Mon cœur mis à nu
De la vaporisation et de la centralisation du moi. Tout est là.
D’une certaine jouissance sensuelle dans la société des extravagants.
(Je pense commencer Mon cœur mis à nu n’importe où, n’importe comment, et le continuer au jour le jour, suivant l’inspiration du jour et de la circonstance, pourvu que l’inspiration soit vive).
Le premier venu, pourvu qu’il sache amuser, a le droit de parler de lui-même.
Je comprends qu’on déserte une cause pour savoir ce qu’on éprouvera à en servir une autre.
Il serait peut-être doux d’être alternativement victime et bourreau.
Sottises de Girardin :
« Notre habitude est de prendre le taureau par les cornes. Prenons donc le discours par la fin » (7 novembre 1863).
Donc, Girardin croit que les cornes des taureaux sont plantées sur leur derrière. Il confond les cornes avec la queue.
« Qu’avant d’imiter les Ptolémées du journalisme français, les journalistes belges se donnent la peine de réfléchir sur la question que j’étudie depuis trente ans sous toutes ses faces, ainsi que le prouvera le volume : Questions de presse ; qu’ils ne se hâtent pas de traiter de souverainement ridicule[2] une opinion qui est aussi vraie qu’il est vrai que la terre tourne et que le soleil ne tourne pas ».
Émile de Girardin.
La femme est le contraire du dandy. Donc elle doit faire horreur. La femme a faim, et elle veut manger ; soif, et elle veut boire. Elle est en rut, et elle veut être f…
Le beau mérite !
La femme est naturelle, c’est-à-dire abominable.
Aussi est-elle toujours vulgaire, c’est-à-dire le contraire du dandy.
Relativement à la Légion d’Honneur. — Celui qui demande la croix a l’air de dire : Si l’on ne me décore pas pour avoir fait mon devoir, je ne recommencerai plus.
Si un homme a du mérite, à quoi bon le décorer ? S’il n’en a pas, on peut le décorer, parce que [cela] lui donnera un lustre.
Consentir à être décoré, c’est reconnaître à l’Etat et au prince le droit de vous juger, de vous illustrer, et cœtera.
D’ailleurs, si ce n’est l’orgueil, l’humilité chrétienne défend la croix.
Calcul en faveur de Dieu. — Rien n’existe sans but. Donc mon existence a un but. Quel but ? Je l’ignore. Ce n’est donc pas moi qui l’ai marqué. C’est donc quelqu’un plus savant que moi. Il faut donc prier ce quelqu’un de m’éclairer. C’est le parti le plus sage.
Le dandy doit aspirer à être sublime, sans interruption. Il doit vivre et dormir devant un miroir.
Analyse des contre-religions ; exemple : la prostitution sacrée.
Qu’est-ce que la prostitution sacrée ? Excitation nerveuse. — Mysticité du paganisme. Le mysticisme, trait d’union entre le paganisme et le christianisme. Le paganisme et le christianisme se prouvent réciproquement.
La révolution et le culte de la Raison prouvent l’idée du sacrifice.
La superstition est le réservoir de toutes les vérités.
Il y a dans tout changement quelque chose d’infâme et d’agréable à la fois, quelque chose qui tient de l’infidélité et du déménagement. Cela suffit à expliquer la Révolution française.
Mon ivresse en 1848. De quelle nature était cette ivresse ? Goût de la vengeance. Plaisir naturel de la démolition. Ivresse littéraire ; souvenir des lectures.
Le 15 Mai. Toujours le goût de la destruction. Goût légitime, si tout ce qui est naturel est légitime.
Les horreurs de Juin. Folie du peuple et folie de la bourgeoisie. Amour naturel du crime.
Ma fureur au coup d’État. Combien j’ai essuyé de coups de fusil ! Encore un Bonaparte ! Quelle honte !
Et cependant tout s’est pacifié. Le Président n’a-t-il pas un droit à invoquer ?
Ce qu’est l’Empereur Napoléon III. Ce qu’il vaut.
Trouver l’explication de sa nature, et sa providentialité.Être un homme utile m’a paru toujours quelque chose de bien hideux.
1848 ne fut amusant que parce que chacun y faisait des utopies comme des châteaux en Espagne.
1848 ne fut charmant que par l’excès même du ridicule.
Robespierre n’est estimable que parce qu’il a fait quelques belles phrases.
La Révolution, par le sacrifice, confirme la superstition.
Politique. — Je n’ai pas de convictions, comme l’entendent les gens de mon siècle, parce que je n’ai pas d’ambition.
Il n’y a pas en moi de base pour une conviction.
Il y a une certaine lâcheté, ou plutôt une certaine mollesse chez les honnêtes gens.
Les brigands seuls sont convaincus, — de quoi ? — Qu’il leur faut réussir. Aussi, ils réussissent.
Pourquoi réussirais-je, puisque je n’ai même pas envie d’essayer ?
On peut fonder des empires glorieux sur le crime, et de nobles religions sur l’imposture.
Cependant j’ai quelques convictions, dans un sens plus élevé, et qui ne peut pas être compris par les gens de mon temps.
Sentiment de solitude, dès mon enfance. Malgré la famille, et au milieu des camarades, surtout, — sentiment de destinée éternellement solitaire.
Cependant, goût très vif de la vie et du plaisir.
Presque toute notre vie est employée à des curiosités niaises. En revanche, il y a des choses qui devraient exciter la curiosité des hommes au plus haut degré, et qui, à en juger par leur train de vie ordinaire, ne leur en inspirent aucune.
Où sont nos amis morts ? Pourquoi sommes-nous ici ? Venons-nous de quelque part ? Qu’est-ce que la liberté ? Peut-elle s’accorder avec la loi providentielle ? Le nombre des âmes est-il fini ou infini ? Et le nombre des terres habitables ? etc., etc...
Les nations n’ont de grands hommes que malgré elles. Donc, le grand homme est vainqueur de toute sa nation.
Les religions modernes ridicules : Molière, Béranger, Garibaldi.
La croyance au progrès est une doctrine de paresseux, une doctrine de Belges. C’est l’individu qui compte sur ses voisins pour faire sa besogne. Il ne peut y avoir de progrès (vrai, c’est-à-dire moral) que dans l’individu et par l’individu lui-même. Mais le monde est fait de gens qui ne peuvent penser qu’en commun, en bandes. Ainsi les Sociétés belges. Il y a aussi des gens qui ne peuvent s’amuser qu’en troupe. Le vrai héros s’amuse tout seul.
Éternelle supériorité du dandy. Qu’est-ce que le dandy ?
Mes opinions sur le théâtre. Ce que j’ai toujours trouvé de plus beau dans un théâtre, dans mon enfance, et encore maintenant, c’est le lustre, — un bel objet lumineux, cristallin, compliqué, circulaire et symétrique.
Cependant je ne nie pas absolument la valeur de la littérature dramatique. Seulement, je voudrais que les comédiens fussent montés sur des patins très hauts, portassent des masques plus expressifs que le visage humain, et parlassent à travers des porte-voix ; enfin que les rôles de femmes fussent joués par des hommes.
Après tout, le lustre m’a toujours paru l’acteur principal, vu à travers le gros bout ou le petit bout de la lorgnette.
Il faut travailler, sinon par goût, au moins par désespoir, puisque, tout bien vérifié, travailler est moins ennuyeux que s’amuser.
Il y a dans tout homme, à toute heure, deux postulations simultanées, l’une vers Dieu, l’autre vers Satan.
L’invocation à Dieu, ou spiritualité, est un désir de monter en grade ; celle de Satan, ou animalité, est une joie de descendre. C’est à cette dernière que doivent être rapportées les amours pour les femmes et les conversations intimes avec les animaux, chiens, chats, etc...
Les joies qui dérivent de ces deux amours sont adaptées à la nature de ces deux amours.
Ivresse d’humanité ; grand tableau à faire, dans le sens de la charité, dans le sens du libertinage, dans le sens littéraire, ou du comédien.
La question (torture) est, comme art de découvrir la vérité, une niaiserie barbare ; c’est l’application d’un moyen matériel à un but spirituel.
La peine de mort est le résultat d’une idée mystique, totalement incomprise aujourd’hui. La peine de mort n’a pas pour but de sauver la société, matériellement du moins. Elle a pour but de sauver (spirituellement) la société et le coupable. Pour que le sacrifice soit parfait, il faut qu’il y ait assentiment et joie, de la part de la victime. Donner du chloroforme à un condamné à mort serait une impiété, car ce serait lui enlever la conscience de sa grandeur comme victime et lui supprimer les chances de gagner le paradis[3].
Quant à la torture, elle est née de la partie infâme du cœur de l’homme, assoiffé de voluptés. Cruauté et volupté, sensations identiques, comme l’extrême chaud et l’extrême froid.
Ce que je pense du vote et du droit d’élection. Des droits de l’homme.
Ce qu’il y a de vil dans une fonction quelconque.
Un dandy ne fait rien. Vous figurez-vous un dandy parlant au peuple, excepté pour le bafouer ?
Il n’y a de gouvernement raisonnable et assuré que l’aristocratique.
Monarchie ou république, basées sur la démocratie, sont également absurdes et faibles.
Immense nausée des affiches.
Il n’existe que trois êtres respectables : le prêtre, le guerrier, le poète. Savoir, tuer et créer.
Les autres hommes sont taillables ou corvéables, faits pour l’écurie, c’est-à-dire pour exercer ce qu’on appelle des professions.
Observons que les abolisseurs de la peine de mort doivent être plus ou moins intéressés à l’abolir. Souvent, ce sont des guillotineurs. Cela peut
se résumer ainsi : « Je veux pouvoir couper ta tête, mais tu ne toucheras pas à la mienne ».
Les abolisseurs d’âmes (matérialistes) sont nécessairement des abolisseurs d’enfer ; ils y sont, à coup sûr, intéressés.
Tout au moins, ce sont des gens qui ont peur de revivre, des paresseux.
Mme de Metternich, quoique princesse, a oublié de me répondre, à propos de ce que j’ai dit d’elle et de Wagner[4]. Mœurs du xixe siècle.
Histoire de ma traduction d’Edgar Poe. Histoire des Fleurs du Mal. Humiliation par le malentendu, et mon procès.
Histoire de mes rapports avec tous les hommes célèbres de ce temps. Jolis portraits de quelques imbéciles, Clément de Ris, Castagnary. Portraits de magistrats, de fonctionnaires, de directeurs de journaux. Portrait de l’artiste, en général.
Du rédacteur en chef et de la pionnerie. Immense goût de tout le peuple français pour la pionnerie et pour la dictature. C’est le Si j’étais roi !
Portraits et anecdotes.
François Buloz, Houssaye, le fameux Rouy, de Calonne. Charpentier qui corrige ses auteurs, en vertu de l’égalité donnée à tous les hommes par les immortels principes de 1789. — Chevalier, véritable rédacteur en chef selon l’Empire.Sur George Sand. — La femme Sand est le Prudhomme de l’immoralité. Elle a toujours été moraliste. Seulement elle faisait autrefois de la contre-morale. Aussi elle n’a jamais été artiste. Elle a le fameux style coulant, cher aux bourgeois.
Elle est bête, elle est lourde, elle est bavarde. Elle a, dans les idées morales, la même profondeur de jugement et la même délicatesse de sentiment que les concierges et les filles entretenues. Ce qu’elle dit de sa mère ; ce qu’elle dit de la poésie. Son amour pour les ouvriers.
Que quelques hommes aient pu s’amouracher de cette l....., c’est bien la preuve de l’abaissement des hommes de ce siècle.
George Sand est une de ces vieilles ingénues qui ne veulent jamais quitter les planches.
Voir la préface de Mademoiselle La Quintinie, où elle prétend que les vrais chrétiens ne croient pas à l’enfer. La Sand est pour le Dieu des bonnes gens, le dieu des concierges et des domestiques filous.
Elle a de bonnes raisons pour vouloir supprimer l’enfer.
Le Diable et George Sand.
Il ne faut pas croire que le diable ne tente que les hommes de génie. Il méprise sans doute les imbéciles, mais il ne dédaigne pas leur concours. Bien au contraire, il fonde ses grands espoirs sur ceux-là.
Voyez George Sand. Elle est surtout, et plus que toute autre chose, une grosse bête ; mais elle est possédée. C’est le diable qui lui a persuadé de se fier à son bon cœur et à son bon sens, afin qu’elle persuadât toutes les autres grosses bêtes de se fier à leur bon cœur et à leur bon sens.
Je ne puis penser à cette stupide créature, sans un certain frémissement d’horreur. Si je la rencontrais, je ne pourrais m’empêcher de lui jeter un bénitier à la tête.
Je m’ennuie en France, surtout parce que tout le monde y ressemble à Voltaire.
Emerson a oublié Voltaire dans ses Représentants de l’humanité. Il aurait pu faire un joli chapitre intitulé : Voltaire ou l’antipoète, le roi des badauds, le prince des superficiels, l’antiartiste, le prédicateur des concierges, le père Gigogne des rédacteurs du Siècle.
Dans les Oreilles du Comte de Chesterfield, Voltaire plaisante sur cette âme immortelle qui a résidé, pendant neuf mois, entre des excréments et des urines. Voltaire, comme tous les paresseux, haïssait le mystère.
Ne pouvant pas supprimer l’amour, l’Eglise a voulu au moins le désinfecter, et elle a fait le mariage.
[En marge.] Au moins aurait-il pu deviner dans cette localisation une malice ou une satire de la Providence contre l’amour, et, dans le mode de la génération, un signe du péché originel. De fait, nous ne pouvons faire l’amour qu’avec des organes excrémentitiels.
Portrait de la canaille littéraire. Doctor Estaminetus Crapulosus Pedantissimus. Son portrait fait à la manière de Praxitèle. Sa pipe, ses opinions, son hégélianisme, sa crasse, ses idées en art, son fiel, sa jalousie. Un joli tableau de la jeunesse moderne.
Φαρμακοτρίϐης, ανηρ καὶ των τους οφείς ες τα δαυματα τρεφοντων.
La théologie. Qu’est-ce que la chute ? Si c’est l’unité devenue dualité, c’est Dieu qui a chuté. En d’autres termes, la création ne serait-elle pas la chute de Dieu ?
Dandysme. Qu’est-ce que l’homme supérieur ? Ce n’est pas le spécialiste. C’est l’homme de loisir et d’éducation générale. Etre riche et aimer le travail.
Il y a de certaines femmes qui ressemblent au ruban de la Légion d’honneur. On n’en veut plus parce qu’elles se sont salies à de certains hommes. C’est par la même raison que je ne chausserais pas les culottes d’un galeux.
Ce qu’il y a d’ennuyeux dans l’amour, c’est que c’est un crime où l’on ne peut pas se passer d’un complice.
Etude de la grande maladie de l’horreur du domicile. Raisons de la maladie. Accroissement progressif de la maladie.
Indignation causée par la fatuité universelle de toutes les classes, de tous les êtres, dans les deux sexes, dans tous les âges.
L’homme aime tant l’homme que, quand il fuit la ville, c’est encore pour chercher la foule, c’est-à-dire pour refaire la ville à la campagne.
Discours de Durandeau sur les Japonais. (Moi, je suis Français avant tout.) Les Japonais sont des singes, c’est Darjon qui me l’a dit.
Discours du médecin, l’ami de Mathieu, sur l’art de ne pas faire d’enfants, sur Moïse, et sur l’immortalité de l’âme.
L’art est un agent civilisateur (Castagnary).
Physionomie d’un sage et de sa famille au cinquième étage, buvant le café au lait.
Le sieur Macquart père et le sieur Macquart fils.
Comment le Macquart fils est devenu conseiller en Cour d’appel.
De l’amour, de la prédilection des Français pour les métaphores militaires. Toute métaphore ici porte des moustaches.
Littérature militante. — Rester sur la brèche. — Porter haut le drapeau. — Tenir le drapeau haut et ferme. — Se jeter dans la mêlée. — Un des vétérans. — Toutes ces glorieuses phraséologies s’appliquent généralement à des cuistres et à des fainéants d’estaminet.
Métaphore française.
Soldat de la presse judiciaire (Bertin).
La presse militante.
A ajouter aux métaphores militaires :
Soldat de la presse judiciaire (Bertin). Les poètes de combat. Les littérateurs d’avant-garde. Ces habitudes de métaphores militaires dénotent des esprits non pas militants, mais faits pour la discipline, c’est-à-dire pour la conformité, des esprits nés domestiques, des esprits belges, qui ne peuvent penser qu’en société.
Le goût du plaisir nous attache au présent. Le soin de notre salut nous suspend à l’avenir.
Celui qui s’attache au plaisir, c’est-à-dire au présent, me fait l’effet d’un homme roulant sur une pente, et qui, voulant se raccrocher aux arbustes, les arracherait et les emporterait dans sa chute.
Avant tout, être un grand homme et un saint pour soi-même.
De la haine du peuple contre la beauté. Des exemples : Jeanne[6] et Mme Muller.
En somme, devant l’histoire et devant le peuple français, la grande gloire de Napoléon III aura été de prouver que le premier venu peut, en s’emparant du télégraphe et de l’Imprimerie nationale, gouverner une grande nation.
Imbéciles sont ceux qui croient que de pareilles choses peuvent s’accomplir sans la permission du peuple, — et ceux qui croient que la gloire ne peut être appuyée que sur la vertu !
Les dictateurs sont les domestiques du peuple, — rien de plus, un foutu rôle d’ailleurs, et la gloire est le résultat de l’adaptation d’un esprit avec la sottise nationale.
Qu’est-ce que l’amour ? Le besoin de sortir de soi.
L’homme est un animal adorateur. Adorer, c’est se sacrifier et se prostituer.
Aussi tout amour est-il prostitution.
L’être le plus prostitué, c’est l’être par excellence, c’est Dieu, puisqu’il est l’ami suprême pour chaque individu, puisqu’il est le réservoir commun, inépuisable de l’amour.
PRIÈRE
Ne me châtiez pas dans ma mère et ne châtiez pas ma mère à cause de moi. — Je vous recommande les âmes de mon père et de Mariette. — Donnez-moi la force de faire immédiatement mon devoir tous les jours et de devenir ainsi un héros et un saint.
Un chapitre sur l’indestructible, éternelle, universelle et ingénieuse férocité humaine. De l’amour du sang de l’ivresse du sang, de l’ivresse des foules. De l’ivresse du supplicié (Damiens).
Il n’y a de grand parmi les hommes que le poète, le prêtre et le soldat ; l’homme qui chante, l’homme qui bénit, l’homme qui sacrifie et se sacrifie. Le reste est fait pour le fouet.
Défions-nous du peuple, du bon sens, du cœur, de l’inspiration et de l’évidence.
J’ai toujours été étonné qu’on laissât les femmes entrer dans les églises. Quelle conversation peuvent-elles avoir avec Dieu ?
L’éternelle Vénus (caprice, hystérie, fantaisie) est une des formes séduisantes du diable.
Le jour où le jeune écrivain corrige sa première épreuve, il est fier comme un écolier qui vient de gagner sa première vérole.
Ne pas oublier un grand chapitre sur l’art de la divination par l’eau, les cartes, l’inspection de la main, etc...
La femme ne sait pas séparer l’âme du corps. Elle est simpliste, comme les animaux. — Un satirique dirait que c’est parce qu’elle n’a que le corps.
Un chapitre sur la toilette. — Moralité de la toilette, les bonheurs de la toilette.
De la cuistrerie. Des professeurs, des juges, des prêtres et des ministres.
Les jolis grands hommes du jour, Renan, Feydeau, Octave Feuillet, Scholl.
Les directeurs de journaux, François Buloz, Houssaye, Rouy, Girardin, Texier, de Calonne, Solar, Turgan, Dalloz.
Liste de canailles, Solar en tête.
Etre un grand homme et un saint pour soi-même voilà l’unique chose importante.
Nadar, c’est la plus étonnante expression de vitalité. Adrien me disait que son frère Félix avait tous les viscères en double. J’ai été jaloux de lui à le voir si bien réussir dans tout ce qui n’est pas l’abstrait.
Veuillot est si grossier et si ennemi des arts qu’on dirait que toute le démocratie du monde s’est réfugié dans son sein.
Développement du portrait. Suprématie de l’idée pure chez le chrétien comme chez le communiste babouviste.
Fanatisme de l’humilité. Ne pas même aspirer à comprendre la religion.
Musique. De l’esclavage. — Des femmes du monde. — Des filles. — Des magistrats. — Des sacrements. — L’homme de lettres est l’ennemi du monde. — Des bureaucrates.
Dans l’amour, comme dans presque toutes les affaires humaines, l’entente cordiale est le résultat d’un malentendu. Ce malentendu, c’est le plaisir. L’homme crie : O mon ange ! La femme roucoule : Maman ! maman ! Et ces deux imbéciles sont persuadés qu’ils pensent de concert. — Le gouffre infranchissable, qui fait l’incommunicabilité, reste infranchi.
Pourquoi le spectacle de la mer est-il si infiniment et si éternellement agréable ?
Parce que la mer offre à la fois l’idée de l’immensité et du mouvement. Six ou sept lieues représentent pour l’homme le rayon de l’infini. Voilà un infini diminutif. Qu’importe, s’il suffit à suggérer l’idée de l’infini total ? Douze ou quatorze lieues de liquide en mouvement suffisent pour donner la plus haute idée de beauté qui soit offerte à l’homme sur son habitacle transitoire.
Il n’y a rien d’intéressant sur la terre que les religions.
Il y a une religion universelle faite pour les alchimistes de la pensée, une religion qui se dégage de l’homme, considéré comme mémento divin.
Saint-Marc Girardin a dit un mot qui restera : « Soyons médiocres ! » Rapprochons ce mot de celui de Robespierre : « Ceux qui ne croient pas à l’immortalité de leur être se rendent justice ». Le mot de Saint-Marc Girardin implique une immense haine contre le sublime.
Qui a vu Saint-Marc Girardin marcher dans la rue a conçu tout de suite l’idée d’une grande oie infatuée d’elle-même, mais effarée et courant sur la grande route, devant la diligence.
Théorie de la vraie civilisation. Elle n’est pas dans le gaz, ni dans la vapeur, ni dans les tables tournantes. Elle est dans la diminution des traces du péché originel.
Peuples nomades, pasteurs, chasseurs, agricoles et même anthropophages, tous peuvent être supérieurs par l’énergie, par la dignité personnelle, à nos races d’Occident. Celles-ci peut-être seront détruites. Théocratie et communisme.
C’est par le loisir que j’ai, en partie, grandi, — à mon grand détriment ; car le loisir, sans fortune, augmente les dettes, les avanies résultant des dettes ; mais, à mon grand profit, relativement à la sensibilité, à la méditation et à la faculté du dandysme et du dilettantisme.
Les autres hommes de lettres sont, pour la plupart, de vils piocheurs très ignorants.
La jeune fille des éditeurs. La jeune fille des rédacteurs en chef. La jeune fille épouvantail, monstre, assassin de l’art.
La jeune fille, ce qu’elle est en réalité. Une petite sotte et une petite salope ; la plus grande imbécillité unie à la plus grande dépravation.
Il y a dans la jeune fille toute l’abjection du voyou et du collégien.
Avis aux non-communistes : tout est commun, même Dieu.
Le Français est un animal de basse-cour si bien domestiqué qu’il n’ose franchir aucune palissade. Voir ses goûts en art et en littérature.
C’est un animal de race latine ; l’ordure ne lui déplaît pas, dans son domicile, et, en littérature, il est scatophage. Il raffole des excréments. Les littérateurs d’estaminet appellent cela le sel gaulois.
Bel exemple de la bassesse française, de la nation qui se prétend indépendante avant toutes les autres.
[Ici est collé sur le manuscrit cet entrefilet découpé dans un journal :]
« L’extrait suivant du beau livre de M. de Vaulabelle suffira pour donner une idée de l’impression que fit l’évasion de Lavalette sur la portion la moins éclairée du parti royaliste :
« L’emportement royaliste, à ce moment de la seconde Restauration, allait, pour ainsi dire, jusqu’à la folie. La jeune Joséphine de Lavalette faisait son éducation dans l’un des principaux couvents de Paris (l’Abbaye-au-Bois) ; elle ne l’avait quitté que pour venir embrasser son père. Lorsqu’elle y rentra après l’évasion et que l’on connut la part bien modeste qu’elle y avait prise, une immense clameur s’éleva contre cette enfant ; les religieuses et ses compagnes la fuyaient, et bon nombre de parents déclarèrent qu’ils retireraient leurs filles si on la gardait. Ils ne voulaient pas, disaient-ils, laisser leurs enfants en contact avec une jeune personne qui avait tenu une pareille conduite et donné un pareil exemple. Quand Mme de Lavalette, six semaines après, recouvra la liberté, elle fut obligée de reprendre sa fille ».
Princes et générations. — Il y a une égale injustice à attribuer aux princes régnants les mérites et les vices du peuple actuel qu’ils gouvernent.
Ces mérites et ces vices sont presque toujours, comme la statistique et la logique le pourraient démontrer, attribuables à l’atmosphère du gouvernement précédent.
Louis XIV hérite des hommes de Louis XIII, gloire. Napoléon Ier hérite des hommes de la République, gloire. Louis-Philippe hérite des hommes de Charles X, gloire. Napoléon III hérite des hommes de Louis-Philippe, déshonneur.
C’est toujours le gouvernement précédent qui est responsable des mœurs du suivant, en tant qu’un gouvernement puisse être responsable de quoi que ce soit.
Les coupures brusques que les circonstances font dans les règnes ne permettent pas que cette loi soit absolument exacte, relativement au temps. On ne peut pas marquer exactement où finit une influence, mais cette influence subsistera dans toute la génération qui l’a subie dans sa jeunesse.
De la haine de la jeunesse contre les citateurs. Le citateur est pour eux un ennemi.
« Je mettrais l’orthographe même sous la main du bourreau ».
Beau tableau à faire : la canaille littéraire.
Ne pas oublier un portrait de Forgues, le pirate, l’écumeur de lettres.
Goût inamovible de la prostitution dans le cœur de l’homme, d’où naît son horreur de la solitude. — Il veut être deux. L’homme de génie veut être un, donc solitaire. La gloire, c’est rester un, et se prostituer d’une manière particulière.
C’est cette horreur de la solitude, le besoin d’oublier son moi dans la chair extérieure, que l’homme appelle noblement besoin d’aimer.
Deux belles religions, immortelles sur les murs, éternelles obsessions du peuple : le phallus antique et « Vive Barbès ! » ou « A bas Philippe ! » ou « Vive la République ! ».
Etudier dans tous ses modes, dans les œuvres de la nature et dans les œuvres de l’homme, l’universelle et éternelle loi de la gradation, des peu à peu, du petit à petit, avec les forces progressivement croissantes, comme les intérêts composés, en matière de finances.
Il en est de même dans l’habileté artistique et littéraire ; il en est de même dans le trésor variable de la volonté.
La cohue des petits littérateurs, qu’on voit aux enterrements, distribuant des poignées de mains et se recommandant à la mémoire du faiseur de courriers. De l’enterrement des hommes célèbres.
Molière. — Mon opinion sur Tartuffe est que ce n’est pas une comédie, mais un pamphlet. Un athée, s’il est simplement un homme bien élevé, pensera, à propos de cette pièce, qu’il ne faut jamais livrer certaines questions graves à la canaille.Glorifier le culte des images (ma grande, mon unique, ma primitive passion).
Glorifier le vagabondage et ce qu’on peut appeler le bohémianisme. Culte de la sensation multipliée et s’exprimant par la musique. En référer à Liszt.
De la nécessité de battre les femmes.
On peut châtier ce que l’on aime. Ainsi les enfants. Mais cela implique la douleur de mépriser ce que l’on aime.
Du cocuage et des cocus. La douleur du cocu. Elle naît de son orgueil, d’un raisonnement faux sur l’honneur et sur le bonheur, et d’un amour niaisement détourné de Dieu pour être attribué aux créatures. C’est toujours l’animal adorateur se trompant d’idole.
Analyse de l’imbécillité insolente. Clément de Ris et Paul Pérignon.
Plus l’homme cultive les arts, moins il b..de.
Il se fait un divorce de plus en plus sensible entre l’esprit et la brute.
La brute seule b..de bien, et la fouterie est le lyrisme du peuple.
F....., c’est aspirer à entrer dans un autre, et l’artiste ne sort jamais de lui-même.
J’ai oublié le nom de cette salope… Ah ! bah ! je le retrouverai au jugement dernier.
La musique donne l’idée de l’espace.
Tous les arts, plus ou moins ; puisqu’ils sont nombre et que le nombre est une traduction de l’espace.
Vouloir tous les jours être le plus grand des hommes !
Etant enfant, je voulais être tantôt pape, mais pape militaire, tantôt comédien. Jouissances que je tirais de ces deux hallucinations.
Tout enfant, j’ai senti dans mon cœur deux sentiments contradictoires ; l’horreur de la vie et l’extase de la vie. C’est bien le fait d’un paresseux nerveux.
Les nations n’ont de grands hommes que malgré elles.
À propos du comédien et de mes rêves d’enfance, un chapitre sur ce qui constitue, dans l’âme humaine, la vocation du comédien, la gloire du comédien, l’art du comédien et sa situation dans le monde.
La théorie de Legouvé. Legouvé est-il un farceur froid, un Swift, qui a essayé si la France pouvait avaler une nouvelle absurdité ? Son choix. Bon en ce sens que Samson n’est pas un comédien.
De la vraie grandeur des parias. Peut-être même, la vertu nuit-elle aux talents des parias.Le commerce est, par son essence, satanique. Le commerce, c’est le prêté-rendu, c’est le prêt avec le sous-entendu : Rends-moi plus que je ne te donne.
— L’esprit de tout commerçant est complètement vicié.
— Le commerce est naturel, donc il est infâme.
— Le moins infâme de tous les commerçants, c’est celui qui dit : « Soyons vertueux pour gagner beaucoup plus d’argent que les sots qui sont vicieux ». Pour le commerçant, l’honnêteté elle-même est une spéculation de lucre. Le commerce est satanique, parce qu’il est une des formes de l’égoïsme, et la plus basse, et la plus vile.
Quand Jésus-Christ dit : « Heureux ceux qui sont affamés, car ils seront rassasiés ! » Jésus-Christ fait un calcul de probabilités.
Le monde ne marche que par le malentendu. C’est par le malentendu universel que tout le monde s’accorde. Car si, par malheur, on se comprenait, on ne pourrait jamais s’accorder.
L’homme d’esprit, celui qui ne s’accordera jamais avec personne, doit s’appliquer à aimer la conversation des imbéciles et la lecture des mauvais livres. Il en tirera des jouissances amères qui compenseront largement sa fatigue.Un fonctionnaire quelconque, un ministre, un directeur de théâtre ou de journal, peuvent être quelquefois des êtres estimables ; mais ils ne sont jamais divins. Ce sont des personnes sans personnalité, des êtres sans originalité, nés pour la fonction, c’est-à-dire pour la domesticité publique.
Dieu et sa profondeur. On peut ne pas manquer d’esprit et chercher dans Dieu le complice et l’ami qui manquent toujours. Dieu est l’éternel confident dans cette tragédie dont chacun est le héros. Il y a peut-être des usuriers et des assassins qui disent à Dieu : « Seigneur, faites que ma prochaine opération réussisse ! » Mais la prière de ces vilaines gens ne gâte pas l’honneur et le plaisir de la mienne.
Toute idée est, par elle-même, douée d’une vie immortelle, comme une personne.
Toute forme créée, même par l’homme, est immortelle. Car la forme est indépendante de la matière, et ce ne sont pas les molécules qui constituent la forme.
Anecdotes relatives à Émile Douay et à Constantin Guys détruisant ou plutôt croyant détruire leurs œuvres.
Il est impossible de parcourir une gazette quelconque, de n’importe quel jour, ou quel mois, ou quelle année, sans y trouver, à chaque ligne, les signes de la perversité humaine la plus épouvantable, en même temps que les vanteries les plus surprenantes de probité, de bonté, de charité, et les affirmations les plus effrontées, relatives au progrès et à la civilisation.
Tout journal, de la première ligne à la dernière, n’est qu’un tissu d’horreurs. Guerres, crimes, vols, impudicités, tortures, crimes des princes, crimes des nations, crimes des particuliers, une ivresse d’atrocité universelle.
Et c’est de ce dégoûtant apéritif que l’homme civilisé accompagne son repas de chaque matin. Tout, en ce monde, sue le crime : le journal, la muraille et le visage de l’homme.
Je ne comprends pas qu’une main pure puisse toucher un journal sans une convulsion de dégoût.
La force de l’amulette démontrée par la philosophie. Les sols percés, les talismans, les souvenirs de chacun.
Traité de dynamique morale. De la vertu des sacrements.
Dès mon enfance, tendance à la mysticité. Mes conversations avec Dieu.
De l’Obsession, de la Possession, de la Prière et de la Foi.
Dynamique morale de Jésus.
Renan trouve ridicule que Jésus croie à la toute-puissance, même matérielle, de la Prière et de la Foi.
Les sacrements sont des moyens de cette dynamique.
De l’infamie de l’imprimerie, grand obstacle au développement du Beau.
Belle conspiration à organiser pour l’extermination de la race juive.
Les juifs bibliothécaires et témoins de la Rédemption.
Tous les imbéciles de la Bourgeoisie qui prononcent sans cesse les mots : immoral, immoralité, moralité dans l’art et autres bêtises me font penser à Louise Villedieu, putain à cinq francs, qui, m’accompagnant une fois au Louvre, où elle n’était jamais allée, se mit à rougir, à se couvrir le visage, et, me tirant à chaque instant par la manche, me demandait devant les statues et les tableaux immortels comment on pouvait étaler publiquement de pareilles indécences.
Les feuilles de vigne du sieur Nieuwerkerke.
Pour que la loi du progrès existât, il faudrait que chacun voulût la créer ; c’est-à-dire que, quand tous les individus s’appliqueront à progresser, alors, et seulement alors, l’humanité sera en progrès.
Cette hypothèse peut servir à expliquer l’identité des deux idées contradictoires, liberté et fatalité. — Non seulement il y aura, dans le cas de progrès, identité entre la liberté et la fatalité, mais cette identité a toujours existé. Cette identité c’est l’histoire, histoire des nations et des individus.
Sonnet à citer dans Mon cœur mis à nu.
Citer également la pièce sur Roland[7].
Je songeais cette nuit que Philis revenue,
Belle comme elle était à la clarté du jour,
Voulait que son fantôme encore fît l’amour,
Et que, comme Ixion, j’embrassasse une nue.
Son ombre dans mon lit se glisse toute nue,
Et me dit : « Cher Damon, me voici de retour ;
Je n’ai fait qu’embellir en ce triste séjour
Où depuis mon départ le sort m’a retenue.
« Je viens pour rebaiser le plus beau des amants ;
Je viens pour remourir dans tes embrassements ! »
Alors, quand cette idole eut abusé ma flamme,
Elle me dit : « Adieu ! Je m’en vais chez les morts.
Comme tu t’es vanté d’avoir f… mon corps,
Tu pourras te vanter d’avoir f… mon âme »
Je crois que ce sonnet est de Maynard.
Malassis prétend qu’il est de Théophile[8].
Hygiène. Projets. — Plus on veut, mieux on veut.
Plus on travaille, mieux on travaille et plus on veut travailler. Plus on produit, plus on devient fécond.
Après une débauche, on se sent toujours plus seul, plus abandonné.
Au moral comme au physique, j’ai toujours eu la sensation du gouffre, non seulement du gouffre du sommeil, mais du gouffre de l’action, du rêve, du souvenir, du désir, du regret, du remords, du beau, du nombre, etc...
J’ai cultivé mon hystérie avec jouissance et terreur. Maintenant, j’ai toujours le vertige, et aujourd’hui, 23 Janvier 1862, j’ai subi un singulier avertissement, j’ai senti passer sur moi le vent de l’aile de l’imbécillité.
Hygiène. Morale. — A Honfleur ! le plus tôt possible, avant de tomber plus bas.
Que de pressentiments et de signes envoyés déjà par Dieu, qu’il est grandement temps d’agir, de considérer la minute présente comme la plus importante des minutes, et de faire ma perpétuelle volupté de mon tourment ordinaire, c’est-à-dire du Travail !
Hygiène. Conduite. Morale. — A chaque minute nous sommes écrasés par l’idée et la sensation du temps. Et il n’y a que deux moyens pour échapper à ce cauchemar, pour l’oublier : le plaisir et le travail. Le plaisir nous use. Le travail nous fortifie. Choisissons.
Plus nous nous servons d’un de ces moyens, plus l’autre nous inspire de répugnance.
On ne peut oublier le temps qu’en s’en servant.
Tout ne se fait que peu à peu.
De Maistre et Edgar Poe m’ont appris à raisonner.
Il n’y a de long ouvrage que celui qu’on n’ose pas commencer. Il devient cauchemar.
Hygiène. — En renvoyant ce qu’on a à faire, on court le danger de ne jamais pouvoir le faire. En ne se convertissant pas tout de suite, on risque d’être damné.
Pour guérir de tout, de la misère, de la maladie et de la mélancolie, il ne manque absolument que le goût du Travail.
Notes précieuses. — Fais, tous les jours, ce que veulent le devoir et la prudence. Si tu travaillais tous les jours, la vie te serait plus supportable. Travaille six jours sans relâche. Pour trouver des sujets, γνῶθι σεαυτόν (Liste de mes goûts). Sois toujours poète, même en prose. Grand style (rien de plus beau que le lieu commun). Commence d’abord, et puis sers-toi de la logique et de l’analyse. N’importe quelle hypothèse veut sa conclusion. Trouver la frénésie journalière.
Hygiène. Conduite. Morale. — Dettes. Deux parts. Ancelle[9], Amis (ma mère, amis, moi). Ainsi, mille francs doivent être divisés en deux parts de 500 francs chacune, et la deuxième divisée en trois parties.
A Honfleur. — Faire une revue et un classement de toutes mes lettres (2 jours) et de toutes mes dettes (2 jours). (Quatre catégories, billets, grosses dettes, petites dettes, amis). Classement de gravures (2 jours). Classement de notes (2 jours).
Hygiène. Morale. Conduite. — Trop tard peut-être ! — Ma mère et Jeanne. — Ma santé par charité, par devoir ! — Maladies de Jeanne. Infirmités, solitude de ma mère.
— Faire son devoir tous les jours et se fier à Dieu, pour le lendemain.
— La seule manière de gagner de l’argent est de travailler d’une manière désintéressée.
— Une sagesse abrégée. Toilette, prière, travail.
— Prière : charité, sagesse et force.
— Sans la charité, je ne suis qu’une cymbale retentissante.
— Mes humiliations ont été des grâces de Dieu.
— Ma phase d’égoïsme est-elle finie ?
— La faculté de répondre à la nécessité de chaque minute, l’exactitude, en un mot, doit trouver infailliblement sa récompense.
Le malheur qui se perpétue produit sur l’âme l’effet de la vieillesse sur le corps, on ne peut plus remuer ; on se couche…
D’un autre côté, on tire de l’extrême jeunesse des raisons d’attermoiement ; quand on a beaucoup de temps à dépenser, on se persuade qu’on peut attendre des années à jouer devant les événements.
Hygiène. Conduite. Morale. — Jeanne 300, ma mère 200, moi 300, — 800 francs par mois. Travailler de six heures du matin, à jeun, à midi. Travailler en aveugle, sans but, comme un fou. Nous verrons le résultat.
Je suppose que j’attache ma destinée à un travail non interrompu de plusieurs heures.
Tout est réparable. Il est encore temps. Qui sait même si des plaisirs nouveaux… ?
Gloire, payement de mes dettes. — Richesse de Jeanne et de ma mère.
Je n’ai pas encore connu le plaisir d’un plan réalisé. Puissance de l’idée fixe, puissance de l’espérance.
L’habitude d’accomplir le devoir chasse la peur.
Il faut vouloir rêver et savoir rêver. Evocation de l’inspiration. Art magique. Se mettre tout de suite à écrire. Je raisonne trop.
Travail immédiat, même mauvais, vaut mieux que la rêverie.
Une suite de petites volontés fait un gros résultat.
Tout recul de la volonté est une parcelle de substance perdue. Combien donc l’hésitation est prodigue ! Et qu’on juge de l’immensité de l’effort final nécessaire pour réparer tant de pertes !
L’homme qui fait sa prière, le soir, est un capitaine qui pose des sentinelles. Il peut dormir.
Rêves sur la mort et avertissements.
Je n’ai jusqu’à présent joui de mes souvenirs que tout seul ; il faut en jouir à deux. Faire des jouissances du cœur une passion.
Parce que je comprends une existence glorieuse, je me crois capable de la réaliser. O Jean-Jacques !
Le travail engendre forcément les bonnes mœurs, sobriété et chasteté, conséquemment la santé, la richesse, le génie successif et progressif, et la charité. Age quod agis.
Poisson, bains froids, douches, lichen, pastilles, occasionnellement ; d’ailleurs, suppression de tout excitant.
Lichen d’Islande | 125 | grammes. |
Sucre blanc | 250 | - |
Faire tremper le lichen, pendant douze ou quinze heures, dans une quantité d’eau froide suffisante, puis jeter l’eau. Faire bouillir le lichen dans deux litres d’eau sur un feu doux et soutenu, jusqu’à ce que ces deux litres se réduisent à un seul litre, écumer une seule fois ; ajouter alors les 250 grammes de sucre et laisser épaissir jusqu’à la consistance de sirop. Laisser refroidir. Prendre par jour trois très grandes cuillerées à bouche, le matin, à midi et le soir. Ne pas craindre de forcer les doses, si les crises étaient trop fréquentes.
Hygiène. Conduite. Méthode. — Je me jure à moi-même de prendre désormais les règles suivantes pour règles éternelles de ma vie :
Faire tous les matins ma prière à Dieu, réservoir de toute force et de toute justice, à mon père, à Mariette et à Poe, comme intercesseurs ; les prier de me communiquer la force nécessaire pour accomplir tous mes devoirs, et d’octroyer à ma mère une vie assez longue pour jouir de ma transformation ; travailler toute la journée, ou du moins tant que mes forces me le permettront ; me fier à Dieu, c’est-à-dire à la Justice même, pour la réussite de mes projets ; faire, tous les soirs, une nouvelle prière, pour demander à Dieu la vie et la force pour ma mère et pour moi ; faire, de tout ce que je gagnerai, quatre parts, — une pour la vie courante, une pour mes créanciers, une pour mes amis, et une pour ma mère ; — obéir aux principes de la plus stricte sobriété, dont le premier est la suppression de tous les excitants, quels qu’ils soient.
- ↑ Edgar Poe avait écrit dans ses marginalia des Contes grotesques : « LXXX. Si quelque homme ambitieux veut révolutionner d’un coup le monde entier de la pensée humaine, de l’opinion et du sentiment humains, voici ce qui lui en donne le pouvoir. La route à une gloire impérissable est ouverte droite et sans encombre devant lui. Il n’a qu’à écrire et publier un très petit livre. Son titre sera simple, quelques mots sans prétention : Mon cœur mis à nu. Mais ce petit livre doit tenir toutes ses promesses. » (Traduction de M. Émile Hennequin.)
- ↑ Il y a des gens qui prétendent que rien n’empêche de croire que, le ciel étant immobile, c’est la terre qui tourne autour de son axe. Mais ces gens-là ne sentent pas, à raison de ce qu’il se passe autour de nous, combien leur opinion est souverainement ridicule (πανυ γελοίοτατον).
ptolémée. l’Almageste, livre I, chap. vi.
Et habet mea mentula meatum.girardin.
(Note de Ch. Baudelaire.)
- ↑ « Dandies.
« L’envers de Claude Gueux. Théorie du sacrifice. Légitimation de la peine de mort. Le sacrifice n’est complet que par le sponte sua de la victime.« Un condamné à mort, raté par le bourreau, délivré par le peuple, retournerait au bourreau. Nouvelle justification de la peine de mort. » (Collection Crépet.)
- ↑ V. Œuvres complètes, t. III, pp. 256-57.
- ↑ Peut-être convient-il de rapprocher cette citation du paragraphe : « Pourquoi le poète ne serait-il pas… un éleveur de serpents, etc... ». V. la Réponse à Jules Janin, p. 318.
- ↑ Jeanne Duval, qui tint une si grande place dans la vie et les affections du poète.
- ↑ S’agit-il du poème de Napoléon Peyrat ?
- ↑ V. les Lettres, billet à Sainte-Beuve, fin de 1863. — L’origine de ce sonnet n’a pas été établie.
- ↑ Le conseil judiciaire de Baudelaire, et mieux : son ami et son confident dévoué jusqu’au dernier jour.