« Les bains sont la ressource suprême des médecins. »
Ce vieil adage n’a encore aujourd’hui rien perdu de sa
valeur pratique, bien au contraire : en voyant tous les
étés une innombrable foule de gens fatigués, énervés,
malades, prendre le chemin des stations balnéaires pour
y retrouver l’équilibre nerveux, le calme et la santé,
on doit se dire que la médecine moderne, toute puissante
qu’elle est devenue, n’a pu, pour combattre les
maladies chroniques, mieux trouver que la docte et
poétique école de Salerne, et que probablement, pour
toujours, un grand nombre de maladies invétérées et
chroniques resteront tributaires des eaux minérales et
des bains. C’est en effet un fait authentique, qui se passe
tous les jours sous nos yeux, qu’une maladie qui a résisté
opiniâtrement à tous les efforts du traitement le plus
rationnel, le plus scientifique, cède au bout de quelques
semaines à une cure d’eau minérale : un estomac bombardé
infructueusement, pendant des années peut-être,
par la rhubarbe et le séné, le quassia et le magister de bismuth, consent à reprendre son utile office sous
l’action d’une eau alcaline ou chlorurée ; le rhume
le plus tenace, que ni Guyot ni Géraudel n’ont pu déconcerter,
s’évanouit sous l’effet de la douche et d’une série
de gobelets d’eau d’Ems ou de Vichy. Ces faits de cures
presque merveilleuses, obtenues par un séjour aux eaux,
sont très nombreux et à l’abri de tout soupçon. Depuis
les temps les plus reculés, en effet, jusqu’à nos jours,
les savants ont continuellement pu les enregistrer. L’explication
de ces effets surprenants a vivement préoccupé
les esprits ; mais l’interprétation n’en a pas manqué
d’être aussi variée que singulière, selon les différentes
époques de la civilisation.
Dans notre situation actuelle, où les sciences naturelles
illuminent d’un si vif éclat tant de choses obscures
pour nos devanciers, il n’est pas superflu de jeter
un coup d’œil sur les siècles passés. La science balnéaire
est vieille comme le monde : on l’a pratiquée bien longtemps
avant qu’on ait eu la moindre notion du thermomètre,
du microscope et de l’analyse chimique ; car
l’homme, aux époques les plus reculées de l’histoire,
était avant tout l’esclave de la nécessité, du besoin,
et il tâchait de retrouver la santé par tous les moyens.
La balnéation fut donc, à ses débuts, une médication
tout à fait empirique ; elle s’est développée des origines
les plus humbles, en se basant sur des faits qu’un simple
hasard avait mis en évidence.
Les peuples classiques de l’antiquité, les Grecs
surtout, dont le goût esthétique fut si prononcé, si
délicat, attribuaient aux éléments une grande influence sur la santé. Comme le feu devait, en détruisant le cadavre,
épurer l’image de la mort et enlever à la vue
le spectacle odieux de la décomposition, ainsi l’eau devait
assainir le corps vivant, le fortifier, l’embellir. Les bains
faisaient donc partie de l’hygiène journalière. De là il n’y
avait qu’un pas jusqu’aux bains de rivière et aux douches
lancées par les vagues écumeuses de l’Océan, qui entoure
de tous côtés la patrie hellénique. Lycurgue obligea les
guerriers de Sparte à se baigner dans l’onde froide de
l’Eurotas, dans le but déterminé de les endurcir et de
les rendre insensibles aux intempéries des saisons. Quand
plus tard vint Hippocrate, dont le génie résume, avec
les expériences du passé, toutes les forces du raisonnement
philosophique de son époque civilisée, il existait
déjà une science balnéaire, du moins le père de la
médecine fournit le premier exemple d’un patient, envoyé
aux eaux avec ce qu’on appelle aujourd’hui une indication.
Il s’agissait d’un citoyen d’Athènes qui souffrait
depuis des années d’un eczéma général avec un énorme
épaississement de la peau. Hippocrate lui conseilla de
faire usage des eaux thermales de Mélos dans l’île
d’Eubée. Le malade revint parfaitement guéri.
Pour le reste, les eaux minérales se trouvaient sous
le haut patronage des dieux petits et grands, et c’était
à Hercule, à Esculape qu’on rendait grâce de la guérison
obtenue par leur emploi.
Les Romains héritèrent, lors de la décadence hellénique,
et des arts et des sciences du peuple grec. Ils
développèrent la balnéation à un degré extrême, surtout
au point de vue technique. Leurs aqueducs, leurs gigantesques thermes en ruines provoquent encore aujourd’hui
notre admiration, et nous payons un juste tribut
à leur mémoire, en installant sous le nom de bains romains
des établissements munis de toutes les perfections
que la science et le luxe peuvent conseiller. On y a même
fait revivre les anciennes dénominations, de frigidarium,
calidarium etc. Le grand luxe dans les installations balnéaires
fit son apparition surtout sous les empereurs ;
il fut porté au loin par les expéditions militaires, dans
les Gaules, en Germanie et jusque dans la Grande-Bretagne.
Partout’ où les Romains rencontraient sur leur
route des sources thermales, ils en faisaient usage,
de même qu’ils avaient le plus grand soin de rechercher
pour leurs camps et pour leurs stations les meilleurs
sources d’eau potable. C’est ainsi que nous trouvons
des traces de leur passage à Plombières, à Aix en Savoie,
à Aix-la-Chapelle, à Bertrich, à Wiesbaden, Ems
etc. C’est aussi du temps des empereurs romains que
commença aux bains, mais surtout aux bords de la mer,
cette vie luxueuse qui fit réunir dans ces lieux de
plaisir les désœuvrés et les puissants de la capitale du
monde. Les satires de Martial nous ont conservé le tableau
de la vie d’été à Baies, le Trouville de ce temps là,
qui fut pour Horace l’endroit le plus délicieux de toute
la terre. Il n’y a donc eu, encore sous se rapport, rien
de nouveau sous le soleil !
Ce dévergondage effréné des mœurs se renouvela
au moyen-âge, au XIVe et au XVe siècle. C’étaient
surtout les bains d’Allemagne qui offraient ce curieux
spectacle, dont une lettre du fameux Florentin Poggio à son ami l’Arétin, a tracé l’histoire. D’ailleurs, le
moyen-âge n’a apporté rien de nouveau à la médecine,
sauf ses idées mystiques. Comment notre science eût-elle
pu avancer alors que la chimie s’amusait à découvrir
l’art de faire de l’or, et que la jurisprudence travaillait
avec un zèle digne d’une meilleure cause à révéler aux
juges un moyen de reconnaître l’affreux crime de sorcellerie ? Les pratiques médicales de ce temps étaient
tout aussi grotesques : à Carlsbad par exemple, on ne
buvait point d’eau ; mais il fallait rester pendant plusieurs
heures au bain, jusqu’à ce que, grâce à l’irritation produite
par les sels, la peau fût entièrement couverte d’éruptions
et d’ulcérations. Cela s’appelait la «Fresscur» (cure
rongeante), et le patient n’était content que quand il
avait vu apparaître ces signes indubitables de l’action de
l’eau.
Depuis la Renaissance, surtout grâce aux études
anatomiques, remises en honneur par Vésale et ses successeurs,
l’emploi des eaux devint un peu plus judicieux.
Ainsi nous voyons Jean d’Albret, le grand’père
d’Henri IV, conduire ses Béarnais, blessés à la bataille
de Pavie, aux eaux de Barèges, qui ont depuis gardé
leur renom pour le traitement des blessures guerrières.
Vers le milieu du XVIIe siècle, la découverte du
sulfate de soude (sel admirable de Glauber), du bicarbonate
de soude, ainsi que de l’acide carbonique (gaz
sylvestre de Van Helmont), puis enfin la découverte de
la circulation du sang par Harvey, imprimèrent quelque
mouvement à la science balnéaire. Pourtant la cure aux
eaux présentait bien des côtés étranges, qui nous font rire aujourd’hui quand nous en lisons les détails dans
les lettres de Mme de Sévigné ou de Boileau. Ce dernier
devait faire à Bourbonne une cure contre une extinction
de voix, et il écrivit de cet endroit une lettre
fort pitoyable à son ami Racine. Rien que pour être
préparé à la cure, le malheureux auteur de F Art Poétique
dut subir trois saignées, sans compter les vomitifs
et les purgatifs réitérés. Aussi eut-il une demie-douzaine
de syncopes dans une seule journée ! Ajoutez à
cela les innombrables gobelets qu’il devait avaler, et
vous avouerez que le grand œuvre malmenait parfois
fort étrangement l’image du bon Dieu ! C’est cependant
le siècle de Louis XIV qui a remis les bains en honneur
ou plutôt en vogue ; parce que les grands de la
cour, à la suite des princes, prenaient l’habitude d’aller
faire tous les ans une saison aux eaux pour y guérir
leurs dyspepsies et leurs rhumatismes. Mais ce qu’on doit
bien plus aux souverains bourbons, c’est d’avoir organisé
le côté scientifique des bains par la nomination de
médecins-inspecteurs, qui devaient veiller à ce que les
pratiques et les traditions restassent dans le domaine de
la science.
De nos jours, la balnéologie, on peut le dire, est
tout autre chose que ce qu’elle était auparavant. Depuis
le commencement du siècle un puissant essor s’est mafesté
dans toutes les branches de l’activité humaine, mais
surtout dans le domaine des sciences, et la médecine a subi
un changement immense et atteint une perfection inattendue,
de sorte que la balnéologie est aujourd’hui
basée sur des expériences physiologiques aussi positives que celles qui étayent les différentes spécialités de
l’art de guérir. À la place d’influences mystérieuses, occultes,
nous trouvons aujourd’hui des agents chimiques et
physiques nettement définis et déterminés. La cure aux
eaux rentre dans le cadre des moyens thérapeutiques
généraux et spéciaux. Le médecin des bains aussi a
cessé d’être une espèce particulière de savant : c’est un
confrère qui possède un médicament de plus dans son répertoire.
De plus il a chance de pouvoir traiter son client
dans les meilleures conditions de réussite possibles, à la
campagne, pendant la bonne saison, alors qu’il se trouve
débarrassé du souci des affaires et au milieu d’une existence
confortable, sinon amusante. Il est en outre évident,
qu’en s’occupant plus particulièrement d’un certain genre
de maladies revenant avec une fréquence extraordinaire
à sa station, le médecin doit acquérir une expérience
plus parfaite, plus étendue de ces cas ; il devient en
quelque sorte spécialiste. Cela suffit à déterminer la position
qu’il occupe parmi ses confrères, et à justifier la
confiance qu’il a le droit d’attendre de la part de ceux
qui se sont adressés à sa direction.