Mirages (Renée de Brimont)/Texte entier
POÈMES PAR LA BARONNE A. DE BRIMONT, ORNÉS DE DESSINS PAR GEORGES BARBIER.
CHEZ ÉMILE-PAUL FRÈRES, SUR LA PLACE BEAUVAU, À PARIS. m. cm. xix.
USIQUES CHANTANT À L’OREILLE DU POÈTE, VISIONS D’AVANT
LA TOURMENTE, RÊVES ET NOSTALGIES, REFLETS OU MIRAGES DE CE QUI PERSISTE
QUAND MÊME ET POUR NOTRE APAISEMENT DANS LA NATURE ÉTERNELLE…
MÉDITATION AU MIROIR
Dans la pénombre, votre visage luit et songe,
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CYGNE SUR L’EAU
Ma pensée est un cygne harmonieux et sage
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BRISE SUR L’EAU
L’heure se vêt d’une écharpe grise.
Voici la brise tiède que brise
en frissonnant le saule affligé…
Feuilles d’argent, ô feuilles de saule !
Et sur les eaux que la brise frôle
passe un frisson timide et léger.
Et doucement, sur cette eau crispée,
timide, et comme à la dérobée,
passe un rayon de soleil couchant,
et l’eau troublée a des rides mauves…
La brise accourt, la brise s’en sauve…
Feuilles de saule, ô feuilles d’argent !
Dans les adieux du jour qui défaille,
c’est, dirait-on, le frisson de faille
de quelque jupe sans préjugé,
soyeux fantôme dans l’heure grise…
Et c’est la brise tiède que brise
en frissonnant le saule affligé.
LE VOYAGE AU BORD DE L’EAU
Un tiède soir… Un ciel sans nue et sans repli.
et des jaunes rameurs ployant leur maigre échine, |
DIALOGUE SUR L’EAU
Cette sérénité mauve et calme du soir !
Et vois : de chimère en chimère,
sur ce fluide et merveilleux miroir,
de reflet en reflet nous glissons, éphémères…
nous glissons — et n’est-ce point assez ?
Nous glissons, et les hauts peupliers balancés,
balancés vainement par les brises moroses,
dans l’ensommeillement des choses,
dans la sérénité mauve et calme du soir,
au bord de ce fluide et merveilleux miroir
frissonnent ainsi que des femmes…
— Oui, j’entends la cadence des rames ;
j’entends, j’entends bruire en vain les peupliers
par les brises tièdes pliés ;
je vois, sur l’onde merveilleuse et sage
et dont s’éclairent un peu nos visages,
le visage fragile, inquiet et dansant,
le clair visage des étoiles
dans un filet ombreux de roseaux bruissants !
— Chère, je voudrais à travers brume et voiles
cueillir pour toi, sur l’eau, parmi ces mille étoiles,
celle de ton secret désir !
Au creux de ta main, blanche coupe molle,
elle serait l’ardente luciole
toute dansante de plaisir !
Mais vois : de chimère en chimère,
de reflet en reflet nous glissons, éphémères…
L’étoile se dissipe et leurre mon espoir,
et l’on dirait d’une chose irréelle,
et je ne sens que la fraîcheur mortelle
de ce fluide, et pur et merveilleux miroir,
dans la sérénité mauve et calme du soir.
RIRES SUR L’EAU
Un ourlet vague au bord des eaux,
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DE L’ORAGE ET DE L’EAU
L’heure est chaude, languide, moite.
L’eau
sous le flottant et faible fardeau
des nymphéas, l’eau miroite
où j’ai baigné mes mains étroites.
Un cygne glisse…
Beau dédaigneux indolent, il plisse
l’épaisseur lisse
de cette eau,
et frôle ces dormants calices.
L’orage est proche… C’est un vague malaise
qui, se mêlant à ces roseaux,
pèse !
Les oiseaux
dans les feuillages ombreux se taisent.
Molle torpeur… Enchantement fade…
Halo
d’une buée sur l’étang de jade…
Ah ! perdre dans l’eau
Mon âme orageuse et malade !…
SOLITUDE AU BORD DE L’EAU
Venez avec moi, suivez-moi, Solitude ;
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SOLEIL SUR L’EAU
Soleil, soleil, vous dispersez que ride une brise, au passage… |
REFLETS DANS L’EAU
Étendue au seuil du bassin, d’ombre mouvante ;
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BRUMES SUR L’EAU
Trianons, Trianons, votre âme puérile et double,
dans les bassins dormants, dans les ronds bassins troubles,
ce soir
votre âme s’est mirée aux fraîcheurs des miroirs.
Ses charmes surannés, ses grâces noblement frivoles
ont mêlé des rires défunts
aux parfums
dispersés par Octobre avec les feuilles qui s’envolent,
les vaines, jaunes feuilles molles.
C’est une âme lunaire — à pas légers et sourds
elle se glisse sous un bosquet sombre ;
ses cheveux argentés luisent parmi les voiles d’ombre,
tour à tour,
ou le long des furtives allées
qui s’habillent d’herbes échevelées…
Et les marbres figés en satyres galants
auréolent leurs fronts durs et blancs
de ses dansantes mélancolies…
Trianons, Trianons, et de ses folies !
Sur vos troubles bassins j’aime cette âme, ô Trianons,
cette âme vôtre tour à tour éprise
de bals poudrés, de damas rose et de linon ;
cette âme qui revient en capuchon de brumes grises,
ce soir !
Cette âme qui se penche… se penche au miroir,
noblement surannée et frivole,
et que le vent disperse avec les jaunes feuilles molles…
PÉTALES SUR L’EAU
De tout cela qui fut l’Été — de cette joue
ardente et lourde,
de ce front qui penchait, accablé
sous les guirlandes et les grappes,
de cette gorge que brunit le hâle
et de ces chants touffus dans la robe des blés,
il nous reste, dans votre robe,
dans vos mains de fraîcheur, Automne,
il nous reste un reflet… un écho…
une douceur encore fiancée à l’eau.
Et puis une rose dernière !…
Votre souffle promène
les acres senteurs humides des forêts,
Automne belle ! — De votre cœur secret
monte une nostalgie étrange
et comme un regret ;
et des lueurs encore dansent
sur le liquide et lisse miroir
où j’allais voir
une rieuse Flore de marbre et de mousse…
Et pareille à la douce, à la rouge bouche
de l’Été défunt,
sur ces calmes eaux pâles,
pétale à pétale
la rose douce et rouge effeuille son parfum.
FEUILLES SUR L’EAU
Octobre a dispersé l’ambre, l’or et le sang,
et la rouille, et le cuivre pâle,
et devant la terrasse un râteau bruissant
rompt la grande paix automnale.
Ô ce bruit familier, rythmique, nonchalant !
Ô la fuite de mes pensées,
comme, sur ce chemin jonché de sables blancs
toutes ces feuilles dispersées !…
Ici l’étang voilé par des brumes, halo
qu’ont tramé d obscures fileuses…
Et l’horizon brouillé se confond avec l’eau
froide, dormante et nébuleuse ;
et les presles frileux, et les roseaux transis,
et les ajoncs à tête blanche
penchent sur l’eau dormante et nébuleuse, ainsi
qu’au bord de l’eau mon front se penche.
Sur cette eau, nul râteau râflant les feuilles d’or,
les feuilles de sang et de rouille,
feuilles, feuilles nageant dans leur petite mort,
feuilles sur l’eau, frêles dépouilles…
Le soleil a prêté quelques glauques reflets
aux végétales pourritures,
la rive a des replis ombreux et violets
pour vous, vous, dormeuses futures ;
mais le bruissement continue, incertain,
du lent râteau qui vous emporte…
Laissez-moi contempler des feuilles, ce matin,
des feuilles mortes sur l’eau morte.
SŒURS MARINES
L’île rocheuse émerge — solitaire oasis
parmi les mille vagues qui déferlent,
bruissantes de mousse et d’éphémères perles.
À l’horizon, nulle voile penchant
sa silhouette errante ; mais les ailes qui passent
de mille mouettes voraces,
et la lune cernée des lueurs du couchant.
Trouble attente !…
Car c’est l’heure imprécise dont va naître le chant
que modulent là-bas les Sirènes…
Nef, demeurez captive à ces rives sereines
où des pêcheurs ont tendu leurs filets !
Or voici la merveille pareille aux mille notes
des flûtes : c’est un rire frais ; c’est un appel ;
c’est un chant embaumé de varech et de sel,
un rauque chant étrange qui soulève
les tuniques du soir, du désir et du rêve !
Ô ce chant ! — Ô ces lèvres d’humide corail
de la chanteuse indolente et sauvage !
Je la vois… Ses cheveux tombent en mille grappes
sur le hâle uni de son front ;
son regard luit dans son maigre visage,
ses dents ont la blancheur laiteuse des nuages
et des lunes ; l’écume inquiète des mers,
sans relâche a baisé de blancs flocons amers
les fleurs jumelles de ses seins de vierge.
Ô ce chant qui s’élève, qui plane, qui rassemble
toutes les Sœurs musiciennes ! — Cheveux d’ambre,
cheveux d’or fauve, de pâle argent ; cheveux
entremêlant leurs ondes molles ; cheveux qui semblent
des sillages aussi, tandis qu’Elles, glissant
souples, de vague en vague, et poursuivant chacune
sa compagne, et se quittant, et se reprenant,
en des jeux délicats et puérils confondent
leurs féminines chairs avec les molles ondes.
Et chacune, mêlant sa voix aux proches voix
de chacune, et chacune innombrable à la fois
et seule, et sœur des vagues, et sœur des vents nocturnes,
chacune dit la glauque ardeur des eaux,
les yeux phosphorescents qui luisent dans les sables,
les forêts d’algues insaisissables,
les mille méandres, les mille réseaux,
et les secrets jardins où sont écloses,
orangées, violettes, roses,
perle, opale, aventurine,
les fleurs d’ombre, les fleurs sous-marines.
Ô ce chant ! — Il trouble la nuit, il la déchire,
pareil aux mille notes des lyres
qui jadis ont connu la nuit des bois sacrés…
Chacune dit les grâces de chacune,
mêlée à la vague opportune,
au rythme de la houle qui monte, qui descend,
flux et reflux bruissant, incessant,
ouvert pour l’éternelle et suprême venue
d’Astarté blonde, ruisselante et nue !
Chacune dit
les miracles de nacre, les tapis
spongieux sur lesquels gisent des coquillages ;
les opulents contours des monstres assoupis,
vieux de la grande vieillesse des âges ;
chacune dit l’ébauche multiforme
des êtres, la splendeur des abîmes sans fond
veillés par les poulpes camuses,
et les espaces bleus et lumineux où vont,
fleurs transparentes,
les flottantes, les vaines, les blanchâtres méduses…
Ô ce chant ! — Chacune dit le lit d’amour
préparé pour ceux-là que ce chant ensorcelle,
doux voyageurs égarés par Elles…
Chacune dit, caresse éternelle,
la tenace caresse de l’eau,
plaisir délectable et morose,
et des paumes de chair, et des chairs glissant, roses,
sous l’aile déployée ou l’éventail déclos
de mille nageoires
dans les nuances des immensités noires !
— Et de mille lueurs, et de mille reflets,
la lune, nef céleste, est lentement montée
vers le mirage des nuées
lentement remuées ;
et jusqu’à l’aube, et tel une fleur d’été,
le chant multiple, illimité,
viendra s’épanouir aux lèvres des Sirènes…
Nef, demeurez captive à ces rives sereines
où des pêcheurs ont tendu leurs filets !
LE CHAPELET MUSULMAN
Chapelet musulman fait de graines diverses
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AU JARDIN DU HAREM
Au jardin d’orangers, de jasmins et de roses,
persistent les senteurs du long jour languissant ;
une brise s’attarde aux corolles écloses…
Orangers de Fathma, le soleil qui descend
glisse des javelots à travers vos enceintes
et colore vos fruits d’une goutte de sang !…
Effeuillons le jasmin, la rose aux pourpres teintes,
mêlons avec nos doigts leurs pétales légers
dans un vase arrondi de porcelaine peinte…
Allons cueillir des fleurs parmi les orangers.
Le ramier dort… L’aragne est pendue à sa toile…
L’heure fraîchit. — Bien loin des regards étrangers
nos yeux feront pâlir les yeux de mille étoiles !
— Le rossignol, déjà, sur un rythme inégal
prélude aux jeux du soir… Paix ! Dépouillons nos voiles…
Il chante — et le jet d’eau s’égoutte, musical.
XVI
Dans le jardin fermé des Princesses captives,
près des grimpants jasmins, contre la source vive
qu’ombrage un oranger touffu, j’irai m’asseoir.
Je laisserai venir, comme un hôte, le Soir,
et nos fronts accouplés, sur la fontaine ovale
se pencheront. Voici : ni sultan, ni rivale…
La seule paix, la seule immuable douceur
de cette paix du soir aux lentes mains de sœur,
et ce plaisir léger que mon loisir compose :
suivre, suivre sur l’eau des pétales de rose…
LA DANSEUSE D’UTIQUE
Elle dansa. J’ignore son nom, son âge…
Dans la nécropole, son sarcophage
était le plus étroit, le plus léger.
Jadis, chaque soir au clair de la lune
elle dansa, dansa, petite idole brune,
sous les plis transparents d’un voile orangé.
Ses hanches, selon des cadences lentes
auront ondoyé voluptueusement,
et ses pieds minces en mouvement
auront mimé le plaisir et l’attente,
tour à tour, et mille langueurs hésitantes…
Sur l’épaule ayant incliné son front,
faisant tinter ses bracelets ronds
et chassant d’un coup d’éventail ses eunuques,
devant la fontaine où baigna Salammbô
peut-être dansa-t-elle, nue, au bord de l’eau,
pour les grands palmiers, les palmiers aux feuilles caduques ?…
Ou bien, rejetant en arrière la nuque,
seins érigés, souffle haletant,
fermant à demi ses yeux de gazelle,
pour des yeux de désir peut-être dansa-t-elle,
pressant le rythme et se hâtant,
hors de ce monde — hors du temps !
Elle dansa, dansa, brune petite idole alerte,
dansa, dansa, paumes offertes…
Et puis voilà qu’un soir elle n’a plus dansé.
Rigide, gisait son frêle corps glacé…
Et puis… Et puis les siècles ont passé.
Lorsqu’on a soulevé sa pierre funéraire
la momie enfant s’évanouit toute en poussière.
Mais à côté d’elle dormaient encor
cet oiselet de terre cuite ; ce joyau d’or
fait pour orner mainte tunique floue,
et ce pot de fard dont, jusque dans la mort
elle rougit ses ongles, ses tempes, ses joues…
MIDI
Midi, pesante, merveilleuse incandescence,
Midi
sur la terrasse danse, danse,
et se mêle au jet d’eau qui roule ou rebondit ;
et le flot dansant, le flot des doubles vasques,
musical,
cherche ses vains échos fantasques
aux faïences des murs, aux voûtes de santal ;
et le gardien fidèle, l’huis des portes rondes
se clôt
sur les vaines rumeurs du monde,
sur les jeux du soleil mêlés aux jeux de l’eau ;
et dans la cour où les pigeons roucoulent, une rose
se meurt ;
des colonnes de marbre rose
s’évasent alentour comme de larges fleurs.
Et voici qu’à travers la moucharabieh peinte,
Midi
jaloux des masques et des feintes
glisse en babouches d’or aux chemins interdits…
LE JONGLEUR
Immobile et comme en suspens
rit son visage aminci de serpent
où l’or inquiet des prunelles danse.
Car ce regard jaune ordonne les jeux
… Une… Deux…
des multicolores qui s’élancent
et que happent… Une… Deux… Trois…
les frêles doigts
comme désossés dans une démence.
C’est à peine si
les muscles sous la peau fine ondulent
… Quatre… Cinq… Six…
Et les billes sautent, minuscules
… Sphères, billes, boules ou bulles…
Sept ! — Et l’or des yeux luit
qui les suit
… Une… Deux… l’une après l’une
dans leurs aériens circuits.
Car elles volent et circulent,
et se poursuivent, importunes,
et retombent à petit bruit,
rondes et nulles.
… Une… Deux… Trois…
Prunelles d’or et visage étroit…
Quatre… Cinq… et reflets étranges
nés de ces frêles doigts adroits :
bleu, vert, violet, orange…
Prisme dansant dans mes yeux brouillés
— dormants ?… éveillés ? —
Rêve qui mêle sa fortune
… Cinq… Six… aux reflets des lunes…
Sept ! — Fugace accord
des billes courant l’une après l’une…
Double point d’or
qui scintille et jubile
dans cette étroite face immobile !
ENNUI
La princesse Pensée est assise à ma porte. parfums tendres, bassins qui reflétez mes poses, |
XXI
Un marabout veillant des tombes. — Le silence
est à peine troublé par le vent qui balance
la palmeraie et fuit en cachant son visage.
Là-bas, c’est l’infini d’un même paysage,
ici, tout l’infini qui nous étreint émane
de ce peuple muet des tombes musulmanes
sur lesquelles murmure une indulgente palme…
La lumière s’éteint aux vastes lointains calmes,
et dans mes yeux secrets l’infini se reflète
du Soir vêtu d’amour et d’ombre violette.
XXII
Ma sœur, je ne vous connais pas,
vous que mes yeux devinent là-bas
dans la demeure fraîche aux portes si bien closes.
… Ma sœur d’Alger, ma sœur, vos yeux noirs
ne furent jamais le double miroir
que de très peu — oh ! de très peu de choses :
ce pan du ciel… ce jardin plein de roses…
Et moi je songe à vous, à vos soucis légers
qui n’iront jamais, jamais voyager
plus loin, par-delà cette Alger
dont la mer vient baigner le luxe et la molle indolence ;
car des coutumes tissent autour de vous
comme un minutieux réseau jaloux
de menus soins, de vigilance,
et de soumission, et d’ombre, et de silence !
Et vous, ma sœur qui ne m’êtes rien,
vous ignorez aussi pourquoi je passe,
ce soir, avec une âme avide et lasse…
Vous ne connaissez rien des séculaires lois
qui glissent une autre note dans ma voix,
un simple anneau d’or autour de mon doigt,
ces lourds anneaux d’argent autour de vos chevilles ;
vous ignorez, grasse petite fille,
vous que des jeux puérils satisfont
mais qui régnez obscurément, selon le rite,
vous ignorez notre Occident cosmopolite,
notre nostalgie et nos ciels brumeux,
nos hâtes, nos secrets, nos jeux,
ce que nous portons de rudesse et de flamme,
et nos laideurs, et nos beautés,
et tout ce que la liberté
a fait de nous, les femmes !
Vous ignorez, vous ignorez ce qui nous touche…
Pourtant, sachez-le, le voile est en nous
que vous gardez, ô ma sœur, sur la bouche !
… Adieu, petits pieds traînant dans des babouches,
pots de fard, huiles, parfums, miel doux,
paresseuses mains aux grâces stupides,
rire enfantin — longs yeux sombres et vides…
JARDIN NOCTURNE
Nocturne jardin tout empli de silence,
voici que la lune ouverte se balance
en des voiles d’or fluides et légers ;
elle semble proche et cependant lointaine…
Son visage rit au cœur de la fontaine
et l’ombre pâlit sous les noirs orangers.
Nul bruit, si ce n’est le faible bruit de l’onde
fuyant goutte à goutte au bord des vasques rondes,
ou le bleu frisson d’une brise d’été,
furtive parmi des palmes invisibles…
Je sais, ô jardin, vos caresses sensibles
et votre languide et chaude volupté !
Je sais votre paix délectable et morose,
vos parfums d’iris, de jasmins et de roses,
vos charmes troublés de désir et d’ennui…
ô jardin muet ! — L’eau des vasques s’égoutte
avec un bruit faible et magique… J’écoute
ce baiser qui chante aux lèvres de la Nuit.
MAHOMET
Je l’ai vu. Mais peut-être est-ce en rêve… Son front et mangé, se tourna vers les vasques d’argent |
SAGESSE
Au seuil des continents où la lumière nue,
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LA COURSE D’ATALANTE
Que maudits soient vos pieds aux sandales rapides,
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DANSEUSE
… ἔγω φαμι ίοπλόχων
Mοισαν εύ λάχεμεν
Sœurs des Sœurs tisseuses de violettes,
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LA HALTE
Arrête, compagnon, car les ombres allongent.
Sur ces gradins étroits du temple abandonné,
drapés dans nos manteaux de laine et dans nos songes
nous attendrons en paix qu’un jour nouveau soit né.
Les pêcheurs sont rentrés au port ; j’entends les cimes
bruire faiblement des grands pins maritimes,
et le chant alterné des vagues dans la nuit.
Mais les dieux sont absents — Diane dort, sans doute,
ayant chassé dès l’aube en fleur. Comme une fleur
elle s’est inclinée au milieu de ses sœurs,
et les souffles divins ont mêlé leurs douceurs,
et les seins délicats s’apaisent sous les voiles ;
seules, dansent au ciel de légères étoiles,
seuls, la mer et les bois reposent, bruissants…
Mais non ! Vois — l’horizon s’est paré du croissant
dont la Vierge sacrée illumine sa route…
Diane réveillée est là, qui nous écoute !
FLÛTES DANS LE SOIR
Flûte, âme sonore et docile à la fois, qui glisse, légère, avec des pieds habiles ; |
SOUPIRANT LUNAIRE
Blanc Paon qui déployez ainsi qu’un éventail
votre queue, et de large en long, beau noctambule,
grave, cabré, royal — pour Elle, vaine bulle,
lampe vénitienne ou reine de sérail,
marchez, dodelinant de l’aigrette ; Pontife
des luxes, qui lui dédiez en ut majeur
ce lent frémissement de plumes, votre griffe
trace — pour Elle, encor — un frêle hiéroglyphe
dans le sable neigeux où va Votre-Blancheur.
Muet, vous décrivez cette sensible gamme
des poses, qui lui plaît, j’imagine ; elle, Dame
très chauve, des hauteurs de l’astral infini
mire au bassin dormant le rond visage uni
dont s’inspire, blanc Paon, tout votre épithalame !
Et vous marchez de large en long, au bord de l’eau,
précautieux, comme engoncé dans votre roue,
beau soupirant lointain de Celle qui se joue,
peut-être, où ne voit point derrière le halo
des brumes ; celle-là qui rit ou fait la moue,
sans qu’on s’en doute, et qui, Belle au visage uni,
sur le bassin dormant, de l’astral infini,
pour vous, blanc Paon royal, éventail noctambule,
se mire — ronde et blonde lampe… vaine bulle…
À LA ROSE BLANCHE
N’êtes-vous l’espoir muet et qui n’ose,
le neigeux calice de nos désirs,
l’unique floraison du rêve… blanche Rose ?
N’êtes-vous l’ébauche parfaite, la joie
pure et stérile de nos yeux,
vous qu’une brise flétrit ou ploie ?
La virginité de votre grâce
trouble mon âme d’un vague émoi,
et votre parfum me suit, tenace…
Immaculée ! — L’heure vaine s’achève
dans la robe des tons mineurs…
Mais n’êtes-vous, Rose, la floraison du rêve ?
À LA ROSE-THÉ
Or, dans le cristal qui vous possède, Rose,
dans l’intimité des pénombres décloses,
vous m’apparaissez, Princesse de langueur ;
votre lourd front las porte le poids d’un rêve…
Rose, dans la chambre aux pénombres moroses
vous vous souvenez, Rose-thé, nouvelle Ève,
du jardin perdu que troublait votre cœur,
de ce paradis embaumé de corolles…
Et je n’ai pour vous, Rose, que mes paroles.
Rêvez… Penchez-vous… Ne suis-je votre sœur ?
N’ai-je aussi vécu la minute fatale
où le paradis échappe à l’Ève folle ?
Mais je vois, je vois s’effeuiller vos pétales…
Rêvez… Penchez-vous… Donnez-moi votre cœur,
Rose, Rose-thé, Princesse de langueur !
À LA ROSE ROUGE
Et vous si multiple, Cramoisie,
au bord de l’uni bassin dormant
où s’attarde ma fantaisie ;
vous, Odorante, qui persistez
comme un regret dans la brume chaude,
et dont mes mains s’imprègnent longuement ;
vous, effeuillée sur l’émeraude
visqueuse des eaux, pétale à pétale…
Rose, n’êtes-vous la sanglante beauté
dernière des mourants étés ?
Ou peut-être, livrée à l’aile brutale
des nocturnes désirs,
Rose, n’êtes-vous parmi les vierges sages
que cette pudeur montant à leur visage ?
MATIN D’HIVER À LA FENÊTRE
Avec des mains circonspectes et lentes,
dispersez l’ombre confidente
en écartant les rideaux par degrés ;
le jour, le grand jour et sa robe nouvelle,
sur l’eau dormante encor de mes prunelles,
en tous lieux et sur toute chose,
de la même façon qu’il avait émigré
le jour doit revenir lentement, par degrés ;
il doit entrer furtivement, comme par fraude,
dans la chambre close, dans la chambre chaude.
Écartez par degrés les rideaux et les tulles.
Voici que l’hiver aux doigts blancs coagule
sur la vitre un herbier non pareil :
ce sont des fleurs de songe, froides et nulles,
des mousses pleines de soleil,
du givre agglutiné, mais qui se désagrège…
givre fugace, frère de la neige,
matutinale floraison,
blancheur qui fuit comme elle était venue
de la vitre claire, de la vitre nue.
Or, rideaux écartés, la lumière pénètre,
intense, intense, par la fenêtre ;
elle a chassé les ombres peu à peu ;
jalouse de la lampe et jalouse du feu
elle glisse, et se coule, et se pose.
Elle rit au miroir et fait luire le bois,
elle dissipe les masques sournois,
elle s’est fiancée avec la flamme rose,
la flamme qui danse au centre des choses
dans la chambre chaude, dans la chambre close.
Et dans mes yeux sombres comme ces ombres
qui les ont habités, coites et sombres,
dans mes yeux entr’ouverts et profonds,
dans l’émerveillement serein de mes prunelles
le jour, le grand jour et sa robe nouvelle,
de la même façon qu’il avait émigré
le jour est revenu lentement, par degrés,
givré, poudré, désireux de plaire !
Car nuits et matins se font et se défont
par la vitre nue, par la vitre claire…
SOIR PRÈS DU FEU
Intimes, sournoises, coites, feutrées,
à travers la vitre sont entrées
une à une, les ombres du soir.
Elles ont tramé comme des plis de doute
sur les eaux vives du miroir,
et j’ai vu peu à peu dissoutes
les choses dans l’incertitude…
Et je suis demeurée avec ma solitude.
Heure trouble ! — Je ris à la lampe, rose lune
qui veille, douce, auprès de l’âtre agonisant,
alors que mes songes, chemin faisant
s’égarent, s’attardent, s’apaisent
aux légendes muettes racontées par la braise.
Ah ! Soirs d’enfance évoqués peu à peu
dans ce miracle intime des cendres et du feu,
de la bûche crissante et rongée !
Voici : le palais brûlant de la Fée
s’érige… Mille nains rouges, dansants et fous,
s’acharnent à sa toiture de nuages…
mais la forêt où chemine le page
se décompose irrésistiblement,
et les voiles bleuâtres des princesses captives
vont, en spirales diluées,
se fondre avec la nuit sur de brumeuses rives…
Et le visage s’est nimbé des choses :
la coupe de jade aux laiteux reflets
sur la commode ancienne en bois de rose ;
les livres clos, rangés ainsi que des valets,
debout dans leur sobre livrée ;
l’ample bergère avec une dentelle aux manches,
et le cristal de ce vase élancé,
et cette gerbe de tulipes blanches…
Soir pareil aux Soirs de jadis ! Soir brouillé,
lourd de fantômes éveillés,
parfums, échos, vains rires tendres…
Pareil et dissemblable, et si brouillé de cendres !
L’horloge au tic tac monotone a sonné ;
la lampe s’éteint par degrés — rose lune
sous son frêle abat-jour nocturne,
et le conte s’achève avant que d’être né…
Et les choses retournent dans l’incertitude,
et je demeure seule avec ma solitude.
LA GAVOTTE
Lent Dimanche de province, lent Dimanche
qui s’allonge désespérément
des grisailles de ce lent Novembre !
… Autour de moi somnolent dans la chambre
avec leurs visages couleur du temps
les choses, les choses pleines de confidences.
Sur l’étagère une cruche à fleurs bleues
semble interroger l’eau terne du miroir.
Les murs sont à ramages… Les peluches
des fauteuils luisent… Lentement, les bûches
se consument à petit feu sournois.
De la fenêtre j’ai regardé la rue.
J’ai regardé la rue, mon front contre les vitres…
Jalouse de chaque pavé disjoint
glisse l’aigre et susurrante bise,
chassant un nuage de poussière grise ;
et j’ai vu venir — de loin, de loin…
le vieux joueur d’orgue de barbarie.
Comme jadis gambille sur son épaule
un maigre singe camard et pelé ;
ses doigts gourds tournent, tournent la manivelle…
Fausse d’un demi-ton, la ritournelle
égrène en mesure son chant enroué,
sa mélancolie désuète et niaise.
Je me souviens — j’avais alors de rondes joues
et mes cheveux en natte sur le dos…
Ma mère la jouait, la gavotte qui se trémousse !
Sur les touches ses petites mains couraient, douces ;
ses yeux se cachaient sous des cils mi-clos ;
elle fredonnait d’une voix un peu sourde…
Et voici qu’il danse sous ses robes bouffantes,
le Passé ! — Sol, do, si… Dièze ou bémol,
sous sa coiffure à brides il danse, il danse,
et son fantôme me fait la révérence…
Mi, do, ré… le Passé doux — le Passé mort !
— Ah ! ce Dimanche de province… ce Dimanche…
À LA PRINCESSE DÉFUNTE
Vous autres, belles Princesses de légende
que la Mort coucha sous des linceuls de prix
avec des mots magiques et des offrandes ;
vous autres dont les hommes furent épris,
belles Princesses aux doigts tendres,
aux cils recourbés, aux cheveux longs et doux,
aux fronts couronnés de guirlandes,
je ne saurais pleurer sur vous.
Je pleure, et vous entendrez ma plainte,
sur l’âme d’enfant, Princesse de clarté,
qui fut en moi vivante, ardente et sainte !
Dans sa voix chantait ce qu’on n’a pas écouté,
son front portait aussi des guirlandes frêles,
elle se fiançait aux matins d’été,
et ses cils recourbés battaient comme des ailes
d’hirondelle…
Elle était amoureuse de mille chimères blondes,
de tous les rêves qui dansent des rondes,
de cet immobile cortège tremblant
des étoiles se mirant dans l’onde…
Mais un vent glacé soufflait, violent !
Or je l’ai laissée au bord de la route ;
elle sera morte, morte sans qu’on s’en doute…
Nul n’aura suivi son léger cercueil blanc.
Depuis, elle revient avec l’ombre morose
des crépuscules de cendre et de deuil
qui nous font frissonner un peu, sans cause :
Elle hésite avant de franchir mon seuil…
Elle effeuille sous mes pas des roses,
et son regard furtif me suit…
Elle sourit à peine, elle repart sans bruit…
Me reproche-t-elle quelque chose ?
Et voilà pourquoi, belles Princesses de légende
aux doigts tendres, aux cheveux longs et doux,
je ne saurais pleurer sur vous.
La Mort vous apporte encore des guirlandes,
et vos linceuls brodés sont jonchés d’offrandes,
et votre temple est toujours visité…
Moi, je pleure le chant qu’on n’a pas écouté
de mon âme d’enfant, Princesse de clarté.
AU JARDIN DU SILENCE
Ah ! jardin fermé dont les lianes amoureuses parmi les fruits mûrs, les fruits détachés un à un… |
XXXIX
Je te crains, Amour qui viens à l’improviste
comme un voleur,
avec cette âme folle, ardente et triste,
et ce grand espoir égoïste !
Je te crains, Amour, et j’aime ma peur…
Car de toi peut-elle encore se défendre
ta faible proie aux rires tendres ?
Ton seul regard est sur elle penché,
tu n’as point rompu le silence,
et cette seule muette vigilance
a déjà le visage trouble du péché !
Amour, Amour qui nous ravages
nous laissant tels qu’un jardin desséché,
tes yeux sont beaux, tes yeux sauvages…
Mais, flux et reflux,
ce regard séduit, ce regard irrite
ma quiétude mise en fuite,
car puisque je crains, puisque j’hésite,
n’est-ce que déjà je ne m’appartiens plus ?…
XL
Par les chemins brumeux de la vie et des songes
nos pas n’ont point laissé d’empreintes sur le sable,
et de nos voix d’hier l’accent insaisissable
n’ira plus éveiller les doux échos-mensonges…
Ce soir-là ressemblait à des mots de Verlaine.
C’était un de ces soirs si divinement tendres
que les oiseaux du ciel se taisent pour entendre
le souffle musical de leurs tièdes haleines.
— Autour du bassin calme aux fluidités bleues,
des arbres-parasols et des arceaux magiques,
des gazons mols semés de roses léthargiques,
de graves paons traînant la gloire de leurs queues ;
une langueur éparse, une paix merveilleuse,
une lente fraîcheur tombant, moite et bénigne,
des parfums plus légers que des duvets de cygne,
des vers-luisants dans l’ombre allumés en veilleuse…
Et la lune naissante, et la nuit qui s’apprête.
Or comment n’avoir pas au cœur un émoi vague,
comment ne pas livrer mes mains vierges de bagues,
et ne pas incliner songeusement la tête !…
À L’AMOUR
Et tu nous quitteras dès l’aube encore sombre. d’un mal impitoyable et pourtant merveilleux, |
XLII
C’était après la tiède et languide journée,
l’écharpe aux mille plis sur mes yeux ramenée
me voilait de mystère en son ombre flottante.
Nous marchions côte à côte avec l’Automne ardente
qui tord sa chevelure au-dessus des allées…
Des brises s’attardaient, à des senteurs mêlées,
et vous disiez : « Regarde, écoute !… L’heure est douce
comme un geste d’amour, comme un pas sur la mousse ;
une branche frissonne et l’autre se balance…
Regarde l’heure bleue … Écoute le silence…
Aspire tout Septembre aux calices des roses…
Rêve !… Ta rêverie auréole les choses. »
XLIII
Il fuit devant moi, le mystère de ta pensée…
Tes yeux, ce matin, n’ont pas cherché mes yeux ;
ta présence est absente… Le bruit soyeux
te laisse indifférent de mes jupes de faille.
Tu ne vois pas sur mon front pâle
les tulles seyants du large chapeau,
ni la rose qu’à ma ceinture j’ai passée…
Il fuit, il fuit, le mystère de ta pensée,
et dans ce voyage obscur et lointain
j’aurais peur — ah ! j’aurais peur de te suivre !
Mais je devine la douceur des rives
qui te plaisaient jadis ! Et ce matin
je t’ai senti là-bas, loin — très loin…
Tu ne réponds rien ? Les vieilles idoles
dévident bien des songes dans nos âmes folles
et nous retiennent par d’étranges liens…
Je sens… je crains en toi ces idoles
qui feignent d’être mortes pour mieux régner !
Tu ne réponds rien ? Leur visage
est plein d’énigmes ; l’âge même, l’âge
nimbe leur front d’une auréole ; sous leurs doigts
naissent mille merveilles ; leur faible voix
murmure, murmure d’inexprimables choses…
Tu ne réponds rien ? Ton sourire nie ?
Mais un souffle, un souffle glacé
de ma ceinture a détaché la rose
moins enivrante que ce trop beau Passé !
… Oui, oui, je sais
qu’à souffrir vainement mon cœur s’ingénie…
XLIV
Regarde tomber cette averse tiède
sur le jardin gourd si plein d’été.
C’est un vague murmure répété
de goutte en goutte et qui nous berce…
Des odeurs de terre mouillée et de foin
nous arrivent par la fenêtre où je m’appuie,
et le soleil à travers cette pluie
s’insinue encore, mais de loin,
comme un amant essayant d’une feinte…
Volupté de la demi-teinte ! Douceur
des murmurantes et fraîches buées !
— Regarde, regarde les branches remuées
qui s’émeuvent d’aise et de langueur
au jardin pluvieux, cœur de mon cœur…
Mais la parole n’est-elle inutile
devant ces fluides et subtiles musiques ?
XLV
En vérité — le sens-tu ? — ce qui nous divise
— et c’est là ma grande mélancolie —
ce qui nous divise ne saurait s’exprimer
par des paroles sonnantes et précises.
Et pourtant — oh ! la syllabe évasive,
l’écho diminué d’un écho ! —
ce qui nous divise bruit en sourdine
comme une barque falote glissant sur l’eau…
Ce qui nous divise — oh ! l’ombre d’une ombre,
le fantôme inquiet d’un fantôme ! —
aux heures troubles de l’aube ou du soir,
quand les nuances, quand les voix s’estompent,
ce qui nous divise rôde pourtant, rôde…
Et nous nous regardons un peu de biais,
et ta main quitte ma main plus chaude,
et je sens que tu sens — et tu sais que je sais…
Ce qui nous divise — oh ! le souffle d’un souffle, à peine ! —
ce qui nous divise obscurément
me glace pourtant et jusqu’à l’âme même.
Et c’est comme la froide et fade haleine
des tristesses anciennes qui reviennent
et des soirs de deuil en moi ranimés…
Et nulle parole n’exprimera jamais
cette froide haleine immatérielle !
XLVI
Ô cette soif inextinguible, merveilleuse,
ce tourment sourd de mon âme avide, ce désir,
ce grand désir qui monte, monte de ma lassitude !
… Ce grand désir ?… Non, car je veux
une coupe d’oubli pour y noyer mes chimères
et les paroles que chantent mes rêves ;
et je veux le silence, et l’ombre fraîche sur mes yeux,
et le repos, et la sérénité de l’heure.
Qu’Hier s’éloigne comme une danseuse
Sous ses voiles de tulle et de brume !… Longtemps, longtemps
a résonné l’écho de son rire hésitant…
Mais à quoi bon tout cela qui nous trouble !
Je n’allumerai plus la lampe si douce
qui me ferait veiller avec des morts. Je veux dormir
loin du visage brouillé des souvenirs.
… Ramenez avec soin les courtines.
Dormir ?… La Nuit au front moite, la Nuit, pourtant,
sœur bleue des ondes d’opale ou de lune,
la Nuit m’a fait signe !… Elle m’attend…
Son sourire à travers la vitre s’insinue…
Voici l’appel bondissant d’une source,
la caresse d’une brise floue…
Et le désir secret de mon âme — ce grand désir
voudrait s’égarer dans les nocturnes ruses !
Ô soif, soif ! Qui donc posera lentement
des mains pieuses sur mes chaudes lèvres ?
Qui me bercera d’un murmure blanc,
doucement, lentement ?…
Quel souffle ultime dissipera mes rêves,
et quelle sagesse régnera désormais
sur mon âme houleuse tour à tour et vide,
et qui ne sait ce qu’elle désire ?…
STANCES À L’AUTOMNE
Je vous pressens parfois, Automne ! Votre robe
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SOUS LA LAMPE
Du ténébreux divan où la pénombre rampe
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PAROLES
Sous les remous du voile que j’éploie,
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L
Souviens-toi — le jour las et moite… la croisée
mi-close… un peu de ciel orageux à travers
le rideau frémissant des mols feuillages verts :
jeu dansant et changeant de lueurs tamisées.
Un Bouddah japonais, de grands coffres indous,
des bibelots épars, des coussins et des livres…
Souviens-toi — nous sentions que le charme de vivre
se goûte avec lenteur comme un vin rare et doux !
Et d’un lied oublié je retrouvais les notes ;
tu te penchais un peu vers moi, pour écouter ;
dans ces vagues senteurs d’Orient et de thé
vibrait étrangement ma musique falote…
Ah ! souvenirs ! Ce jour défaillant, ce parfum,
ce chant, cette langueur éparse dans les choses,
et puis soudain, pareils à des neiges décloses,
les pétales tombant d’une rose, un à un.
LI
Devant une eau perfide et qui fuit mon étreinte
ou dont l’âme tarit aux soleils de Juillet
mon cœur a pressenti les longs soirs inquiets…
Car en nos voluptés se glisse un peu de crainte.
Aimer… Et puis craindre d’aimer !… Sais-je pourquoi
l’amour nous enferma sous un réseau fragile,
pourquoi brève est la flamme en sa lampe d’argile,
moins sonore l’écho qui répond à ma voix ?
Sais-je pourquoi l’été, déjà, sur mon visage
a disposé les plis de ses voiles flottants,
pourquoi se meurt le jour… pourquoi l’ombre s’étend ?
Or d’ombres et d’échos sont tramés les présages.
Je sais qu’au philtre doux se mêlera demain
sans doute, une saveur étrangement amère…
Et comment ignorer ce qu’elle a d’éphémère,
la rose impériale ouverte dans ma main !
OMBRES
Fantômes dansants, fols et fluides corps
devinés à peine,
vous qui me parlez avec la voix des morts,
cette voix lointaine…
lorsque vient la nuit, la donneuse de paix
et de solitude,
vous m’apparaissez — et je vous reconnais
avec certitude.
Je vous vois surgir comme à pas de velours
de l’alcôve sombre,
ou d’un vol furtif chassant un rêve lourd,
ô légères ombres !
Vous touchez mon front, mes cheveux dévoilés,
mes paupières closes,
et je vous écoute, et vous me rappelez
de très vieilles choses ;
car c’est du passé, des souvenirs secrets,
des lèvres fanées,
c’est de mes loisirs et c’est de mes regrets
que vous êtes nées.
C’est ainsi qu’en vous mes meilleures amours
ont jeté l’amarre ;
que la cendre gît encore de mes jours
dans vos doigts avares ;
qu’un reflet encore, émouvant et vivant,
dans mes yeux persiste
du visage étroit où mon regard d’enfant
brûlait, déjà triste…
Vous rythmez mon cœur, visiteuses de nuit,
et je vous redoute,
et sans vous pourtant je n’aurais nul appui
sur l’hostile route ;
j’irais pas à pas vers l’avenir diffus,
sans but et sans bible,
si vous n’attachiez à tout ce que je fus
des fils invisibles.
Guidez, guidez-moi hors des brumeux chemins,
loin de ces dédales
pleins d’obscurs dangers !.. Ombres, voici mes mains,
mes mains sororales.
… Votre voix ressemble à cette voix des morts
lointaine et diverse…
Fantômes dansants, fols et fluides corps
qu’une voix disperse !
REPROCHE
Chercheras-tu jamais, à l’heure trouble et sombre,
|
RYTHME AU PAPILLON MORT
Passant miraculeux, fleur bizarre et fatale,
|
RESOUVENANCES
… Car j’ai peuplé toute nostalgie,
|
RECOMMENCEMENTS
Et nous t’avons reprise, barque de cinname !…
Des chimères mauvaises se sont dissipées,
et nous irons encore sur les eaux frappées
par la double cadence d’une heureuse rame.
La douceur renouée frissonne, s’étonne,
timide mais riante à travers ses larmes.
— Nous irons, fleurs des saules, respirer vos charmes,
nous fuirons vos atteintes, rafales d’automne !
Du fidèle rivage, quel dieu nous épie ?…
Ah ! brisons les amarres ! Les chaînes meilleures
ont gardé nos tendresses… Aimons — il est l’heure…
La parole défunte n’était qu’assoupie.
Pleins de dons et de forces, et pourtant esclaves,
et désormais avares, dans nos mains prudentes
nous tiendrons abritée du vent qui la tente
une amour plus profonde, plus chaude, plus grave.
REFLORAISONS
Écoutez-moi. Dans l’heure qui s’apaise
votre âme aussi doit apaiser ses fièvres
et consentir. Des mots sont sur mes lèvres
que vous devez entendre, je le veux.
— Où sont, hélas ! nos fragiles aveux ?…
Mais j’ai cessé la querelle mauvaise ;
je n’ai pour vous nul fade et vain pardon,
nulle rancune ardente ou résignée.
Rassurez-vous — je viens, d’ombre baignée,
et pâle, et calme, et grave, avec des yeux
plus indulgents et plus mystérieux
d’avoir scruté les ombres de nos âmes.
Vous qui, jadis, ne vouliez point entendre,
écoutez-moi — c’est remuer la cendre
et n’aspirer qu’un reflet de parfum ;
l’heure n’est plus du long émoi défunt,
mais sachez-le : mes larmes répandues,
amère pluie, ont en moi fécondé
d’autres moissons. — Ah ! tendresses perdues,
cristal brisé comme une destinée,
roses d’hier !… Mais des roses fanées
voici qu’en moi d’autres roses sont nées.
BERCEUSE
Dormez, enfant. À travers les courtines j’épie
le rythme égal de votre haleine ; la veilleuse
dans la chambre secrète brûle… Dormez, dormez.
L’oreiller de plumes sous votre front se creuse
comme une paume ; devant vos yeux fermés
passent les belles images menteuses…
Peut-être vous souvient-il encore des choses
qui bientôt se dissiperont une à une ?…
Rêvez, enfant, rêvez des jardins immatériels
où luisent de pâles et tièdes lunes,
où s’épanouissent tant de divines roses,
où dansent en rond des anges aux lèvres de miel !
Dormez… Rêvez… Nulle fée brune, blonde ou rousse,
ne lancera sur vous les miracles de sa corbeille ;
les fées sont mortes un beau soir, je ne sais comment.
Ont-elles fui, légères, sur les molles mousses ?
Sont-elles retournées à leur Passé charmant ?
… Mais le Destin vous a baisé sur la bouche.
Dans ses doigts, enfant, dans ses doigts gît votre vie.
Désormais — sachez-le, petite parcelle éphémère —
vous serez un homme parmi les humains ;
vos pas laisseront des sillages d’envie,
vous mordrez à des grappes douces-amères,
vous verrez se disjoindre peu à peu des mains.
Vous apprendrez les aubes, les jours, les crépuscules,
et les nocturnes voix, et les musiques du silence,
et l’étreinte inquiète de notre Occident ;
vous dépouillerez l’arbre de la science,
et tour à tour séduit, ardent, imprudent,
vous chercherez la porte des nouvelles Jouvences…
Dormez, enfant ! Vous déchirerez la brume chaste
pour suivre les bleus feux-follets sous les aunes,
au bord des étangs glauques et pervers ;
et vous vous éprendrez de soleil et d’espace,
et les mille visages de l’univers
dans vos prunelles se refléteront, fugaces ;
vous serez vainqueur et vous serez esclave :
vous embarquerez sur la nef de joie,
cette nef sans pilote et sans avirons
dont la houle caresse les parois étroites ;
des désirs en vous soudain glisseront,
pareils aux reptiles qu’un charmeur déploie ;
vous gaspillerez de vos deux mains prodigues
les fleurs d’avril et les moissons d’automne…
Dormez… Rêvez, petit enfant !
Vous connaîtrez l’effort et puis la fatigue,
et que la gloire saoule aux mille tuniques
a mille charmes décevants.
Et les heures d’hiver, les longues heures givrées
vous diront à l’oreille la mélancolie
cachée derrière le décor.
Sous ses vains masques, l’âme vous sera livrée…
Dormez sans crainte, dormez ! — Alors
votre âme chantera comme un violon triste !
Las pèlerin de l’incertitude
dont les pieds saignent dans la poussière
vous tomberez près d’un seuil inconnu,
et la dernière amante avec sa berceuse funèbre,
petit enfant dormant et nu,
la Mort vous conduira jusqu’aux rives de ténèbres…
Dormez. Vous ne sauriez entendre ces choses,
et ce sont là folles paroles nulles !
— Dormez, ce soir. Rêvez des jardins immatériels
où luisent les pâles et tièdes lunes,
où s’épanouissent tant de divines roses,
où dansent en rond des anges aux lèvres de miel…
DIALOGUE
Se pourra-t-il qu’un jour ressemblant comme un frère
|
NUIT
Mes yeux, vous ai-je bien servis ? Car il vous plaît le voyage terrestre en vous s’est déroulé pour avoir, dans votre eau merveilleuse et ravie, |