Mon Amie Nane/II. — Comment on s’aime

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Le Divan (p. 30-48).


1. Première version[modifier]

« ...inde proverbium ductum, deos laneos pedes habere. »
(MACROB. Saturn.)
« ...incessu patuit dea. »
(VIRG. Eneid.)
Au contraire de ces dieux que les Romains accusaient d’avoir les pieds en dentelle, Nane marchait, et même divinement, étant elle-même chose divine.


La première fois que je lui prêtai une sérieuse attention, Nane était en l’air, et tombait d’un omnibus.


Sa Victoria suivait à paisible allure le Batignolles-Clichy-Odéon, où elle avait eu ce jour-là l’heureuse fantaisie de « prendre une impériale, afin de jouir du paysage » ; et un peu avant le pont des Saints-Pères, en un des points que la Compagnie d’Orléans venait de choisir pour y exécuter de mystérieux travaux, le cocher de Nane put, en même temps que moi, admirer un spectacle gracieux.

Le Batignolles-Clichy-Odéon, en tournant, dérapa, oscilla un peu, et versa sur la gauche. Je vis quelque chose de clair, de blanc, de rose, qui décrivait une élégante parabole : c’était Nane. Obéissant aux lois présumées de la gravitation, elle quitta brusquement son banc, en même temps que plusieurs autres personnes, et tomba.

Elle tomba assise, se fit très mal, et fondit en larmes, silencieusement. Tel un vieux monsieur, qui retrouve sa fille après une absence de plusieurs années, je reconnus seulement alors, ne l’ayant pas rencontrée depuis longtemps, Mlle Hannaïs Dunois, maîtresse de mon ami Jacques d’Iscamps, ou peut-être sa veuve, car il devait se marier dans peu de jours. Jugeant d’ailleurs qu’il valait mieux qu’elle ne s’éternisât pas dans cette position sédentaire, je la pris par les mains pour la remettre debout. Elle ne semblait pas meurtrie, et, comme le temps était beau, n’était salie que de poussière.

— Tiens, c’est vous, dit-elle, me reconnaissant à son tour. Vous seriez bien gentil de me raccompagner jusqu’à ma voiture ; elle ne doit pas être loin.

Quand elle y fut montée : « Vene z avec moi un peu plus loin, ajouta-t-elle, voulez-vous ? J’ai peur de rester seule, à me sentir comme ça toute disloquée. » Je pris sa gauche, et comme nous passions par la rue Royale, elle accepta de s’arrêter un moment pour boire n’importe quoi de réconfortant. Nous descendîmes donc, elle un peu patraque encore ; mais une demi-heure plus tard nous étions devant notre vin de Porto à plaisanter le plus gaîment du monde sur sa chute, dont au reste il ne semblait lui rester rien qu’un peu de gêne à être assise.

Si la conversation tendait à languir (car on ne peut constamment à deux, dont une femme, frapper des pensées ingénieuses), aussitôt elle se battait légèrement les côtés, ce qui faisait lever de la poussière. Et de rire tout de nouveau, à petits éclats : car elle est d’un esprit simple ; et si elle s’est une fois résolue à juger une chose drôle, elle pourrait se la représenter cent jours de suite et s’en réjouir encore d’aussi bon cœur.

Cependant le temps avait coulé, il y avait près d’une heure déjà que l’odeur répandue de l’absinthe nous présageait le soir et que les Parisiens fussent près de se nourrir :

— Si nous dînerions ici ? dis-je.

— Je ne vous cacherai pas, me répondit Nane, que j’aimerais bien me tenir un peu étendue. Mais si vous voulez venir dîner à la maison, je me mettrai sur une chaise longue — et nous dirons des choses.

Cela ayant été ainsi convenu, je courus chez moi m’habiller, et de là avenue de Villiers où demeure Nane.


C’était, au bout, bout de l’avenue, un hôtel de poupée, mais assez simple d’aspect, comme aussi de train. La porte cochère est condamnée pour absence de concierge ; et il y a juste assez de jardin pour qu’on garde en gravat à ses semelles de quoi rayer le ciment mosaïque du vestibule. Une femme de chambre vint m’ouvrir. Avec la cuisinière (l’équipage étant d’un loueur) c’est toute la maison de Nane, qui a ralenti ses allures depuis la mort de Bélesbat. Quoique l’industriel, pratique dans sa bienfaisance même, lui ait fait legs d’une solide rente viagère, celle-ci n’est point telle que Nane puisse encore, et malgré la bonne volonté qu’a jusqu’ici mise Jacques à finir de se ruiner pour elle, soutenir les fêtes d’autrefois, ni la parade un peu ostentatoire qu’elle menait rue de Scythéris, en ce voluptueux hôtel la Billaudière, aujourd’hui, hélas ! occupé par une aigre et dévote tante de Bélesbat, sa seule héritière. Mais, dans une demi-paresse, et sans trop chercher que les jeux de son corps lui procurent un lustre nouveau, Nane laisse les heures glisser sur elle sans la meurtrir, telles au printemps les gouttes d’une pluie ensoleillée sur la fleur nouvelle.

Ce soir, elle s’est vêtue d’un peignoir assez ajusté en crêpe de Chine vert, mais du vert le plus faux, le plus agaçant, le plus délicieux. Elle a des dessous, semble-t-il, tout blancs ; au moins ses bas le sont-ils, et la peau de ses pantoufles. Sa chevelure, qui a comme ses yeux la patine de ces bronzes que le baiser des pèlerins a jaunis, est retroussée par devant, à la Messaline. Son col long et sa nuque portent un triple collier d’émaux verts, dont elle a aussi une ceinture.

Elle est ainsi tout à fait prenante. Et moi qui l’avait vue cent fois, sans y prendre autrement garde qu’à tous ces articles de Paris qui plaisent à notre habitude sans atteindre notre curiosité, il lui a fallu, pour que je la remarque, se laisser choir avec éclat d’une impériale sur les sordides travaux de l’Orléans. D’ailleurs elle ne l’a pas fait exprès.

— Vous rappelez-vous, Nane, quand nous montions à la Raillière, tous les soirs, et que Jacques arborait le béret pyrénéen ?

— Vous rappelez-vous comme il soufflait pour monter aussi vite que nous, et ce qu’il avait été jaloux, un soir que nous avions été prendre des glaces sans lui ?

Je feins de me rappeler très vivement, quoique cette saison à Cauterets, qui remonte à deux ans déjà, ne m’ait laissé que des souvenirs confus, au moins quant à Nane. Mais ce soir je ne saurais lui refuser rien, pas même un mensonge.

Étendue très de côté, ce qui la fait hancher, sur un de ces longs fauteuils de bord en rotin, où il y a un trou à l’avant-bras pour mettre son verre, elle est toute calée de petits coussins et de plaids. Et elle réveille en moi des images anciennes de voyage. Par-dessous le bruit de nos paroles, ressuscite un peu de passé : autour d’un pont de paquebot, la miroitante mer des Grandes Indes ; et les filaos qui pleurent aux bords d’une île ; ou bien la grâce dormante des créoles, si lasses de n’avoir jamais rien fait.

Cependant le dîner s’est achevé. On sert le café là même ; et Nane, sans plus dire mot, sourit vers moi de sa bouche puérile. Il y a quelque chose, ce soir, dans son sourire, que je ne démêle pas, et je vais m’asseoir, contre elle, sur le grand fauteuil.

— Vous savez bien, me reproche-t-elle bientôt, que je ne puis pas bouger, que je suis sans défense, toute meurtrie... non... vous me faites mal !

— Sérieusement, vous souffrez encore ?

— Au fond, pas tant que ça, reprend-elle. C’est plutôt la même chose que si j’avais reçu le fouet....

Peu à peu le sourire de Nane m’apparaît tout près et très loin ; comme les choses que l’on aperçoit encore en s’endormant par un après-midi d’été, alors qu’à travers toute la profondeur d’une muette maison, on n’entend plus rien que, parfois, une porte qui claque, ou le jeune pas de quelque servante sur la dalle des frais corridors.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Il me semble que c’est ainsi, un peu dans un rêve, que nous avons changé de chambre, Nane et moi. On dirait même qu’il y a longtemps, si j’en crois un état somptuaire qui aurait éclairé, sur la nature récente de nos relations, les tribunaux les plus borgnes, et jusqu’au regretté Président Magnaud. Nane en est frappée aussi.

— Quel dommage, observe-t-elle, que Jacques ne nous voie pas comme ça.

— Il est un peu tard pour le faire prévenir, lui dis-je ; tandis que je m’occupe de réparer le désordre de ma toilette.

— Où allez-vous ? Est-ce que vous partez ? Et elle se pelotonne sous les couvertures.

— Rendez-vous avec un parent de province, à la sortie des théâtres — vieillard susceptible. Et il est minuit passé. Pourvu que je trouve une voiture.

— Au lieu de rester à me soigner, dit-elle mollement.

— Je suis sûr que l’exercice ne vous vaut rien. Bonsoir. À demain, ici, cinq heures, voulez-vous ?

Nane veut ; moi je m’en vais lâchement me coucher et ne tarde guère à tomber dans ce sommeil profond des gens qu’on doit guillotiner le lendemain.

D’ailleurs, comme l’a dit M. de Bourdeille, « ce qu’il peut y avoir de commun entre l’amour et le dormir, je n’y sçaurais entendre. Et me semblent deux bien trop excellentes choses pour les brouiller, et ne les pas faire chacune à part et en son heure. »

2. Version seconde[modifier]

« Socrates apud Xenophontem abstinendum esse in totum ab ista osculandi consuetudine censet : quia nihil, inquit ad amorem incendendum acrius est osculo. »
(HEEREBORD, Exercit. Ethic. XLIX, p. 173.)
Socrate, ou plutôt Xénophon qui, soit niaiserie, soit malice, lui a prêté aucunes fois ses propres opinions, conseille de fuir l’usage du baiser, à cause de l’amour qui s’en engendre.
Et le roi Archelaos, à qui l’on rapporta cette bourde : « Autant vaudrait, dit-il, ne boire plus, parce qu’il enivre. »


En cas que la première version de mes débuts auprès de Nane n’ait point satisfait tous les esprits, il convient d’en donner une seconde : ainsi les délicats pourront choisir la forme de vérité qui leur agréera davantage.

Mais, s’il se rencontre quelque partie commune à ces deux récits, il faudra prendre garde que les gestes relatifs à l’amour sont peu nombreux, et que l’on n’en peut faire aucun sans qu’il ressemble à d’autres qu’on a déjà faits.

J’avais invité à prendre le thé dans mon atelier ce jour-là Jacques d’Iscamps, à qui un mariage prochain rendait aimables les plus petites fêtes, et Nane, avec qui il ne s’était encore pu résoudre à rompre ; c’était même là pour moi un sujet de constante surprise ; j’admirais que cette poupée menât à pareilles rênes un homme qui passait pour énergique. Mais cela est un tort que de dénigrer les femmes avant de les avoir, et c’est du jour seulement qu’on les a tenues entre deux draps qu’il y en a des raisons sérieuses.

Je comptais aussi sur cette Noctiluce (Fulvia-Noctilux, comme elle signait) dont les cheveux bleus et les dents en pointe m’avaient séduit naguère. Celle-là était d’origine inconnue, et parlait plusieurs langues avec une égale difficulté. Elle ne ressemblait à rien en France, et paraissait même d’un autre siècle : on eût dit parfois qu’elle sortait d’un Suétone.

Il y avait en elle toutes les curiosités, avec des goûts dont la police, malheureusement, de notre nation lui rendait l’exercice difficile. Il semblait qu’elle se fût plus satisfaite ailleurs et gardât des regrets à ces climats où il est loisible encore de se procurer une chair à meurtrir, esclave et jeune.

Mais, depuis quelques jours, nous nous sentions un peu las l’un de l’autre : la cruauté aussi devient une chose insipide à la longue, si elle n’est qu’imaginative. Ce matin-là même elle s’excusa de ne pouvoir venir, par les mots suivants :


« Cher ami, un Londonien de passage qui va pour tirer des noirs (il paraît qu’il va y avoir guerre là-bas) m’offre dans ses chambres un spectacle plus pimenté que votre lunch. C’est tout à fait des primeurs, dit-il, comme les petits poissons de Caprée : mais les poissons ne crient pas. Adieu, je viendrai vous dire après. Excuses à vos amis.

« F.-N. »


Un second bleu m’annonçait que Jacques ne venait pas non plus :


« Mon cher ami, j’ai écrit enfin à Nane pour rompre, et lui annoncer tout. Là-dessus elle m’a joué un tour pendable : vous raconterai tout ça plus tard. Ne comptez donc pas sur nous aujourd’hui. Excuses à votre amie.

« Jacques. »


Sans plus espérer personne j’allai tout de même à mon atelier : je l’aime parce qu’ il est sans cesse enveloppé d’un silence admirable. Et je pensais faire de la musique ; mais je me contentai, pendant près d’une heure, dans un de ces fauteuils profonds qui semblent avoir été inventés par la paresse même, de contempler, tout en fumant, les damas fanés, rouges et jaunes, qui retombent de la galerie et voilent le haut de l’orgue. Tout à coup on sonna : c’était Nane.

Elle entre de son pas glissant, allongé, silencieux, qui en fait une chose si belle à voir marcher, et tandis que je lui baise le creux des mains :

— C’est gentil, dit-elle, chez vous.

Puis elle s’assied, et demeure immobile. Sous des paupières pesantes, ses yeux de pierre dure sont vides d’expression, et sa bouche, qui est comme celle d’un enfant, fait sans cesse une petite moue. Elle a l’air, aujourd’hui, d’une chose naturelle, fraîche, qui arriverait de province dans un panier ; il s’en dégage comme l’odeur des fougères trempées par l’orage ; et je pense un instant respirer ces bois noirs et frais de chez nous, où il y a de l’eau qui court.

— Vous êtes donc peintre, reprend-elle, que vous avez un atelier ?

— À Dieu ne plaise ; mais pour avoir droit à une salle vaste, commode, bien éclairée, est-ce qu’il est indispensable de salir de la toile ?

— Vous savez, moi je disais ça pour dire quelque chose.

— Je n’espérais plus votre visite : Jacques m’a écrit pour décommander.

— Alors, parce que Monsieur se marie, il croit qu’on ne va plus jamais rien faire !

— Du thé, par exemple ?

— Merci, j’aimerais mieux une cigarette.

Elle l’allume, et retombe dans cette immobilité qui est une de ses grâces : on dirait, tant ses mouvements sont rares, qu’ils sont précieux bien plus que ceux des autres êtres.

Nous nous taisons tous deux ; et il semble bien que tous deux nous pensons la même chose ; c’est qu’il va falloir que je lui fasse quelques doigts de cour : cette obligation de politesse n’échauffe ni son cœur, sans doute, ni le mien.

Nous nous taisons.

— Galanterie française, m’écrierais-je, si l’on s’écriait jamais en ces rencontres, pourquoi me faire une nécessité professionnelle de ce qui serait si agréable, s’il était spontané. L’inspiration de mes sens ne suffirait-elle pas mieux que la tradition, ou mes lectures, à me faire presser une main tremblante, un genou qui se dérobe (ou non) et cette taille, où il ne semble pas encore que le corset ait marqué ses plis. Outre les cas où ça n’est pas drôle, et que, si Nane était une dame mûre de médiocre conservation, l’ardeur que j’apporterais à l’attaque, constamment refroidie par l’effroi de vaincre, me mettrait en ridicule posture. Enfin.

— Vous avez là, Nane, une bien jolie robe : elle fait valoir vos hanches.

— Vous me l’avez vue plus de cent fois.

— Plus de cent fois ? Peut-être pas. Et puis il y avait du monde. (Ceci est le début de la campagne.)

— Vous ne regardez les robes que dans l’intimité ?

— Et à l’envers, Nane, comme les feuilles.

Elle rit, languissamment. Je me rapproche d’elle, et je m’efforce d’avoir l’air hardi comme un page. Mais son front se plisse.

— Quel monte-en-bas, dit-elle tout à coup, que ce Jacques. Vous savez qu’il m’a lâchée. Monsieur épouse un sac.

— C’est pour la rime, sans doute.

À ce moment la porte s’ouvre (ne donnez jamais votre clef à une femme) et Noctiluce entre en tempête. Déjà je flaire une scène ; mais les choses tournent plus heureusement.

— Vous me trompez tous les deux, dit-elle de son rire blanc (et, retenant les poignets de Nane dans une seule de ses mains vigoureuses, de l’autre elle feint de la battre), voilà, voilà pour vous.

— Mais d’Iscamps devait venir, dis-je, et nous l’attendions.

— Les pieds sous la table.

— Mais non, en causant de son mariage.

— C’est vrai, donc, cette affaire-là ?

— Oui, ma chère, avec la fille à Blokh-Rosenbuisson.

— Ah ! le vieux Refiens-y.

— Pourquoi Refiens-y ?

— Il paraît que c’est ça qu’il dit, cet homme, pendant le temps. C’est une amie qui m’a raconté, qui avait été à son cinématographe : vous savez qu’il en a un, avec des tableaux obscènes, des choses qui se passent à Naples. Alors il y mène des petites femmes, une à une ; il se figure que ce sera meilleur marché, pour l’excitation. Le comble est que son concierge le montre pour de l’argent pendant ses absences.

— Est-ce qu’ils partagent, au retour ?

— Je ne sais pas. Et quant à sa fille, elle est belle. Je l’ai vue à l’Hippique : elle avait une jupe grise légère, avec un transparent rose vif. Partout où ça plaquait, on aurait juré la peau : c’était rafraîchissant, comme, ces pastèques, vous savez, qu’on vend dans les rouges rues de Delhi.

— Je ne sais pas. Et votre séance ?

— Ne m’en parlez pas ; je commence à croire que dans votre pays tout est chiqué ; et j’avais vu aussi bien à Ménilmontant. À peine s’il y a eu un peu d’émotion, une fois ou deux.

— Quoi donc ? demande Nane.

Noctiluce le lui explique, à mi-voix : Nane semble intéressée ; sa langue pointe entre ses lèvres, deux ou trois fois, et, l’histoire finie :

— Ah ! dit-elle tendrement, quelle horreur !

— Mais je vous laisse, reprend Noctiluce. Vous attendrez bien M. d’Iscamps sans moi. Non, ne me retenez pas : rendez-vous pressant. Vous, je vous laisse votre clef, en cas que Nane saigne du nez.

Sur cette détestable plaisanterie, elle se sauve, sans rien vouloir entendre, me laissant en proie aux mêmes devoirs que tout à l’heure. Le soir, rouge maintenant, entre par les fenêtres, et brouille, de ses reflets fantasques, l’aspect de toutes choses : c’est une heure sinistre.

Et je reprends mon poste de combat, sur le divan.

— Il va faire nuit tantôt, dit Nane.

— C’est le demi-jour propice aux doux larcins, dont on vous a sans doute déjà parlé. Non, ne me repoussez pas les mains, elles reviendraient.

Mais elle n’oppose plus qu’une faible résistance : elle calcule peut-être que d’ici l’heure du dîner il reste peu de temps à perdre.

— Est-ce que vous avez mis le verrou ? demande-t-elle.


*


Ma flamme vient d’être couronnée : ces choses-là ne vont pas sans qu’elle en soit d’abord sinon éteinte, au moins affaiblie. Nane elle-même, parmi de nombreux coussins, semble appartenir tout entière à ses pensées, et un grand silence pèse sur nous de toute part.

— Je voudrais, dit-elle tout à coup, que Jacques nous voie comme cela.

Mais Jacques ne nous verrait pas (et il vaut autant), car il fait maintenant presque nuit noire. Et tout en allumant les lampes je songe, non sans quelque regret, au cercle, où l’on se nourrit si bien entre hommes ; et qu’il va falloir dîner en cabinet avec Nane, et le garçon, comme compagnie, de temps en temps.