Miroir, cause de malheur, et autres contes coréens/Sanga-Singmou-Loïnkoc

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SANGA-SINGMOU-LOINKOC

Sung-Jong fut un grand Roi qui honore l’histoire de la Corée. Ce Roi avait un tel souci du bien-être de son peuple qu’il voulait à tout prix se rendre compte, en personne, de la santé et de l’opinion de ses sujets.

Aussi faisait-il souvent des tournées secrètes dans les villes et dans les campagnes. Et grâce à ses habiles déguisements il fréquentait sans être connu tous les milieux sociaux du pays.

Ce fut au cours d’une de ses sorties secrètes dans la banlieue de sa capitale, qu’il entendit le bruit d’une étrange gaieté sortir d’une pauvre chaumière isolée. Il s’en approcha aussitôt pour mieux écouter, et par le trou d’une fenêtre en ruine, il vit sangloter désespérément un vieillard assis devant une table minuscule chargée d’une grosse cruche pleine de vin. Près de lui, tandis qu’un homme en deuil fredonnait gaiement des airs joyeux, une charmante bonzesse[1] dansait gracieusement

Poussé par sa curiosité, il entra dans la chaumière et pria le maître de bien vouloir lui dire la raison de cette « gaîté triste ».

— « L’homme que vous voyez là en deuil, répondit le vieillard d’une voix mélancolique, est mon fils, et cette jeune femme à la tête rasée est ma bru. À l’occasion de mon soixante-dixième anniversaire ma bru a vendu ses beaux cheveux à un perruquier, faute d’autres moyens, pour m’offrir aujourd’hui un vin d’honneur. Or les gestes de mes enfants m’ont tellement touché que je n’ai pu empêcher mes larmes de tomber. C’est pour dissiper ma tristesse que mon fils chante et ma bru danse ! » termina-t-il en fondant de nouveau en larmes.

Le Roi fort ému par cette scène, rentra aussitôt dans sa capitale. Et il convoqua immédiatement au Palais-Royal ces trois braves malheureux et leur fit un très riche don sous le titre de « vertu filiale ». Ce n’était pas tout, le Roi voulut que ce prix eut un retentissement national. Il ordonna l’ouverture d’un concours extraordinaire de Mandarins, auquel il donna lui-même le sujet suivant :

« Sanga-Singmou-Loïnkoc », ce qui peut-être traduit ainsi : « Le chant joyeux d’un homme en deuil et la danse gracieuse d’une bonzesse charmante provoquaient les larmes compatissantes d’un vieillard ému. »



  1. Bonzesse : prêtresse bouddhiste qui se distingue des autres femmes par sa tête rasée.