Monde/70
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L’Inconnu. Le Mystère
LE SECRET (X + Y)
(X + Y). — Il faut parfaire l’équation totale du monde. À la représentation des éléments objectifs connus et des facteurs personnels normaux du moi, à celle des créations humaines et de leur expression, il reste à ajouter. C’est tout ce qui existe réellement, mais est inconnu à l’homme quoique connaissable par lui. (Par ex. les microbes avant Pasteur et le microscope). C’est tout le mystère dont il est entouré et posé a priori inconnaissable. Représentons le réel par X dans l’équation. Et représentons par Y l’ensemble des assertions et des croyances énoncées dont n’est point faite la démonstration, mais par lesquelles l’esprit répond aux questions qu’il se pose parce qu’il ne pourrait vivre dans le vide ou l’indétermination. Sont comprises ici toutes les croyances populaires (folklore) qui constituent en quelque sorte un dédoublement de la science par les connaissances primitives. Ces croyances et ces conceptions, tout inadéquates soient-elles, constituent cependant des réalités idéologiques dont il est impossible de ne point tenir compte. La présence des deux « inconnues » X et Y dans une équation demeurée une accentuera le caractère que pour l’esprit de l’homme, le problème du monde, tel qu’il est posé devant lui, n’est pas susceptible d’une solution parfaite.
Le X + Y peut être tenu en quelque sorte pour le lieu géométrique de nos ignorances (connaissances à acquérir), de nos jouissances (sensibilité), de nos espérances (activité). Ce qui doit être ajouté aux données relatives pour le parfaire en absolu.
Il est impossible ici de systématiser. Il faut se borner à une simple énumération de points.
Tout est inconnu et mystères communs à l’humanité entière : La vie, la mort, l’au delà, la souffrance, le bonheur, la santé, l’amour, la connaissance, la justice, la beauté, la Nature, Dieu.
L’inconnu et le mystère existent. Il y a plus de choses, sous les cieux que ne pense le vulgaire philosophe. (Shakespeare.) — Voici le théâtre du monde : un grand rideau cache la scène. Perforons d’une épingle le rideau ; reportons-nous dix mètres en arrière : regardons. Ce que nous verrons sera à peu près dans la proportion de ce que nous connaissons du monde. (Richet.)
L’abbé Cassendi s’écriait : Je suis né sans savoir pourquoi, j’ai vécu sans savoir comment, et je meurs sans savoir ni comment ni pourquoi.
W. James a tenté cette comparaison : Il est possible que nous soyons dans l’univers comme sont, dans nos bibliothèques, les chiens et les chats qui voient nos livres et entendent nos conversations, sans avoir aucune idée de ce que tout cela signifie.
Secret. — Pour le secret, il faut distinguer : a) le fait privé : secret professionnel de l’avocat, du médecin, du prêtre ; b) le fait public : sociétés secrètes (Franc-maçonnerie) ; actions secrètes de grandes sociétés publiques (les Jésuites dans l’Église) ; actions secrètes de l’État (secrets d’État, diplomatie secrète, espionnage, 2e Bureau, Intelligence service) ; c) secret des sciences ou doctrines (occultisme, doctrine secrète).
Hasard. — Le hasard est à ranger avec la probabilité. Il y a hasard quand les facteurs en présence ne sont liés par aucun lien de nécessité ou que ces facteurs sont si nombreux et intriqués qu’il n’est pas possible de s en rendre compte.
Incertitude du savoir. — Voilà Einstein lui-même déclarant difficile d’attacher une signification quelconque à l’expression « Vérité scientifique ». (Le monde tel que je le vois).
Les conclusions des physiciens (Einstein, Reichenbach) venant après celles des psychologues et des métaphysiciens (Kant) sont en partie désolantes : l’impossibilité pour l’homme de percevoir la réalité avec ses sens. Seules des probabilités lui sont accessibles (légitimité des formules ou lois). D’autre part, il ne paraît pas y avoir de lien nécessaire causal entre les éléments et entre les phénomènes.
Ils jouissent d’une certaine liberté. La conception du mouvement brownien a été généralisée à l’univers. Il est des corpuscules de l’ordre du trois millionièmes et il y aurait à tenir compte de leur auto-détermination, mais l’optimisme reste autorisé si l’on considère d’une part, qu’il y a des probabilités basées sur le compartiment des grandes masses, d’autre part que les déficiences et déformation de nos sens sont compensables par des instruments constitués et construits de plus en plus nombreux, puissants, perfectionnés. Si, analogiquement la réalité se comporte en eux comme en nous, il y a probabilité de concordance entre le moi et le non moi. Et ces instruments peuvent être disposés en élévation de telle manière que l’instrument enregistreur jouisse d’une autonomie par rapport à l’observation et que malgré la relativité de leur lecture par l’homme, ils réalisent quelque chose qui échappe à son subjectivisme.
Confusion dans le savoir. — Finalement que savons-nous, que croyons-nous, que voulons-nous ? Tant de travaux écrits, tant de groupes, tant de systèmes, tant de croyance.
Intérêt du fond des choses. — Au demeurant le fond des choses est-il intéressant en lui-même ? A-t-il une signification ? En quoi est-il intéressant ? Autre que la mise en œuvre des lois complexifiant de plus en plus des lois très élémentaires et insignifiantes.
Les nuages, c’est un peu de vapeur d’eau. Une fois formés ils se disposent et se colorent dans le ciel de manière à nous donner le spectacle merveilleux des levers et de couchers de soleil mais ce n’est qu’un peu de vapeur d’eau.
Y a-t-il des secrets et est-il des êtres qui détiennent des secrets, des connaissances inconnues des hommes, et pourrait-on les amener à nous révéler ces secrets ?
La possibilité d’habitants dans les astres, d’êtres intelligents, avec la possibilité d’entrer en relation avec eux.
L’intellect. — Certains pensent que l’intellect ayant terminé le tour qu’il a fait de lui-même, ne peut plus utilement parcourir encore une fois son cercle qu’il vient de fermer.
Antinomie et vanité. — Les insolubles antinomies : Ainsi la lutte millénaire entre la force et la raison et la nécessité pour chacun d’opter. L’évolution, le progrès, l’organisation et la loi physique de la dégradation, de la destruction finale, la loi de l’Entropie.
La philosophie de Nietzche, qui ne croit à aucun absolu, n’est pas un système d’idées, mais un système de points de vue fait de juxtaposition et d’opposition de tableaux. Nietzche a été le précurseur de la psycho-analyse. La diversité de sa pensée résulte non d’un manque de conséquence, mais d’une succession voulue des points de vue et des éclairages différents. Son œuvre posthume, considérable, fait connaître ce perspectivisme.
La Foi. — Suivant les hommes, la foi ils la mettront en Boudha ou en Jésus et l’Évangile, en Mahomet et le Coran, en la Révolution et ses immortels principes, en Karl Marx et le manifeste Communiste, aujourd’hui Lénine et les Soviets.
Thèses. Hypothèses. — La thèse chrétienne : Dieu, la création, les anges, le drame cosmique, suivi du drame humain de la chute et de la rédemption. Les cycles cosmiques de 9 milliards d’années, d’après les traditions asiatiques, selon la spirale, la seule courbe qui réponde aux trois conditions : progression, action, réaction. L’hypothèse de réincarnations successives. L’hypothèse physique de l’expansion de l’univers : l’œuf primitif, les rayons cosmiques, la terre cendre d’une cendre.
Conciliation des thèses. — La conciliation des thèses idéalistes et matérialistes peut se produire : 1° les premières (celles des Chrétiens, des Théosophes) qu’il y a lieu de travailler à améliorer les choses ici bas au lieu de voir dans les difficultés de la vie précieuse occasion à mérites ; 2° les secondes (positivistes, monistes) qu’il y a lieu d’intervenir pour orienter l’homme et sa civilisation vers une finalité spiritualiste.
Attitudes. — Il en est deux fondamentales : a) ou bien tout ce désordre n’est que l’avant-coureur d’une transformation nouvelle de l’humanité, une mutation, une métamorphose. Et alors il ne faut pas la regretter. Un proche demain compensera les déficiences d’aujourd’hui. b) Ou bien toute cette infériorité intellectuelle et morale sera définitive, ira même en croissant Et alors, arrivés au temps déjà avancé de leur vie, les idéalistes ont à ne pas répudier leur bel idéal, à s’admettre les derniers idéalistes et à mourir en beauté !
La morale biologique doit-elle conclure à l’acceptation, à la résignation (Epictète, Marc-Aurèle, Vigny, dans une certaine mesure le Christ) ? Ou la réaction organisée scientifiquement doit-elle être la réponse de plus en plus triomphante de l’homme à la nature ? Ou s’incliner devant ce qui est : « Ô monde, je veux ce que tu veux ! » (Marc Aurèle). Ou d’un effort gigantesque, œuvrer à faire que le monde veuille ce que nous voulons ?
Espoir d’un système. — Les divers systèmes de philosophie ont surgi l’un après l’autre de divers états de conscience. Des états troublés de la conscience de notre temps, en quête d’explication et de généralisation, naîtra quelque nouveau système.
Système. — Entre le dogmatisme qui affirme et le matérialisme qui nie, il y a une position objective, celle qui admet qu’après la mort, il existe un monde inconnu, sur lequel on ne sait rien.
Autre système. — Il n’y aurait rien de surnaturel, tout serait naturel. Mais il y aurait de l’inaccessible à l’homme, de l’actuellement au-dessus des forces humaines ; mais non pas de l’inaccessibilité par nature de l’homme ou par nature de la chose. Et l’homme cependant aurait en lui des possibilités psychiques merveilleuses, encore bien mal connues, notamment la possibilité d’acquérir de la force psychique par purification de corps et d’esprit.
Modifier les êtres humains pour résoudre les énigmes. — L’énigme ultime de l’univers (pourquoi tout cela est-il, pourquoi est-il comme c’est), cette énigme appelle, pousse et dirige aujourd’hui des hommes de plus en plus nombreux ; elle les pousse, les appelle, les dirige à résoudre, à porter tous leurs efforts sur les sciences et la philosophie. Les méthodes spéculatives étant impuissantes, des expériences nouvelles sont nées. Et celles modifiant l’être humain lui-même, lui permettront de concevoir d’autres relations entre lui et les choses et ainsi d’approfondir et d’enrichir sa notion de l’être.
Ainsi la vie épique et aventureuse de l’homme et de l’humanité vers « le jamais vu » et « l’inouï », conduit à une connaissance plus approchée du mot de l’énigme. Que saurions-nous de l’univers si l’Amérique et les pôles n’avaient été explorés, et si des enfants en jouant avec des verres n’avaient suggéré leurs lentilles et leurs télescopes à Huygens et à Galilée.
« La vie est simple, parce que la lutte est simple. Le bon lutteur recule, il ne s’abandonne point ; il fléchit, il ne renonce pas. Si l’impossible se lève devant lui, il se détourne et va plus loin. Si le souffle lui manque, il se repose et attend. S’il est mis hors de combat, il encourage ses frères de sa parole et de sa présence. Et quand bien même tout croule autour de lui, le désespoir ne pénètre pas en lui.
» La vie est solidaire parce que la lutte est solidaire. De la victoire dépendent d’autres victoires dont je ne saurai jamais les heures ni les circonstances et ma défaite en entraîne d’autres, dont les conséquences vont se perdre dans l’abîme des responsabilités cachées. L’homme qui était devant moi a atteint, vers le soir, le lieu d’où je suis parti ce matin et celui qui vient derrière profitera du péril que j’écarte ou des embûches que je signale.
» La vie est belle parce que la lutte est belle : non
pas la lutte ensanglantée, fruit de la tyrannie et des passions
mauvaises, celle qu’entretiennent l’ignorance et la
routine, mais la sainte lutte des âmes cherchant la vérité,
la lumière et la justice. » (Pierre de Coubertin.)
Quand rien de ce qui est généreux ne vous fut étranger,
quand nulle parole de cristal prononcée à travers les
siècles ne tombe sur votre cœur sans y fleurir en corolles
infinies, quand l’être tout entier ne fut qu’une seule
aspiration à s’élever et s’élever toujours dans un sentiment
plus exaltant de soi-même, vers le plus haut développement
humain, à envahir toujours davantage dans
la pensée et dans la connaissance, dans le bien et dans
le beau, dans le rêve et dans l’action, à prendre tout
ce qui émerge par le monde et par l’histoire pour les
ressusciter dans sa propre destinée devenue un exemple
et un signe ; quand ce fut votre folie de tous les jours et
de toutes les minutes, votre vautour rongeur et votre
place fidèle de chercher à dépasser et les autres et soi-même… (Montherlant.)
Quelque bien réfléchie, prévue, soit l’action humaine, elle ne peut échapper au hasard ; quelque désirables soient l’organisation et la stabilité de certains éléments fondamentaux, elles ne sauraient être fin en soi. La vie est primordiale, continue, et amplifier la vie, c’est le destin de l’homme, c’est celui de l’humanité.
Il n’y a nulle part d’identité ; il n’existe que des « à peu près » identiques, des moyennes habituelles. Mais il y a un inhabituel, le phénomène qui dépasse l’écart moyen de la moyenne. Il existe et il faut se rendre compte qu’il existe. (Ch. Richet.)
Toute l’histoire est là pour nous avertir de ce qu’aurait été petit et mesquin le cours des choses si, à chaque moment il ne s’était trouvé, soit des rencontres, de hasard pour mettre sur le chemin des possibilités nouvelles, soit des inventions et des idées géniales pour ouvrir des voies nouvelles, soit des hommes aventureux, travaillés par l’incompressible besoin de risquer, de se lancer dans l’impossible, de tenter des chances réduites au minimum. Hasard, invention et aventure sont ainsi parmi les facteurs les plus importants de l’évolution humaine et à leur seuil vient échouer la tentative d’organiser et de prévoir intégralement. Peut-être n’est-il pas exagéré de dire qu’ils constituent ce qu’il y a de plus profondément «humain».
C’est pourquoi il est nécessaire et désirable de leur
maintenir un rôle, de leur faire une place, de compter
avec eux, pour le renouvellement des choses et l’ascension,
toujours plus haut, vers laquelle appelle la Destinée.