Mon village/Une veillée

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Mon villageMichel Lévy frères (p. 9-35).
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I

UNE VEILLÉE.


Depuis un nombre innombrable d’hivers, c’est dans la maison de Norine Duclos qu’ont lieu les plus égayantes veillées de notre village. Adonc, certain soir, comme j’entrais chez Norine, je la trouvai en train de prêcher ses trois petiotes.

— Hé ! Mandine, criait-elle, dépêche-toi de balayer la maison ; plus vite que ça ! Surtout n’oublie pas le coin où la femme de Jean-Claude a épluché une pomme ce matin. Toi, la Rose, prends mon couvet et emplis-le. Habile[1], habile. Désirée ! Monte sur l’escabeau et décroche une chandelle à la poutre ; trouve le chandelier. Bon ! voilà du cuivre qui terluit comme le dos d’une citrouille. Frotte, frotte ; là !… Faites excuse, Cellier, dit Norine, mais des fillettes, ça ne s’avise de rien, il faut tout leur commander.

Quand on doit parler d’une ménagère, en voilà une ! Elle passe, à bon droit, pour la plus regardante de Saint-Brunelle ; on se mirerait dans son armoire en noyer de même que devant un miroir, et je vous avertis que les couverts d’étain qui pendent à sa potière, brillent comme du pur argent.

Il paraît difficile de rencontrer dans les palais, savez-vous, trois brins de filles comme Armandine, la Rose et puis Désirée. À réserve de la Rose, qui me semble une miette trop rétue pour une jeunesse de campagne, les petiotes de Norine sont capables sur beaucoup de points.

Tandis que ses sœurs mettent leur gloire à regarder cliqueter le feu[2], la Rose met sa gloire à se promener suivie d’un tas de galants.

Si mioche qu’elle ait été, elle a toujours passé pour garçonnière ; mais fût-ce ! comme son oncle Jean-Claude, ce n’est pas la plus bête de chez nous.

À la fin des fins, la maison s’emplit ; les couseuses se placent le plus près possible de la chandelle, les fileuses derrière les couseuses, et les tricoteuses n’importe où. On devise de choses et d’autres, on glose à tort et à travers, et les langues tournent, tournent pareillement aux rouets des meilleures fileuses.

— L’hiver viendra sans oraisons, dit le père Roux, berger, en faisant trotter ses aiguilles plus vite que ses moutons[3].

— Taisez-vous, vieux huguenot, dit la petiote à Perpétue, vous ne savez qu’offenser le bon Dieu.

— Qu’est-ce que tu chantes là ? des psaumes ? Garde-les pour monsieur le curé. Tiens ! voilà Jean-Claude. Bonsoir, Jean-Claude !

— Bonsoir, mon frère, dit Norine.

— Bonsoir, la compagnie, dit Jean-Claude. Devinez par qui je me suis laissé suivre ? Par Basset et sa femme, qui s’embrassent à la porte comme s’ils étaient du pain blanc.

— Voilà une preuve qu’on peut s’aimer tout de même dans le mariage, dit le fieu du père Roux, berger, à l’oreille de la Rose. M’est avis pourtant que la Bassette est rabotée dans le genre des planches de défunt ton père, qui était charron ; ce n’est pas comme toi.

Et, par manière de flatterie, il prit la fillette à bras-le-corps.

Assuré que le moment se trouvait mal choisi. La Rose n’a jamais passé pour endurante ; elle se détourna par devers Gaspard et lui fit cadeau d’une belle paire de giroflées à cinq feuilles.

— Combien de chandelles ? dit la malicieuse en montrant ses petiotes dents.

— Trente-six ! dit Gaspard sans broncher. Tant de chandelles, tant de baisers, et payés comptant, ça se doit.

Un chacun se leva de sa chaise pour voir celui des deux qui l’emporterait.

— Défends-toi, la Rose ! criaient les bonnets blancs.

— Hardi, Gaspard ! criaient les fieux.

La fille à Norine eut beau se débattre, Gaspard, qui était fort comme un batteur en grange, lui compta sur le cou, sur les yeux, sur la bouche, trente-six bons baisers sonnants.

Tout le monde prit le parti de rire, hormis la grande Jacqueline, parce qu’elle se sent comme une manière de faiblesse envers ce rien qui vaille de Gaspard.

Le gars Denis, tout en tenant par la taille une des filles à Norine, Désirée, sa promise, dit, pour parler de quelque chose, à la mère Leroy :

— Hé ! la vieille, chante la conscription ; faut chanter, sans ça on ne finira pas de se faire endêver.

— Non, non, dit bien vite Désirée, en coupant la parole à son promis ; nous la chanterons toujours assez vite, cette chanson-là. Ne tires-tu pas au sort à l’année ?

— Je défends qu’on chante la conscription, dit le père Roux, ça me ferait songer à mon Gaspard pour le même motif.

— Vous avez raison, dit la grande Jacqueline, en fixant le fieu du père Roux.

Mais Gaspard fixait la Rose, et la Rose fixait la porte pour voir si le fieu du maître d’école, Pierre, le dragon, n’entrerait pas.

Pierre est un grand bel homme, brillamment attifé, et revenu de l’armée de la guerre pour quelque temps, en permission.

— Chante, toi, la Rose, dit Jean-Claude ; le dragon viendra pendant ce temps-là.

— Je veux, au contraire, l’attendre pour chanter, dit la Rose d’un ton piqué.

— Chante, dit Gaspard, ou sinon…

— Tu deviens par trop bravache, petiot Roux, dit Norine ; tâche un peu de te tenir tranquille.

— Je vas chanter, moi, dit le vieux berger.

— En ce cas-là, je me sauve, dit la petiote à Perpétue.

— Non, dit le fieu de Toinon, son promis ; si c’est trop fort, tu te boucheras les oreilles. Reste.

— Méchante bigote, dit Jean-Claude, tu en écoutes bien d’autres en latin.

Voilà donc, s’il vous plaît de l’apprendre, la chanson du vieux berger :


Jeanneton prend sa faucille
Et s’en va couper du jonc,
Mais quand sa botte fut faite
Elle s’endormit tout du long.

Las ! pourquoi s’endormit-elle,
   La petiote Jeanneton ?
Las ! pourquoi s’endormit-elle,
   La petiote Jeanneton ?


Mais quand sa botte fut faite,
Elle s’endormit tout du long.

Voilà qu’il passe près d’elle
Trois cavaliers de renom.

Las ! pourquoi s’endormit-elle,
   La petiote Jeanneton ?


Voilà qu’il passe près d’elle
Trois cavaliers de renom.
Le premier mit pied à terre
Et regarda son pied mignon.

Las ! pourquoi s’endormit-elle,
   La petiote Jeanneton ?


Le premier mit pied à terre
Et regarda son pied mignon.
Le second fut moins timide,
Il l’embrassa sous le menton.

Las ! pourquoi s’endormit-elle,
   La petiote Jeanneton ?


Le second fut moins timide,
Il l’embrassa sous le menton.
Mais ce que fit le troisième…
N’est pas dit dans la chanson !

Las ! pourquoi s’endormit-elle,
   La petiote Jeanneton ?


— Retiens celle-là, hé ! petiote Perpétue, dit le père Roux, berger ; tu la chanteras au mois de Marie.

— Avez-vous bientôt fini ? dit la mère Remblay. Dans notre pays, on ne vous laisserait pas détruire comme ça la religion.

— Dans ton pays, la mère, dit le vieux berger, on est encore plus renie-Dieu que par ici ; il n’y a-t-il pas de quoi se rengorger ! un pays où on ne parle pas d’à-seulement français.

— Comment ! on ne parle pas français chez nous ? Je ne suis mi déjà de si loin : Vermand, ce n’est jamais qu’à vingt lieues d’ici.

— Je soutiens que Vermand c’est hors de France ! Tiens, puisqu’on chante, chante dans ton parler, la mère, et on verra, dit le père Roux.

— Chantez, chantons, qu’on chante ! dit le dragon en refermant la porte. Bonsoir à un chacun.

— Bonsoir, Pierre[4], dit la compagnie :

La mère Remblay se mit à chanter, d’une belle voix perçante, une chanson. En voilà le refrain ; comprenez si vous pouvez :


       Ch’ solé y r’luit, ch’ moinet y cainte,
       Ch’ mouguet flourit, ch’ lépène s’épanouit ;
V’nez, m’tiote caille, v’nez, n’eussiez pau de crainte,
V’nez dans nos bous, tout y sourit,
V’nez dans nos bous sous leu n’ombrache,
V’nez donc bachelette, v’nez aveu nous ;
Eussiez une tiote miette d’courache,
Y foët rud’ment dous dans ché bous
[5].


C’est pourtant de cette manière-là qu’ils devisent du côté de Saint-Quentin ; mais fût-ce !

La retraite sonne, pour bien dire, neuf heures. Les bonnets blancs tirent de leurs poches des noix, des pommes et puis du pain. Filles et garçons, à qui mieux mieux, font claquer leurs mâchoires.

Le père Nom-de-Nom, l’ancien braconnier, au jour d’aujourd’hui notre garde champêtre, entra sur le même moment.

— Bonsoir, les autres, dit-il.

— Faut lui faire raconter son histoire du renard, dit le père Roux à Jean-Claude, ça nous amusera ; de plus, ça engagera peut-être le dragon à se ramentevoir quelque chose.

— Allez, des histoires de guerre, dit Jean-Claude, on en sait toujours suffisamment pour attrister le pauvre monde.

— Fût-ce ! dit le vieux berger ; et puis il cria : Hé ! père Nom-de-Nom, avance ici ; on demande ton histoire du renard.

— Ah ! c’est toi, sorcier, dit le garde champêtre, tricoteur du diable, père Chausson-Chaussette ; je veux bien, mon camarade, si ça peut être agréable à la société.

M’est avis qu’il serait bon de vous apprendre qu’on se risquait, de Sylvain qu’il s’appelait, à le surnommer le père Nom-de-Nom, parce que, au milieu de ses paroles, ce juron-là revenait à tout instant.

Il fallait de la place au garde champêtre quand il racontait son histoire du renard, un chacun le savait. Dans maintes et maintes joyeuses compagnies on l’avait entendue, l’histoire en question ; on l’avait entendue, et on aimait à l’ouïr de renouveau, rapport à l’action et à l’air de vérité qu’y mettait le père Nom-de-Nom.

Adonc, les chaises se rapprochèrent si bel et si bien que les fillettes et leurs galants ne s’en plaignirent point, à réserve de Gaspard, qui voyait, à son idée, le dragon trop près de la Rose.

— Nous pouvions, dit le garde champêtre, nous trouver aux environs de la Toussaint ; il faisait un froid de loup. Fût-ce ! que je pense, faut s’hiverner, nom de nom ! Je siffle Médor, je prends mon fusil, je le charge à balles, j’allume ma pipe, une pipe culottée, il n’y a pas de ça (pauvre pipe ! je me la ramentevrai jusqu’à la fin de mes jours). Me voilà donc parti. Il s’ensuit qu’une fois arrivé à la Carrière-Fondue, je me plante derrière une touffe d’épines, en regard des terriers ; j’attends une heure ; deux heures se passent ; nom de nom ! je commençais à geler bel et bien. Ces loups-garous de renards, que je me dis à part moi, seraient-ils devenus frileux et douillets ? Adonc, comme ma pipe se creusait de plus en plus, je me mets tranquillement à la rebourrer. Chut ! voilà un renard qui montre son nez. Je battais le briquet, je m’arrête. Mon finot regarde de droite et de gauche et sort de son trou tant soit peu. Ma pipe hochait dans ma bouche ; j’avais ma blague ouverte, ma casquette sous mon bras, mon débourroir d’une main, mon fusil de l’autre. Je tire à l’aventure ; le renard tombe, je saute sur lui ; mais… je le vois qui me regarde comme ça, fixe, avec deux yeux luisants comme des furolles. Était-il mort ? ne l’était-il pas ? Des renards, c’est malin, ça contrefait le mort et ça vous sauterait à la figure sans crier gare ! Portant toujours mon fusil, ma blague, mon débourroir, ma casquette, je m’approche…

— Qu’est-ce donc que tu avais fait de ton briquet ? dit le père Roux.

— Je le tenais d’une main.

— Et ton amadou ?

— De l’autre.

— Mais ton fusil, ta blague et ton débourroir ?

— De mon autre main.

— Ah ! de ta troisième, dit le vieux berger, en clignotant ses petiots yeux de sorcier.

— Fût-ce ! dit le garde champêtre. Je saute sur mon renard, j’attrape sa queue ; mon chien se fourrait dans mes jambes. Nom de nom ! quel embarras ! Était-il mort ? ne l’était-il pas ? Je le tournais, je le retournais. Était-il mort ? ne l’était-il pas ? Je le tournais, je le…

— Assez ! cria Jean-Claude ; ça commence à se comprendre.

— Vous parlez d’un homme dans un terrible embarras, dit Norine.

— Ah ! je le crois bien, dit le père Nom-de-Nom ; écoutez-donc ! Celle de mes mains qui gardait mon fusil, et puis ma blague, et puis ma casquette, et puis mon débourroir, non celle… que… je m’embourbe ! Cette main-là ou une autre se trouva donc tout à coup sotte de froid. Mon fusil tombe, le second coup part, voilà le plus fort ! Mon renard se ravigote, il saute de côté et file au triple galop, me laissant sa queue pour gage. Je bâillais pour voir clair. De plus, aussi vrai que je vous le dis, au moment de rentrer dans son trou il me regarda d’un air qui signifiait : « Te voilà bien avancé avec ma queue ! »

— Il avait donc une queue postiche, votre renard ? dit le dragon.

— Fût-ce ! dit le garde champêtre d’une voix fière, vous oubliez, dragon, que mon second coup pouvait sans miracle avoir coupé cette queue de malheur ! Pour moi, patatraque ! je culbute dans la carrière les pieds en l’air, et ma pipe se casse, nom de nom !

— Je parie qu’on n’a jamais ouï conter une semblable histoire, dit Jean-Claude en riant tant que c’est assez, avec un chacun.

— Fichtre ! dit le dragon en goguenardant, ce n’est point moi qui me mettrai dans la tête d’amuser le monde après un récit pareil. Je ne soutiendrais pas honorablement la concurrence. Suffit !

— Peut-être, dit la Rose d’un air aimable ; faudrait entendre.

— Oui, faudrait entendre, dit le père Roux. Allons, allons, Pierre, en route !

— Si c’est des histoires de guerre, dit le garde champêtre, je m’en vas ; ça me ferait songer à mon pauvre fieu qu’ils m’ont tué… Un si bon ouvrier ! Ton promis, Armandine, ne l’oublie pas… tout de suite, ma fille, ça me frapperait d’un coup mortel.

Et le père Nom-de-Nom pleurait disant cette parole-là.

— Soyez tranquille, dit Armandine en essuyant ses yeux ; c’est des choses qui n’ont pas besoin de se commander.

Sur ce, le garde champêtre prit le chemin de la porte.

C’est beau des militaires, comme dit la Rose ; mais ça n’empêche que le monde ne peut pas les regarder toujours sans avoir gros cœur, les pères et mères surtout.

— Il est temps que je m’en retourne, de crainte du revenant, dit la mère Remblay. Je ne vois point venir mon homme !

— Va, va, la mère, dit Jean-Claude, et fais-lui savoir, à ce mauvais revenant, qu’avant peu, foi d’huguenot ! je le démolirai.

— Prenez garde, cousin, dit la Remy, faut pas se moquer des esprits ; ils vous apparaissent en tous lieux, et…

— Bah ! la Remy, dit le père Roux, ce n’est jamais le tien d’esprit qui nous poursuivra ; on peut être tranquille, si tu meurs, il ne reviendra ni nuit ni jour.

— Vieux mal appris !

— Malicieuse !

Les paroles commençaient à mal sortir ; je dis comme ça, pour faire taire le père Roux, berger :

— Le curé de Morlincourt va quitter, le savez-vous ? et par suite d’une aventure qui ne surprendra guère un chacun.

Le père Roux, berger, puis le frère de Norine, qui passent à bon droit pour huguenots, se retournèrent vitement de mon côté.

— Par suite de quoi ? dit Jean-Claude.

— Norine, que je dis, donnez-moi permission de conter ce que j’ai à conter, parce que ça pourrait, m’est avis, fendre les oreilles aux dévotes.

— Conte, Cellier, dit Norine ; on peut, sans péché, médire une miette des robes noires, surtout quand il y a matière. Défunt mon père et celui de Jean-Claude, qui avait vu les curés dans d’autres temps, nous apprenait à en deviser par occasion.

— Bonsoir la compagnie, dit la petiote à Perpétue ; nous nous reverrons demain.

— Voilà donc l’histoire que je me suis laissé dire : De tous les curés des environs, le plus gaillard était, sans contredit, le curé de Morlincourt ; buvant bien, festoyant volontiers, pas fier du tout, et prêchant aux hommes et aux bonnets blancs de ne pas user leurs deux genoux au confessionnal. « Le bon Dieu donne la vie pour qu’on vive, » répétait-il souvent. Il s’ensuit que, plutôt dehors qu’à l’église, le curé de Morlincourt poussait à vue d’œil comme un champ de blé en plein soleil. Aussi le voyait-on devenir dodu, rondelet, ventru.

Faut convenir que si les fillettes le rencontraient maintes fois sur leur chemin, les maris ne le trouvaient jamais, en revenant de travailler, devisant avec leurs femmes de la sainte Vierge Marie. Il aimait à faire endêver la jeunesse, on ne saurait le nier, mais il savait mieux qu’aucun de nous respecter le mariage.

Au milieu de tout ça, le curé de Morlincourt était resté un homme comme un autre ; il devait, à coup sûr, lui arriver quelque malheur.

Adonc, quand Mlle Léonie, sa cousine et sa servante, se coiffait de son tour gris des dimanches, quoiqu’elle eût l’âge requis pour une servante et une cousine légitime de curé, elle pouvait en dire encore un brin. Mais il y a des gens qui n’ont pas de chance ; en voilà une forte preuve. Le jour même de la visite annuelle du seigneur l’évêque à Morlincourt, un petiot chrétien naissait au presbytère. Vous jugez de l’aria. On rapporte que le seigneur l’évêque se mit dans une colère des cinq cents diables, et que quelques-uns l’entendirent crier :

— Chez vous, curé ! c’est impardonnable. Vous quitterez la commune !

— Ce pauvre curé de Morlincourt ! dit un chacun, si parlant, si brave homme ! On ne sait pas ; peut-être bien qu’au lieu d’un mauvais curé il eût fait un bon mari.

— Des histoires de curé, il en pleut ! dit le père Roux ; mais je penche toujours pour celle de défunt mon grand-oncle :

Ne trouva-t-il point un jour défunte ma grand’tante en conversation (pour bien parler devant les bonnets blancs) avec le receveur des dîmes de son village. Il n’y avait guère de justice alors pour un simple berger. En criant fort, défunt mon grand-oncle pouvait arriver à se voir pendu, voilà tout. Il prit donc le parti de faire semblant de rire. Bien mieux, sur place, il commanda à sa femme de cuire des gauffres. Il y a manière de s’arranger. Deux heures après il reportait monsieur le curé dans son lit, furtivement, par la nuit sombre. Or, le lendemain se trouvait être un dimanche. Las ! mes camarades, dans le village, les plus bigots se virent forcés de se passer de messe, parce que monsieur le curé était, sauf votre respect, crevé.

De profundis  !

De profundis ! répéta Jeacquet, qui venait d’entrer. Vous parlez d’un curé mort ? Que le bon Dieu ait pitié de son âme !

— Il en a bien besoin d’après ça, dit la Rose.

— Tu deviens par trop gouailleuse, la Rose, dit Jeacquet, tu tourneras mal.

— Je vois à mes étoiles qu’il est déjà tard, allons-nous-en, dit le vieux berger. Quant à toi, la Rose, je souhaite que le mot de Jeacquet ne te porte pas malheur !


  1. Se dit pour dépêche-toi.
  2. Rester à la maison.
  3. Tous les bergers du pays tricotent.
  4. Pierre-Louis Gosseu.
  5. Le soleil luit, l’oiseau chante,
    Le muguet fleurit, l’épine s’épanouit ;
    Venez ma petite caille, n’ayez nulle crainte,
    Venez dans nos bois, tout y sourit,
    Venez dans nos bois, sous leur ombrage,
    Venez donc bachelette, venez avec nous ;
    Ayez un petit peu de courage,
    Il fait tellement doux dans les bois.