Mon berceau/La Caisse d’épargne

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Bellier (p. 350-356).

LA CAISSE D’ÉPARGNE


UN VIEIL HÔTEL HISTORIQUE — LES ORIGINES DE L’INSTITUTION — LES CAISSES D’ÉPARGNE POSTALES — DANGERS DE CETTE ACCUMULATION DE L’ÉPARGNE NATIONALE — À QUAND LES GRANDES ENTREPRISES NATIONALES ?

Voilà une institution certes populaire entre toutes, qui a fait le tour du monde rapidement et qui cependant est toute moderne.

La première fut fondée à Berne en 1787 et l’on marchait alors en plein inconnu ; plus tard, on fit des tentatives infructueuses à Tottenham et à Bath, ce qui prouve une fois de plus que l’on a besoin de se familiariser avec les idées les plus simples.

Enfin, en 1810, les caisses d’épargne eurent tout à coup le plus grand succès en Angleterre, ce qui se conçoit aisément chez ce peuple pratique.

Cet exemple encouragea chez nous les administrateurs de la compagnie royale d’assurances maritimes à doter Paris d’une semblable institution.

On était au commencement de 1818, les plus grands noms se mirent à la tête de cette innovation et la caisse d’épargne de Paris fut autorisée par ordonnance royale du 29 juillet 1818.

Bientôt toutes les villes de France un peu importantes imitèrent l’exemple qui leur était donné par la capitale.

Ce qui me touche particulièrement dans cette histoire, c’est que dès la première heure, la caisse d’épargne fut crée et installée en plein premier arrondissement, au numéro 9 de la rue Coq-Héron ; depuis elle n’a point déménagé.

Du reste, vaste, commode, avec un style architectural qui ne manquait pas de grandeur dans sa simplicité, l’immeuble était admirablement choisi et facile à approprier à sa nouvelle destination.

L’hôtel avait appartenu primitivement à un fermier général, puis à M. Dupin, de qui la nouvelle administration en formation l’acheta.

Il ne reste rien du passé qu’un écusson en marbre noir en ronde-bosse, entouré de marbre blanc et encastré dans le mur, à 2 mètres 50 au-dessus du sol environ, dans la cour d’honneur, à gauche, en entrant.

Dans l’encadrement en marbre blanc, au-dessus, on voit encore les blasons accouplés du seigneur du temps et de sa femme, parfaitement conservés et surmontés d’une couronne de marquis, deux aigles encadrent lesdits blasons.

On voit par l’inscription du centre, gravée sur le marbre noir que le seigneur du lieu — et de cette paroisse — a institué par son testament olographe du 26 juillet 1747, une grand’messe des morts pour le repos de son âme et pour celui de celle de son aimable épouse.

Le brave homme possédait une telle quantité de noms et de titres se rapportant à Paris et à ses environs, que je renonce à les transcrire ici, ce qui d’ailleurs serait de peu d’intérêt.

Il y a peu de chose à signaler à l’intérieur de ce vaste hôtel de la Caisse Centrale d’Épargne de Paris, qui d’ailleurs a été en partie reconstruit avec beaucoup de goût, lors de la percée de la rue du Louvre, en pan coupé, avec un semblant de rentrant au chanfrein, au coin de cette rue et de la rue Coq-Héron.

En dehors des bureaux, très vastes, il y a deux salles principales pour le public, la plus grande, connue sous le nom de salle des remboursements, occupe, sur les derrières, l’emplacement de l’ancien jardin de l’hôtel.

Au fond de cette salle, un très beau médaillon de marbre blanc engagé dans la boiserie ; c’est le portrait de M. Agathon Prévost, agent général de la caisse d’épargne, au-dessous deux dates : 1818 à 1869.

À l’entrée de la salle, entre les deux portes, sur des piédouches, deux beaux bustes, en marbre blanc également, représentent les traits de deux des créateurs fondateurs parmi les plus illustres de la caisse d’épargne de Paris ; j’ai nommé MM. Benjamin Delessert et de La Rochefoucault-Liancourt.

La seconde salle, de dimensions plus modestes, sert aux versements.

Contrairement à ce que beaucoup de gens croient, il n’y a depuis la création, en 1818, qu’une seule caisse d’épargne centrale à Paris.

Il n’y a pas de succursales, mais seulement des bureaux ouverts dans les mairies de Paris et de la banlieue, les dimanches et lundis, pour donner plus de commodité aux prolétaires.

La caisse d’épargne est une entreprise absolument privée, comme toutes les caisses d’épargne de France d’ailleurs et, suivant la définition même de ses statuts : c’est un établissement d’utilité publique qui a pour objet de recevoir et de faire fructifier les économies qui lui sont confiées, sans jouer à la bourse bien entendu, mais en achetant seulement des rentes françaises pour le compte de ses clients ; de plus, les fonctions des directeurs, censeurs et administrateurs sont entièrement gratuites.

C’est donc bien une institution absolument démocratique et populaire, comme l’on voit.

Elle est sous le contrôle du ministère des Finances et dépend du ministère du Commerce et de l’Industrie.

Je n’ai pas l’intention d’entrer ici dans le détail du fonctionnement de la caisse d’épargne, tout le monde le connaît et d’ailleurs il suffit de passer au no 9 de la rue Coq-Héron et d’y demander un prospectus, qu’on vous délivre gratuitement, pour être complètement édifié à ce sujet.

À l’heure présente, on retrouve les noms les plus considérables et les plus respectés à la tête de la caisse d’épargne de Paris.

Son président est M. Denormandie, sénateur, ancien gouverneur de la Banque de France, entouré de toutes les illustrations de la finance et du haut commerce, de la plupart des régents, anciens ou présents de la Banque de France, de membres de conseils d’administration de nos chemins de fer, etc. ; l’argent des petits et des humbles est donc placé sous le contrôle de personnalités capables d’inspirer une juste et légitime confiance.

À côté, parallèlement, fonctionne la caisse d’épargne postale, crée en 1881 et qui appartient directement à l’administration des postes et télégraphes ; chez nous elle fonctionne en face, puisque la caisse d’épargne de Paris et l’administration centrale des postes et télégraphes se regardent à peu près de chaque côté de la rue du Louvre.

À ce propos, on a lancé le gros mot de concurrence, ce qui est exagéré, quand il s’agit de deux institutions aussi désintéressées et qui n’ont pas le lucre pour but ; il s’agit là plutôt de deux institutions similaires, appelées à rendre des services utiles à la classe ouvrière.

Les lois et décrets qui les régissent sont les mêmes et elles opèrent de la même façon ; la caisse d’épargne donne, il est vrai, 3 fr. 25 d’intérêt à ses déposants, tandis que la caisse d’épargne postale ne donne que 3 0/0[1].

On croirait, par cette différence, que tout le monde doive se porter à la caisse postale, il n’en n’est rien, car lorsqu’il s’agit en général de très petites sommes, on choisit avant tout sa commodité, le voisinage d’un bureau, les heures du dimanche, etc.

Du reste, cela peut être changé du jour au lendemain, il y a longtemps que la question est à l’étude et il est probable que le jour n’est pas éloigné où les deux caisses ne donneront plus qu’un intérêt identique. Les caisses d’épargne ne peuvent pas continuer à donner 3.25 0/0 quand la rente française rapporte à peine 3.12 0/0.

Si les fonds des caisses d’épargne, pouvant être retirés du jour au lendemain, sont un danger pour l’État, comme on l’a dit souvent, en temps de crise, n’a-t-on pas doublé ce danger en créant les caisses d’épargne postale et en provoquant l’épargne à s’accumuler ainsi ?

Redoutable question, car si l’épargne est bonne et excellente en elle-même, convient-il de la diriger, de la canaliser, de l’absorber uniquement au profit de nos fonds d’État et au détriment, par action réflexe, de l’industrie, des affaires ?

N’est-ce pas stériliser gratuitement l’épargne et l’empêcher à tout le moins, de donner tout ce qu’elle pourrait donner, si elle venait féconder les grandes entreprises nationales dues à l’initiative privée, comme Paris port de mer, le canal des Deux Mers ou le Transsaharien, par exemple ?

Mais, au fait, est-ce bien le moment de résoudre ainsi un pareil problème, dans une simple chronique ? je ne le pense pas et dans le doute je m’abstiens.


  1. On sait que l’intérêt a été fort justement abaissé dans ces derniers temps ; cette mesure s’imposait à la suite de l’avilissement du numéraire — métal et surtout de l’argent — métal.