Monrose ou le Libertin par fatalité/I/11

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Lécrivain et Briard (p. 45-49).
Première partie, chapitre XI.


CHAPITRE XI

CAPRICE DONT LES TRÈS-JEUNES GENS SONT
VOLONTIERS SUSCEPTIBLES


« Je suis trop franc, continua mon neveu, pour vous cacher que bientôt consolé de la perle du spectacle, je me mis à faire sur le compte de la baronne, tout en la conduisant, d’avantageuses réflexions. Par quel miracle, au lieu de cette femme débiffée que j’avais vue lors de mon retour d’Angleterre, et dont la beauté semblait alors complétement détruite, revoyais-je, au bout de dix ans, une maman tout à fait désirable, portant avec infiniment de grâce un attrayant embonpoint ; tirant de ses volumineux cheveux blonds, d’une teinte charmante, le parti le plus adroit ; n’ayant plus rien d’une béate humoriste ; mais bien plutôt déployant, dans tout son extérieur, le charme de la coquetterie dirigée par le bon goût ! Il n’existait pourtant plus rien de tout cela quand je partis. Par quel prodige, encore une fois, Sylvina s’était-elle en quelque façons reproduite ? À travers ces pensées il ne pouvait manquer de me venir celle-ci : « Madame de Folaise, en dépit de ses trente-huit ans bien échus, doit être encore une excellente jouissance.

« À peine eûmes-nous fait deux tours dans le jardin, que le merveilleux abbé (qui vraisemblablement n’avait pas été renvoyé le matin sans avoir reçu la consigne pour le soir) se trouva là fort à propos. Dispensez-moi des détails d’une présentation réciproque qui nous occupa plus de six minutes, debout, en groupe au milieu d’une allée ; je vous épargne aussi toutes les belles choses que dirent les dames pour nous provoquer à la sympathie, caquetant avec tant de bruit et de vivacité, que, dans un lieu moins solitaire, on aurait bien pu nous régaler de quelque huée.

« L’abbé de Saint-Lubin… (Ici je haussai les épaules.) Vous connaissez donc celui de qui je vais avoir l’honneur de vous parler ? — Beaucoup : allez votre chemin.

« L’abbé me plut infiniment par un certain air de franchise et de gaîté qui me parut être l’âme de sa physionomie. Je démêlais fort bien qu’il était un peu gâté par tout ce monde-là, mais il ne se montrait pas infatué de tant de faveur. Sa politesse à mon égard était d’un assez bon genre, et je ne trouvais rien de répugnant à penser que, puisqu’on le distinguait dans la maison de madame de Folaise, il serait possible que je me liasse avec lui. Je fus confirmé dans cette idée quand une certaine pantomime assez fine, que je surprenais entre la demoiselle et lui, m’eut assuré qu’ils étaient bien ensemble et que probablement il ne ferait point un obstacle pour qui aurait la fantaisie de courtiser un peu Sylvina. — Voilà bien, interrompis-je, la politique d’un vrai novice ! Eh ! mon cher Monrose, y eut-il jamais de l’obstacle auprès de madame de Folaise ! Croyez-vous que les années puissent corriger une femme des gaillardes inclinations que nous connaissons si bien à celle-ci ! À quoi bon cette matrone se serait-elle, avec tant de soin, appliquée à rajeunir, comme vous l’avez très-judicieusement observé, si ce n’était que, dominée de la passion des hommes, elle a fait vœu de les agacer tous et de ne s’en refuser aucun ! — J’ai pu l’apprendre bien peu de moments après celui dont je vous parle : mais enfin, j’eus ce petit mouvement de jalousie et je n’ai pas voulu vous le dissimuler,

« Soit que le président eût aussi remarqué le jeu de mines dont je m’étais aperçu, soit que la seule présence d’un concurrent en fait de mérite l’eût à l’instant déterminé, cet homme, si sémillant un moment avant la rencontre de l’abbé, se rembrunit et parut se souvenir tout à coup d’un rendez-vous donné, disait-il, depuis trois jours à une plaideuse intéressante qu’il ne pouvait négliger sans la mortifier. Il fausse donc compagnie et se retire gravement, laissant, comme un sot, son rival en possession du bras féminin auquel il vient de renoncer par humeur. « Je suis bien malheureuse, me dit d’un ton de confidence et tout bas madame de Folaise peu satisfaite. On a beau faire, on ne vient point à bout de concilier certains esprits. Le président et l’abbé, tous deux aimables, tous deux très-bien reçus chez moi, sont comme le rhinocéros et l’éléphant ! Il est impossible de les posséder ensemble en petit comité. J’en suis désolée. Autrement j’aurais engagé celui qui nous quitte à souper aussi ce soir avec nous, car vous me donnez apparemment, chevalier, ma revanche de ce matin ? » Puis, sans attendre ma réponse… « L’abbé, vous êtes libre sans doute ? — Tout à fait à vos ordres. — Et vous, ma bonne amie (à la grosse dame) ? — Au désespoir, ma chère baronne : j’ai du monde chez moi ce soir, et j’emmène monsieur (son vieux chaperon). — Tant mieux ! me dit alors Sylvina, en me serrant la main et très-bas ; nous ne serons que nous quatre, cela sera plus gai. » Son voluptueux sourire fut en même temps accompagné d’un regard si brûlant, que je me dis soudain : « Quel dommage que de ces deux yeux, non moins jolis qu’électriques, l’un ait été la victime de cette petite vérole ! » Plus j’y faisais attention, plus il me semblait que les vestiges de l’affreuse maladie, assez visibles à la vérité, ne nuisaient cependant presque point au charme de la plus agaçante physionomie… — Allons, dis-je à Monrose, me voilà bien préparée à vous voir entreprendre, auprès de madame de Folaise, tout ce que peut un homme fort amoureux ! »