Mon berceau/La Bourse de Commerce et les Halles

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Bellier (p. 297-302).

LA BOURSE DE COMMERCE
ET LES HALLES


ON SÈCHE LES PLÂTRES — LA BOURSE DE L’EXPORTATION — L’ACHÈVEMENT DES HALLES.

Depuis que la Bourse de Commerce est ouverte, je n’entends que des pleurs et des lamentations.

— Voyez, l’activité commerciale sur laquelle nous comptions, me disent les intéressés, n’arrive pas ; voilà le Crédit Lyonnais, le Crédit Industriel et la Compagnie Transatlantique qui avaient loué des locaux, qui s’en vont ; c’est navrant, qu’allons-nous devenir ?

On entend d’ici la litanie, et comme on m’a prié d’exposer devant l’opinion publique toutes ces doléances, je m’en fais d’autant plus volontiers l’écho, que je pense pouvoir apporter ici, non pas une consultation en règle, mais du moins un peu de calme dans les esprits timorés dont le premier tort est de manquer de sang-froid.

D’abord il ne s’agit pas seulement en l’espèce de la Bourse de Commerce, mais de tout un quartier neuf : poste centrale, palais du téléphone, rue du Louvre, avec ses tenants et ses aboutissants, etc. Or, chacun sait que le quartier le plus riche ne prend pas comme cela du jour au lendemain ; je n’en veux pour exemple que la gare Saint-Lazare, achevée au commencement de l’Exposition de 1889, voilà plus de trois ans et demi ; eh bien ! ce n’est que d’aujourd’hui que le quartier, que la rue de Rome, sont absolument achevés, en pleine activité, que les installations de la gare sont complètement terminées, et cependant il s’agit bien là du quartier le plus vivant et le plus actif du monde entier.

Il en est de même à la Bourse de Commerce et surtout dans ses entours ; attendez que tous les immeubles de la rue du Louvre, que les amorces, que les maisons d’angles des rues avoisinantes soient terminés, que les téléphones fonctionnent, que la population commerçante soit venue remplir ces ruches engageantes, et vous verrez changer la situation à vue d’œil ; en attendant il faut un peu de patience et… sécher les plâtres !

Mais à côté de cette constatation il y a certainement deux moyens que je qualifierai d’excellents, de nécessaires et d’indispensables pour faire de la Bourse de Commerce le grand centre qu’elle doit être et qu’elle sera ; ces moyens les voici :

D’abord il faut établir dans l’immeuble même de la Bourse de Commerce son complément indispensable, la bourse de l’exportation.

— Nous avons les houilles maintenant, me disait hier un commerçant, installé là.

Tant mieux, mais ce n’est pas assez. De même que le cerveau commande à tous les muscles du corps humain, de même la Bourse de Commerce doit être le cerveau commercial et industriel de Paris, de la France, de nos colonies.

Comment, nous possédons un domaine colonial superbe, nous avons des relations suivies — pas assez encore — avec la République Argentine, l’Australie, le Canada, le monde entier, et lorsqu’un malheureux commerçant, commissionnaire, intermédiaire ou armateur, a besoin de trouver une cargaison, une pacotille pour partir, de vendre ses produits exotiques s’il revient, ou de s’assurer un chargement en travers, du fret à bon compte, il faut qu’il coure à la chambre d’exportation de la rue Grange-Batelière, chez tous les commerçants et commissionnaires de Paris, qu’il perde 15 jours avant d’arriver à ses fins, si jamais il y arrive ! c’est pitoyable, et à ce point de vue nous sommes à cent coudées au-dessous de Londres.

Il faut qu’un commerçant importateur ou exportateur, qui a pour mission de faire du négoce avec les pays lointains, puisse trouver sur l’heure dans un coin de la métropole, ses débouchés, ses contre-parties.

Il le faut, vous dis-je, et ce coin, ce doit être la Bourse de Commerce de Paris.

Voyez-vous tout de suite quelle vie, quelle animation, vous jetteriez dans ce quartier du premier arrondissement, avec une Bourse de l’exportation et de l’importation ?

Elle n’existe pas aujourd’hui, c’est fâcheux, mais le mal est réparable : elle existera demain, ou Paris ne serait plus Paris !

Le second moyen d’amener définitivement à la Bourse de commerce le maximum de transactions sur lequel elle est en droit de compter, est en somme aussi simple, aussi facile à réaliser, quoi que chacun en puisse dire, car l’heure psychologique a sonné, comme l’on dit. C’est l’achèvement immédiat des Halles centrales.

— Fort bien, me dira-t-on, mais il n’y a qu’un petit malheur, c’est que la ville n’a pas d’argent.

— Pardon, mais ce n’est pas une objection ; quand on est la Ville de Paris, il n’est pas permis d’avoir le diable dans sa bourse, et il est toujours facile de trouver une combinaison qui concilie tous les intérêts.

Une combinaison ? mais j’en vois dix. Que la ville s’entende avec le Crédit foncier, comme elle va le faire sans doute par l’achèvement de la rue Réaumur ; qu’elle s’entende avec une société civile intermédiaire quelconque, à laquelle elle paîra des annuités ; elle en trouvera vingt pour une, offrant toutes les garanties de solvabilité et d’honorabilité désirables et trop heureuses de se constituer pour travailler pour la ville. Le système n’est pas nouveau et il est aussi bien à la portée de la Ville que de la compagnie de Suez, ou de toutes autres entreprises, qui se sont fort bien trouvées de cette combinaison.

Et certes, encore une fois, quand on est la Ville de Paris, ce n’est pas manger son bien en herbe que d’agir ainsi ; ce n’est même pas escompter l’avenir, car c’est courir au-devant, c’est provoquer de nouvelles sources de profits, et qu’on ne l’oublie pas, les Halles — achevées — amèneraient ces nouveaux profits, par l’octroi, par les dépenses, par les commerçants attirés là, dans des proportions considérables.

Les commerçants du quartier, les cafés, les restaurants, les hôteliers, tout le monde ont un intérêt énorme à ce que ce plan soit promptement exécuté, et c’est à vous surtout, mes chers concitoyens, que je m’adresse, espérant qu’un jour cette parole sera entendue dans une enceinte plus autorisée.

Voilà qui est clair, n’est-ce pas ? dans moins d’un an tout le quartier sera achevé et en pleine opération, comme disent les américains ; les plâtres seront séchés.

Créez la Bourse de l’Exportation et de l’Importation dans votre immeuble, obtenez, par une saine et légitime agitation, l’achèvement des Halles centrales, et tenez pour certain qu’alors votre admirable palais de la Bourse de commerce, aux peintures si suggestives — ce qui est bien, mais ce qui n’est pas assez — sera bientôt un des premiers centres d’échanges commerciaux de l’univers.

Mais n’oubliez pas le proverbe :

Qui veut la fin veut les moyens.