Modorf-les-bains/33

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Imprimerie Joseph Beffort (p. 121-140).

La phthisie pulmonaire.

La phthisie est une maladie dans laquelle la thérapie n’a pas encore dit son dernier mot, et où l’avenir nous réserve certainement des perspectives consolatrices que le présent nous offre avec une regrettable parcimonie. Il n’y a que cinq ans en effet, que le professeur Koch de Berlin a pu démontrer que c’est un bacille spécial dont la végétation détruit les éléments cellulaires envahis, qui est la cause première des ulcérations pulmonaires déjà bien connues et définies par le vieil Hippocrate, et qui constituent, avec le cortège de la consomption, de la fièvre, de la bronchite etc., la lésion anatomique et l’image clinique de la phtisie.

Nous connaissons dès à présent l’objet pathologique que doit viser la thérapie, et il est permis d’espérer que, comme pour les maladies septiques, tout aussi répandues que meurtrières, comme pour la rage, il se trouvera un Lister, un Pasteur, qui saura, en profitant des travaux de ses savants prédécesseurs, trouver le moyen de combattre ce funeste champignon qui a déjà moissonné tant d’existences.

Nous nous trouvons donc en face d’une maladie contagieuse ; mais il faut s’empresser d’ajouter que tous ne sont pas également sujets à la gagner. Si, d’un côté, la découverte de Koch a beaucoup enlevé de la fatalité qui semblait jusqu’ici peser sur certaines familles et sur certaines individualités d’un type spécial, il n’est d’autre part point permis de méconnaître les renseignements fournis par la statistique. Celle-ci démontre indubitablement que certaines organisations, certaines configurations défavorables du thorax, prédisposent à la maladie, tandis que des maladies pulmonaires déterminées, la rougeole, la coqueluche, créent un terrain favorable pour le développement des germes animés qui détruiront plus tard le poumon.

Depuis la découverte du bacille de la tuberculose, nous avons fait un grand pas en avant ; c’est notamment la thérapie préventive qui profite de la lumière plus vive qui vient d’éclairer cette question importante. La prophylaxie de la tuberculose devra s’étendre particulièrement sur trois objets :

1. L’homme malade et les produits morbides. Quand on réfléchit qu’un crachat phthisique renferme une centaine de bacilles, qu’il est prouvé que ces germes supportent parfaitement la dessication sans être détruits, il est évident qu’il faut rendre ces produits stériles et empêcher qu’ils ne se transforment en poussière infectieuse qui peut contaminer des poumons sains. Tout médecin, qui a quelque pratique, pourra facilement se rappeler des cas où un époux a été contaminé par l’autre, où, sans le moindre doute, des membres différents d’une famille ont été successivement atteints du même mal. On est donc obligé d’admettre que la localité habitée par un phthisique devient la source de l’infection, tout aussi certainement qu’un puits, infecté par le virus de la fièvre typhoïde, fait rayonner le mal partout où son eau est consommée. On s’explique de cette façon comment il arrive que certaines localités, surtout là où les habitations sont exiguës et mal entretenues, se distinguent par un chiffre exorbitant de cas de tuberculose.

2. La race bovine partage avec l’espèce humaine le triste privilège de cette maladie. Malgré les abattoirs, et les règlements d’hygiène, qui doivent régir leur exploitation, la chair de bêtes tuberculeuses est parfaitement livrée à la consommation. On n’enlève que les produits macroscopiques, les glandes bronchiques et mésentériques infiltrées. Pourtant la chair musculaire renferme bien le poison animé, et si on se l’incorpore sous forme de « bifteck saignant », la température de 60°, (le maximum produit à l’intérieur de la tranche) est incapable de détruire les bacilles. Pour le lait de vaches ; malades, des précautions tout aussi sérieuses devraient être prises : il faudrait le faire bouillir chaque fois qu’on n’est pas tout à fait sûr de la provenance.

3. Il y a la question de l’hérédité. Elle est fort complexe et elle comporte une critique explicative, car il y a ici plusieurs facteurs avec lesquels il faut compter. Nous avons déjà vu que le fait d’habiter une maison, une chambre dans laquelle un malade tuberculeux a vécu pendant un certain temps, peut constituer un réel danger, et exercer une néfaste influence sur d’autres membres de la famille, à moins qu’on ne prenne des précautions, minutieuses. Mais il y a des causes plus intrinsèques, dépendantes de la constitution physiologique de l’organisme. Il est un fait d’observation que le plus grand nombre de sujets, atteints plus tard de phthisie, se distinguent dès leur jeune âge par une vulnérabilité plus grande, par une faible résistance aux influences morbifiques ; beaucoup d’entre eux montrent tous les symptômes du lymphatisme. Les maladies de l’enfance, la rougeole, la coqueluche, les pneumonies, sont fréquemment suivies chez ces personnes de phthisie, les bacilles trouvant sans doute, grâce au catarrhe de la muqueuse bronchique qui accompagne ces états, un terrain propice pour s’y implanter et végéter.

Ailleurs, le virus tuberculeux (bien différent en cela de celui du typhus et de la petite-vérole qui frappe même plus volontiers les individus forts) se développe avec une certaine prédilection chez des personnes faibles, mal nourries, cachectiques, etc.

Ensuite, il y a un élément physique dans cette fatale hérédité, c’est la conformation vicieuse, paralytique du thorax, le développement défectueux de l’appareil musculaire qui préside aux mouvements respiratoires. On remarque donc généralement que ce sont les sommets du poumon qui montrent les premiers signes de l’invasion tuberculeuse. Cette circonstance s’explique facilement par le mode respiratoire. On peut très bien comparer le poumon à un accordéon, ce vulgaire instrument de musique, qui serait tenu perpendiculairement et fixé par une main en haut, tandis que l’autre extrémité est mise en mouvement pour faire entrer et sortir l’air. Le courant d’air, produit ainsi, sera des plus forts dans la partie inférieure, et il perdra de sa force au fur et à mesure qu’on approche de la partie tenue immobile. A l’auscultation des poumons, on trouve également que le bruit respiratoire est surtout prononcé à la base, et très faible en haut, imperceptible même chez des personnes qui ont la musculature supérieure du thorax et du cou faiblement développée. La ventilation du sommet ne se fait pas suffisamment dans ces cas, et les produits morbides, contenus dans la poussière atmosphérique, peuvent se déposer et se fixer aisément dans ces parties, tout comme on a, dans un fleuve, un courant rapide au milieu où il y a le chenal, tandis que, sur les bords, où l’eau stagne, les remous laissent déposer le sable qu’elle charrie. Cette circonstance, motivée par ce qu’on appelle l’habitus phthisique, offre un excellent sujet pour la cure préventive. Il faut, dès l’âge le plus tendre, faire faire de la gymnastique aux enfants qui montrent cette conformation, et leur apprendre les différents mouvements qui s’appliquent aux groupes musculaires qu’on se propose de fortifier. Le livre très répandu du Dr Schreber donne des indications fort utiles sous ce rapport, comme du reste, il est recommandable pour tous ceux qui veulent faire de la gymnastique dans l’intérêt de leur santé.

La prophylaxie doit donc commencer de bonne heure, surveiller le développement de l’enfant au berceau, corriger la constitution et remédier à la vulnérabilité, dont l’organisme porte le cachet pendant l’enfance déjà. Il ne faudra pas trop insister sur la fréquentation de l’école, et faire avec beaucoup de discernement le choix d’une profession, d’où l’usage le plus large de l’air libre ne devra jamais rester exclu. On sait que les marins sont singulièrement épargnés par la phthisie, tandis que les tailleurs, meuniers, clercs et domestiques d’intérieur, fournissent la notable proportion de 63% des cas de phthisie dans la classe ouvrière. L’histoire célèbre de Catlin, qui s’est guéri par des voyages au long cours, démontre bien ostensiblement l’influence de l’air. Après le choix d’une profession, viendra la question du mariage, qui est d’une importance capitale, pour la femme surtout. Car la grossesse, l’accouchement et la lactation deviennent bien souvent désastreux pour des mères prédisposées, et sont suivis d’une consomption rapide. Il faudrait donc diriger les mariages avec une circonspection extrême, et, en tout cas, ne les autoriser qu’après 25 ans révolus, après que le temps du plus grand danger est passé. Si cependant les antécédents de famille donnaient lieu à des prévisions particulièrement alarmantes, la résignation au célibat serait impérieusement indiquée. Qu’on se rappelle par quelles mesures hygiéniques draconiennes, par quels sacrifices individuels le moyen-âge est arrivé à éteindre un des plus terribles fléaux de l’humanité, la lèpre ! Il est vrai que, dans ces temps éloignés, la foi jetait son voile compatissant sur les victimes, tandis que notre génération, pleine de passion et d’égoïsme, ne veut plus sacrifier à rien, pas même à la raison.

Le but de cette publication n’est cependant pas de discourir sur l’étiologie de la tuberculose et sur les moyens de la prévenir ; il nous incombe plutôt d’envisager la question par rapport à l’individu qui a eu le malheur de devenir phthisique, et qui demande à la science qu’elle lui fournisse les moyens de sauver son existence menacée. Peut-on guérir de la phthisie, et le séjour à Mondorf peut-il y contribuer ? Nous avons le droit d’affirmer l’un et l’autre, et fort heureusement nous pouvons produire les preuves vivantes de notre assertion. Si l’on nous demande ensuite combien de pour cent nous pouvons guérir, quelles sont, dans le cas spécial, les indications pour Mondorf, si c’est à la première, à la deuxième ou à la troisième période qu’on peut obtenir un résultat favorable, nous déclinons volontiers notre compétence de répondre d’une manière satisfaisante à ces questions. Dans l’état actuel de notre savoir et de notre pouvoir thérapeutique, un pronostic infaillible ne peut être établi. Tout ce qu’on peut dire, c’est que Mondorf réunit un si grand nombre de moyens applicables au traitement de la tuberculose, qu’il est permis d’en espérer la guérison, si le cas est tel que la guérison est possible. Le cours de cette maladie déjoue en effet singulièrement les prévisions de l’homme de l’art : des cas, n’offrant que quelques symptômes au début, peu prononcés, se terminent par une consomption rapide, tandis que des poumons à moitié détruits, remplis de cavernes, continuent à fonctionner et à prolonger une existence dont les heures semblaient être comptées !

On constate la même marche capricieuse, paradoxale, dans l’évolution de la tuberculose locale, et nous devons bien avouer que nous ignorons les lois et conditions qui rendent un dépôt tuberculeux dangereux pour l’existence, qui lui permettent d’infecter tout l’organisme. Il est en effet fort curieux d’observer la marche d’un dépôt tuberculeux sous la peau, qu’il reste abandonné à lui-même, ou qu’on l’attaque par le raclage, le feu et les caustiques. Quand on s’abstient d’intervenir localement (et c’est là forcément le cas pour la tuberculose pulmonaire), on constate d’abord que le dépôt morbide peut rester indolent pendant fort longtemps. Peu à peu la suppuration réactive y survient. Celle-ci peut durer des mois et des années, si le malade n’est pas emporté entretemps. Opère-t-on au contraire, alors tantôt la destruction du dépôt ne produira pas plus de réaction que celle d’une verrue, d’un athérome, d’un ganglion ; tantôt l’intervention chirurgicale sera suivie, malgré tout, d’infection générale. La tuberculose est donc toujours locale au début, qu’elle provienne d’une infection par la muqueuse bronchique ou par l’enveloppe cutanée, et l’expression de «locale» ne peut que signifier la nuance, caractérisant la situation, la formation d’une colonie tuberculeuse dans des organes accessibles à la vue, au toucher (peau et ganglions lymphatiques) et que l’on peut détruire par les moyens chirurgicaux. J’ai vu parfois de ces dépôts, abandonnés à leurs destins naturels, arriver à la suppuration, et guérir sans la moindre conséquence fâcheuse pour la santé. La suppuration, qui s’y établit tôt ou tard, paraît détruire la virulence spéciale, ainsi que cela arrive pour les bubons suppurés. Le professeur Koch prétend aussi avoir observé que les agents ou microbes de la putréfaction sont capables de tuer le virus spécial du choléra ou d’autres maladies infectieuses. Quoiqu’il en soit, il est un fait authentique, c’est que la nature peut, dans tous ces cas, se tirer d’embarras, et que la chirurgie, détruisant par ses agents les plus énergiques le poison de la tuberculose partout où elle peut l’atteindre, ne parvient pas toujours à enrayer l’absorption du virus dans la circulation générale, se traduisant par la phthisie galopante, la méningite tuberculeuse, qui constituent l’épilogue ordinaire des affections phthisiques localisées dans la peau et dans les glandes.

Il nous est permis de déduire de cette expérience pratique que le traitement médical, l’attention que l’on doit porter sur la constitution, sur l’état général, ont une importance évidente qu’on ne saurait méconnaître ; que la réaction des tissus organiques, leur résistance à la cause morbifique, paraissent décider la question de la guérison bien plus que les mesures de destruction mises en œuvre contre l’élément morbifique. Les autopsies indiquent à l’anatomo-pathologiste que la guérison des lésions phthisiques a été obtenue par la suppuration (respectivement par la cicatrisation) ou par la calcification des dépôts. Les recherches microscopiques démontrent d’autre part que certains corps chimiques ou médicamenteux, les sels de mercure, l’arsenic, l’acide phénique, la quinine, les préparations d’acide salicylique, sont capables de tuer les bacilles tuberculeux, quand ceux-ci sont mis en présence de doses assez concentrées de ces médicaments. On leur a donné en conséquence la qualification de germicides ; mais, si leur puissance est démontrée sur la plaque du microscope dans le laboratoire de l’expérimentateur, il n’en est plus de même quand il s’agit d’essayer leur efficacité contre les éléments tuberculeux, répandus dans le sang ou fixés dans les tissus vivants. Néanmoins, il est reconnu que ces agents chimico-physiologiques exercent un effet très-favorable sur la fièvre, le symptôme capital de la phthisie, et dont la présence ou le manque déterminent le pronostic de la maladie. Que se passe-t-il au fond pendant le séjour de ces substances dans notre organisme ? Agissent-elles sur la fonction physiologique de la calorification, et leur action se borne-t-elle à ramener le thermomètre à 37 ½ ? Agissent-elles, en détruisant les leucomaïnes et ptomaïnes, matières élaborées par la végétation des bacilles, comme l’alcool est engendré par la vie d’un champignon microscopique, qui se nourrit de sucre et transforme celui-ci en une matière excrétoire qui est l’alcool ? Ou bien tuent-elles les bacilles directement ? J’incline pour cette dernière manière de voir, et j’opine qu’il faut, dans tous les cas, donner de fortes doses, les maxima, si possible. Le problème thérapeutique se résume en ceci : Tuer le microbe et ses produits, sans tuer le malade ! Il est un fait que des doses ordinaires ne produisent pas d’effet du tout ; car il faut évidemment que les doses actives obtiennent la destruction certaine du parasite, que cette action soit poussée aussi loin que possible et qu’elle ne soit arrêtée que par l’intolérance manifeste et absolue de l’organisme. Les bourdonnements d’oreille, l’agitation, le catarrhe stomacal aigu, etc, ne peuvent pas valoir pour de véritables contre-indications. D’un autre côté, il faut choisir, pour l’absorption de quantités fortes, d’autres voies que l’estomac, dont l’intégrité n’est pas d’une mince importance dans la réussite. Deux à trois grammes de quinine, 12 à 15 grammes de salicylate de soude, administrés tantôt par la bouche, tantôt par voie de lavements ou d’injections sous-cutanées, sont indispensables, si l’on veut se mettre à la hauteur de la tâche, et ne pas se contenter d’une intervention virtuelle.

Quand je vois de pauvres phthisiques avaler consciencieusement le soir leurs 20 ou 30 centigrammes de quinine, je ne puis m’abstenir de songer à ce brave campagnard qui avait avalé le chiffon de papier, sur lequel le médecin avait couché ses hiéroglyphes ; ce n’est guère plus que le nom d’un médicament que l’on s’incorpore avec des doses pareilles ! L’essentiel du traitement germicide sera donc de prendre des doses efficaces, maximales, et présentées sous une forme qui n’offense point les fonctions digestives.

Je me rappellerai toujours avec un certain plaisir le premier cas de ma pratique. C’était une phthisie typique : Deux sœurs mortes de consomption comme antécédents ; une infiltration étendue au sommet du poumon gauche ; fièvre hectique, amaigrissement, sueurs nocturnes : bref, rien ne manquait au tableau. Le médecin, par trop convaincu de l’inutilité des efforts thérapeutiques, traitait le patient selon la formule : «ut habea aliquid» ce qui fut traduit en pratique par l’ordonnance de l’eau d’Ems avec du lait. Le malade, après avoir constaté l’inutilité d‘un traitement auquel il s’était soumis depuis plusieurs mois, voulut bien se confier à mes soins. C’était en 1874. Je revenais de l’Université, imbu des doctrines optimistes de F. Niemeyer, et bien au courant du traitement antifébrile classique, dont les bases avaient été établies depuis peu par les travaux des Wunderlich, Liebermeister, Bartels, etc., que j’avais traduits pour mon ancien chef de service à l’hôpital de Gand, le professeur Burggræve, qui s’occupait alors beaucoup de la question, au point de vue chirurgical. J’instituai donc ce traitement avec toute l’énergie, toute la confiance fanatique d’un débutant qui ne connaît pas encore les découragements ni les défaillances de la pratique. D’un autre côté, j’avais lu et apprécié les études de Corvisart sur les nutriments, sur l’emploi de la pepsine et des peptones. Si cet auteur n’a pu produire des cas de phthisie guéris par sa méthode, quoique ce fut là son but, il a néanmoins pu prouver qu’il y a moyen de corriger la nutrition si profondément détériorée dans ces cas, et de mettre l’organisme en état de résister mieux aux effets débilitants de la maladie. On peut certainement faire valoir pour bien des cas le dicton, que les phthisiques meurent par l’estomac , et les travaux de Corvisart, marqués au coin d’une modestie toute scientifique, n’ont pas peu contribué aux succès du traitement actuel. J’avais enfin appris à estimer, à l’école éclectique de Vienne, le parti qu’on peut tirer de l’hydrothérapie bien employée, des cures d’eau minérale.

J’appliquai donc, dans ce cas, toutes les mesures thérapeutiques indiquées, qu’elles fussent du domaine de la pharmaco-dynamie, de l’hygiène ou de l’hydrothérapie. Aucune question, même de détail, ne fut négligée. Tout fut arrangé comme si l’on devait réussir. J’eus en effet le bonheur de voir, après un traitement de deux à trois mois, scrupuleusement suivi par le patient, tous mes efforts couronnés de succès.

Si je jette un coup d’œil rétrospectif sur le traitement qu’a subi le patient, lequel aujourd’hui, après 12 ans, jouit encore de la meilleure santé, je ne saurais, pas plus qu’alors, y découvrir quelque chose de spécifique, sinon l’énergie et la persévérance avec lesquelles ont été combattus les différents symptômes. En tout cas, le souvenir de ce patient m’a jusqu’ici empêché de désespérer de cette maladie à pronostic si équivoque, tandis que je vois des confrères jeter l’arme et renoncer à la lutte, dès que le diagnostic est avéré.

Par rapport aux médicaments antiphthisiques, nous devons considérer ici encore l’action des sels calcaires, qui ont été recommandés et employés surtout en Angleterre, et, contre la constitution, sur laquelle la phthisie vient si souvent s’enter, le lymphatisme, et, contre l’affection confirmée elle-même. Le fait, qu’à l’autopsie de personnes qui avaient montré pendant leur existence des symptômes phthisiques, on découvre des dépôts tuberculeux anciens, chargés de molécules calcaires, semblait indiquer ici une tendance médicatrice de la nature, s’opérant par une transformation chimico-physiologique. Bien des praticiens en renom (je ne veux que citer le Dr Benett de Mentone) ont chaudement recommandé les préparations calcaires, qui leur avaient donné d’excellents résultats. À ce titre, l’eau de Mondorf constitue certainement la préparation la plus recommandable : elle contient par litre près de cinq grammes de sels calcaires, tous en parfaite solution et d’une assimilation incontestable. L’opportunité du traitement calcaire, reconnue par les spécialistes, recevrait assurément une consécration plus grande par l’autopsie de personnes qui ont eu la chance de guérir de la phthisie. Malheureusement, par des raisons d’ordre social, il est rare de pouvoir utiliser le contrôle cadavérique, dans les cas où ce serait désirable. J’ai cependant eu la chance d’observer deux cas où la crétilication des lésions tuberculeuses constituait, sans le moindre doute, la guérison, et où celle-ci pouvait être mise en rapport avec l’usage méthodique et longtemps continué de l’eau de Mondorf.

Mlle W., 18 ans, française, d’une constitution délicate, offrant le type classique de ces natures «qui semblent ouïr de célestes accords déjà ici-bas», vint me consulter vers la fin de la saison 1881, pour une Affection phthisique du poumon droit, contre laquelle elle avait en vain essayé les secours de l’art. Le mal avait débuté par une inappétence continuelle, un amaigrissement progressif ; puis étaient survenus une toux sèche, avec un léger crachement de sang, la fièvre, les sueurs ; bientôt enfin ce fut l’image complet de la phthisie. Comme la saison était fort avancée, je conseillai à la patiente de faire un traitement hydrominéral à domicile ; elle devait prendre cinq verres d’eau de Mondorf par jour, et se faire faire des frictions froides tous les matins, pour remplacer les douches hydrothérapiques. De plus, l’ordonnance comprenait des lavements de quinine et l’emploi de la pepsine. J’eus la satisfaction de recevoir bientôt de bonnes nouvelles de ma patiente, et quand je la revis pour la première fois, vers la fin de l’hiver, je fus très agréablement surpris du changement qui s’était opéré chez elle. L’amélioration s’accentua encore davantage pendant l’été, de sorte que peu à peu nos rapports cessèrent, parce que mes soins devenaient superflus. Vers Noël 1885, je fus inopinément mandé auprès de mon ancienne patiente par un très pressant appel des parents. Arrivé au chevet de la malade, je la trouvai moribonde. Voici ce qui s’était passé : Mlle W., depuis la disparition des symptômes poitrinaires, s’était peu à peu fortifiée et jouissait d’une bonne santé. Au commencement de l’hiver, elle attrapa par suite d’un refroidissement accidentel, une violente sciatique, à tel point que les douleurs l’empêchaient de marcher. Un médecin, ignorant tout-à-fait les graves antécédents pulmonaires de la patiente, ordonna un bain chaud, aussi chaud que celle-ci pouvait le supporter, avec sudation consécutive. Le conseil était absolument correct quant au mal, mais néfaste pour la patiente. Elle ne se trouva pas depuis une minute au bain, qu’elle eut une hémorrhagie pulmonaire formidable, la privant de plusieurs litres de sang. Ce fut une saignée à blanc ; de plus, une bronchopneumonie se déclara immédiatement après, et cette affection, se développant dans un tissu qui avait déjà passé par une grave atteinte, ne manqua pas de progresser rapidement vers une issue fatale. Après quelques jours de maladie, l’entourage fut étonné de voir la patiente expectorer avec les glaires des concrétions calcaires d’un volume extraordinaire ; il y avait des boules de la grosseur d’une amande, même d’une noix, et dont la pauvre enfant ne se débarrassait qu’avec les plus pénibles efforts ; ces concrétions pouvaient peser environ 400 grammes. Comme la patiente n’avait pris aucune autre préparation calcaire hormis l’eau de Mondorf, il serait à mon avis difficile de refuser à celle-ci son intervention dans la production de dépôts calcaires aussi considérables, et dont la formation a dû certainement coïncider avec l’usage régulier de cette eau si riche en sels calcaires.

Il conviendrait en troisième lieu d’examiner la question climatologique, puisque des statisticiens prétendent avoir trouvé qu’à une certaine altitude (1500 pieds au centre de l’Europe, 10,000 pieds pour les contrées équatoriales) il n’existait que peu ou point de tuberculose. Ces chiffres n’ont cependant rien de positif et ne supportent pas une critique approfondie. Ils expriment tout bonnement le fait connu que les montagnards, quoique pauvres, vivent dans de meilleures conditions hygiéniques que les habitants de la plaine ; ils sont chasseurs, pâtres, tous métiers qui n’engendrent pas la phthisie. Il y a donc là-dedans plus qu’une question d’altitude ; car les marins et les habitants des bords de la mer montrent aussi une grande immunité à l’égard de la phthisie, malgré qu’ils habitent la plus basse région du sol terrestre. On peut donc admettre, avec la plus grande vraisemblance, que partout où la population est très dense et les conditions hygiéniques mauvaises, la contagion par le virus phthisique sera plus facile, et les causes prédisposantes plus nombreuses et plus efficaces. Les grands centres, Vienne et Bruxelles notamment, se distinguent par une statistique spécialement désastreuse sous ce rapport. Il convient de rappeler à cette place la fondation des Sanatoriums, tels qu’ils existent dans les montagnes du Taunus, à Davos, à la côte de la mer du Nord, à Torquay, à l’île de Wight, etc. On sait que le premier de ces établissements fut fondé à Gôrbersdorf en Silésie, sous les auspices du docteur Brehmer, et en vertu d’un principe mathématique selon lequel il y aurait disproportion entre le volume, la force motrice du cœur et l’étendue des ramifications vasculaires du poumon. La découverte de Koch a fait litière de ces calculs ; mais néanmoins le traitement inauguré par le Dr Brehmer est resté debout et donne encore de nos jours de très bons résultats. Cela s’explique fort aisément par la circonstance que, dans les sanatoriums, le malade est traité par des spécialistes, possédant complètement les détails de leur métier, et qu’il s’y trouve sous l’influence des meilleures conditions hygiéniques possibles.

Nous venons de constater ainsi, que la guérison de la phthisie n’est pas obtenue par des remèdes spécifiques, mais plutôt par des traitements spéciaux qui répondent aux indications si multiples de cette affection. La cure de Mondorf s’adresse avant tout à l’état général de l’organisme qu’elle fortifie et rend apte à lutter avec succès contre les destructions du virus. L’impulsion donnée à la nutrition prime toutes les autres mesures. Que pourrait-on mieux employer dans ce but que l’eau de Mondorf et la douche froide ? Quant aux symptômes locaux, c’est la toux et l’expectoration qui réclament surtout l’attention. Pour ce qui est de la première, les inhalations dans l’atmosphère azotée de la salle d’inhalation constituent une ressource bien précieuse, et qui nous dispense d’employer les narcotiques, dont l’effet bienfaisant d’un côté est annulé par la mauvaise influence qu’ils exercent sur l’état général. L’eau de Mondorf employée tant à l’intérieur qu’en pulvérisations, facilite l’expectoration, et contribue par là très-puissamment au soulagement de la respiration et à la guérison des lésions locales dans le poumon. Enfin on y emploie, quand le besoin se présente, tous les moyens de l’arsenal pharmaceutique : fébrifuges, balsamiques, toniques, sous les formes les plus appropriées. Tous les détails de la tâche thérapeutique sont donc bien soignés par les moyens de cure, et il ne nous reste absolument rien à envier aux stations qui se croient autorisées à convier vers elles les phthisiques, désireux de regagner la santé perdue. Mondorf n’a jusqu’ici pas sollicité le moindre monopole dans ces cas, bien au contraire ; le docteur Schmit considérait même notre eau comme contre-indiquée dans la phthisie. On admettait alors (en 1850) la nature inflammatoire de cette affection, comme pour le typhus, et on redoutait un traitement excitant. Un reste de ces idées erronées se rencontre encore de nos jours dans l’appréciation étrange que l’on porte sur la valeur de l’hémorrhagie pulmonaire. Au lieu de considérer ce symptôme comme la preuve d’une inflammation réactive, utile plutôt que nuisible, ou comme le résultat d’une séparation mécanique des parties malades d’avec les tissus sains, on se chamaille entre médecins balnéaires pour l’attribuer tantôt à l’altitude, tantôt au vent spécial d’une contrée, d’autrefois à l’eau ferrugineuse, salée, gazeuse, etc.

Il serait cependant si naturel d’envisager cette apparition alarmante comme étant avant tout l’œuvre du processus destructeur qui produit l’ulcération pulmonaire, qui peut corroder les vaisseaux sanguins, petits et grands, et qui doit nécessairement provoquer des stases sanguines ainsi que des congestions réactives dans les tissus irrités par la présence d’un parasite ennemi. Depuis que les expérimentateurs modernes, Villemin, Koch et d’autres, ont corrigé les idées qu’on avait auparavant sur la nature de la phthisie, le traitement admis jusqu’alors devait se modifier naturellement et s’adapter aux exigences d’une étiologie plus lucide. En conséquence on ne s’est plus cru obligé de respecter les contre-indications de jadis, et depuis une douzaine d’années, on a parfaitement admis à la cure de Mondorf, comme du reste à toutes les stations similaires, les cas de tuberculose pulmonaire et cela au grand profit des malades. En conséquence de cette transformation tardive des idées pathologiques, il nous est impossible de produire une statistique imposante quant aux chiffres, mais en revanche, nous pouvons produire des cas de guérison remarquables, parce qu’ils ont été obtenus chez des patients extrêmement compromis, sans espoir presque, et appartenant à des classes sociales où il est difficile de remplir toutes les conditions qui pourraient garantir la réussite. Il n’est d’ailleurs que trop vrai que, dans tous les cas de cette affection, qu’on ait affaire à des pauvres, à des riches, à des gens instruits ou à des illettrés, on arrive presque toujours trop tard, et que nulle part l’excellent précepte du : Principiis obsta  ! n’est moins suivi qu’ici. Pourtant ce serait bien l’occasion de se montrer alarmiste et non temporisateur ! Dix-neuf fois sur vingt en effet, la cure de la phthisie commençante s’identifie avec le traitement de la toux (pour me servir du langage vulgaire), de la bronchite. Un calmant quelconque, une eau minérale nonchalamment recommandée, des prescriptions hygiéniques vaguement indiquées, constituent le fond de ce traitement, lequel tout aussi régulièrement n’aboutit à rien, sinon à la progression du mal. Le médecin change inutilement de remède, le patient change sans plus de succès de médecin, la consomption s’avance à grands pas. Las des périphrases troublantes des médecins, l’entourage réclame à la fin une consultation, ou bien l’on s’adresse à une autorité. On apprend alors, après avoir perdu un temps bien précieux, que l’existence du malade est sérieusement menacée et que, pour la sauver, aucun sacrifice ne sera trop grand. Il faut quitter les affaires, s’expatrier, ne vivre que pour sa santé ! Bref, on finit la série des essais thérapeutiques par où il eût fallu commencer. Il me semble pourtant que tout médecin doit pouvoir faire aisément le diagnostic de la phthisie, même au début J’ose prétendre de plus que la connaissance des antécédents du patient, de sa façon de vivre, des causes prédisposantes du mal, etc., doit mettre le médecin de famille à même d’établir, dès la première heure, une ligne de conduite pour un traitement rationnel. Mais il faudrait tout d’abord que, sinon le patient, du moins l’entourage sût à quoi s’en tenir. Car autrement, grâce à cette disposition d’esprit très optimiste de cette sorte de malades, rien n’est fait pour conjurer l’issue fatale. La situation du médecin est ici pleine d’embarras et fort délicate, mais il est à mon avis puéril et peu digne du «vir bonus medendi peritus», de se retrancher avec sa responsabilité derrière une réunion solennelle de confrères, ou de se couvrir de l’impuissance d’une autorité scientifique dont on invoque l’intervention tardive. Tout cela ne change rien au pronostic ! En somme, on est obligé de reconnaître que ce triste état de chose, cette déplorable façon d’agir sont dûs essentiellement à un manque de tact, ou, si vous voulez, à un véritable manque de procédure. Il serait désirable, non seulement pour des cas pareils, mais pour bien d’autres encore, qu’on donnât à l’université aux jeunes médecins un cours de procédure dont ils ont besoin tout autant que Messieurs les avocats, lesquels glissent avec infiniment plus d’habileté à travers les difficultés de leur carrière. Cela éviterait bien des malentendus inutiles, et le malade en profiterait au moins autant que l’homme de l’art.

Pour terminer ce court aperçu, je me permettrai de choisir dans le nombre des guérisons phthisiques, obtenues à Mondorf, quelques cas présentant l’un ou l’autre côté intéressant, soit sous le rapport de la gravité des lésions, soit pour la marche de la guérison qui demontre l’utilité évidente de la cure de Mondorf.

1. — M. L....., 41 ans, homme d’une constitution un peu lymphatique, vint me consulter en juin 1876 à Mondorf pour une hémorrhagie pulmonaire qui avait commencé depuis deux mois et qui s’était montrée rebelle à tout traitement. Le patient, à la suite de ces pertes incessantes, était devenu anémique au plus haut point. En outre, il était pris tous les soirs de la fièvre suivie de transpiration : l’appétit était, complètement aboli. Localement il y avait aux deux poumons des lésions tuberculeuses disséminées. En conséquence il y avait une expectoration abondante, composée de crachets purulants, dans lesquels on distinguait des grumeaux easieux et du sang.

L’hémorrhagie assez grave fut combattue en premier lieu par des inhalations d’une solution de perchlorure de fer. Puis le patient fit usage de l’eau minérale à l’intérieur et sous forme de pulvérisations, ainsi que d’énergiques douches d’eau froide. L’effet de ce traitement ne se fit pas longtemps attendre ; les crachats hémorrhagiques disparurent rapidement, la fièvre tomba sous l’influence d’une bonne portion de quinine, et l’appétit se déclara après quelques jours avec une intensité remarquable. Au bout de six semaines, notre patient fut un tout autre homme, et il put rentrer chez lui pour voir à ses affaires. Il ne négligea point de boire l’eau de Mondorf durant tout l’été, et il revint encore une fois aux bains en automne pour se tremper à la douche contre les intempéries de l’hiver à venir. Il était cependant débarrassé déjà de presque tous les symptômes phthisiques, de sorte qu’il pouvait passer sans la moindre molestation la saison froide, et qu’il commençait à se réjouir peu à peu d’un excellent état de santé. Cependant il y avait eu chez ce patient de nombreux foyers tuberculeux aux poumons ; leur guérison, leur cicatrisation ne pouvait se faire sans entraîner la disparition d’une grande portion du tissu pulmonaire. Une boursufflure des vésicules pulmonaires restées intactes, alias un emphysème vicariant, fut la conséquence inévitable de ces pertes de substances qui durent être comblées par la dilution des cellules adjacentes. A la suite de ces circonstances, le patient dut encore une fois, huit ans plus tard, reprendre le chemin des eaux, non pas pour les symptômes phtisiques, mais pour un anasarque qui avait compliqué l’emphysème. L’eau minérale, les douches, les appareils pneumatiques tirèrent assez promptement le patient d’embarras. Aujourd’hui il persiste encore un léger degré d’emphysème avec une hypertrophie compensatrice du cœur droit, symptômes qui constituent une conséquence des lésions antérieures et dont ils témoignent la guérison.

2. — Mme K....., 26 ans, d’une constitution délicate, est issue d’une famille dans laquelle les accidents tuberculeux sont très fréquents. Mariée à 21 ans, elle a passé par les péripéties de trois accouchements, dont le dernier, se compliquant d’une paramétrite intense, devint tout-à-fait désastreux pour sa santé, par suite de la formation d’un abcès très étendu du tissu cellulaire. La suppuration durait depuis trois mois et laissa la patiente complètement épuisée, sans forces et sans appétit. Un beau matin il se déclara une toux sèche suivie bientôt d’une expectoration suspecte, de mouvements fébriles et de transpirations. C’est alors, au commencement de la saison de 1877, que la patiente vint chercher secours à Mondorf. La situation était, on ne peut plus critique, puisqu’il y avait d’un côté à refaire un organisme totalement épuisé, et que de l’autre il fallait s’opposer à l’invasion du mal terrible dont la patiente redoutait les symptômes bien connus.

On commença par soigner les restes de l’inflammation puerpérale du bas-ventre au moyen de bains minéraux, et en administrant l’eau minérale à l’intérieur. L’appétit ne tarda pas à se développer avec une intensité peu commune, et son apparition fut le point de départ d’une réaction très heureuse. Bientôt on put passer aux douches d’eau minérale, puis aux douches froides. A la fin de l’été elle avait repris toutes ses forces ; les symptômes pulmonaires si alarmants, avaient disparu, et la patiente, qui avait passé par de si rudes épreuves, jouit encore aujourd’hui d’une excellente santé.

3. — M. R....., vigneron de la Moselle où la tuberculose est excessivement fréquente, se présenta à Mondorf en juillet 1876, dans un état de consomption extrême. Le malheureux venait de perdre sa femme par suite de phthisie, et il est lui même affecté de cette maladie aux deux poumons. L’amaigrissement, l’essoufflement sont très prononcés, la fièvre continuelle, l’appétit nul ; les lésions pulmonaires, très étendues, se manifestent autant par des phénomènes précis à l’auscultation que par l’abondance des crachats caractéristiques souvent mélangés de sang. Le gonflement des pieds indique enfin un affaiblessement notable du cœur et justifie un pronostic des plus graves. Aussi le patient ne fut admis à la cure que par pur sentiment d’humanité de mon côté ; il avait d’ailleurs entendu parler du cas que j’ai cité plus haut, à la page 130, et qui avait fait quelque bruit dans Landerneau ; il me contraignit formellement d’entreprendre sa guérison, en me suppliant de mettre en œuvre tout ce qui pourrait le sauver, si un tel miracle était encore possible. J’instituai en conséquence un véritable traitement «in anima vili» : douze grammes d’acide salicylique par jour, l’eau minérale en boisson, en pulvérisations et en douches.

Le lendemain on vint m’appeler auprès du patient lequel, dans l’appréhension de l’eau froide et contre mon ordonnance, s’était fait préparer un bain chaud. Il y avait été surpris, peu d’instants après son entrée, par une hémorrhagie pulmonaire assez sérieuse, que je fis combattre immédiatement par d’énergiques frictions de la peau afin de détourner la circulation de l’intérieur vers la surface. Depuis lors, mieux avisé, le patient suivait très ponctuellement mes ordonnances. Après quelques jours, le vieux Jean, le Nestor de notre personnel balnéaire, qui se targuait de posséder le coup d’œil médical, vint me dire confidentiellement qu’il ne désespérait pas du sujet qu’on avait confié à ses soins spéciaux. Je dus en effet reconnaître que maître Jean ne s’était point trompé et que le bonhomme virait évidemment vers une meilleure situation. L’amélioration fit des progrès évidents et encouragea le patient et le médecin à persévérer dans leurs efforts. Au bout d’un mois, cet homme était revenu et se trouvait en possession d’un bon appétit et de poumons fonctionnant d’une façon satisfaisante Les autres symptômes subirent dans la suite une modification très heureuse, de sorte qu’au bout de six mois cet homme put se considérer comme entièrement guéri. J’eus l’occasion de revoir ce patient quatre ans plus tard, par un de ces hasards qui rapprochent les hommes. Je ne le reconnus point : il fallut qu’il me rappelât son nom et les péripéties de notre première rencontre, et j’eus quelque peine à reconnaître dans ce type plein de santé, la triste apparition dont j’avais gardé le souvenir. Il s’était remarié et il me présenta avec un légitimé orgueil sa jeune épouse et deux superbes rejetons.

4. — Mlle R....., 26 ans, d’un tempérament quelque peu lymphatique, requit mes conseils pendant le terrible hiver de 1879 à 1880, pour une affection phthisique du poumon gauche. L’amaigrissement avait déjà fait des progrès sérieux ; l’appétit manquait tout-à fait, et l’expectoration était souvent mélangée de sang. Il y avait quotidiennement des attaques de fièvre suivies de transpiration. Le père ainsi qu’une sœur étaient morts de phthisie l’année auparavant, et elle avait depuis six mois inutilement fait usage de médicaments habituels. J’instituai d’abord un traitement médicamenteux et hygiénique à la fois, et je me rappelle notamment que, durant le temps le plus froid de cet hiver mémorable, la patiente dormait, la fenêtre ouverte. La docilité avec laquelle elle se soumettait à ces prescriptions rigoureuses, venait naturellement des tristes évènements de famille dont elle avait été témoin. Nous eûmes chance d’obtenir assez rapidement la cessation de la fièvre et le retour de l’appétit, et, quand le printemps fut venu, notre patiente s’empressa de venir s’installer à Mondorf. La toux la tourmentait beaucoup, et le séjour dans la salle au gaz azote fut suivi d’un effet calmant remarquable. L’usage interne de l’eau minérale fit développer un appétit extraordinaire. Pendant l’été les symptômes généraux et locaux du mal s’évanouissaient peu à peu, et Mlle R. voyait revenir insensiblement la santé, dont elle avait joui auparavant.

FIN.