Moïse Joessin/07

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L’auteur éditeur (p. 48-52).

ÉPITAPHE

Ci-git Joessin, de la Pinière,
Qui dort en son dernier repos.
N’insultez pas à sa poussière,
Elle frémirait sur ses os.

Et son vieux corps, hargneux et digne,
De sa main, qui tant étouffa
De gargotons, vous ferait signe
Vers la « vallée à Josephat. »

Ce serait pour faire comprendre
Qu’il vous espère et vous attend.
Le jour que renaîtra sa cendre,
À l’heure du grand jugement.

C’est qu’il ne connut pas la crainte,
Le brave, durant son vivant ;
Il ne proférait pas de plaintes,
Dans sa misère, aux quatre vents.


Ne croyez pas que je badine,
Il ne souffrait rien à demi ;
La mort, et le froid sans cuisine,
Il les appelait ses amis.

Notre univers et ses déboires
Il les bravait tous réunis.
N’insultez pas à sa mémoire,
Il s’en prendrait à l’infini.

Il appelait colère sainte,
Celle qui l’aidait dans ses maux.
Il l’arrosait d’un peu d’absinthe,
En s’escrimant dans des gros mots.

Et c’était plaisir de l’entendre,
Dans son hangar, le soir, tout haut,
Prier d’un ton qu’il voulait tendre,
En s’adressant au dieu Très Haut :


Ô grand Manitou, je t’adore
Pour ces bons poings qu’tu m’as donnés,
Et pour ton enfer qui dévore
Le diable avec tous ses damnés.

Car y en aurait trop sur la terre
Si tu n’les fourrais pas dans l’feu.
Brûlez, grillez les restaquouaires ;
Merci, Seigneur ! merci, mon Dieu !

Grand Manitou, c’est toi le juste,
Je t’aime malgré mes défauts.
Ton diable qui me tarabuste,
Que j’le voie et, vlan, sur l’ciboulot !

Oui, que je l’voie et qu’il m’arrive,
Je l’étripe et je le pourfends ;
Je lui sors la « forsure » tout’vive,
J’l’abomine avec ses enfants !


Ah ! l’cochon d’lucifer borgne !
Le loucheux, l’hypocrite noir,
C’est lui qui pousse les ivrognes
À boire le long des comptoirs !
Pourtant c’est mieux qu’d’être hypocrite
Et qu’ceux qui r’vendent notre Seigneur Jésus !
Rac’de vipères qui s’abrite
Sous ton nom pour cracher dessus !

C’est ça leur fiel et ton calvaire
Où tu les croyais ignorants.
J’sais ben leur jeu, moi, les vipères
Qui mordent les agonisants !
J’suis l’gueux, mais j’t’offre ma prière
Et mes bras pour tuer l’démon…
Quand j’ai soif, j’prends d’la bière
Et souvent j’la prends en ton nom.


Quoi ? C’est pas trop mal, il m’semble,
Quand j’prends rien, j’pense à toi pareil.
Des fois j’ai faim, qu’j’en tremble
Et j’sens venir le grand sommeil.
Seigneur, p’t-être ben que j’suis indigne,
Il vaudrait mieux dormir encor.
J’entends un’voix qui m’fait signe…
Dieu, j’vous aimerai jusqu’à ma mort !