ont passé.

Lorsqu’on a soulevé sa pierre funéraire
la momie enfant s’évanouit toute en poussière.
Mais à côté d’elle dormaient encor
cet oiselet de terre cuite ; ce joyau d’or
fait pour orner mainte tunique floue,
et ce pot de fard dont, jusque dans la mort
elle rougit ses ongles, ses tempes, ses joues…