Miroir, cause de malheur, et autres contes coréens/Avant-propos

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AVANT-PROPOS

Le présent volume est né de la même idée qui fut à l’origine de mon premier livre : Autour d’une vie coréenne. Lors de la publication de ce dernier, je n’ai pas cru nécessaire d’exposer à mes lecteurs la raison de cette « aventure ». Aventure, en effet, je devais m’exprimer dans une langue qui n’est pas la mienne et que je ne possède pas, je l’avoue, encore à fond. Cependant j’avais une excuse qui ne souffrait d’aucune hésitation : c’était pour moi un devoir, un acte de conscience que de présenter la Corée sans plus tarder au public européen. En faisant connaître au monde le passé glorieux de ce pays et le douloureux présent de ses vingt-trois millions d’habitants, actuellement victimes d’une inqualifiable force brutale, je tenais à apporter ma part de bonne volonté à la compréhension mutuelle entre l’Occident et l’Orient, qui s’impose désormais.

Grande comme la Suisse, l’Autriche, la Belgique, la Hollande et le Danemark réunis, la Corée forme un groupement ethnique distinct. D’ailleurs par sa langue musicale sans aucune analogie avec les langues chinoise ou japonaise, par son alphabet simple mais parfait, elle se distingue nettement des autres pays.

Au cours de sa longue histoire nationale qui remonte à plus de 42 siècles, la Corée n’a jamais cessé de jouer un rôle important tant dans le développement culturel que dans la vie politique d’Extrême-Orient. Aussi a-t-elle tenu et tient-elle toujours dans sa main la seule clef de tous les problèmes de cette partie de notre pauvre Terre.

Que l’histoire d’un peuple soit avant tout l’histoire de ses contes et ses chansons, voilà ce que celle de la Corée justifie pleinement tant les contes et les chansons coréens reflètent la vie coréenne.

Ils nous parviennent à travers les siècles par les bouches des paysans aussi ignorants que crédules. Pour les recueillir il faudrait aller vivre parmi ces paysans qui pour s’égayer et s’amuser ne se lassent jamais, surtout dans leurs longues veillées laborieuses d’hiver, de contes innocemment renouvelés et enrichis selon les verves fantaisistes du conteur. C’est justement dans ces contes de paysans, gens simples et sans artifice, image de la Corée toute pure, que nous pouvons voir revivre, en un moment, la Corée millénaire et que nous retrouvons sa vieille morale, ses vieilles croyances, ses mœurs et son amour inné de la justice. Dans une famille l’autorité paternelle est absolue, comme celle du Roi sur son peuple. Cependant au-dessus des lois les plus respectées, il y a la loi Éternelle. Voyez dans ces contes, Dieu intervient à chaque instant pour protéger les honnêtes gens et punir les méchants. Son influence se devine partout même quand il n’est pas nommé. Certes, les superstitions et les mystères y abondent comme d’ailleurs dans tous les contes de l’humanité primitive.

Le présent volume ne représente en somme qu’une infime partie de ces innombrables contes coréens que j’ai entendus dans mon enfance et que tout Coréen, sans doute, doit avoir entendu d’une façon plus ou moins fantaisiste. C’est en fouillant les souvenirs lointains de ma tendre enfance, en effet, que j’ai composé le présent recueil. Je dis bien « composé », car je ne me suis servi d’aucun texte, pour la bonne raison qu’ils n’en ont point. Cependant quelques uns d’entre eux ont une tradition écrite. Mais ceux-là mêmes, je les tiens oralement de ma grand’mère. Pour les autres, j’en tiens de mon oncle, brave paysan à la verve si fougueuse, de mon maître d’école aux traits si sévères qui nous faisait souvent répéter son histoire de la veille. Mais c’est surtout de ces nobles « vagabonds » érudits qui sont nombreux, au soir de leur vie, à parcourir le pays et dont la présence dans le salon de mon père était continuelle, que j’ai entendu des histoires captivantes. Certes, je n’ignore pas qu’il y a une foule de contes coréens qui sont beaucoup plus intéressants que ceux du présent recueil, mais faute de les avoir connus je ne puis que regretter de ne pouvoir faire mieux.

Il ne me reste plus maintenant qu’à implorer l’indulgence de mes lecteurs pour toutes les lacunes qu’ils y trouveront.

Paris Juillet 1934.