Modèles de lettres sur différents sujets/Auteurs

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CARACTERES
DES AUTEURS
Les plus connus dans le Genre Epistolaire.



IL seroit peut-être utile au progrès de l’Art de ne de le pas considérer dans un seul Pays, mais de le contempler successivement dans tous les temps & dans tous les lieux. Dans les Lettres de Ciceron, par exemple, de cet homme qui fut le Pere de la Patrie & le Prince de l’Eloquence, on verroit la Nature belle de sa seule beauté ; elle se montreroit plus ornée, & un peu gâtée par le fard sous le pinceau brillant de Pline le jeune ; à peine la reconnoîtroit-on à travers le jargon philosophique & pédantesque du sententieux Seneque. Elle reparoîtroit ensuite sur les traces de la Philosophie, mais sans faste & sans affectation, marchant entre l’enjouement & l’amitié, dans les Lettres de Swift & de Pope. Celles de Gellert la feroient voir donnant la main au badinage, & alliant Fesprit au sentiment, dans un Pays où l’érudition seule & le pédantisme sembloient avoir des autels.

Ce plan, tout agréable qu’il pourroit être, seroit ici hors de sa place : mon devoir est de parler uniquement des principaux de ceux dont j’ai emprunté les modèles que je cite.

Balzac & Voiture ont tout deux écrit des Lettres : tous deux ont vécu à peu près dans le même temps, & ils ont été tous deux de l’Académie Françoise. Le premier fut un homme éloquent ; notre Langue lui doit cette harmonie, ce nombre dont on ne la croyoit pas susceptible avant lui. Le second fut récherché des personnes les plus considérables de son temps, à cause de son talent frivole que l’on confond si souvent avec l’esprit, & qui consiste à donner un certain air de finesse aux choses les plus simples. Balzac mourut à Angoulême, sa patrie, le 18 Février 1673. Voiture étoit déjà mort à Paris, le 27 Mai 1648, âgé de 50 ans.

Je ne parle point ici de leurs Lettres : j’ai dit ce que j’en pensois. Je laisse à ces Auteurs frivoles qui prennent une antithese pour une vérité, le soin d’en faire un parallele exact & suivi : il ne faut comparer les talents entr’eux que par rapport à l’utilité des Arts ; & il est avantageux pour le Genre Epistolaire que Balzac & Voiture soient peu connus.

Il est avantageux tout de même, que Guy-Patin ne le soit pas. On nous a donné ses Lettres en cinq volumes ; il n’y en a pas une de bonne. C’est un Médecin qui parle sans cesse de ses malades, ou un Pédant qui cite à tout propos, sans choix, & sans goût. Si elles ont été lues avec avidité pendant un temps, c’est qu’elles contiennent, dit l’Historien du Siecle de Louis XIV, des nouvelles & des anecdotes que tout le monde aime, & des satyres qu’on aime davantage. Elles ont paru revivre à la chûte des Jésuites. On y savouroit quelques détails, quelques traits de malignité qui s’y trouvent répandus contre ces Religieux, nommés par lui les Peres passe-fins. Mais cette vie d’un instant ne paroît pas devoir se ranimer jamais. Guy-Patin, né en 1601, exerça & professa la Médecine à Paris, où il mourut en 1672.

Boursault naquit à Mussy-l’Evêque[1] en 1638, & il mourut à Montluçon le 15 Septembre 1701. Ses Comédies lui ont fait un certain nom, & on les joue encore quelquefois : mais ses Lettres, écrites presque toujours sans naturel & sans goût, ne sont plus guere lues qu’en Province, où l’on rit encore des gros bons mots, dont il cherchoit à amuser l’Evêque de Langres.

Les Lettres de M. de Bussy Rabutin sont beaucoup plus estimées, & avec raison. L’on y trouve toute la politesse d’un courtisan, & toute l’élégance d’un homme d’esprit. L’art s’y montre peut-être un peu trop, & dans une Lettre il n’est guere à sa place. Cet Ecrivain, né en Nivernois le 3 Avril 1618, mourut à Autun le 9 Avril 1693. On l’a comparé à Ovide ; il fut connu comme lui, par son esprit & par ses malheurs.

M. Flechier, Evêque de Nîmes, nous a laissé deux volumes de Lettres. Il naquit à Perne, petite Ville du Comtat d’Avignon, le 1 Juin 1632, & mourut le 16 Février 1710. Il réussit mieux dans le genre élevé que dans le Style Epistolaire. Son Oraison funebre de M. de Turenne est un chef-d’œuvre où il a presque égalé le grand Bossuet. Ses Lettres paroissent toutes jettées au même moule ; ni légéreté dans le style, ni finesse dans les pensées ; ce sont des phrases qui ne finissent plus, & toujours des moralités à perte de vue ; en un mot, c’est moins un homme d’esprit qui parle, qu’un Evêque qui écrit un Mandement.

On a recueilli en six volumes les Lettres de Jean-Baptiste Rousseau, le plus grand & peut-être le seul Poëte qu’ait eu la France, à prendre ce terme dans sa plus étroite signification. Je ne dirai pas qu’elles soient des modeles dans leur genre ; le génie mâle & ferme de ce grand homme ne se plioit pas à ce ton aisé, badin & si souvent minutieux, qui a immortalisé Mme. de Sevigné ; mais on y trouvera de la correction dans le style, du choix dans l’expression, de la justesse, de la netteté dans les pensées, & de la chaleur dans les sentiments ; on y apprendra à s’intéresser pour un homme dont le cœur ne fut jamais tel que l’a peint la calomnie, & qui fut plus malheureux que coupable. Il mourut à Bruxelles en 1741.

M. Racine le fils a donné au Public les Lettres de son Pere, de cet homme le plus éloquent que je connoisse, si le grand art de bien dire ne consiste qu’à remuer les passions, & à faire passer dans l’ame des autres, les sentiments dont on est pénétré. Ce Recueil est composé de trois parties. La première contient des Lettres écrites pendant la jeunesse de l’Auteur. Elles sont faites avec beaucoup d’esprit, & l’on y remarque déjà cette exactitude, cette élégance, qui caractérisent si bien les vers du premier de tous les Tragiques, au jugement du cœur & du sentiment. Les deux autres parties du recueil forment un tableau bien intéressant pour un esprit philosophique. C’est un ami qui épanche son ame dans celle de son ami ; c’est un pere de famille qui instruit ses enfants ; c’est un grand homme de Lettres qui est en même temps un excellent citoyen, & qui fait allier au génie, ce qui ne l’accompagne pas toujours aujourd’hui, le respect pour la Religion, la Patrie & les mœurs.

Le Journal du voyage de Siam est écrit en forme de Lettres ; on peut le lire avec avantage. L’Abbé de Choisy y a tout-fait bien attrapé ce ton du Style Epistolaire, qu’on est toujours sûr de manquer quand on ne cherche qu’à faire des phrases.

L’Abbé de Guasco nous a donné les Lettres familieres de M. de Montesquieu ; elles sont presque toutes au dessous de la réputation de ce grand homme. On n’y retrouve, ni la touche mâle & fiere de l’Esprit des Loix, ni le pinceau délicat des Lettres Persannes.

Nous avons quatre volumes de Lettres de M. Caraccioli. Elles sont en général assez foiblement écrites ; mais on y respire la morale la plus pure, & l’on y rencontre ça & là quelques anecdotes amusantes.

Outre les Ecrivains dont je viens de parler, il y a encore plusieurs femmes dont les Lettres sont imprimées. Il faut avouer qu’en général elles saisissent mieux que les hommes ces tours aisés, badins & négligés qui rendent si bien le sentiment & la plaisanterie : cela vient en partie de cette mollesse où elles sont élevées, & qui les rend plus propres à sentir, qu’à penser[2] ; en partie aussi de ce qu’elles cherchent moins à bien écrire, dans la persuasion où nous les entretenons, que pour plaire, elles n’ont qu’à parler ; & l’on sait que vouloir montrer de l’esprit, c’est le grand secret pour en avoir peu.

Voilà ce qui fait tort au petit nombre de Lettres que nous a laissé Madame la Marquise de Lambert : elle écrit avec élégance ; mais elle sacrifie un peu trop le naturel & le sentiment à l’envie de dire de jolies choses : son style a je ne sais quoi d’apprêté & de recherché : ses Lettres sont pensées, ce n’est pas un défaut, mais elles le paroissent, & voilà le mal.

Je ne parlerai que de Mme. de Sevigné, & de Mme. de Maintenon. Les Lettres[3] de Mme. Dunoyer ne méritent pas qu’on s’y arrête. Ce n’est qu’un ramas assez insipide d’anecdotes apocriphes, de contes ridicules, d’avantures romanesques, où la bienséance & les mœurs ne sont que-trop souvent révoltés.

Les Lettres de Mme. de Maintenon sont écrites avec exactitude, mais elles ne sont marquées à aucun caractère bien particulier. Toute femme de bon sens qui se seroit trouvée dans les mêmes situations, auroit écrit tout aussi-bien. En général ses Lettres font honneur à sa piété & à son cœur ; & c’est bien le plus bel éloge. On en avoit donné d’abord une édition en deux volumes ; il falloit s’en tenir là : le reste ne se liroit pas, si l’on n’y trouvoit de loin en loin, quelques détails sur la Cour d’un Prince pour lequel on s’intéressera dans tous les temps.

Mme. de Sevigné est dans son genre ce que la Fontaine est dans le sien, le modèle & le désespoir de ceux qui suivent la même carrière. Elle naquit le 5 Février 1626, & mourut en 1696. Je ne dis rien de ses Lettres ; le suffrage des gens de goût en fait beaucoup mieux l’éloge que ne le pourroient faire tous mes discours. Je n’ose pourtant pas en recommander la lecture aux jeunes gens. Mme. de Sevigné écrivoit à sa fille tout ce qui se passoit à Paris. Elle ornoit ses Lettres d’historiettes & de bons mots, dont quelques-uns, en faisant sourire l’esprit, peuvent alarmer la modestie ; & l’on ne sauroit trop étendre les bornes du respect que l’on doit à ce premier âge[4].

Il seroit peut-être propos de parler à présent de ceux qui ont fait des ouvrages dans le goût de celui que je présente au Public. Je dirois, par exemple, que dans le Secrétaire de la Cour[5] les modèles qu’on propose sont en général assez mal choisis, qu’ils manquent d’arrangement, & qu’on a plutôt cherché à compiler un gros volume, qu’à faire un bon livre. Je dirois que les Lettres recueillies & publiées par Richelet commencent à être trop anciennes, que le goût n’a pas toujours présidé à son travail : … mais je n’aime pas un Auteur qui commence son ouvrage par censurer ceux qui ont travaillé sur le même plan que lui. Je crois voir un Charlatan qui décrie la drogue de son voisin, afin d’accréditer la sienne. Il me faudroit ensuite ajouter que j’ai suivi une route toute opposée ; que j’ai vu les défauts, & que je crois les avoir évité ; qu’on trouvera ici de meilleurs modeles, plus d’ordre & plus de précision. Voilà ce que je pourrois dire ; mais cela n’est pas décent de faire soi-même son éloge.

J’ai voulu être utile, c’est ce qui m’a fait entreprendre ce Recueil ; c’est aussi tout ce que je dirai à mon avantage. Puisse un motif si raisonnable animer de même tous les Auteurs ?



  1. Petite Ville de France en Bourgogne, sur la Seine.
  2. Le style des Femmes, qu’on vante tant, n’a de mérite qu’à cause de notre ignorance. Vous, Messieurs, qui avez étudié le langage de la Poésie, du Barreau, &c. il vous vient, malgré vous-mêmes, au bout de la plume ; une expression que vous ne cherchiez pas ; en sorte que chaque style peut se trouver confondu dans ce que vous écrivez ; mais moi, qui ne sais rien, l’expression du cœur est toujours celle qui se présente. Lettre d’une jeune Veuve.
  3. Le premier volume de ces Lettres fut fait par un homme d’Avignon, nommé de Bastide. Je ne sais qui a fait les autres.
  4. Maxima debetur puero reverentia.
  5. On a fait en 1759 une nouvelle édition de cet Ouvrage : Voici ce qu’en dit l’Auteur des Annales Typographiques : « Dans un Avertissement qui est à la tête, on rend compte des avantages que cette nouvelle édition a sur les précédentes. Ce n’est sûrement pas dans la seconde partie ; on y trouve des modeles de Lettres plus propres à corrompre le goût qu’à l’épurer. » Ann. Typograph. Janv. 1761.