Moisson d’Épées
Dans le bourg sur la Loire, on conte que naguère
La Pucelle passa sur sa jument de guerre
Et dit aux habitants :
« Armez-vous et venez. »
Un échevin, suivi de vieillards consternés,
Lui répondit :
« Hélas ! pauvres gens que nous sommes !
Les Anglais ont tué les meilleurs de nos hommes.
Hier ils étaient ici. Le cheval de Talbot
Dans le sang de nos fils a rougi son sabot ;
Seuls nous leur survivons, vieux, orphelins et veuves,
Et notre cimetière est planté de croix neuves. »
Mais la brave Lorraine, aux regards triomphants,
S’écria :
« Venez donc, les vieux et les enfants ! »
L’homme reprit, les yeux aveuglés par les larmes :
« Hélas ! les ennemis ont pris toutes nos armes,
La dague avec l’estoc, les flèches avec l’arc.
Nous voudrions vous suivre, ô bonne Jeanne d’Arc !
Mais nous n’avons plus même un couteau ».
La Pucelle
Joignit alors les mains, tout en restant en selle,
Et quand elle eut prié :
« Tu m’as bien dit, je crois,
Que votre cimetière était rempli de croix ?
— Je l’ai dit.
– Eh bien donc, allons au cimetière. »
Et la vierge, entraînant la foule tout entière
Où déjà plus d’un front rougissait de remords,
Piqua sa jument blanche et vint au champ des morts.
Or, monsieur Saint-Michel exauça la prière
Que murmurait tout bas la naïve guerrière ;
Et, quand elle arriva dans le lieu du repos,
Les croix, que l’on avait, pour ces nombreux tombeaux,
Faites hâtivement de deux branches coupées,
Par miracle et soudain devinrent des épées,
Et le soleil brillait sur leur garde de fer,
Si bien qu’en ce moment chaque tombe avait l’air,
Avec l’ordre du ciel étant d’intelligence,
De présenter une arme et d’implorer vengeance.
Alors Jeanne aux chrétiens à ses pieds prosternés
Répéta simplement :
« Armez-vous et venez ! »
Car Dieu fera cesser par moi votre souffrance
Et la grande pitié du royaume de France. »